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Les ouvriers du bois et la sylviculture mondiale

Par ELLERY FOSTER

IL EST vraiment paradoxal qu'un monde, capable de réaliser dans le domaine de l'aviation, la bombe atomique et des inventions destructives, un haut degré de perfection technique, continue à gaspiller ou à ne pas mettre en valeur la presque totalité de son sol et de ses forêts. Le sol et les forêts fournissent cependant presque tous les biens matériels dont les peuples ont le plus besoin, c'est-à-dire ceux qui leur assurent alimentation, habillement et logis. Et cependant, nous persistons à exploiter le sol et les forêts d'une manière inconsidérée. Aussi les populations continuent-elles à avoir faim, à être mal vêtues et mal logées; elles se laissent entraîner dans des guerres successives, avec l'espoir stupide de mettre ainsi fin à leur misère.

Il est évident qu'une semblable situation est contraire au sens commun. Les peuples commencent à s'en apercevoir chaque jour davantage. L'Union internationale des ouvriers du bois d'Amérique (IWA) [International Woodworkers of America] affiliée à la Fédération des organisations industrielles (CIO) [Congress of Industrial Organizations], est consciente de cette situation.

L'IWA est le syndicat central des ouvriers travaillant dans les forêts, dans les scieries et dans les autres industries du bois aux Etats-Unis d'Amérique et au Canada. Ce syndicat est pour le «bois brut» ce que le syndicat CIO des ouvriers de l'acier est pour l'acier brut. Il n'est pas aussi important ni aussi puissant que celui des ouvriers de l'acier, parce qu'il est plus difficile d'organiser l'industrie du bois en Amérique que l'industrie de l'acier qui est l'industrie des grandes entreprises par excellence. L'industrie du bois au contraire se compose surtout de nombreuses exploitations d'importance réduite disséminées depuis la Floride jusqu'à l'Alaska. Mais les 75.000 ouvriers forestiers organisés ont un programme sylvicole précis dont ils sont très fiers. Le présent article se propose d'expliquer les raisons pour lesquelles l'IWA l'a établi, en quoi il consiste, quelles mesures ont été prises jusqu'ici en vue de sa réalisation et, enfin, de démontrer l'importance que ce programme pourrait avoir dans un avenir prochain pour la sylviculture du monde entier.

Pourquoi les ouvriers du bois s'intéressent a la sylviculture

Ce n'est pas le pur désir de rendre service au monde qui a éveillé dans l'industrie du bois l'intérêt des ouvriers américains pour la sylviculture. Bien au contraire. Si le monde avait aménagé ses forêts rationnellement, les ouvriers du bois n'auraient pas à dépenser leur temps et leur argent à faire de la propagande et à conduire une campagne en faveur de l'adoption d'un programme forestier. En fait, ces ouvriers ont dû toujours lutter pour améliorer leur sort. Il y a une cinquantaine d'années, les bûcherons de l'IWA livrèrent une lutte acharnée pour obtenir qu'on désinfecte leurs camps, qu'on leur fournisse des draps, des lits individuels au lieu de couchettes superposées, une meilleure alimentation et des douches. Presque tous ces buts ont été atteints.

Bucherons de l'Idaho (E.-U.) abattant un Pinus ponderosa.

Malgré les améliorations obtenues par les bûcherons, les camps n'en sont pas moins restés des camps qui ne peuvent pas remplacer un village permanent où l'ouvrier peut vivre avec sa famille et compter sur une exploitation forestière à rendement continu lui permettant de travailler dans la même région aussi longtemps qu'il le désire.

Les ouvriers des scieries ont également à se plaindre des anciennes méthodes d'abattage qui les obligent à suivre les pérégrinations d'une industrie nomade. Il est normal que tout individu cherche à s'établir dans une communauté qui a des chances de prospérer, où il peut avec confiance employer son argent pour l'achat d'une maison qui devient sa propriété. Un tel placement est certainement profitable. Mais si le village est destiné à devenir un «village fantôme» et à être abandonné, l'achat d'une maison et d'un terrain constitue un mauvais placement.

