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Utilisation des richesses forestières de l'Inde

par B. R. SEN

Il est temps que la conception actuelle de l'utilisation des forêts dans l'Inde soit changée. La politique du passé, bien que fondée sur des principes essentiellement sains, paraît avoir présenté un caractère plutôt statique. Elle doit maintenant être empreinte de plus de dynamisme. La politique forestière actuelle a été élaborée en 1894. Ses principes de base sont: a) que le premier facteur à considérer, pour tout projet d'aménagement forestier, doit être la protection du pays contre les inondations, l'érosion et la perte d'humidité des sols; b) que la deuxième préoccupation doit être de conserver une superficie boisée minimum pour subvenir aux besoins de la population locale en combustible et en bois de construction; c) que l'exploitation des ressources forestières à des fins commerciales ne doit venir qu'en troisième lieu, après que les deux premières nécessités auront été satisfaites.

On contesterait difficilement le principe essentiellement sain de cette politique, mais la question qui se pose est de savoir si, étant donné les nouvelles conditions qui règnent dans l'Inde, l'application de cette politique devra subir certaines modifications. Pour résoudre cette question, il importe de ne pas perdre de vue certains faits essentiels relatifs aux forêts de l'Inde.

Dans l'intérêt général d'un pays, quelle proportion de sa superficie doit être terre forestière? C'est un problème sur lequel diverses opinions ont été exprimées. Sir Herbert Howard, ancien Inspecteur général des forêts, a exprimé l'avis que 20 à 25 pour cent de la superficie totale de l'Inde devraient être boisés, aménagés et répartis judicieusement tant à des fins de protection que pour satisfaire aux besoins des consommateurs de tout le pays, y compris ceux des populations rurales. On estime que sur la superficie totale de l'Inde, 162 millions d'hectares, environ 40 millions (soit presque un quart) sont en nature de forêts.

A première vue, il pourrait sembler que la superficie actuelle des forêts de l'Inde lui permette de subvenir à ses besoins. Mais environ un tiers de la superficie des massifs forestiers appartient soit à des communautés, soit à des propriétés privées, ce qui entraîne, comme dans beaucoup d'autres pays, un gaspillage considérable. Les forêts qui peuvent être qualifiées de «forêts convenablement aménagées», c'est-à-dire celles qui se rapprochent des forêts réservées et protégées, ne recouvrent que 11 pour cent environ de la superficie totale.

La répartition actuelle des forêts est également loin d'être satisfaisante pour répondre aux besoins des consommateurs ruraux. Les provinces situées au nord d'une ligne allant du golfe de Cambay à Calcutta sont particulièrement pauvres en forêts, à l'exception de certains bosquets de peu d'importance.

Erosion du sol et forêts

Les inondations et l'érosion du sol constituent deux des plus grands problèmes de l'Inde. Bien qu'ils ne soient nouveaux ni l'un ni l'autre, il est hors de doute qu'au cours de ces dernières années les inondations ont causé des pertes accrues aux récoltes et les progrès rapides de l'érosion du sol en différentes parties du pays sont particulièrement inquiétants. Ces deux problèmes sont étroitement liés à l'aménagement forestier dans les régions montagneuses et les bassins supérieurs des fleuves.

Bien qu'une grande partie des forêts soit aménagée par le gouvernement, de vastes régions font partie de propriétés privées et ont été au cours de ces dernières décennies, imprudemment exploitées comme pâturages ou comme sources de combustible, exposant ainsi de vastes régions aux dangers de l'inondation et de l'érosion du sol.

Le gouvernement de l'Inde prête à présent la plus grande attention à la question. L'aménagement rationnel, visant à lutter contre les inondations et l'érosion du sol, sera un important sujet d'études pour la Commission centrale des voies navigables, de l'irrigation et de la navigation, qui fonctionne déjà, ainsi que pour le Comité de l'utilisation et de la conservation des sols, dont l'établissement a été projeté. La question des «forêts» est toutefois du ressort des provinces, et à moins qu'une collaboration pleine et active ne soit assurée par les gouvernements de ces dernières, les succès réalisés dans ce domaine seront nécessairement limités.

