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L'élévation du niveau économique rural, en région forestière, dans les pays tropicaux

Par PIERRE ALLOUARD, Centre technique forestier tropical, France

Dans presque tous les pays tropicaux, l'exploitation des forêts conçue en vue de la production, du bois, si elle n'est pas guidée par des considérations sylviculturales, aboutit à un appauvrissement des peuplements et, sauf dans des cas fortuits la forêt tropicale, déjà naturellement pauvre par suite de son hétérogénéité, est remplacée par une forêt plus pauvre encore. Il on résulte un appauvrissement national, et une diminution des ressources dont peuvent disposer les populations vivant dans ces régions forestières. Il faudrait, au contraire, arriver à ce que ces exploitations correspondent à des travaux sylviculturaux et à un enrichissement des peuplements.

Par ailleurs, les populations forestières ont l'habitude de vivre en grande partie de cultures provisoires et nomades, faites après abattage et incendie de la forêt, d'où appauvrissement très rapide des sols et transformation progressive des terrains boisés en savanes herbeuses, impropres à toute culture. Ces savanes, en outre, sont parcourues chaque année par des feux de brousse, leur sol se stérilise, entraînant une érosion de plus en plus accentuée, le régime des cours d'eau devient torrentiel, les microclimats se modifient. Ces dommages s'étendent souvent à des régions fort éloignées de leur cause.

Il est donc indispensable d'arrêter l'appauvrissement qui se manifeste dans beaucoup de régions tropicales, d'une part à la suite des exploitations forestières non suivies d'une reconstitution des peuplements exploités, d'autre part à la suite des cultures nomades après incendies et des feux de brousse qui en sont les conséquences finales.

Mais il faut aussi accomplir des progrès dans le mode d'utilisation de ces ressources. Ce qu'il faut, c'est non seulement éviter un gaspillage des ressources naturelles, mais aussi agir sur les hommes, amener les populations des régions forestières à ne plus être considérées comme des populations arriérées. Car on constate, en effet, dans presque tous les pays tropicaux, que les populations des régions forestières, surtout celles qui vivent de cultures nomades, sont des populations clairsemées, peu évoluées, enfermées dans leur mode d'existence quelquefois assez primitif, que l'état sanitaire y est défectueux, les habitations pauvres, la natalité réduite et l'instruction peu développée. L'amélioration de cette situation est avant tout conditionnée par un progrès suffisant apporté dans l'utilisation de leurs ressources naturelles.

Bien que de gros progrès soient encore nécessaires, on sait aujourd'hui comment il faudrait s'y prendre, au point de vue technique, pour mettre pleinement en valeur ces terres pauvres, sans épuiser leurs sols ni leurs ressources végétales. On sait qu'il faudrait pratiquer les assolements, l'usage des engrais, l'élevage méthodique, l'irrigation, les méthodes de culture antiérosions, etc. On sait qu'il faudrait surtout utiliser à fond les possibilités d'association rationnelle avec la forêt, d'un élevage et d'une agriculture qui lui seraient adaptés et, enfin, comment il faudrait exploiter méthodiquement et enrichir les forêts, ainsi que supprimer les feux de brousse. Cependant, presque partout, les essais individuels, souvent méritoires, entrepris dans ce sens n'ont souvent donné que des résultats fragiles, et en tout cas peu proportionnés aux efforts comparés à ceux que l'on aurait obtenus dans des zones économiquement plus évoluées. On en a parfois conclu que les populations visées étaient inadaptables à la vie moderne, pratiquement incapables de progresser de façon intéressante, et les efforts furent abandonnés.

Bien que ces régions n'aient pas toujours une grande importance économique dans l'immédiat par la valeur de leur production à l'unité de surface ou par la densité de leur population, elles justifient cependant de sérieux efforts, d'une part pour mettre fin au gaspillage des ressources naturelles qui s'y produit et dont les conséquences peuvent réagir sur des zones voisines plus évoluées, d'autre part, parce que, dans beaucoup de cas, un développement économique approprié à leurs conditions de vie y est possible, et peut devenir un point de départ solide pour un développement plus intensif, si les circonstances s'y prêtent un jour.