Les ouvriers du bois entrèrent en rapport avec les administrateurs forestiers. Ils apprirent qu'on aménage les forêts, dans les pays européens et ailleurs, de façon à leur faire produire un volume constant de grumes chaque année. Grâce aux moyens de transport modernes, les forêts peuvent alors assurer à leurs ouvriers et à ceux des scieries un emploi stable et un foyer dans des centres d'habitation organisés d'une façon satisfaisante et permanente.

Vient ensuite le problème du rendement, dont dépend directement la possibilité d'obtenir une augmentation des salaires et une réduction des heures de travail. Les ouvriers du bois ont constaté que la plupart des petites exploitations et des petites scieries qui, en Amérique, fournissent la plus grande quantité" de grumes et de bois de construction, travaillent sans méthode et sans souci d'économie. La situation s'est aggravée par suite de l'épuisement des forêts qui fournissent désormais des grumes de plus en plus petites, ce qui entraîne un plus faible rendement, encore que de nombreux exemples d'exploitation rationnelle ont prouvé qu'il était possible d'obtenir de bien meilleurs résultats que ceux que l'on réalise aujourd'hui.

L'industrie du bois se complique d'autres problèmes qui rendent difficile et incertaine la vie de ses ouvriers. Depuis toujours, l'industrie du bois en Amérique a passé d'un extrême à l'autre. En période de prospérité, la hausse des prix du bois est plus vertigineuse que celle de n'importe quel autre produit. Quand ils baissent, leur descente peut être tout aussi vertigineuse; et quand le marché est défavorable, la production peut diminuer à un tel point que l'ouvrier ne peut travailler qu'un ou deux jours par semaine et quelquefois n'a plus de travail du tout.

Pour comble de malheur, depuis près de 40 ans, le rendement de l'industrie forestière américaine n'a fait que diminuer. Or, une industrie en déclin n'attire pas la main-d'œuvre. Les ouvriers du bois, toutefois, se sont rendus compte que leur industrie n'avait aucune raison de décliner ainsi, mais qu'au contraire, elle pouvait et même devait devenir de plus en plus florissante.

En outre, les ouvriers du bois estiment que la sylviculture représente une partie importante de l'agriculture mondiale qui, selon eux, sauvera l'homme des privations engendrées par la guerre. Ils considèrent donc que l'un des moyens les plus pratiques pour éviter les privations et les terreurs d'une nouvelle guerre est, pour eux, d'obtenir une production de bois suffisante pour faire face à la crise mondiale du logement et aux autres besoins de l'humanité. Une initiative de ce genre est bien de leur ressort puisqu'ils travaillent le bois et, par conséquent, connaissent son importance. Ils peuvent donc jouer un rôle efficace dans ce secteur spécial de l'effort mondial en faveur de la paix.

Il va sans dire que seul un programme forestier de grande envergure est capable de résoudre ces problèmes. A la suite des conversations qu'ils ont eues avec leurs camarades forestiers, les ouvriers du bois ont décidé de mener une campagne pour un programme forestier et d'user de toute leur influence pour en obtenir l'application. Ils ont agi dans leur propre intérêt, mais, par suite, d'une heureuse coïncidence, l'intérêt de leur groupement correspond exactement à l'intérêt public. Nous verrons plus loin que le programme forestier préconisé par les ouvriers du bois met ce fait bien en évidence.

Tracteur débardant des grumes (Colombie-Britannique, Canada).

Le programme forestier de l'IWA

Le programme forestier de l'IWA et du syndicat national CIO ressemble beaucoup, dans ses grandes lignes, à celui qui a été adopté aux Etats-Unis pour l'agriculture. Il s'agit, bien entendu, d'un programme complet et détaillé d'assistance technique et économique.