En ce qui concerne les consommateurs ruraux, bien que la politique qui consiste à donner priorité, immédiatement après la lutte contre les inondations et l'érosion, à l'approvisionnement en bois de combustion et en bois d'œuvre soit inattaquable, son application ne paraît pas avoir donné de résultats satisfaisants. Les neuf dixièmes des Provinces-Unies, la moitié de Bombay, la plus grande partie du Bengale occidental, une grande partie du Bihar et la totalité des régions côtières d'Orissa sont presque complètement dépourvus de forêts.

Le pouvoir d'achat des populations rurales de ces régions ne leur permet pas de faire venir de très loin les faibles quantités de combustible et de bois d'œuvre qui leur sont nécessaires. Elles ont donc été obligées d'utiliser comme combustible l'une de leurs ressources agricoles les plus précieuses, ce qui a sérieusement affecté la production des denrées alimentaires. La production agricole dépend, dans une très large mesure, des approvisionnements en engrais naturels. Les terres de l'Inde sont très pauvres en azote et ont besoin d'environ 2 millions et demi de tonnes par an pour compenser les quantités absorbées par les cultures.

L'Inde utilisait autrefois, dans une très large mesure, la bouse de vache pour compenser la pénurie d'azote. La production totale de fumier de ferme dans l'Inde est estimée à environ 160 millions de tonnes, poids sec, soit 800.000 tonnes d'azote. En réalité, 40 pour cent de cette production sont utilisés comme combustible et environ 320.000 tonnes d'azote, qui pourraient accroître la production de riz de 1.750.000 tonnes, sont perdues pour l'agriculture. Cet engrais naturel peut être conservé si la population rurale a la possibilité de se procurer du combustible provenant d'arbres à croissance rapide, là où il n'y a pas de forêts naturelles.

La question a été discutée à la fois par le gouvernement central et par celui des provinces, mais faute de politique nettement définie, la culture de ces arbres n'a guère progressé. La mise à exécution d'une telle politique demeure l'un des problèmes les plus urgents et les plus importants de l'Inde.

Chaque année, aux Indes, des quantités considérables de bambou sont coupées et utilisées pour la fabrication du papier, de paniers, d'échafaudages, de clôtures, etc. Tous les quatre ans, on coupe dans chaque touffe de ving-cinq à trente tiges en prenant soin de laisser suffisamment d'espace entre celles qui restent.

La forêt et l'industrie forestière

D'après la politique établie en 1894, l'utilisation des forêts de l'Inde s'est limitée d'une manière générale à l'approvisionnement en traverses de chemin de fer et en bois pour la construction de logements et la fabrication de meubles. La plus grande partie des précieux bois durs est réservée à la fabrication des traverses de chemin de fer, mais la production reste encore insuffisante et on doit importer des traverses en bois et en acier. De grosses quantités de bois de teck ont également été importées de Birmanie pour l'ameublement.

La pénurie des forêts indiennes est due à ce que les essences commerciales de bois dur y sont disséminées ce qui rend difficile une exploitation économique. D'autre part, les consommateurs ne tiennent pas du tout à utiliser des essences autres que les espèces les plus courantes.

L'Inde a de grands projets d'expansion industrielle fondés sur l'utilisation de l'acier comme matériau de construction, mais c'est un matériau dont il y a pénurie. La question se pose de savoir si dans la construction l'on peut remplacer, et jusqu'à quel point, l'acier par le bois traité. L'expérience a montré que le bois traité peut remplacer jusqu'à un certain point l'acier dans la construction de ponts jetés sur les voies de grandes communications, et qu'il peut être utilisé pour les poteaux télégraphiques et téléphoniques, les charpentes métalliques d'usine, les dépôts, ateliers et hangars d'aviation.

La Belgique est le pays qui produit l'acier le meilleur marché du monde, et cependant ce pays trouve plus économique d'utiliser le bois traité pour la construction de poteaux télégraphiques et téléphoniques. Au Royaume-Uni également plus de 90 pour cent des poteaux des lignes télégraphiques et téléphoniques sont en bois importé de Scandinavie. Aux Etats-Unis jusqu'à 80 pour cent des ponts des lignes principales de chemin de fer - qui utilisent des locomotives beaucoup plus lourdes que celles de l'Inde - étaient construits jusqu'à ces dernières années avec du bois traité.

Une coupe de régénération a été effectuée dans une forêt de pins à longues feuilles pinus longifolia. Le peuplement ayant atteint sa maturité a été abattu à l'exception d'environ sept porte-graines. Les jeunes plants ont poussé par groupes.