Les idées exposées ci-après sont basées sur une expérience acquise au Cambodge (Indochine) après dix années de pratique dans six villages d'essais, groupant au total environ 1.500 habitants répartis sur plusieurs zones de modernisation. L'expérience acquise a été ensuite confrontée avec d'autres, analogues, faites dans divers pays. Les principes qui vont suivre ne sont donc pas énoncés à priori, ce ne sont pas des idées théoriques ou utopiques. Ils correspondent à des réalisations qui ont été obtenues et c'est par la pratique que leur application nous est apparue peu à peu comme nécessaire. J'estime que si cette nécessité m'avait été soulignée dès le début, nous aurions évité bien des tâtonnements et bien des dépenses.

La nécessité d'une étroite coopération entre tes techniques

Lorsqu'on examine de très près, et en se plaçant à son point de vue, pourquoi la population n'adopte pas certaines pratiques qu'elle a à sa portée ou que l'on cherche à lui insuffler, on s'aperçoit souvent de difficultés insoupçonnées qui n'apparaissent que lorsqu'on cherche à résoudre le problème à son échelle réelle et en se plaçant exactement dans les conditions où se trouve la population que l'on cherche à faire évoluer.

Voici un cas typique dont l'auteur a eu à s'occuper. Il s'agissait d'améliorer les possibilités d'utilisation de certains bas-fonds trop sommairement cultivés, en y stimulant l'emploi d'une variété de riz à grand rendement. Cette variété de riz ne pouvait donner de résultats intéressants que si elle était cultivée dans un terrain bien irrigué et avec de l'engrais, ce qui n'était pas le cas. Pour obtenir cet engrais, il fallait un élevage stable, ce qui amenait à créer des étables et des fosses à fumier. Mais pour cela, les cultivateurs devaient prendre l'habitude de récolter du fourrage (ce qu'ils ne faisaient jamais). De plus, pour que cette variété de riz donne des bénéfices intéressants, il fallait qu'elle soit traitée dans des séchoirs appropriés et qu'elle corresponde à une standardisation des qualités. On s'aperçut aussi qu'un bon rendement de l'activité de chaque habitant exigeait une amélioration de la situation alimentaire du village, ce qui conduisit à stimuler le petit élevage, notamment celui des porcs. Celui-ci aurait été grandement facilité si on avait pu disposer sur place des déchets provenant du décorticage du riz, décorticage qui était fait jusqu'ici uniquement dans les grands centres de consommation. Pour cela, il fallait créer une petite industrie agricole locale, amener de la main-d'œuvre compétente, ce qui ne pouvait se faire que si, dans le centre agricole ainsi constitué, on créait une installation de force motrice, des aménagements sanitaires, des bâtiments en quantité suffisante, et un minimum d'urbanisme rural.

De tels problèmes, s'étendant finalement à l'ensemble des activités humaines dans une région donnée, sont toujours très absorbants, parce qu'ils demandent une compétence universelle et parce qu'ils exigent d'accomplir en peu de temps, d'une façon coordonnée en vue d'un but défini, une évolution qui ne se manifeste habituellement qu'au bout d'une assez longue période.

On est donc amené à poser comme règle qu'on ne peut obtenir de progrès solide dans une branche donnée de l'activité, que dans la mesure où le progrès portera sur l'ensemble. Le progrès sera total ou ne sera pas.