Les principales recommandations IWA-CIO concernent les points suivants:

1. Emploi de techniciens en matière de sylviculture pour aider les propriétaires et les industriels forestiers à utiliser les méthodes rationnelles de sylviculture, d'abattage, de façonnage et de vente du bois.

2. Crédits et assurances sur les coupes, analogues à ceux prévus par le programme américain d'assistance à l'agriculture.

3. Subventions pour la conservation des forêts, pour encourager la plantation de jeunes arbres, l'amélioration du matériel sur pied et d'autres mesures visant à la conservation des forêts, analogues aux subventions actuellement accordées aux agriculteurs américaines sur une vaste échelle pour la conservation du sol. Les ouvriers du bois sont d'avis que l'industrie forestière pourra tirer un plus grand profit des subventions du gouvernement, que si elle était nationalisée. Ils savent, en effet, que l'individu trouve plus d'intérêt à accroître sa propriété que celle du gouvernement.

4. Création d'un vaste réseau de routes pour le transport du bois, analogue au réseau routier assurant les communications entre les exploitations agricoles américaines et leurs marchés.

5. Intensification de la protection des forêts contre les incendies, les insectes et les cryptogames.

6. Subsides gouvernementaux en vue de la création d'usines pour la fabrication de matériaux de construction (tels que panneaux de fibres, matières plastiques et bois lamellés) et d'autres produits avec les déchets du bois qui sont actuellement inutilisés.

7. Enfin, institution d'une loi fédérale ne permettant d'exécuter des coupes de bois dans un but commercial qu'à condition qu'un expert forestier (reconnu par le gouvernement, ou directement employé par lui) aide l'exploitant à établir un plan de coupes permettant de rendre stable le rendement de la forêt.

Certaines personnes pourraient se demander pour quelle raison les ouvriers américains se préoccupent tellement de l'aide du gouvernement à la classe des propriétaires et des employeurs. Ces personnes sont le plus souvent parmi celles qui croient que les syndicats ouvriers sont les ennemis de la propriété privée ou parmi celles-qui ne pensent à l'industrie du bois qu'en termes de vastes entreprises capitalistes, ou de grands seigneurs du bois qui n'ont pas besoin d'assistance, mais qui doivent au contraire être strictement surveillés si l'on veut que les forêts soient aménagées en vue d'un rendement soutenu au bénéfice de la collectivité.

La scierie en forêt. Scierie mobile dans l'Ouest du Canada.

L'explication est d'abord la suivante: les ouvriers du bois se piquent d'avoir l'esprit pratique. Leur but est d'obtenir des conditions de vie meilleures pour eux-mêmes et pour leurs familles. La plupart d'entre eux ont pu constater que la politique agricole du gouvernement a obtenu de bons résultats en ce qui concerne la conservation du sol, l'augmentation de la production des denrées alimentaires et qu'elle a assuré à l'agriculture plus de stabilité et de sécurité. Ils se sont rendu compte que, contrairement à l'opinion générale, la plupart des exploitations forestières et des scieries américaines sont de très petites entreprises. Nombre de propriétaires ne pourront jamais exploiter leurs entreprises d'une façon rationnelle tant qu'ils ne recevront pas une aide technique et financière. Ils sont dans la même position que l'agriculteur qui ne pouvait assurer la bonne conservation du sol jusqu'au jour où il a pu se libérer d'une hypothèque très élevée. Celle-ci l'obligeait, en effet, pour arriver à payer les intérêts, à cultiver chaque année tout son terrain d'une façon intensive qui épuisait le sol.

Lorsque les ouvriers du bois recommandent que soit accordée une assistance forestière gouvernementale aux propriétaires et aux employeurs forestiers, ils n'agissent nullement par altruisme, mais parce qu'ils considèrent que c'est le seul moyen pratique d'assurer, dans le plus bref délai possible, une gestion rationnelle et scientifique dans les exploitations sylvicoles et les scieries américaines. Ils savent que l'organisation scientifique leur offre la seule chance d'échapper aux maux d'une industrie si facilement destructive, gaspilleuse, irrationnelle et nomade.

