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Valeur de la forêt du point de vue social

Par BERNARD FRANK

Le rôle important joué par le bois pendant la première guerre mondiale a donné un démenti à l'opinion optimiste fort répandue aux Etats-Unis sinon ailleurs, d'après laquelle l'épuisement de cette ressource n'avait pas de conséquences très graves. Son rôle encore plus grand pendant la deuxième guerre mondiale, puis les effets de la pénurie actuelle, ont fait comprendre que sans un approvisionnement abondant de ce produit d'une grande importance stratégique, la marche vers la reprise mondiale et vers des relations internationales pacifiques pourrait être sérieusement retardée, sinon définitivement arrêtée.

Lorsque l'on parle du bois, on pense inévitablement aux forêts qui le produisent. Lorsque l'on parle des forêts, toutes les autres fonctions remplies par les régions boisées se présentent à leur tour à l'esprit. Ce sont ces fonctions qui donnent aux forêts une valeur sociale si importante et si générale.

Aux Etats-Unis, comme dans beaucoup d'autres pays, l'intérêt public pour la forêt est bien établi et s'étend à tous les aspects de cette ressource nationale. Les qualités exceptionnelles qu'elle présente au point de vue touristique, sa très grande valeur en tant que réserve naturelle pour la faune, et surtout son influence bienfaisante sur le régime des eaux, sont des faits reconnus dont tiennent généralement compte les législations forestières nationales. Les premières réserves forestières de l'ouest des Etats-Unis et les premières forêts nationales de l'est ont été constituées ou acquisés uniquement pour la protection des bassins fluviaux: Certaines de ces zones ne contenaient pratiquement pas de bois pouvant donner lieu à des exploitations commerciales. L'utilité des régions boisées pour la collectivité a été prise en considération dans l'élaboration de la politique et des plans pour l'utilisation, la protection et l'aménagement des terres. Il en a été tenu compte, ne serait-ce que qualitativement, dans l'estimation des effets des incendies et des autres dommages causés au couvert forestier.

Cependant, les forestiers professionnels pensent généralement à la forêt en tant que productrice de bois d'œuvre.1 Les efforts tentés sur le plan national pour améliorer l'entretien et l'utilisation des forêts, de même que notre manière d'envisager les problèmes et les responsabilités qui incombent à leurs propriétaires sont dominés par la question des approvisionnements en bois. Les politiques de développement forestier, de même que les dépenses publiques et privées engagées pour protéger, améliorer et maintenir le couvert forestier, ont été inspirées par un souci dominant: la conservation des bois de haute futaie. Bien que d'autres avantages aient été invoqués à l'appui des propositions relatives à la conservation forestière, on a sincèrement cru que si les zones forestières étaient traitées de façon convenable en vue d'assurer une production continue de bois les valeurs non commerciales ou «intangiblesr» de la forêt seraient du même coup automatiquement sauvegardées. Ce sentiment est en principe souvent justifié. Mais dans un grand nombre de cas, en raison du climat, du sol et d'autres conditions physiques, des modifications considérables aux méthodes d'abattage et de débardage peuvent être nécessaires pour maintenir la stabilité forestière

1Ce document est consacré principalement aux régions de forêts bien que les principes fondamentaux et les problèmes discutés soient en général applicables également aux régions de broussailles et de pâturages. saires pour maintenir la stabilité forestière.

«Régner sur la montagne, c'est régner sur la vallée.»

On comprend qu'il y ait une forte tendance à apprécier les ressources forestières seulement en termes de bois d'œuvre, produit le plus visible des forêts et qui constitue en général l'élément principal de leur valeur comme capital. Sa valeur marchande a constitué un stimulant de premier ordre à l'achat et à l'exploitation des terres forestières pour en tirer des bénéfices ou des revenus. D'un autre côté les autres valeurs que présente la forêt, manquant d'attrait financier ont été négligées. Le point de vue traditionnel et les conceptions des forestiers européens et américains à l'égard de l'aménagement et de l'utilisation des forêts peuvent être aisement realisés par le public sur le terrain.

Aujourd'hui cependant, l'importance croissante que prennent les autres valeurs et les conflits de plus en plus vifs qui surviennent entre ceux qui tirent de la forêt un bénéfice à un titre ou à un autre, favorisent la formation d'une conception plus large de la sylviculture. Des doutes se sont élevés sur la question de savoir si la forêt peut jouer son rôle multiple alors que sa gestion est assurée seulement en se plaçant au point de vue du bois d'œuvre qu'elle fournit. Et l'on s'est attaché à exprimer d'une manière mieux définie les valeurs forestières auparavant considerées «immatérielles» ou qui étaient même complètement ignorées.

Les effets particuliers de la forêt et des étages domimés sur la faune sylvestre et aquatique, le climat local le régime des crues, la sédimentation et les approvisionnements en eau, commencent seulement à être progressivement connus. Une masse de connaissances scientifiques a été accumulée et l'intérêt du public s'est trouvé éveillé à un point tel qu'on accorde maintenant à ces aspects une attention sérieuse. Les travaux d'expérimentation et de recherche, ainsi que les investigations sur les dommages résultant du déboisement des bassins soulèvent des doutes très sérieux quant à la valeur des estimations sur lesquelles reposent la lutte contre les incendies de forêts l'aménagement des bois du pâturage et de la chasse au gros gibier, la construction des routes et des pistes, l'utilisation et l'amélioration de la forêt du point de vue touristique et récréatif.

Applicabilité des méthodes courantes d'évaluation

Si la politique forestière ne peut plus être guidée par la seule considération de la production du bois d'œuvre, et si l'on doit juger d'un point de vue plus large le degré désirable d'intervention publique dans toute les questions de restauration, de protection et d'aménagement forestier, comment sera-t-il tenu compte des valeurs forestières qui ne sont pas les plus évidentes ? Peuvent-elles aussi être exprimées en termes monétaires pour pouvoir être comparés avec les produits forestiers d'intérêt commercial? Leur importance sociale peut-elle être aussi rapidement déterminée que lorsqu'il s'agit du bois d'œuvre ? Comment peuton s'assurer que ces valeurs seront prises en considération de façon satisfaisante lors de l'adoption d'une politique d'intérêt public ?

Les réponses à ces questions doivent être recherchées dans une saine compréhension de la nature biologique de la forêt, en attachant une importance particulière à la corrélation de ses différentes fonctions. Elles nécessitent également un examen critique des principes qui servent de base aux méthodes d'évaluation des ressources forestières communément admises. Ces observations s'appliquent aussi bien à l'appréciation du bois d'œuvre qu'à celle des autres valeurs.

