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L'ordinateur numérique en foresterie

J. N. R. JEFFERS
Forestry Commission (Royaume-Uni)

DEPUIS le dernier Congrès de l'Union internationale des instituts de recherches forestières1, le développement de l'emploi des ordinateurs électroniques constitue l'un des progrès remarquables accomplis dans la recherche et la gestion forestières. Il n'est donc pas exagéré de dire que ce progrès a complètement transformé les bases scientifiques de l'objet de tels congrès. Pour la première fois dans l'histoire de l'homme, il est maintenant possible de s'attaquer à quelques-uns des problèmes qui sont à la base de nos connaissances fondamentales en foresterie, et nombre de nos techniques existantes sont devenues périmées du fait des moyens mathématiques plus puissants que la calculatrice permet d'utiliser. Ces progrès intéressent toutes les sections de l'Union internationale des instituts de recherches forestières, mais il est particulièrement indiqué que la Section 25 prenne l'initiative d'encourager un emploi plus étendu de l'ordinateur électronique dans la recherche forestière. C'est en effet le travail de cette section qui a été le plus affecté par les nouvelles machines, et en est devenu tout à fait périmé.

1 Communication présentée au Congrès IUFRO, Vienne, septembre 1961.

Cet article se propose de donner une brève description des ordinateurs électroniques, de faire le point de leur application actuelle à la recherche forestière, et de donner quelques conseils pour qu'ils soient utilisés d'une manière plus effective avant le prochain congrès.

Les ordinateurs électroniques «numériques»

L'ordinateur électronique «numérique» est une machine pouvant emmagasiner des informations numériques et établir des développements mathématiques et logiques sur ces données, en obéissant à une suite d'instructions, elles aussi emmagasinées dans la machine. Le terme «numérique» indique que la manière dont la calculatrice emmagasine et transforme les informations est très voisine de celle que nous sommes habitués à utiliser pour manipuler les informations numériques qui se présentent comme un ensemble de chiffres de 0 à 9. Elle diffère en cela de certains autres types d'ordinateurs, qui peuvent emmagasiner et transformer les informations numériques sous la forme de grandeurs physiques, par exemple potentiels ou résistances électriques.

La suite des instructions grâce auxquelles on commande l'ordinateur est appelée programme, et ces instructions sont rédigées spécialement pour chaque problème que la machine est appelée à résoudre. En suivant de tels programmes, l'ordinateur est capable d'accomplir rapidement et efficacement n'importe quelle opération mathématique ou suite logique. Le travail d'établissement de ces programmes peut être fortement réduit si l'on a soin de rendre généraux les procédés utilisés pour la solution de problèmes particuliers, de sorte que les programmes qui en résultent peuvent servir à de nombreuses applications différentes.

La vitesse à laquelle l'ordinateur peut obéir à la série d'instructions dans le déroulement d'une opération déterminée et la sûreté des calculs, même à ces vitesses très élevées, constituent les avantages essentiels de l'emploi des ordinateurs électroniques par rapport aux autres genres de machines à calculer. Il y a cependant un avantage supplémentaire, c'est qu'une fois le programme préparé pour une opération déterminée, l'ordinateur obéit fidèlement, sans faute, à la série d'instructions, et peut réaliser n'importe quel nombre d'opération semblables sans vérification de spécialiste. De là sorte, un petit nombre de spécialistes peut entreprendre un vaste programme de recherches, sans crainte qu'il puisse exister d'erreurs d'interprétations des instructions dans la transformation des informations.

Même entre les deux derniers congrès de l'Union, il y eut de nouveaux progrès pour les ordinateurs eux-mêmes, et les machines actuelles sont plus sûres, moins chères, et demandent moins d'entretien, grâce en grande partie au remplacement des valves par des transistors dans leurs circuits électroniques. Il est en outre bien plus facile de programmer les machines modernes, c'est-à-dire que l'utilisateur communique avec la machine par un langage plus simple à comprendre et à écrire et il n'est aujourd'hui pas un lecteur de cet article qui ne soit capable de programmer un ordinateur moderne pour exécuter des calculs, à la condition qu'il les comprenne bien.