Les ouvriers du bois savent qu'il leur faudra aplanir bien des divergences d'opinion avant de pouvoir accomplir quoi que ce soit de fondamental en ce qui concerne la solution du vaste problème que pose le système de propriété concentrée dans les mains d'un nombre réduit de personnes, et qui, depuis longtemps, constitue le problème le plus important qui se pose à l'Amérique. Toutefois, ils se rendent compte que cette situation est moins accentuée dans leur industrie que dans la plupart des autres. Ils estiment que leur proposition visant à accorder l'aide du gouvernement à plus de 4 millions de propriétaires et d'exploitants forestiers aux Etats-Unis seulement (avec, en plus, un chiffre important pour le Canada) ne devrait pas rencontrer une sérieuse opposition. Ils savent que certains exploitants s'opposeront toujours au contrôle gouvernemental des coupes, mais ils savent aussi que l'autorité du CIO, jointe à celle d'autres groupements qui déplorent depuis longtemps l'insouciance avec laquelle les Américains tolérent la destruction de leurs forêts, pourra faire pencher la balance vers eux dans la longue lutte contre une exploitation inutilement destructive.

Si le programme qu'ils recommandent est adopté, les ouvriers du bois prévoient que l'industrie américaine de la forêt se composera dans l'avenir de très nombreuses petites exploitations, dont chacune sera dirigée par un homme sur place, connaissant le travail et n'ayant pas peur de se salir les mains. La sylviculture deviendra alors un complément en même temps qu'une partie intégrante de l'agriculture américaine. Les ouvriers du bois eux-mêmes, dont beaucoup sont propriétaires d'un pauvre lopin de terre renonceront à y «cultiver des souches» (pour reprendre la plaisanterie américaine de «stump ranchers») et se mettront à leur tour, à cultiver, cette fois, des arbres, apportant leur propre contribution au développement de l'industrie du bois.

Maison du bûcheron, I. - Baraques d'ancien modèle dans le Montana, transportées par chemin de fer de coupe en coupe.

Avec une aide gouvernementale appropriée, il sera possible d'appliquer, sur les petites propriétés individuelles, des méthodes de sylviculture plus intensives que celles appliquées sur les grandes exploitations appartenant à des sociétés. Les méthodes d'exploitation de ces dernières sont généralement extensives et n'obtiennent pas des terrains boisés le maximum de leur rendement.

Une fois que l'ensemble des petites et moyennes exploitations sera scientifiquement aménagé, les forêts donneront, chaque année et dans chaque centre de production, un rendement constant de grumes. Les industries connexes pourront alors prendre les dispositions nécessaires pour être en état de traiter toute la production annuelle de grumes comme fait l'industrie alimentaire organisée de façon à pouvoir transformer toute la production annuelle de la campagne agricole. L'industrie du bois pourra ainsi être stabilisée. Le deuxième objectif sera de régler le travail au moyen de contrats collectifs de manière à assurer, dans la mesure du possible, l'emploi stable de la main-d'œuvre pendant toute l'année.

Il ne faut pas se dissimuler que ce programme est onéreux. Mais il n'y a pas de raison pour qu'il ne rapporte pas, tout comme le programme agricole, des bénéfices dépassant de beaucoup les frais qu'entraînerait son application. Les ouvriers forestiers espèrent que l'opinion publique, préoccupée de la pénurie de bois et de la diminution de ses stocks mondiaux et nationaux, finira par convaincre les législateurs, même les plus légitimement soucieux d'économie, qu'il est nécessaire d'adopter d'urgence un programme pratique permettant d'accélérer le repeuplement de nos forêts et d'utiliser chaque arbre abattu d'une façon plus complète. Alors notre programme prendra toute sa valeur.