Contrairement au bois, qui fournit un gain immédiat et direct au propriétaire, les avantages découlant des autres fonctions vont en grande partie à des bénéficiaires n'ayant qu'un rapport assez lointain avec la forêt elle-même, ou au public en général. Le propriétaire foncier peut en certains cas en tirer un revenu, comme de toute autre valeur privée, par exemple en louant les droits de pâturage, de chasse ou de pêche, ou par la vente des droits de captation d'eau. Pourtant même en pareils cas le public a un intérêt majeur au maintien des ressources forestières, en raison des nombreux bénéfices indirects ou secondaires au 'il tire des terres boisées: elles produisent le bois d'œuvre, assurent du travail et des revenus à la communauté et la satisfaction des besoins nationaux et internationaux; au point de vue récréatif, la forêt est nécessaire à la santé et au bien-être; elle aide à faire vivre l'importante industrie touristique; elle protège les terres contre l'érosion, les inondations et les dommages causés par les dépôts d'alluvions et par là favorise la sécurité et le bien-être de la nation; enfin elle contribue à assurer un régime convenable des eaux, ce qui est d'importance vitale pour la civilisation.

Ces valeurs ne sont pas prises d'ordinaire en considération par l'économie forestière américaine. Pour des raisons pratiques, l'économie forestière - en tant que partie du domaine plus étendu de l'économie privée - a été conçue comme un guide pour les placements privés dans les affaires de bois. Comme telle, elle ignore les valeurs sociales et même les valeurs de convenance inhérentes à cette ressource, aussi bien qu'aux autres influences forestières.

Les principaux facteurs de base en économie forestière sont: a) la valeur sur pied. Lorsqu'il s'agit de jeunes futaies ou d'autres bois non immédiatement exploitables, on leur assigne généralement une valeur d'avenir basée sur les prix courants ou prévus du bois sur pied; b) un taux d'intérêt commercial; c) une ou plusieurs formules purement mathématiques pour déterminer la valeur actuelle ou future, suivant le cas. Ces facteurs sont d'un emploi commun à la surface boisée qu'elle soit propriété publique ou privée. Lorsque la surface boisée est une propriété publique, un taux d'intérêt moins élevé peut-être appliqué. A cette seule exception près, on utilise les mêmes principes et les mêmes formules mathématiques.

Le choix de ces facteurs soulève des objections: a) comment peut-on prédire la valeur d'avenir du bois sur pied, surtout lorsqu'il s'agit de périodes de plus de vingt-cinq ans? b) le taux d'intérêt, quel qu'il soit, choisi pour les calculs, demeurera-t-il valable pendant toute la période d'évaluation?2 Dans une société dynamique les taux d'intérêt, comme d'une façon générale les autres prix exprimés en valeur monétaire sont affectés par les fluctuations des nombreux facteurs complexes qui jouent dans une économie libre. De même, les possibilités de rendement d'un placement donné tendent à diminuer au fur et à mesure que le temps passe.3 Tenant compte des hauts et des bas du cycle des affaires, on se demande si sur une longue période les revenus des capitaux investis ont quelque chose de commun avec les chiffres donnés par les tables de calcul des intérêts composés. c) L'application de formules mathématiques générales suppose qu'il existe d'autres possibilités de placement aussi avantageuses. On peut se demander si cette supposition est valable vu l'épuisement général des bois et des sols dans notre pays.

La forêt qui occupait ce lieu a été détruite par les vapeurs d'une fonderie de cuivre. Les profits que des particuliers peuvent tirer de l'exploitation inconsidérée d'une ressource naturelle sont parfois obtenus aux dépens de la collectivité.

2En utilisant la formule des annuités [Y(1.opa-1)/(1.opa-1)] la détermination de la valeur actuelle des peuplements non encore arrivés à leur maturité commerciale échappe en partie à cet inconvénient. Ce calcul fait en effet ressortir un taux croissant d'accumulation de la valeur en capital à mesure que le peuplement approche de la maturité, et par suite une diminution du risque d'investissement. Néanmoins, cette formule a, elle aussi, le défaut d'utiliser un taux d'escompte fixe pour toute la période considérée. Pour les très jeunes bois, elle donne même une valeur plus faible. quoique plus rationnelle du point de vue commercial, que la formule de lu valeur d'attente.

3Dans une étude sur le comblement d'un réservoir municipal on a utilise un taux variable d'escompte pour évaluer la valeur actuelle, suivant la durée de la période considérée. Là où la vie utile du réservoir varie de 1 à 25 ans, le taux de 4,5 pour cent a été utilisé pour des périodes de 26 a 100 ans, 3,5 pour cent et pour des périodes plus longues, 2,5 pour cent. Le point de vue de cette étude était celui des propriétaire du réservoir municipal. Alexis N. Garin, et L. P. Gabbard. Utilisation de la terre et la sédimentation des réservoirs. Trinity River Basin, Texas. Bul. N° 597, Tex. Agr. Exp, Sta. Janvier 1941.

Les commentaires ci-dessus s'appliquent de façon générale aux méthodes d'évaluation actuellement utilisées, qu'il s'agisse d'intérêts publics ou privés. Cependant chaque fois que l'intérêt public est en jeu, plusieurs éléments supplémentaires entrent en ligne de compte.

En premier lieu, les taux d'escompte établis en fonction de considérations individuelles et privées ne tiennent pas compte de l'intérêt public qui s'attache à la conservation des ressources nationales et qu'on pourrait appeler sa «valeur sociale». Une telle valeur sociale se détermine en recherchant, dans quelle proportion l'ensemble du public est désireux de renoncer aujourd'hui à une partie de sa consommation des biens matériels afin de parer aux besoins des générations futures. Les questions de risque, de profit et autres éléments qui entrent en compte dans les considérations individuelles n'interviennent plus ici. Au contraire, la valeur sociale constitue davantage une indication du risque qu'il y a, pour le bien-être national, à ne pas penser aujourd'hui aux besoins de demain.