C'est ainsi qu'au Cambodge, des efforts de mise en valeur forestière entrepris par le Service forestier dans des régions presque inhabitées parce que le paludisme y était très grave, n'ont pu donner des résultats intéressants qu'en amenant des travailleurs d'autres régions plus peuplées. Mais dans ces régions malsaines, aucun travail ne pouvait être entrepris sans lutte méthodique contre le paludisme. On fut ainsi conduit d'abord à traiter par des médicaments préventifs toute la population importée, puis, ce procédé ne correspondant pas à un véritable assainissement du pays, on fut amené à entreprendre, dans les agglomérations que l'on avait créées, des travaux de drainages antimalariens. Ensuite, pour diminuer ces travaux coûteux, on fut conduit à étudier soigneusement, à l'avance, l'emplacement de chaque nouvelle agglomération, afin qu'elle ne nécessite que le minimum de travaux de drainage tout en disposant cependant d'assez d'eau pour l'arrosage des pépinières, pour les bassins de dessévage des scieries, et pour les besoins de la population.

Par ailleurs, les travaux de drainages antimalariens étaient utilisés pour l'aménagement, et éventuellement pour l'irrigation des bas-fonds, transformés en petites parcelles de cultures maraîchères, qui fournissaient à bon compte une partie des légumes nécessaires à l'alimentation de la population ou du bétail. Parallèlement, les travaux de reboisement avaient été conduits de façon à ce que les drains soient rapidement recouverts d'ombrages puissants empêchant l'installation de mauvaises herbes, ce qui réduisait d'autant l'entretien, et s'opposait en même temps à la pullulation des larves d'anophèles, dont l'espèce la plus dangereuse, dans ce pays, vit dans les eaux ensoleillées. On avait aussi installé les bassins de dessévage des scieries de façon à ce que leur eau polluée se répande dans le système de drainage antimalarien et y tue les larves d'anophèles. Enfin, les étables avaient été placées de façon à ce qu'elles forment écran entre les habitations et les zones à moustiques car ces derniers piquent les bovins de préférence à. l'homme.

Voici donc un exemple de solution apportée à un problème généralement difficile à résoudre, ou dont les solutions normalement sont coûteuses, celui de la création d'agglomération pourvues d'assainissement contre le paludisme, grâce à la coopération de plusieurs techniques: sanitaire, agricole et forestière.

Nécessité d'une coordination sur place

Cette coopération devra s'exercer, non seulement entre diverses techniques intéressant l'économie rurale de la région, mais aussi entre les divers intérêts privés ou publics et les autorités administratives ou autres dont l'activité peut être amenée à s'exercer dans le pays. Cette idée de coopération est tellement logique et élémentaire qu'il ne paraît pas utile, a priori, d'insister sur sa nécessité. Cependant, dans la pratique, les spécialistes de chaque activité ont tendance, parfois, à ne juger qu'en fonction de leur point de vue, et à placer au second plan des détails qui sont fondamentaux pour d'autres.

Cependant, cette coopération idéale ne sera réellement efficace que dans la mesure où elle sera coordonnée à l'échelon des réalisations. Il faut que cette coordination soit assurée en permanence, sur place, par une seule personne, ayant la responsabilité du progrès dans l'unité de gestion choisie. Son rôle sera aussi d'exercer sur la population l'influence personnelle désirable et de faire appel à toutes les activités publiques et privées susceptibles de faire progresser la modernisation cherchée.

Le plus bel exemple de mise en valeur unifiée, avec décentralisation de l'autorité, est celui de la TVA (Tennessee Valley Authority). On retrouve aussi ces idées dans l'Organisme français de modernisation du paysannat au Maroc, et dans des organisations analogues de beaucoup d'autres pays.

Cette direction du mouvement de modernisation dans une région donnée, peut fort bien se concevoir comme étant assurée, non pas obligatoirement par un service public, mais éventuellement par une entreprise privée d'une envergure suffisante.

Importance du point de vue psychologique

Le rassemblement et la mise en œuvre de ces moyens techniques demanderont beaucoup d'efforts et de tâtonnements. Toutefois, ce n'est pas dans ce domaine que se rencontreront les principales difficultés, mais plutôt dans les moyens d'action psychologiques sur la population.