Le moment d'agir est arrivé

Nous croyons devoir expliquer maintenant en quelques mots la raison pour laquelle nous sommes d'avis qu'il convient d'appliquer, à l'heure actuelle, le programme exposé. Les industries forestières américaines se trouvent à un tournant critique de leur existence. Jusqu'à présent, en Amérique on a presque exclusivement compté sur les forêts naturelles. La politique dominante des exploitants a consisté, et consiste encore, dans le choix au hasard des arbres qui, selon leur avis, peuvent leur assurer un bénéfice, sans se préoccuper des coupes futures. On laisse à l'initiative privée le soin de transformer ces arbres en bois de construction et en autres produits. Cependant, maintes méthodes d'abattage et de sciage pourraient être considérablement améliorées, tout comme beaucoup de pratiques agricoles ont été améliorées après la création du service de vulgarisation des agents cantonaux qui commença à inculquer aux agriculteurs les connaissances scientifiques nécessaires à cette fin. En fait, les anciennes méthodes d'aménagement ne permettent d'obtenir des forêts qu'à peine la moitié de leur rendement optimum, et les industries du bois n'utilisent en moyenne que le tiers de la masse de chaque arbre abattu.

La nécessité de transformer les méthodes d'aménagement de l'industrie forestière américaine, c'est-à-dire, d'assurer le passage de la coupe en forêt non aménagée à son exploitation rationnelle, coïncide avec un moment où l'agriculture américaine, n'ayant plus de sols vierges où s'étendre, sent le besoin urgent d'une nouvelle forme d'activité. La sylviculture rationnelle est à même de constituer cette soupape de sûreté.

La mécanisation de l'agriculture, grâce à laquelle un homme seul peut cultiver des superficies de plus en plus étendues et faire l'élevage d'un plus grand nombre de têtes de bétail, contribue nécessairement à l'exode des ouvriers agricoles. Cependant, une industrie forestière rationnelle peut offrir une nouvelle occupation aux ouvriers désirant continuer à travailler dans la nature et à s'occuper de choses vivantes. Mais il faut pour cela leur offrir la possibilité d'apprendre les travaux sylvicoles. Le fait d'avoir compté jusqu'à présent presque exclusivement sur l'exploitation des forêts naturelles explique l'ignorance des quatre millions et demi de propriétaires forestiers américains qui, à quelques exceptions près, n'entendent rien à la sylviculture. Tant que le gouvernement ne sera pas en état de fournir l'aide technique nécessaire, on ne pourra pas s'attendre à ce que les petites exploitations qui constituent 70% de la superficie des forêts privées américaines, puissent accomplir des progrès sensibles. In fait, de nombreuses petites exploitations de ce genre, à l'heure actuelle, courent le danger d'être épuisées ou dégarnies de leurs meilleurs arbres, faute d'un aménagement rationnel.

De même, la plupart des entreprises et des scieries américaines ne pourront pas donner tout leur rendement jusqu'au jour où le gouvernement se décidera à leur assurer l'aide de ses experts techniques et commerciaux, qu'il a mis, cependant, à la disposition des agriculteurs.

Maison du bûcheron, II. - Un village organisé installé sur une coupe sélective dans l'Etat de Washington. Ici, maisons familiales, résidence pour célibataires, école, églises, soins médicaux, etc. sont devenus possibles grâce à un aménagement rationnel de la forêt.

Il faut choisir: ou bien laisser les choses aller comme elles vont, ou bien affronter le problème avec ténacité et un esprit réaliste. Si on laisse les choses dans leur état actuel, seules quelques grandes exploitations industrialisées et un nombre très réduit de petites entreprises forestières seront scientifiquement aménagées aux Etats-Unis. Dans l'ensemble, cependant, on continuera à épuiser les forêts et à gaspiller leurs produits. Plus les ressources forestières diminueront et plus les grands propriétaires industriels domineront l'économie forestière américaine du bois dans toutes ses phases, de la production des grumes jusqu'à la vente au détail.