Personne ne peut chiffrer le taux - s'il existe - qui conviendrait le mieux à la valeur sociale. Les organismes fédéraux adoptent peu à peu comme une approximation le taux d'intérêt des bons gouvernementaux à long terme. Certains économistes ont suggéré l'application d'un taux zéro, ou même d'un taux négatif quand on poursuit certains buts tels que santé publique, défense ou éducation.4 En tout cas le taux zéro est considéré comme applicable quand il s'agit de la conservation de ressources naturelles rares ou en voie de disparition. Le moins qu'on puisse dire de la valeur sociale, c'est qu'elle exprime de façon bien plus exacte la nécessité pour la communauté de conserver des ressources - même lorsqu'il ne s'agit que du bois- que ne le font les autres méthodes basées sur les considérations individuelles et privées.

4S. V. Ciriacy-Wantrup, Private Enterprise and Conservation (Journal of Farm Economy, 1942, 24, 1, p. 1).

Les imperfections des méthodes d'évaluation classiques deviennent encore plus flagrantes lorsqu'elles sont appliquées à l'ensemble des ressources forestières. Des tentatives ont été faites de temps à autre pour déterminer l'étendue des forêts à maintenir dans chaque pays, ou dans certaines régions données, pour assurer des sources «économiques» d'approvisionnement en bois. Le seul critérium choisi a été le bilan coût-bénéfices dans la production du bois. On a négligé de déterminer dans quelle mesure l'utilité des autres fonctions de la forêt rend désirable le maintien ou le développement du couvert forestier, sans égard à sa possibilité de produire des bois de bonne qualité. Dans quelques cas cependant, ces autres fonctions peuvent être. et sont souvent, d'une plus grande importance publique que la production de bois. Les forêts nous sont indispensables également pour assurer un meilleur régime des eaux, réduire les dommages causés par les inondations et les dépôts d'alluvions maintenir un climat local favorable, entretenir la faune sylvestre et aquatique et aussi comme lieux de repos et sites touristiques. L'évaluation basée sur un seul mode d'utilisation d'une richesse qui fondamentalement en pré-sente de multiples, ne peut que mener à des conclusions erronées.

Problèmes spéciaux des bassins de réception

La forêt est un complexe biologique et sa valeur, pour être déterminée, exige une méthode tout-à-fait différente de celle utilisée dans la pratique commerciale. Cette détermination exige qu'on se place à un point de vue général et qu'on prenne en considération les divers éléments constitutifs de la forêt et leur corrélation. Une telle méthode repose sur le principe biologiquement et socialement sain que tous les éléments dépendent les uns des autres pour leur fonctionnement normal. Elle reconnait que là où les bassins de réception représentent un facteur important on devra, en déterminant les principes à appliquer dans la lutte contre l'incendie et pour l'aménagement forestier et en calculant les sommes à y consacrer, se préoccuper de maintenir la stabilité du sol et des conditions satisfaisantes d'écoulement des eaux. Il est évident que d'autres principes que ceux de l'économie forestière privée doivent être retenus et que de meilleurs méthodes doivent être établies pour tenir compte de l'intérêt public dans la conservation des ressources forestières.

De telles méthodes sont couramment utilisées dans le programme d'étude pour la lutte contre les inondations du Ministère de l'Agriculture des Etats-Unis. La loi Omnibus Flood Control de 1936, qui organisa la lutte contre les inondations, déclare que le gouvernement fédéral devra améliorer «. . . les eaux navigables . . . y compris leurs bassins de réception . . . si les bénéfices qui en sont retirés sont supérieurs au coût probable et si la vie et la sécurité sociale des populations doivent être, dans le cas contraire affectées de façon défavorable».5

4Public Law 378, 74e Congrès Section 1.

Depuis 1938, époque à laquelle les enquêtes furent entreprises, les méthodes d'évaluation ont subi une évolution considérable. Les premières évaluations utilisaient les taux commerciaux d'intérêt et calculaient le rapport coût-bénéfice pour chaque projet individuel alors qu'ils étaient étroitement interdépendants. Il n'était généralement pas tenu compte des bénéfices directs ou indirects moins évidents.6,7

6Bernard Frank, Some Aspects of the Evaluation of Watershed Flood Control Projects (Journal of Land and Public Utility Economics, 1942, 18, 4).
7Bernard Frank et E. N. Munns, Watershed Flood Control: Performance and Possibilities (Journal of Forestry, 1945, 45).

La détermination des dommages ainsi que celle du coût et des bénéfices d'un programme d'ensemble pour la restauration des bassins de réception nécessite une étude approfondie des nombreux facteurs en cause dans l'érosion, l'inondation et l'alluvionnement. «L'appréciation des dommages doit être basée sur les mesures du débit et de l'alluvionnement faites par les hydrologues et les géologues, et ensuite sur les constations des forestiers, des spécialistes du sol, des agronomes, etc., sur les conditions de sols superficiels et de la couverture végétale. Les pertes en sol et en eau varient selon les différents types de sol et de couverture végétale et d'après l'influence exercée par le climat et l'action des hommes, l'ampleur des dépôts laissés par les inondations etc.»7 Les bénéfices résultant de ces travaux sont constitués principalement par la réduction des inondations et autres dommages survenant à l'aval, par l'accroissement de la productivité des terrains des bassins de réception, et par l'augmentation des revenus provoquée par une meilleurs conservation des eaux. Les coûts comprennent les dépenses de main-d'œuvre et de matériaux et les autres frais qui incombent à tous les participants.

7Bernard Frank et E. N. Munns, Watershed Flood Control: Performance and Possibilities (Journal of Forestry, 1945, 45).

Calcul des dommages

Les forêts de d'un bassin hydrologique exercent sur l'écoulement des eaux et sur l'alluvionnement une influence qui varie suivant la façon dont elles absorbent la pluie ou la neige fondue. L'importance de cette influence est déterminée par les actions réciproques du climat, de la physiographie, des sols, ainsi que de la couverture et de la litière végétales, qui peuvent à leur tour être modifiées par l'activité des hommes. La contribution relative d'une aire de drainage au débit général dépend en partie de la capacité d'absorption de la surface du sol, de la capacité du sol de transmettre cette eau vers les couches inférieures, et de la capacité de rétention du sol. Ces facteurs varient avec les conditions et la densité de la couverture végétale, y compris l'enchevêtrement de la litière et des racines; ils varient aussi avec la structure et la texture du sol, la compacité et le contenu en matière organique, et aussi avec la profondeur de la couche imperméable. Il se produit un ruissellement à la surface chaque fois que la chute de pluie ou la fonte de la neige dépasse la vitesse d'absorption par le sol. Le ruissellement peut aussi se produire si le volume de la pluie est supérieur à la capacité totale d'absorption du sol. Le ruissellement constitue une des formes les plus destructives du mouvement des eaux. C'est lui qui est responsable en grande partie de l'érosion par glissement ou par ravinnement et de la soudaineté des crues.