Les populations des régions forestières, économiquement peu développées, sont souvent superstitieuses, peu désireuses de modifier leur mode d'existence, et méfiantes vis-à-vis de ce qui vient de l'extérieur. Il en résultera souvent des malentendus, comme par exemple la tendance qui pousserait la population à croire qu'un niveau de vie différent du leur, ou des méthodes de travail dormant des résultats plus avantageux, sont l'apanage de gens qui ne sont pas comme eux, qui disposent de moyens dont ils ne disposeront jamais, parce que ces favorisés travaillent avec les moyens du gouvernement, ou avec ceux d'une entre. prise dont le cadre les dépasse.

Un des moyens essentiels à l'établissement d'une bonne compréhension est que l'animateur du mouvement de modernisation et ses collaborateurs parlent suffisamment la langue de la région où ils sont appelés à travailler, qu'ils aient vraiment le désir et la patience d'arriver à cette compréhension, et qu'ils disposent du sens psychologique nécessaire pour savoir se mettre à la place et dans l'état d'esprit de ceux auxquels ils s'adresseront. Par ailleurs, il y aura lieu de tenir compte du fait que, si les populations des régions forestières sont facilement réfractaires à ce qui leur vient de l'extérieur, c'est souvent parce que ce qu'elles en ont vu ne s'est manifesté à elles que sous la forme de commerçants peu scrupuleux, abusant de leur ignorance, ou d'actions administratives maladroites, sinon abusives. Par contre, lorsqu'on sait gagner leur confiance, ces populations, dont les besoins matériels sont faibles acceptent souvent d'accomplir des travaux, même sans en retirer des avantages immédiats, ce qui n'aurait pas été possible au même degré avec des populations plus évoluées.

D'ailleurs, la psychologie appliquée est à l'ordre du jour et certains pays l'ont beaucoup développée ces dernières années dans le domaine rural. Pour diminuer des tâtonnements coûteux et inutiles, il sera indispensable, avant d'entreprendre un effort de modernisation rurale, de rassembler une documentation complète sur tout ce qui a été fait dans les autres pays à ce point de vue.

Le secteur de modernisation

Pour que l'action personnelle du principal responsable se fasse efficacement sentir, il ne faut pas qu'elle ait à s'exercer sur une population dépassant 2.000 à 4.000 habitants. Ce chiffre variera suivant la dispersion de la population et son degré d'évolution. Même dans cette unité de gestion, l'action sera progressive et commencera sur une seule agglomération et sur le territoire qui s'y rattache. Pour la commodité de notre exposé, nous donnerons le nom de «secteur de modernisation» à cette unité de gestion. Il est bien entendu que le programme de modernisation du secteur doit s'intégrer dans un programme plus général, établi à grandes lignes, et qui sera précisé ultérieurement à la suite de l'expérience acquise.

Dans les secteurs de modernisation la permanence dans les efforts, dans les moyens financiers, et surtout dans le personnel reconnu compétent, doit être considérée comme d'une importance fondamentale. Nombreux sont les exemples de progrès ruraux ayant bien débuté, mais qui échouèrent parce que l'animateur qui les avait lancés avait quitté le pays, ou parce que les crédits nécessaires avaient été suspendus pendant quelque temps, ou encore parce que les autorités qui les avaient soutenus avaient abandonné au premier échec. La. permanence des moyens financiers devra être assurée par des ressources stables, point qui n'est pas toujours suffisamment reconnu par les ingénieurs et les financiers. Cependant, alors qu'en matière de travaux publics, un arrêt provisoire dans la construction d'un barrage ou d'une route n'amène généralement pas de dommage irréparable, un arrêt en matière de progrès rural provoque le plus souvent un échec, après lequel un redémarrage est beaucoup plus difficile que de partir de zéro.