Par contre, si un programme rationnel de production est adopté, le rendement actuel augmentera grâce à une meilleure utilisation du bois et à une production plus efficace, sans porter préjudice aux coupes futures (grâce aux meilleurs méthodes de coupe, de sélection et de reboisement et aux mesures plus efficaces de protection). La sylviculture pourra alors assurer d'autres bienfaits à l'humanité, tels que la création de collectivités forestières stables, la protection contre l'érosion du sol et la conservation des animaux de la forêt ainsi que des agréments qu'elle procure.

Ce qui a déjà été fait par les ouvriers du bois

Les ouvriers du bois ont cherché à intéresser le public et le gouvernement à leurs problèmes et à démontrer que le bien-être de nombreuses communautés ainsi que l'intérêt public étaient en jeu, tout comme l'emploi, la sécurité et le standard de vie de ceux de leurs professions. Ils rédigèrent une résolution dans ce sens qui fut adoptée par le congrès national du CIO à Chicago en 1944. Depuis lors, le bureau national du CIO, a participé activement à la propagande d'un programme pratique d'aide gouvernementale aux petits propriétaires et exploitants forestiers.

Le congrès international IWA, tenu en novembre 1945, a adopté une série de résolutions formant un programme forestier détaillé pour la période d'après-guerre. Ces résolutions ont été incorporées et publiées dans une brochure intitulée: «Un Plan de sylviculture et d'utilisation du bois en Amérique».1 Cette brochure contenait une déclaration des chefs de l'IWA qui affirmait, entre autre, que «notre lutte pour obtenir de bons salaires ainsi qu'un horaire et des conditions de travail satisfaisants ne pourra avoir qu'un succès partiel et temporaire, si nous nous contentons de marchander avec nos employeurs les dépouilles d'une industrie qui détruit les forêts et gaspille plus de bois qu'elle n'en utilise».

1 A Forestry and Wood Utilization Plan for America.

Au début de 1946, l'IWA prépara une analyse de la situation du bois de construction, intitulée «Lumber Snafu» (La pagaïe du bois) qui eut une grande diffusion et fut reproduite dans le «Congressional Record» (13 avril 1946) et dans le «Journal of Forestry» (juin 1946). Cette publication a reçu un accueil très favorable. Elle soulignait la nécessité d'unification dans le programme de la production du bois et de la conservation des forêts, ainsi que l'avait recommandé le Congrès de 1945 et tel qu'il est exposé dans le présent article.

Plus tard, en septembre 1946, le bureau national du CIO fit paraître une brochure intitulée «America's logjam and how to break it» (Comment remédier à la situation confuse du bois aux Etats-Unis)2 qui expose, avec plus de détails et dans un langage plus à la portée de tout le monde, les mêmes faits que ceux contenus dans Lumber Snafu. Elle eut une diffusion encore plus grande et un accueil encore plus favorable.

2 CIO, 718 Jackson Place, N. W., Washington, D. C.; ou: IWA - CIO, 314 E. W. 9th Ave., Portland 5, Orégon.

Les délégués de l'IWA et du CIO participèrent au Congrès forestier américain3 en octobre 1946 et demandèrent avec insistance aux représentants du gouvernement et de l'industrie l'établissement d'un programme pratique et efficace pour la sylviculture américaine. Ils appuyèrent aussi un projet de loi très complet sur les forêts, soumis en 1946 au Congrès des Etats-Unis par Frank E. Hook de l'Etat de Michigan Hook ne fut plus réélu en 1946 et le Congrès ne s'est plus occupé depuis de ce problème.

3 American Forestry Association, 919 17th St., N. W., Washington 6, D. C.

Le Congrès national du CIO adopta de nouveau, en novembre 1946, une résolution de l'IWA demandant l'adoption d'un programme analogue à celui exposé ci-dessus.

L'hebdomadaire «International Woodworker» (l'Ouvrier forestier international), organe officiel de l'IWA, a traité continuellement les problèmes de la production du bois et de la conservation des forêts Ses articles ont aussi aidé à éveiller l'intérêt général pour ces questions.