Les inondations peuvent aussi résulter de l'accumulation des eaux à l'intérieur du sol, par exemple lorsqu'une couche imperméable se trouve près de la surface. De tels sols peuvent avoir un taux d'infiltration et de filtrage très élevé mais la capacité d'emmagasinage permanent (capillaire) audessus de la couche imperméable est vite épuisée, et les excédents d'eau peuvent se déverser très rapidement dans les cours d'eau en causant des crues. Une des différences principales entre cet écoulement rapide provenant de l'intérieur du sol et le ruissellement est que le premier ne produit que bien rarement un effet d'érosion.

Un bon couvert forestier joue un rôle important en augmentant la capacité du sol d'absorber l'eau de pluie. Le ruissellement est minime. L'ensemble de la couverture morte, la masse des racines vivantes ou mortes, les étages dominés et la couverture vivante, de même que la structure grumelée due au haut degré d'activité organique, créent les meilleures conditions pour l'infiltration, le filtrage et l'emmagasinage des eaux en toute saison.

Pendant la période de végétation, la capacité de rétention du sol est maintenue au maximum par les pertes permanentes dues à l'évaporation. L'étude effectuée pour le contrôle des eaux dans le bassin de réception du Potomac, par exemple, a révélé que plus de 43 cm d'eau, soit un tiers du volume des pluies, s'évapore chaque année du couvert des forêts constituées d'arbres feuillus d'un certain âge.

Le maintien de la capacité naturelle d'absorption du sol est d'une importance nationale majeure. s'évapore chaque année du couvert des forêts constituées d'arbres feuillus d'un certain âge.

L'utilié de lac Mead est menacée par l'accumulation rapide d'alluvions.

Lorsque la couverture forestière et son sol se détériorent, leur influence sur le ruissellement se trouve diminué. De très graves phénomènes d'érosion, d'entraînement de matériaux et de crues soudaines, peuvent avoir leur origine dans des régions boisées où se trouvent d'excellents peuplements, mais où la litière' l'humus et le sol minéral ont été dispersés ou tassés par suite de mauvaises méthodes d'exploitation, d'incendies répétés, de surcharge de bétail ou de gros gibier. Des résultats similaires se produisent généralement quand des terres cultivables ou des pâturages sont mal utilisés.

Il faut, pour déterminer les régions dans lesquelles une crue est susceptible de prendre naissance, diviser le bassin de réception d'après les différentes combinaisons de sol et de couvertures. La contribution au débit de chaque groupe important sol-couverture est déterminée par des méthodes hydrologiques. ('es contributions sont établies pour des précipitations d'une ampleur donnée et pour une saison donnée. De même, on peut retrouver sur les versants des montagnes et dans le lit des cours d'eau l'origine des alluvions dommageables.

L'ampleur et la fréquence des crues varient selon l'époque de l'année et suivant les années. Ces variations proviennent - en dehors de l'influence exercée par l'état du bassin de réception - des différences dans le volume et de l'intensité les pluies. Aucune méthode n'a encore été découverte pour prédire le moment où aurviendront les pluies génératrices de crues. C'est pour cette raison qu'on a pris l'habitude d'établir, d'après les statistiques des inondations passées, des courbes indiquant le rapport entre le flot des eaux et les dommages subis pour indiquer la fréquence probable d'inondations d'une ampleur donnée, ainsi que les dommages à prévoir pendant une période donnée. La moyenne annuelle des dommages à prévoir est généralement estimée en divisant tout simplement le total des pertes connues pour la période en question par le nombre d'années.

Selon ce procédé, on n'applique pas de taux d'intérêt et on ne calcule pas la valeur actuelle. Pour cela, il faudrait connaître le moment où l'inondation se produira vraisemblablement. La valeur actuelle des dommages causés par une inondation qui se produira au cours des cent années à venir sera immense ou infime suivant la date pour laquelle elle aura été prévue l'année prochaine, dans cinquante ans, ou dans cent ans. Dans de telles circonstances, l'utilisation de procédures d'évaluation très précises est sans fondement.

Comblement des réservoirs

Un autre type de dommage est constitué par la perte de capacité des réservoirs par suite de leur comblement par les alluvions. Les enquêtes effectuées sur les réservoirs' ou l'évaluation des taux moyens d'alluvionnement de certains cours d'eau, fournissent une base pour l'évaluation de la diminution annuelle moyenne de capacité. Ce taux lorsqu'il est appliqué à la capacité utile du réservoir, indique sa durée probable d'utilisation. La procédure habituelle d'évaluation consiste à calculer la valeur actuelle des pertes de capacité d'après la durée totale de la période considérée. Plus longtemps le réservoir met à s'envaser, plus la valeur actuelle de la perte est faible et moins les bénéfices à retirer de travaux pour retarder le comblement seront importants.

La principale différence entre les méthodes d'évaluation des dommages causés par les inondations courantes, et de ceux causés aux réservoirs, est que la seconde emploie le calcul des intérêts composés. Cependant, le comblement est autant le résultat des pluies imprévisibles que les inondations. Une période d'orages fréquents et violents peut, en raison de l'alluvionnement qu'ils provoquent causer une sérieuse diminution de la capacité des réservoirs, ou une augmentation de leurs frais d'entretiens bien avant le moment escompté; une série d'années de sécheresse après une telle diminution pourrait réduire le volume d'eau au dessous du niveau de sécurité. On sait maintenant, par exemple, que les estimations antérieures des taux d'alluvionnement sont trop faibles. Ceci s'explique par le fait que la détérioration des bassins de réception s'est aggravée et est maintenant plus générale qu'autrefois. En outre, l'effet combiné des accroissements démographiques et de l'augmentation de la consommation d'eau par habitant entraîne déjà un prélèvement bien plus important sur les approvisionnements des réservoirs, qu'il n'avait été prévu lors de leur construction.