Création d'un secteur-pilote

Ne perdons pas de vue que le but à atteindre est de faire progresser, non seulement de petites zones, mais de vastes territoires. Si l'on veut obtenir des progrès qui servent d'exemple, il faut qu'ils soient solidement établis, qu'ils soient rentables, et que ceux qui en seront les bénéficiaires, et en tout premier lieu la population locale, demandent qu'on les leur fasse accomplir, et si possible acceptent d'en supporter la charge, soit immédiatement, soit à plus longue échéance. Pour arriver à créer dans la population un état d'esprit favorable, on fera appel à l'action personnelle des chefs de secteurs, étayée par des démonstrations bien choisies Mais la démonstration la plus efficace, celle qui obtiendra l'adhésion de la population, est celle qui consistera à lui montrer, non une station d'essais, mais une autre population ayant atteint le degré d'évolution cherché et qui en est satisfaite Bien entendu, la démonstration n'aura de valeur que si elle est faite sur une population se trouvant dans des conditions très comparables à celle que l'on veut convaincre et, si possible, parlant la même langue.

Il faudra donc créer dans chaque région, ou chaque type d'économie rurale, un secteur-pilote d'expériences et de démonstrations. Ce secteur sera en quelque sorte un champ d'expérience qui, au lieu d'être limité à une station d'essai ou à une technique donnée, portera sur toute une agglomération, avec ses habitants, avec le territoire qui en dépend, avec sa vie économique et ses problèmes. On sera aussi sans doute amené à créer, dans ce secteur, des entreprises-pilotes, afin d'expérimenter dans la pratique tel ou tel mode de production, si aucune entreprise privée ne s'y prête. Dépenses et efforts exigés par un secteur-pilote devront être estimés, non pas en fonction de l'importance de ce seul secteur, mais en fonction de celle de toute la zone à laquelle pourra s'appliquer l'expérience qui y sera acquise, au même titre que les frais d'une station d'essai ou d'un laboratoire sont quelque fois supportés par toute une profession.

Le but final étant de créer un progrès rentable, soit par le propre effort de la population, soit par des initiatives privées, il sera très important, dans la comptabilité, de séparer nettement tout ce qui sera étude ou expérimentation, de ce qui sera considéré comme pouvant être exécuté d'une façon rentable. Il faudra aussi éviter de «fonctionnariser» la population en transformant un nombre plus ou moins grand d'habitants en sujet d'expérience régulièrement payés. On s'efforcera donc d'entreprendre certaines études et, expériences en dehors du secteur-pilote, lorsque ce sera compatible avec leur objet, et on s'efforcera de présenter à la population des procédés en cours de mise au point, lorsque ce sera possible.

Diffusion des résultats acquis dans le secteur

Dans une région économiquement développée, les progrès obtenus dans les stations d'essais y sont rapidement appliqués. On peut penser que dans une région moins évoluée, si le secteur-pilote a bien mis au point des méthodes rentables, leur diffusion se fera en tache d'huile autour du secteur-pilote. Cette diffusion sera facilitée, si l'on y intéresse des entreprises privées ou diverses autorités, par l'organisation de voyages d'information. Si cela ne suffit pas, on pourra créer, en certains points, des secteurs d'application, dont les dimensions pourront être plus vastes que celles du secteur-pilote. Ils ne donneront lieu qu'à des tâtonnements peu compliqués, et leur gestion, beaucoup plus simple, pourra être confiée à des services techniques. Dans les régions forestières, ce seront très souvent aux exploitations forestières que l'on pourra confier ce rôle. Toutes les exploitations forestières d'une certaine importance disposent, en effet, d'une zone d'action étendue; elles ont souvent été amenées à créer des villages pour leur main-d'œuvre, avec cultures agricoles et installations spéciales, et il arrivera souvent que la mise en application, dans leur zone d'action, des progrès mis au point dans le secteur-pilote, loin d'être une charge pour elles, les aidera à résoudre des problèmes qu'elles se posaient, et à obtenir de meilleures relations avec leur main-d'œuvre,

Dans certains pays, les secteurs de modernisation agricoles sont rattachés à un organisme central formant un service public séparé. C'est par exemple le cas au Maroc du «Paysannat marocain». Il ne semble pas qu'en matière forestière une pareille création soit nécessaire. Les types d'économie et les conditions de vie des populations dans les régions forestières tropicales sont très comparables les uns aux autres, et un très petit nombre de secteurs-pilotes suffira à mettre au point les moyens de réalisation des progrès. Dans la pratique, la meilleure solution paraît être de confier ces secteurs-pilotes aux services forestiers.