Il existe naturellement, un très grand nombre de types différents d'ordinateurs électroniques numériques, qui diffèrent surtout par le nombre d'informations qu'ils peuvent emmagasiner et par les moyens de transmettre des renseignements à la machine et d'en obtenir. Les différences dans la pratique des techniques de conduite des diverses suites de calculs, bien qu'elles intéressent l'ingénieur et le physicien électroniques, sont moins importantes pour le forestier. Les vitesses diffèrent aussi beaucoup d'une machine à l'autre, bien que, là aussi, la différence la plus importante soit celle existant entre la très faible vitesse de calcul des calculateurs électriques de bureau et les vitesses d'un ordre très différent réalisables avec l'ordinateur électronique, et d'ailleurs, pour la plupart des applications forestières, les différences entre les vitesses obtenues par les machines modernes ne peuvent avoir une grande´ significations. Les différences dans nombre d'informations susceptibles d'être emmagasinées sont peut-être un peu plus importantes, bien qu'il n'y ait que peu de machines existantes qui soient de trop faible capacité pour la recherche forestière, et beaucoup d'ordinateurs ont une capacité supérieure à celle requise pour la plupart des applications forestières.

Les différences entre les moyens de transmettre des informations à l'ordinateur et d'en obtenir sont de très loin plus importantes en pratique pour l'utilisateur. Dans la construction de nombreux ordinateurs, on s'est proposé de tirer parti des progrès réalisés antérieurement dans les machines classiques à cartes perforées, et par suite de tirer parti de l'équipement existant pour la perforation, le triage et le classement des cartes perforées pour transmettre des informations à lire par l'ordinateur et pour lire les résultats provenant de l'ordinateur. La carte perforée devient donc le mode d'introduction et de sortie des données de ce type d'ordinateurs. D'autres machines sont basées sur des techniques d'entrée et de sortie dépendant de rubans de papier perforé, du genre ruban de téléscripteur à cinq, sept ou huit trous, et ces machines ont l'avantage que l'installation de perforation et de déchiffrage des rubans est beaucoup moins chère que celle des cartes perforées. On a constaté que les cartes perforées, tout comme le ruban de papier perforé, bien qu'étant d'un emploi très rapide pour des installations classiques, limitent la vitesse de l'ordinateur, et la plupart des ordinateurs modernes offrent une solution nouvelle et beaucoup plus rapide, sous la forme de ruban magnétique ou de film magnétique.

Emploi des calculatrices par les instituts de recherches forestières

En mars 1960, le Président de l'Union internationale des instituts de recherches forestières effectua une enquête par correspondance sur l'utilisation actuelle par les organisations de recherches forestières des ordinateurs électroniques «numériques». Les résultats de cette enquête montrèrent que l'emploi de ces ordinateurs devenait très répandu en Australie, au Canada, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suède et en Suisse, et qu'il était moins développé au Japon, en Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas. Tous ces pays étaient donc en train d'acquérir une bonne expérience de l'utilisation des ordinateurs. Fait plutôt surprenant, nombre d'organisations déclarèrent catégoriquement n'être pas intéressées par l'application des ordinateurs électroniques aux problèmes de la recherche forestière, et quelques-unes confondirent manifestement les méthodes de calcul basées sur les cartes perforées et les machines électriques de bureau et celles basées sur les ordinateurs électroniques. Si l'on s'attendait que les organisations de recherches forestières des pays où ces machines électroniques étaient largement répandues seraient les plus averties de leurs possibilités et auraient le plus facilement accès aux ordinateurs, on ne s'attendait pas que tant d'organisations ignorent les avantages à retirer de l'emploi de ces machines.

Il faudrait peut-être insister sur un point: l'ordinateur est d'une importance capitale dans les pays qui ont peu de personnels scientifiques expérimentés, car il soulage ces spécialistes des tâches fastidieuses des calculs et des opérations courantes de l'information, et leur permet de consacrer leurs énergies à des sujets plus dignes d'intérêt.