Il est exact que les réservoirs d'accumulation perdent toute ou presque toute leur valeur économique lorsqu'ils sont envasés, tandis que les régions de plaines périodiquement exposées aux dommages des eaux conservent généralement toute leur valeur pour la production des récoltes, ou les autres usages. D'autre part, lorsqu'un réservoir devient inutilisable, il est indispensable de trouver d'autres sources d'approvisionnement en eau généralement à un coût plus élevé et souvent d'un rendement moins efficace - si l'on veut que subsiste le complexe économique qui en dépend. Le fait qu'un réservoir a perdu son utilité ne justifie aucunement la supposition que les valeurs qui en dépendent sont complètement amorties et peuvent en conséquence être négligées.

Les barrages existant à l'heure actuelle, de même que ceux dont la construction est autorisée, en particulier les plus importants, représentent de loin la meilleure et la plus avantageuse de toutes les solutions possibles. Leur remplacement, lorsqu'il est matériellement possible, ne peut être entrepris qu'à un coût bien plus élevé en maind'œuvre et en matériaux aussi bien qu'en dollars. En outre, les emplacements se prêtant à la construction de barrages sont en nombre limité, les barrages actuels et ceux faisant l'objet de projets autorisés, occupent la plus grande partie des emplacements connus aux Etats-Unis.8 Pour ces raisons ces réservoirs doivent être classés comme des ressources irremplacables, à côté du sol et des autres richesses nationales; il faut donc leur appliquer la méthode d'évaluation des ressources naturelles nationales.

8Carl B. Brown, Aspects of Protecting Storage Reservoirs by Soil Conservation (Soil and Water Conservation, 1946, 1).

Les pertes dues au comblement des réservoirs devraient donc être déterminées essentiellement de la même manière que les pertes causées par les inondations, c'est-à-dire sur la base d'une simple moyenne annuelle.

Quel index doit-on appliquer au taux de comblement pour déterminer les pertes publiques à long terme dues à la diminution de capacité des lacs artificiels? Doit-on se baser sur ce qu'a coûté la construction ? Ou bien sur le coût auquel reviendrait l'aménagement de nouveaux barrages, s'il est possible d'en construire ? Doit-on se baser sur la valeur des activités économiques rendues possibles par l'existence du réservoir ?

Si l'on admet le fait que les barrages, de même que le sol, constituent des ressources irremplaçables, tout calcul qui s'appuierait sur le coût du barrage existant ou d'un barrage de remplacement fournirait une évaluation fausse aussi bien qu'illogique du dommage. En admettant que du point de vue financier privé le remplacement des réservoirs devenus inutilisables puisse se révéler profitable pendant quelque temps, il n'en reste pas moins vrai que leur nombre restera forcément limité et qu'ils deviennent ainsi de plus en plus précieux. La sécurité publique exige de toute évidence que l'on fasse durer ces barrages le plus longtemps possible, sans tenir compte des critères financiers de caractère privé.

Ces considérations nous amènent à suggérer que la détermination des dommages soit basée sur la moyenne annuelle des revenus bruts, établis sur une longue période, des activités économiques qui dépendent de l'ouvrage en question. Etant donnée qu'un calcul établi sur les seules conditions passées et présentes donnerait une évaluation inexacte, on devra prévoir les effets des futurs accroissements démographiques, ainsi que de l'élévation de la consommation d'eau par habitant jusqu'au maximum possible dans chaque cas particulier. Le montant du dommage représenté par la perte d'une unité de capacité serait alors obtenu en divisant le montant total des revenus qui dépendent du barrage par la capacité totale du réservoir.

La procédure ci-dessus s'appliquerait à tous les réservoirs sans tenir compte de leurs dimensions ni de leur durée. Une telle façon de procéder tient davantage compte de l'intérêt national qui s'attache de plus en plus à la conservation des ressources naturelles qu'aucune des méthodes traditionnelles actuellement en vogue.

Le cas du lac Mead sur le Colorado peut être cité pour illustrer le contraste entre les deux méthodes fondamentalement différentes employées pour déterminer combien on peut dépenser pour prolonger la vie des réservoirs. Ce lac artificiel de 39.900 millions de métres cubes (32.359.000 acre feet) fut créé en 1936 par la construction du gigantesque barrage Hoover entreprise par le Bureau of Reclamation à un coût initial de 165 millions de dollars. Le barrage a pour objet principal de permettre l'irrigation de 200.000 hectares de terres arides quoique fertiles, en Arizona et en Californie, ce qui permettra de faire vivre au moins 125.000 personnes, et aidera à couvrir les besoins urgents du monde en produits alimentaires et en fibres. Ce barrage fournit en outre de l'eau pour la consommation et pour les industries de la Californie méridionale, où vivent environ 4 millions de personnes; il constitue pour la vallée du Colorado une protection contre les inondations et produit de l'énergie hydroélectrique si nécessaire aux régions très développées de la côte du Pacifique.

Des estimations établies par des ingénieurs autorisés indiquent qu'à la cadence actuelle du comblement, la capacité utile du réservoir commencera à diminuer en 1985, soit d'ici 37 ans, et qu'en l'an 2079, soit dans 131 ans seulement le réservoir aura complètement perdu utilité, excepté pour la production d'énergie par le débit de la rivière elle-même. La diminution actuelle de capacité est de 169 million de mètres cubes (137.000 acre feet) par an. Le volume d'eau ainsi perdu chaque

Une utilisation inconsidérée des hautes terres peut provoquer la destruction de terres fertiles dans la plaine. année serait suffisant pour irriguer environ 14.000 hectares.

Selon une évaluation économique établie d'après les méthodes classiques habituelles exposées ci-dessus, la perte résultant du comblement total du lac Mead s'élèverait à un total de 470 millions de dollars. Ce total comprend la diminution de valeur des terres agricoles et des propriétés urbaines ou industrielles avoisinantes, les investissements non amortis, la perte des travaux effectués pour l'emmagasinage de l'énergie, l'augmentation des dommages causés par les inondations, les frais de réinstallation des populations et les pertes de revenus des compagnies exploitantes.

Ces pertes cependant seraient à répartir sur une longue période. Suivant la procédure classique d'évaluation, on devra, pour chiffrer leur valeur actuelle envisager un certain taux d'escompte. On appliqué pour cela un taux d'intérêt composé de trois pour cent (le taux actuel des emprunts long terme du Gouvernement). Par l'application de cette méthode la valeur en capital de la perte subie est ramenée à 51 millions de dollars, soit environ un neuvième seulement de la valeur future. On en conclut que ce ne serait pas servir l'intérêt public que de dépenser un capital supérieur à cette somme pour empêcher la lac Mead de devenir inutilisable. L'auteur admet cependant que si l'on emploie un taux d'escompte plus bas, ou que si le rythme de l'envasement devait être supérieur à ce que l'on admet à présent, la valeur actuelle de la perte et par conséquent la dépense pouvant légitimement être faite pour la prévenir, serait plus élevée.9

9John B. Bennett, Economic Aspects of Siltation of Lake Mead (mémorandum, Ministère de l'Interieur des Etats-Unis 28 janvier 1947, polycopié).