Toutefois, jusqu'à présent, les efforts de l'IWA et du CIO n'ont servi qu'à augmenter le nombre des discours sur la sylviculture, plutôt qu'à obtenir une meilleure conservation des forêts.

Les ouvriers du bois estiment, toutefois, que leurs problèmes ont fait l'objet de trop de discussions. Ils considèrent que le temps est venu de passer à l'action et ils tendent tous leurs efforts vers ce but.

Portée mondiale

Il nous semble que le programme forestier de l'IWA et du CIO place ces deux organisations syndicales à côté de la FAO dans la lutte contre la pénurie mondiale du bois. Nous savons que l'Amérique pourrait aider à satisfaire les besoins mondiaux en exportant de grandes quantités de matériaux de construction, ce qui lui serait possible si le gouvernement voulait bien donner une aide financière pour la création de nouvelles usines d'utilisation des déchets du bois comme il n'a pas hésité à en donner pendant la guerre pour les fabriques d'avions, de constructions aéronautiques et navales et de matériel de guerre. Nous disposons des matières premières et des connaissances techniques nécessaires, mais vu les aléas du marché, les capitalistes privés hésitent à assumer à eux seuls le risque de la création de nouvelles entreprises. Cependant, il y a une large demande de matériaux de construction. Avec l'aide de notre gouvernement national d'une part, et celle des Nations Unies de l'autre, il devrait être possible d'assurer une production suffisante et une répartition équitable des produits du bois.

Mais nos projets ne s'appliquent pas seulement à l'industrie forestière américaine et à ses exportations.

Des services spéciaux sont en voie d'organisation près la Fédération syndicale mondiale à laquelle le groupement IWA est affilié par l'intermédiaire du CIO. L'IWA sera directement affilié à l'une des branches de la FSM, ce qui permettra aux ouvriers des exploitations forestières et des scieries du monde entier de s'unir pour élaborer des programmes traitant leurs problèmes communs.

Nous espérons que grâce à la branche des ouvriers du bois de la FSM, une campagne mondiale sera organisée préconisant l'introduction des méthodes scientifiques d'exploitation pouvant assurer à tous les ouvriers un emploi fixe et rémunérateur dans des communautés stables, grâce à une administration rationnelle des forêts, entraînant une production et un rendement continus.

Nous ne pouvons évidemment pas savoir ce que sera le programme forestier de la branche des ouvriers du bois de la FSM dans son ensemble. Mais il est aisé de prévoir qu'il préconisera des mesures d'une importance capitale, telles que la création d'exploitations forestières à rendement continu et des villages ouvriers stables dans les forêts trop souvent, jusqu'à présent, mal traitées ou complètement abandonnées à leur sort, ainsi que l'amélioration des transports et des échanges commerciaux afin que lés nations qui ont besoin de bois puissent en obtenir de celles qui en ont en abondance.

L'exemple des ouvriers du bois américains qui font une propagande active dans le but de faire comprendre le problème forestier au public américain et qui réclament l'introduction des mesures nécessaires pour le résoudre, sera certainement suivi d'ici peu par leurs camarades du monde entier. Et ceci, dans leur propre intérêt, c'est-à-dire, pour assurer la stabilité de leur emploi et l'amélioration de leurs conditions de travail.

Mais, ce qui est utile aux ouvriers du bois l'est également au monde entier qui aura tout à gagner d'une gestion rationnelle de ses forêts, c'est pour cette raison que, dans un monde où diverses idéologies politiques sont en conflit, le désir des ouvriers forestiers américains d'améliorer leurs conditions de vie et de travail peut servir de directive au développement de l'industrie forestière dans le monde en général. En prenant en considération les intérêts de ces travailleurs, la Division des Forêts et des produits forestiers de la FAO ainsi que les services forestiers des diverses nations trouveront leur tâche plus facile et pourront accomplir un grand pas vers la réalisation de leurs propres objectifs.

[Photos: Canadian National Parks Bureau, Dominion of Canada Forest Service, et USDA Forest Service.]

[Traduction FAO.]


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