Si les pays aussi hautement industrialisés peuvent utiliser ainsi le bois traité, pourquoi l'Inde n'essaierait-elle pas d'en faire autant, étant donné notamment que son progrès industriel est entravé par la pénurie d'acier? Les grands services du gouvernement de l'Inde indiquent que les principaux obstacles s'opposant à une plus grande utilisation des bois de l'Inde venaient de ce qu'il était impossible de se procurer du bois bien traité en des centres facilement accessibles aux moyens de transport.

Il s'agit là d'un problème qui n'est pas administrativement insoluble. Le Gouvernement de l'Inde s'en est déjà saisi.

Il existe d'autres industries dans lesquelles le bois de l'Inde peut jouer un rôle plus efficace et plus important que par le passé. Le contre-plaqué, par exemple, peut constituer l'une des industries les plus importantes de l'Inde. La demande nationale annuelle est de 1,3 million de mètres carrés. Actuellement d'importantes quantités de contre-plaqué destiné à l'emballage du thé doivent être importés. En faisant preuve d'un peu plus d'initiative dans le domaine de la recherche et de l'organisation, et si l'industrie du thé voulait bien apporter une collaboration plus étroite, le pays devrait pouvoir satisfaire cette de mande avec ses propres ressources.

L'Inde a besoin d'environ 6,2 millions de traverses de chemin de fer par an. Sa production actuelle n'est que de 3 millions. L'Institut forestier a recommandé 36 espèces de bois secondaires pour cette production. On espère que la demande des chemins de fer en acier pour traverses pourra disparaître grâce à une utilisation maxima des essences disponibles même si ces dernières ne sont pas aussi satisfaisantes que les meilleures espèces feuillues actuellement utilisées.

L'industrie du jute et du coton nécessite annuellement 80 millions de bobines. Avant la guerre cette demande était presque entièrement satisfaite par l'importation. Pendant la guerre l'industrie de l'Inde y a suffi mais les importations ont repris à la fin des hostilités. Il est toutefois évident que si l'industrie de l'Inde est bien réorganisée et si l'on prend soin de l'approvisionnement en bois d'œuvre, le pays pourra satisfaire sa demande en bobines.

INDE: RÉGIONS FORESTIÈRES ET, DE BROUSSAILLE CLAIRSEMÉE

Production de papier journal

La demande annuelle de papier journal, actuellement de 50.000 tonnes, est entièrement satisfaite par les importations en provenance de pays à monnaie forte. On a déjà procédé à des recherches précieuses et les essais effectués sur le papier produit à partir de la broussonétie (Broussonetia papyiféra), connue communément sous le nom de murier à papier, ont été très satisfaisants. Si les plantations de mûriers à papier, arbres dont la croissance est très rapide, sont sérieusement entreprises, il n'y a aucune raison que l'Inde ne puisse satisfaire dans un délai raisonnable ses besoins croissants en papier journal.

Il existe d'autres industries dans lesquelles les forêts peuvent jouer un rôle important. Bien que la lutte contre les inondations et l'érosion du sol, de même qu'une production suffisante de bois de combustion et de bois d'œuvre pour la consommation des populations rurales, doivent continuer à avoir priorité, il importe de donner dans les programmes futurs du développement forestier une place prépondérante à l'utilisation des ressources forestières pour le développement industriel du pays. Le succès de cette politique dépendra toutefois de certains facteurs précis. Les travaux de recherche doivent être développés et intensifiés pour pouvoir, sur le plan technique, couvrir tous les besoins et résoudre tous les problèmes.

Les préjugés des consommateurs industriels importants contre l'utilisation d'essences secondaires doivent être surmontés et, point encore plus important, les méthodes de coupe, de régénération et de plantation doivent être revisés pour arriver à faire face à l'accroissement de la demande.

Il sera également nécessaire de prendre des dispositions beaucoup plus efficaces que par le passé pour faire connaître, à la lumière des résultats des recherches récentes, les utilisations des produits forestiers à des fins industrielles et commerciales. Indépendamment de toute action gouvernementale, les industriels peuvent jouer un rôle décisif dans la réussite de cette politique.

Les clichés qui illustrent cet article nous ont été aimablement communiqués par l'Institut des Recherches forestières, Dehra Dun (Inde).


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