On arrive à l'évaluation ci-dessus en appliquant à une ressource d'un importance sociale immense les critères de l'économie privée. C'est dire qu'elle repose sur les principes erronés que l'on a déjà discutés.

Si l'on applique au contraire les critères oublics d'évaluation proposés plus haut, même en les exprimant en argent, ce qui n'est pas très satisfaisant, on obtient une image bien différente de la menace qui pèse sur le lac Mead, et l'on arrive à des conclusions également bien différentes quant au montant des dépenses que l'on peut à juste titre consacrer à prévenir ce désastre menaçant.

La perte en argent, du point de vue de la communauté, peut être déterminée de façon très prudente en considérant les revenus annuels bruts des entreprises tributaires du réservoir. Si l'on se base sur un revenu brut de seulement 500 dollars par personne et par année pour les 125.000 personnes de la seule région irriguée, la perte annuelle se monterait à plus de 62 millions de dollars et cela d'une manière permanente. Cette somme pourrait être considérée comme la limite maxima des dépenses publiques annuelles justifiées en vue d'éviter ou de retarder la disparition du lac Mead. Il est hors de doute que l'on pourrait facilement justifier un montant double si toutes les autres valeurs qui peuvent se mesurer en argent, en particulier celles afférentes à la Californie méridionale en voie de développement rapide, étaient chiffrées convenablement.

Aucune enquête physique complète et détaillée n'a encore été faite pour établir de façon précise le capital et les frais d'entretien annuels nécessaires pour réduire d'une manière utile le volume des alluvions provenant des 43,46 millions d'hectares (167.800 milles carrés) constituant le bassin de réception audessus du barrage Hoover. Cependant on peut chiffrer approximativement le coût d'un programme satisfaisant de protection des bassins de réception en se reportant à une estimation récente du Ministère de l'Agriculture des Etats-Unis relative au bassin du Missouri. Cette superficie de quelque 137,5 millions d'hectares (531.000 milles carrés), soit plus de trois fois la superficie du bassin du Colorado au-dessus du barrage Hoover, présente en quelque sorte des conditions similaires et les mêmes problèmes. Le débit annuel moyen du Missouri est d'environ 0,0015 mètre cube par seconde et par kilomètre carré (0,14 pied cube par seconde et par mille carré), et son taux annuel d'alluvionnement est de 131 tonnes métriques par kilomètre carré (375 tonnes courtes par mille carré), par comparaison avec un débit, à l'embouchure du Colorado, de 0,0025 mètre cube par seconde (0,09 pied cube par seconde) et un alluvionnement correspondant de 730 tonnes métriques (800 tonnes courtes). Toutefois, 75 pour cent de la boue transportée par le Colorado provient d'une zone de 16,8 millions d'hectares seulement (65.000 pieds carrés) qui ne contribue que pour 10 pour cent au débit total du fleuve.

D'après les estimations du Ministère de l'Agriculture, le capital nécessaire pour assurer d'une manière permanente une conservation satisfaisante du sol et des eaux dans le bassin de réception du Missouri se monte à 1.321 millions de dollars, soit environ 960 dollars par kilomètre carré (2.500 dollars par mille carré). Si l'on admet que 1.200 dollars par kilomètre carré (3.000 dollars par mille carré) seront nécessaires pour faire face aux problèmes sans doute plus difficiles qui se posent dans la vallée du Colorado au-desus du barrage Hoover, le capital à investir y serait d'environ 500 millions de dollars. Les frais d'entretien annuels pourraient se monter à environ 3 pour cent de cette somme, soit 15 millions de dollars. Grâce à cette mise de fonds on pourrait réaliser un programme de protection des bassins de réception qui prendrait en considération tous les intérêts en cause et comporterait des mesures telles que: restauration ou stabilisation du sol et de la couverture végétale? stabilisation des rives et des lits des cours d'eau, protection contre le ravinement, correction du cours des torrents, barrages de retenue des boues, ouvrages destinés à assurer l'utilisation et la conservation des eaux? améliorations dans l'utilisation des terres et continuation des travaux de conservation nécessaires pour assurer une gestion convenable des régions de forêts, de broussailles et de pâturages.

Le coût annuel d'un tel programme, calculé sans intérêt sur une période de 100 ans, se monterait à 20 millions de dollars, somme sur laquelle 5 millions représenteraient la valeur annuelle des frais de première installation. On peut rapprocher ce chiffre de celui de 62.500.000 dollars qui représente l'estimation des revenus annuels des exploitations tributaires du lac Mead pour leur irrigation. Si l'on pouvait disposer des fonds nécessaires? un programme du type ci-dessus pourrait être réalisé en l'espace de 25 ans, soit 5 à 10 ans de plus que la période généralement admise pour les projets similaires du Ministère de l'Agriculture.

Une érosion active due à l'évolution géologique normale dans certaines parties du bassin du Colorado fait qu'il est impossible d'essayer d'arrêter le mouvement des alluvions dès leur point de départ. Néanmoins, même avec les estimations les plus prudentes, on pense qu'un programme détaillé et complet pour la protection des bassins de réception, qui prendrait en considération tous les intérêts en cause, pourrait réduire l'envasement du lac Mead d'au moins 50 pour cent. Même dans ce cas, la dépense ci-dessus serait encore justifiée car le nombre d'années pendant lesquelles le réservoir pourrait encore être utilisé se trouverait doublé, la productivité et le rapport des exploitations tributaires du barrage se trouveraient prolongés d'autant.

Capacité naturelle d'emmagasinage

La même forme de raisonnement s'applique aux pertes subies par la capacité naturelle d'emmagasinage en raison de l'érosion ou des autres formes de dégradation du sol. La capacité de rétention de l'enveloppe terrestre, en particulier des couches supérieures, dépasse de loin la capacité qui pourrait être créée artificiellement par la construction du réservoir le plus vaste qu'il soit possible d'imaginer. C 'est pourquoi il est nationalement de la plus haute importance de maintenir les moyens naturels d'emmagasinage dont nous disposons.