Applications des ordinateurs électroniques à la foresterie

Dans les pays qui font un large usage des ordinateurs électroniques en recherche forestière les premières applications de ces machines ont concerné tout naturellement l'accélération des calculs déjà entrepris par d'autres moyens. Dans cette catégorie de calculs figurent par exemple ceux nécessités par des dénombrements forestiers de grande ampleur, par l'établissement des tables de production et des tarifs de cubage, par l'analyse mathématique des programmes d'expérimentation et d'enquêter.

Dans toutes ces applications, on ne tire qu'un avantage réduit des propriétés fondamentales des ordinateurs, sauf pour la rapidité des calculs, et la manière de calculer ne diffère que peu de celle utilisée avec des moyens plus classiques. Ensùite, on s'aperçut cependant que l'utilisation la plus importante des ordinateurs résidait dans leur extension aux genres d'opérations jamais entreprises auparavant, non seulement parce qu'elles auraient demandé trop de temps, mais aussi parce qu'elles étaient trop complexes pour être réalisées avec les machines à calculer classiques. Citons comme exemples de ces opérations l'analyse avec plusieurs variables de problèmes complexes, tels que l'influence de la station sur le choix des essences et leur croissance, l'influence respective des diverses propriétés physiques du bois sur son classement qualitatif, la taxonomie des végétaux et animaux importants en foresterie, et les relations entre les conditions climatiques et la production. Une autre application du même genre est l'établissement de modèles mathématiques assimilables à des problèmes pratiques comme ceux des diverses techniques connues sous le nom de recherche opérationnelle, par exemple les méthodes de Monte-Carlo, la programmation linéaire, la théorie des queues (ou théorie des files d'attente) et la théorie des jeux de hasard.

La phase actuellement la plus poussée de l'emploi de l'ordinateur électronique dans la recherche forestière se situe dans l'exploitation plus importante des procédés et principes de base de cette machine, dans la possibilité de trier, emmagasiner et manipuler de façon rapide et nouvelle les informations, au lieu de simplement substituer ces procédés aux méthodes habituelles et peu rapides dans les théories échafaudées antérieurement. Ces progrès conduiront sans aucun doute à des méthodes entièrement nouvelles de recherche forestière, exploitant à plein les techniques des ordinateurs et basées sur des systèmes complètement automatiques de transformation des données.

Bibliothèque internationale de programmes

Au fur et à mesure que les instituts de recherche forestière se mettront à utiliser les ordinateurs électroniques, la liste des programmes destinés à des opérations intéressant les forestiers s'accroîtra rapidement. Pour éviter de perdre du temps à recommencer un travail déjà réalisé, et pour donner le champ d'application le plus vaste possible au travail de toute organisation particulière, il sera désirable d'organiser des échanges portant sur les programmes de base rédigés. Mais cela présente nombre de difficultés: d'abord, des machines différentes utilisent dans leurs programmes des codes ou langages de types différents, et ensuite il n'existe souvent aucun langage commun même entre les machines fabriquées par le même producteur. Sur le plan international, le problème est fortement aggravé par le fait que les rédacteurs des programmes ne s'expriment pas dans la même langue.

Aux Etats-Unis, on a réussi à utiliser avec une certaine gamme d'ordinateurs un langage commun, auquel peuvent obéir de nombreuses machines, connu sous le nom de «Fortran»; ce langage commun à différentes machines peut aider à résoudre les plus difficiles des problèmes posés par la communication des programmes entre pays américains' En Europe, on essaie de lancer un autre langage commun entre machines, celui d'«Algol». Il est trop tôt pour dire si ce langage aura ou non autant de succès que «Fortran» en a eu aux Etats-Unis, mais il pourra parfaitement rendre les programmes interchangeables dans une gamme étendue de machines futures, sinon de machines existant déjà.

