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4. Evaluation des flux et organisation des marchés existants

4.1 Evaluation des flux

Il s'agit d'évaluer les quantités de PFNL de l'Afrique subsaharienne importées par chaque pays ainsi que le chiffre d'affaires généré par la vente de ces produits. Pour chaque pays, nous avons travaillé avec des importateurs dont les noms nous ont été communiqués par les détaillants ayant accepté de coopérer. Le Tableau 11 montre le nombre total des importateurs pris en compte dans chaque ville et le nombre d'importateurs contactés.

Tableau 11 : Nombre d'importateurs considérés dans les évaluations

 

Belgique

Espagne

France

Royaume Uni

Portugal

Nombre des importateurs contactés

1

2

8

4

3

Nombre total des importateurs pris en compte dans les évaluations

2

3

12

10

3

Dans nos calculs, nous n'avons pas pu déterminer les quantités exportées par chaque pays, car les importateurs vendent les PFNL venant de plusieurs régions d'Afrique. C'est le cas des importateurs belges. Ils importent le saka saka ya makassa ou saka saka "en feuille" soit du Togo en Afrique de l'Ouest, soit du Congo-Kinshasa en Afrique Centrale. Dans le cas de bitéku téku, ils n'hésitent pas à aller s'approvisionner en Ouganda, trouvant ainsi une source supplémentaire aux importations de bitéku téku produit au Congo-Kinshasa et au Togo. De plus, étant donné l'importance des PFNL principaux dans les échanges commerciaux, nous les avons considérés comme un échantillon représentatif des volumes des PFNL importés par chaque pays. En effet, il existerait des importateurs dans les villes de province (Barcelone et Valence en Espagne, Manchester au Royaume Uni, Lille en France). Cependant, tous les importateurs rencontrés affirment que leurs collègues des villes de province importent des faibles quantités en raison de la taille du marché. Ces villes abriteraient plus d'étudiants dont le pouvoir d'achat est inférieur à celui de leurs compatriotes, souvent salariés à Londres et Paris par exemple.

En ce qui concerne le calcul du chiffre d'affaires généré par les échanges, nous avons multiplié les quantités importées de chaque produit par son prix de détail moyen. La somme de tous les produits nous a permis d'évaluer le chiffre d'affaires total du marché concerné. Les résultats obtenus ont été exprimés en Franc Français, sauf les résultats de Londres, avant d'être convertis en dollar US. Nous avons utilisé les cours suivants : 1 FF = 6 $US ; 1 FF = 26 PES (monnaie espagnole) ; 1 FF = 30 ESC (monaie portugaise) ; £1=0 ,6$US.

4.1.1 Evaluation des échanges

Comme le montre le Tableau 12, les cinq pays visités importent ensemble 31 776 tonnes de PFNL qui génèrent un chiffre d'affaires évalué à 96 424 251 $US. Avec 22 920 tonnes (soit 72 % des importations totales) et un chiffre d'affaires de 75 446 800 $US, le Royaume Uni est le premier importateur et le premier marché des PFNL de l'Afrique subsaharienne . Il est suivi par la France qui importe 8 565 tonnes. En revanche l'Espagne est le dernier et le plus petit importateur des PFNL parmi les 5 pays visités.

Tableau 12 : Estimation des PFNL importés par chaque pays

Pays

Royaume Uni

France

Belgique

Portugal

Espagne

Total

Volume

(tonne)

22 920

8 565

166

114

11

31 776

Valeur

($US)

75 446 800

19 221 667

772 148

835 667

147 969

96 424 251

Si les importations de l'Espagne tiennent au fait qu'elle abrite la plus faible communauté des Africains parmi les pays visités, en revanche les importations des autres pays ne dépendent pas du nombre des Africains qu'ils accueillent. En effet, on remarque que l'Angleterre, où habitent 171 000 Africains, importent plus de PFNL que la France où vivent 209 952 Africains. De même, la Belgique, qui abrite moins d'Africains que le Portugal, importe plus de PFNL que ce dernier. Dans le cas du Royaume Uni, les résultats obtenus s'expliquent par le fait que ce pays abritent des personnes qui consomment l'igname. Ce dernier est le produit le plus importé ; il représente à lui seul 66 % des importations totale et 92 % des PFNL importés au Royaume Uni, comme le montre les Tableaux 13, 14, 15, 16, 17. Quant aux importations de la Belgique qui devancent celles du Portugal, cela s'expliquent par le fait que la Belgique abrite plus des Congolais du Congo-Kinshasa qui seraient, selon les importateurs, des personnes qui consommeraient plus des PFNL.

Tableau 13 : Provenance et estimation des PFNL importés par la France.

Noms commerciaux

Provenance

Volume (tonne)

Valeur ($US)

Kwanga

CMR, CK

2 000

8 333 333

Safou

CMR, CK

200

1 500 000

Escargot frais

CI

220

1 200 000

Igname

GH, B, CMR

5 000

1 000 000

Bissap ou ngai ngai

CK, T

200

866 667

Bitéku téku

CK, T

200

866 667

Attiéké

CI

200

833 333

Fumbua frais

CMR, CK

60

833 333

Fumbua sec

CMR, CK

50

800 000

Mbizo

CK

5

665 000

Saka saka surgelé

CK, CMR

120

600 000

Mangue sauvage

CMR, B, CI

52

433 333

Saka saka en feuilles

CK, CMR, T

90

337 500

Noix de kola

CI

50

291 667

Placali

CI

40

166 667

Mangue

CMR

40

146 667

Ndolè

CMR

6

110 833

Njansan ou Akpi

CMR, CI

10

83 333

Petit kola

CI, CMR

12

70 000

Pèbè

CMR

5

41 667

Caroub

CMR

5

41 667

Total

 