Les forêts considérées comme sources d'approvisionnement en eau

En dehors du rôle qu'elles jouent dans la réduction des crues et des dommages causés par les alluvions, les forêts constituent également d'importantes sources d'approvisionnement en eau. Le problème de la détermination de la valeur d'un bassin de réception boisé, pour un tel propos, ne se pose généralement pas, tant que l'eau en provenance de ce bassin de réception est en quantité suffisante. Commercialement parlant la région du bassin de réception peut être censée avoir une valeur (appelée aux Etats-Unis stumpage value) déterminée par la différence entre le prix de vente moyen de l'eau livrée aux consommateurs et son prix de revient. On a essayé à plusieurs reprises d'estimer sur cette base les services que les bassins de réception boisés rendent pour l'approvisionnement en eau. Cette méthode cependant est loin d'être satisfaisante du point de vue du consommateur d'eau. Elle ne fournit aucun critérium équitable pour calculer la somme qui pourrait être légitimement consacrée a assurer le fonctionnement convenable du bassin de réception.

Un moyen plus réaliste consisterait à considérer les dommages auxquels on pourrait s'attendre si les bassins de réception n'étaient pas maintenus dans des conditions satisfaisantes: mauvaise répartition du débit saisonnier, mauvaise qualité de l'eau entraînant un traitement plus onéreux, réduction de la production d'énergie électrique pendant la saison sèche, coût des travaux nécessaires pour l'aménagement de nouveaux réservoirs de remplacement pour l'emmagasinage des eaux et des alluvions, etc. (On pourrait également dé terminer de la même manière quelles autres utilisations, en dehors de la production d'eau, peuvent être permises sans risques.) Comme dans le cas du comblement des réservoirs, le fait que certains intérêts publics sont tributaires de ces zones semblerait indiquer que les dommages probables devraient être estimés sur la base de toutes les valeurs tributaires en jeu, et sans calcul d'intérêts composés. La légitime mise de fonds ainsi déterminée dépasserait sans doute le montant réel des dépenses nécessaires pour assurer la stabilité du bassin de réception, surtout s'il se trouve déjà en bonne condition. De toute manière, on disposerait ainsi d'un bien meilleur indice pour déterminer du point de vue de la communauté, ce que coûte l'approvisionnement en eau qu'avec la méthode insuffisante de la stumpage value.

Evaluation des bénéfices

Lorsque la forêt joue son rôle multiple avec pleine efficacité, le flot des profits est immédiat et continu. La comparaison des coûts et des bénéfices peut être faite directement, surtout si la plupart des éléments constitutifs du prix de revient se retrouvent d'année en année. Mais là où la forêt a été détériorée, les bénéfices résultant de sa restauration se trouveront d'autant plus retardés que les dégâts auront été plus importants. Lorsque la détérioration aura été jusqu'à bouleverser les rapports normaux «solcouverture-eau» de la zone considérée, sa restauration peut exiger une mise de fonds relativement importante.

L'application à de tels cas des méthodes de l'économie privée mène inévitablement à la conclusion que des investissements de capitaux dans des travaux destinés à l'amélioration des bassins de réception «nepaient pas». Le premier capital et les frais de premier entretien sont trop lourds; les bénéfices sont lents à venir et diminuent de façon alarmante quand ils sont calculés à leur valeur actuelle. En outre, la majeure partie des avantages peuvent être de nature à ne donner aucun revenu visible au propriétaire privé. C'est pour ces raisons que la responsabilité de la restauration des régions gravement dégradées par l'érosion ou pour d'autres causes retombe en grande partie sur le Gouvernement.

L'intérêt public peut exiger des mesures de restauration trop coûteuses pour un propriétaire particulier.

Le fait que la collectivité est censée entreprendre de telles activités sans profit milite lui aussi contre l'emploi des intérêts composés dans l'évaluation des bénéfices publics espérés. Cependant, les calculs reposant sur les méthodes et les taux de l'économie privée ont about à des recommandations contre l'ouverture de travaux pour la protection des bassins de réception sous prétexte qu'ils étaient contraires aux lois de l'économie.

En dehors des faiblesses déjà mentionnées, cette méthode de calcul bénéfices repose en outre sur un certain nombre de principes erronés tels: 1) que, si les travaux sont différés, les dommages n'augmenteront pas avec le temps; 2) qu'il ne coûtera pas plus cher à la communauté - en termes de main-d'œuvre et de matériaux d'effectuer plus tard les travaux; 3) que les besoins ne seront pas alors plus grands qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Le Dr. Lowdermilk a fait à ce sujet la déclaration suivante: «Nous sommes enclins aujourd'hui à évaluer le sort de la terre uniquement en termes économiques et d'après les prix actuels du marché. Si les mesures de protection nécessaires ne doivent pas donner immédiatement du profit nous préférons assister avec indifférence à la destruction de la terre. Cette indifférence résulte de la croyance erronée à l'abondance des terres, on croit que, si nous détruisons cette exploitation, nous pouvons aller en créer de nouvelles plus à l'ouest. Mais tout au long de l'histoire de l'humanité, les lois économiques sont comme la pluie et le beau temps - elles se succèdent ou alternent continuellement. Elle évoluent bien plus rapidement que le climat. Mais les modifications causées à la surface de la terre par l'érosion ne sont pas comme les changements économiques. Leur effet de destruction s'accumule, de même que les effets des dépôts de matériaux. De tels changements sont à sens unique. Qu'importent les lois économiques qui ont conduit à l'épuisement et à la destruction du sol si la terre est à jamais hors d'état de produire de nouvelles récoltes. Le fait est que lorsque la couche supérieure du sol a disparu, il devient trop coûteux de restaurer ce qui reste pour rendre la terre productrice. L'économie commerciale peut mettre en marche un processus qui ne peut être renversé - et qui appauvrit le sol. C'est là pour notre terre un péril insidieux: car sous un régime économique qui favorise les affaires profitables, le patrimoine national peut se trouver complètement pillé.

«Nous devons, en conséquence, dans notre gestion de la terre, regarder au delà des conditions d'aujourd'hui vers les principes économiques qui déterminent l'avenir de notre peuple. Si ces principes justifient la destruction de la terre qui est notre héritage commun, ce sont ces principes qui ont tort, non la terre.»10

10Walter C. Lowdermilk, A Hope for the Future (Soil Conservation, 1947, 13, 2).