Tous les moyens que nous avons exposés ci-dessus pour relever le standard de vie des populations des régions forestières sont basés sur la persuasion, l'éducation et la création de complexes d'intérêts propices à l'obtention de progrès rentables. Leur succès sera fonction de la personnalité des chefs de secteur, de l'efficacité des méthodes de propagande ou de démonstration, des avantages apportés par les divers perfectionnements techniques. Mais on peut se demander dans quelle mesure ces moyens lents, et coûteux par l'importance des frais de personnel qu'ils exigent, sont suffisants et si une intervention de l'autorité ne pourrait pas être une aide déterminante, conforme à l'intérêt général, à cause des économies qu'elle entraînerait. Aux yeux des populations peu évoluées, le rôle d'une autorité bien conseillée est d'une importance capitale, ne serait ce que pour imposer à une minorité des améliorations demandées par la majorité.

Il faut vraiment «une autorité bien conseillée», car le risque qui s'attache à toute autorité est la tentation d'en user trop facilement, et d'imposer au mode de vie des populations des modifications artificielles, qui disparaîtront dès que l'autorité se relâchera ou même seulement changera de personne.

Toutefois, l'autorité n'est-elle pas le seul moyen capable de stimuler l'ardeur au travail de populations ayant une trop grande inclination à la paresse? L'élévation du niveau de vie rurale ne sera viable, en effet que tant qu'elle sera réellement «gagnée» par ceux qui en bénéficieront. Mais, quels que soient les moyens d'action que l'on emploiera, persuasion ou autorité, il y aura en tout cas avantage à ne jamais saper les autorités déjà existantes, qu'elles soient d'ordre administratif, spirituel ou commercial, et qui, étant par essence d'un niveau supérieur au reste de la population, seront souvent plus faciles à persuader.

Il n'en reste pas moins vrai que les moyens de persuasion et de propagande rurale seront toujours les meilleurs. Souhaitons qu'un effort t de coopération internationale de grande envergure soit entrepris pour abaisser le prix de revient de la modernisation, en faisant progresser les méthodes à employer, et en développant les moyens d'information et d'investigation sur place, afin que chaque pas accompli vers le progrès, dans ce domaine, par un pays quelconque, puisse servir efficacement aux autres. Le point sur lequel il nous paraît essentiel d'insister est celui-ci: moins une population est évoluée économiquement, et plus il est nécessaire d'étudier méthodiquement et dans son ensemble le problème de la modernisation de toute production à laquelle elle doit participer activement. Dans les régions forestières, des progrès solides ne peuvent être obtenus que par une forte concentration des moyens d'action sur les lieux de réalisation. D'autre part, l'examen de la question dans son ensemble pose des problèmes annexes auxquels il faut trouver des solutions adaptées aux conditions locales 1.

1 Ce point de vue est longuement exposé dans la publication des Nations Unies, Formulation and Economic Appraisal of Development Projects (voir renvoi à la page 121).

Dans le domaine du progrès rural, comme dans toutes les activités humaines qui exigent avant tout de la persévérance, il y aura toujours avantage à procéder avec méthode, à petite échelle, mais dans les conditions de réalisation. C'est pourquoi la création de secteurs-pilotes, qui permettent d'étudier les problèmes dans leur ensemble avec des moyens suffisants, doit-elle être considérée comme la première étape d'une évolution stable.


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