A la lumière de ces difficultés, ce qu'il y a peut-être de mieux à faire pour éviter la répétition du même travail est de constituer un registre des programmes existants, et de le tenir à jour en y ajoutant les nouveaux programmes. Le registre devrait mentionner l'existence de chaque programme et préciser son but et la forme requise pour la présentation des données. Il faudrait aussi mentionner l'ordinateur ou la gamme d'ordinateurs qui peuvent utiliser le programme immédiatement, c'est-à-dire sans modification. Pour permettre au programme d'être utilisé sur d'autres machines, il faudrait donner un «schéma de déroulement»détaillé, indiquant les étapes de la suite d'opérations, ainsi que l'ordre de présentation de chaque étape, de sorte que ceux qui établissent les programmes pour d'autres machines puissent reproduire les opérations le plus rapidement possible sur leur propre ordinateur.

Outre la bibliothèque des programmes existants, il serait également souhaitable de maintenir un répertoire des organismes et individus employant couramment les ordinateurs, et particulièrement de ceux qui n'utilisent pas à plein temps leur matériel, et qui pourraient s'organiser pour effectuer à titre onéreux des calculs pour d'autres organismes. Bien qu'il soit probablement toujours possible de faire effectuer ces opérations par des organisations non forestières ou par des firmes commerciales de calculs, l'expérience a montré qu'il y a de nombreux avantages à faire réaliser les opérations forestières par des organisations intéressées par les questions forestières.

En l'absence d'un secrétariat permanent de l'Union internationale des instituts de recherches forestières, la bibliothèque des programmes existants intéressant le domaine forestier et l'indication des périodes disponibles sur les ordinateurs devraient être tenues par le Groupe consultatif des statisticiens forestiers, ou par leurs représentants cooptés. Chaque membre de ce groupe devrait assumer la responsabilité de répertorier les possibilités de sa propre région, et c'est donc à cette personne qu'il faudrait s'adresser en premier. La répartition des membres du groupe est évidemment tout à fait propice à ce projet.

Progrès futurs

Entre le présent et le prochain Congrès, il y aura beaucoup de progrès dans le domaine des ordinateurs électroniques, et dans leur application aux problèmes de la recherche et de la gestion forestières. L'utilisation par les instituts de recherches forestières des facilités dont disposent d'autres organisations est essentiellement une phase temporaire, et, dans très peu d'années, de nombreuses organisations de recherchés forestières auront leurs propres calculatrices électroniques, et auront mis au point des méthodes perfectionnées de recherche, basées sur des manipulations des données et des techniques de calculs modernes. Personne ne peut remplacer les forestiers eux-mêmes, s'ils s'intéressent à ces procédés et s'ils apprennent à programmer les machines pour que se réalise le meilleur emploi possible des possibilités passionnantes et presque illimitées que ces machines ont révélées. La programmation réelle est la seule manière efficace de se familiariser avec les machines et leurs possibilités, et il importe que le plus grand nombre possible de forestiers se rendent compte de ce que sont ces possibilités. L'auteur de cet article croit que le forestier n'a jamais eu auparavant entre les mains un outil si puissant pour lui permettre de remplir pleinement sa tâche dans la grande œuvre d. conservation et d'utilisation rationnelle des forêts du monde. Il serait beaucoup plus regrettable d'ignorer cet instrument que de le mal utiliser.

Recommandations

Il est recommandé:

1. Que le Congrès prenne note du développement important des ordinateurs électroniques et de leur application aux problèmes de la recherche forestière.

2. Que les organisations membres de l'Union soient encouragées à rechercher les possibilités d'applications mécanographiques dans leur champ d'activités.

3. Qu'un registre des programmes d'ordinateurs existante, intéressant le domaine forestier, et une liste des organisations et particuliers se servant régulièrerement d'une telle machine électronique soient tenus à jour par le Groupe consultatif des statisticiens forestiers et que ce dernier soit chargé d'organiser au mieux cet inventaire.

4. Qu'une séance, consacrée à la discussion des expériences acquises en mécanographie, appliquée à la recherche et aux aménagements forestiers, soit tenue au prochain congrès de l'IUFRO, sous les auspices de la Section 25 et ouverte aux membres de toutes les sections.


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