Puisque nos ressources en terre et en eau sont dévastées plus rapidement qu'elles ne peuvent être mises en valeur, il est inconcevable que les forestiers et autres fonctionnaires chargés de la conservation des ressources naturelles puissent utiliser, pour l'évaluation des ressources naturelles, les principes et les méthodes de l'économie commerciale. Des méthodes simples basées sur la connaissance des facteurs physiques et sociaux en jeu seraient davantage en harmonie avec les objectifs de la conservation.11

11On pourrait évaluer le cout et les bénéfices de la restauration pour un nombre d'années donné - 100 ans étant une période minimum du point de vue de la communauté et comparer directement les totaux. Ou bien si l'on désire une moyenne actuelle, diviser les totaux respectifs par le nombre des années.

Valeur de la forêt du point de vue de la faune et du tourisme

La valeur des forêts du point de vue récréatif et de la faune terrestre et aquatique constitue un autre problème d'importance grandissante. Des tentatives fréquentes ont été faites pour chiffrer cette valeur, tantôt pour déterminer les limites des dépenses publiques à leur consacrer, tantôt pour apprécier les dommages résultant d'une mauvaise utilisation de la terre et des eaux, ou de travaux industriels nuisibles.

Jusqu'à présent, de telles évaluations ont été confinées à des régions ou à des lieux donnés. Aucun essai réaliste n'a encore été fait pour envisager la question sous l'angle national. Que ces ressources soient d'une grande importance du point de vue social et économique est un fait admis. Cependant on n'a pas compris que leur importance découle du rôle de chaque lieu particulier dans le maintien d'un équilibre convenable, dans le cadre national, entre les différents types de régions.

C'est en effet sur le plan national que l'on peut le mieux juger jusqu'à quel point il est désirable de sauvegarder les possibilités touristiques d'une région donnée. Il serait difficile autrement, voire impossible, de déterminer avec précision l'intérêt public. Cette manière d'attaquer la question semble particulièrement indiquée partout où des conflits peuvent s'élever à propos des projets locaux, par exemple dans le cas de barrages dont les bénéfices directs en argent dépassent les bénéfices que l'on retire sur place de l'utilisation de la forêt comme centre d'excursion, de chasse ou de pêche. Il faut, pour arriver à une appréciation convenable de ces derniers, déterminer tout d'abord dans quelle mesure ils sont utiles à la nation; pour cela il faut tenir compte des accroissements démographiques et de l'augmentation probable par habitant de l'utilisation de la forêt sur une période de 100 ans par exemple; on déterminera ensuite la mesure dans laquelle les régions déjà utilisées et les possibilités existantes suffisent en quantité, qualité et emplacement pour faire face aux demandes présentes et futures. Enfin, il faut faire la part de l'imprévu. Un tel examen d'ensemble de la question aiderait vraiment à arriver à des conclusions exactes quant à l'intérêt qu'il y a à conserver leur attrait touristique à certaines régions.

Que pour résoudre des conflits de cette sorte il soit nécessaire de considérer le problème dans son ensemble, est illustré par les effets sur un poisson d'eau froide comme la truite des projets d'irrigation à l'étude. Lorsqu'on se place sur le plan uniquement local, la balance penche largement en faveur de mesures qui compromettront ou détruiront l'habitat de la truite. Les bénéfices en argent que l'on peut tirer d'une région irriguée sont généralement plus importants que ceux qui pourraient résulter du maintien d'un milieu favorable à la truite. Cependant, si l'on considère la question du point de vue national, le fait que les cours d'eau convenant aux truites deviennent de plus en plus rares, alors qu'ils sont de plus en plus recherchés, et que de fortes dépenses ont déjà été engagées en faveur de ce genre de pêche, semblerait indiquer que des facteurs autres que les bénéfices locaux devraient être pris en considération. Etant donné que la plus grande partie des plus beaux centres d'excursion, de pêche et de chasse sont la propriété de l'Etat ou placés sous sa surveillance, la sagesse semblerait exiger que l'on tienne compte, dans l'estimation du coût et des bénéfices des travaux à entreprendre, de l'intérêt qui s'attache à la conservation de ces régions. Sinon, nos plus beaux centres touristiques et nos meilleurs centres de pêche courent le risque de disparaître les uns après les autres. De toute évidence il est indispensable, dans l'intérêt national, que les différents organismes de conservation des terres et des eaux établissent entre eux dans ce domaine une coordination encore plus étroite que jusqu'à présent.

Résumé et conclusions

Toute évaluation saine nécessite des méthodes bien adaptées au but à atteindre et cadrant avec les faits physiques. Les méthodes de l'économie privée échouent à ces deux points de vue lorsqu'il s'agit de la conservation des ressources naturelles. Si de telles méthodes peuvent convenir aux desseins du propriétaire privé, elles ne tiennent pas compte du bien-être général de la communauté. Lorsqu'on les applique à l'évaluation des ressources publiques, elles conduisent à établir des distinctions artificielles et sans valeur. Elles ne tiennent pas compte, ou n'attachent pas Un prix suffisant aux valeurs qui ne sont pas susceptibles de faire aisément l'objet d'une appréciation commerciale. La complexité de leurs calculs donne un faux semblant d'exactitude aux résultats obtenus.

Le personnel chargé de la conservation des ressources naturelles qui s'intéresse aux valeurs d'ordre plus général inhérentes aux forêts ne devrait pas se contenter plus longtemps des principes ou calculs de l'économie privée pour déterminer les limites de l'effort à fournir pour cette conservation. Au lieu de cela, il devrait élaborer ses propres principes et méthodes, ou insister au moins pour que les méthodes appliquées, quelles qu'elles soient reposent sur des principes biologiques et sociaux sains. Les méthodes s'appuyant sur les statistiques, utilisées avec soin et discernement, pourraient être d'un grand secours, mais la complexité des corrélations en jeu, de même que la nécessité de prévoir les événements, exigent un esprit averti et ouvert pour arriver aux conclusions finales. Tout bien considéré, la méthode simple basée sur la moyenne annuelle est recommandée comme une solution raisonnable au problème posé par l'évaluation des ressources naturelles, et des effets des mesures prises dans l'intérêt public pour leur conservation.

Les photographies qui illustrent cet article nous ont été aimablement communiquées par le U. S. Forest Service et le U. S. Bureau of Reclamation.

L'ensemble des dommages causés par les inondations et la dégradation des terres surchargées de bétail peut dépasser de beaucoup les profits des éleveurs particuliers.


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