8 565

19 221 667

Tableau 14 : Provenance et estimation des PFNL importés par la Belgique

Produits

Provenance

Quantité (tonnes)

Valeur ($US)

Kwanga

CK

52

144 840

bitéku téku

CK, O, T

28

140 000

Ngai ngai

CK, T, O

28

140 000

Pondu ou saka saka surgelé

CK, T, CMR

38

134 000

Safou

CMR, CK

6

56 280

Mbizo

CK

3

41 500

Moambe surgelée

CK

3

41 00

Fumbua frais

CK, CMR

3

40 104

fumbua sec

CK, CMR

3

29 333

saka saka ya makasa

T, CK

2

4 691

Total

 

166

772 148

Tableau 15 : Provenance et estimation des PFNL importés par le Portugal

Produits

Provenance

Quantité (tonnes)

Valeur ($US)

Lalo

GB, S

15

245 166

Njakatou

GB

20

133 333

Pondu

F

3

116 666

Veludo

GB

9

94 350

Cabacera

GB, S

12

82 333

Fodja de patata doce

GB

10

46 278

Folio do mandioca

GB, G

15

46 278

Kwanga

F

4

31 111

Fumbua sec

F

3

23 150

Baguitche

GB

21

15 344

Kola

F

2

1 666

Total

 

114

835 675

Tableau 16 : Provenance et estimation des PFNL importés par le Royaume Uni

Noms commerciaux

Provenance

Quantité (tonnes)

Valeur $US

Yam frais

GH

6000

27 540 000

Punder d'yam

NGR

15 000

24 000 000

Okasi ou fumbua

CMR, CK, NGR

300

10 728 000

Ogbono

GH, NGR, CMR

200

7 152 000

Kwanga

CMR, CK, F

600

1 350 000

Ugu

NGR, GH

20

1 200 000

Bitter leaf

NGR, GH, CMR

400

768 000

Potato leaves ou matembele

GH, NGR,CK

50

750 000

Kola

NGR, GH, F

40

540 000

Pepper soup

NGR

30

540 000

Bitter kola

CMR, NGR, GH

20

336 000

Cassava leaves ou pondu

SL, CMR, F, CK

100

300 000

African pear ou safou

CMR, F, CK

120

172 800

Prekesse

NGR, GH, CMR

20

60 000

Uziza

NGR, GH

20

10 000

Total

 

22 920

75 446 800

Tableau 17 : Provenance et estimation des PFNL importés par l'Espagne

Produits

Provenance

Quantité (tonnes)

Valeur ($US)

Ogbono

NGR, L

2

37 294

Punder d'yam

NGR

5

35 256

Okasi

NGR, L

1

32 051

Ogbono punder

NGR, L

1

19 231

Bitter leaf

L, NGR

1

12 821

Ugu

NGR, L

1

10 686

Total

 

11

147 969

A partir des Tableaux 13, 14, 15, 16 et 17, on remarque que deux types d'aliments sont majoritairement importés : les féculents et des légumes. Ces deux aliments réunis représentent 96 % des importations totales des PFNL de l'Afrique subsaharienne dans les pays visités, ce qui prouve qu'ils jouent un rôle important dans la consommation des ménages des Africains.

Les féculents sont représentés par l'igname frais et transformés (Dioscorea spp.), l'attiéké, le placali et le kwanga. Ils représentent 90 % de l'ensemble des PFNL importés, ce qui prouve que ces produits constituent la base de l'alimentation des Africains qui consomment les PFNL. Ces résultats sont en accord avec ceux trouvés en Afrique par plusieurs auteurs (Souka, 1991 ; Muchnick, 1991 ; Trèche, 1995 ; Andriamirado, 1997). Ceux-ci ont montré que les produits à base du manioc cités, associés au plantain, constituent la base de l'alimentation en Afrique tropicale forestière. L'absence de la banane plantain dans les échanges entre l'Europe et l'Afrique subsaharienne est due au fait que les importations africaines sont concurrencées par le plantain importé de l'Amérique Latine dont le prix de détail est deux fois moins cher (Tabuna, 1999). Toutefois, il faut signaler la vente du plantain en provenance de l'Afrique. Seulement, il est acheté par les personnes privilégiant l'origine au prix.

Quant aux légumes, ils représentent 6 % de l'ensemble des PFNL importés et sont constitués des légume-feuilles et des légume-fruit. Parmi ceux-ci, il y a le saka saka bitéku téku ou épinard, le ngai ngai ou bissap ou baguitche, l'okasi ou fumbua, le bitter leaf ou ndolè, le potato leaves ou matembele bangui et le safou. Ici aussi, on peut parler de l'importance des légume-feuilles dans l'alimentation des Africains. Celle-ci a été montrée en Afrique par les travaux des chercheurs (Toreilles, 1993 ; Leplaideur et Moustier, 1993 ; Ofouémé Berton, 1993, Moustier, 1995). En Afrique Centrale, les plats considérés nationaux sont à base des légume-feuilles. C'est le cas du saka saka au Congo-Brazzaville et le ndolè au Cameroun.

En raison des difficultés rencontrées par les importateurs pour déterminer les exportations des différents pays, nous avons choisi de grouper les exportations par région : Afrique de l'Ouest, Afrique Centrale, Afrique Australe, Afrique de l'Est et les pays de l'Océan Indien. Le Tableau 18 montre les quantités des PFNL exportés par chaque zone géographique.

Tableau 18 : Estimation des PFNL exportés par chaque région d'Afrique

Les pays importateurs

Afrique de l'Ouest

Afrique Centrale

Afrique de l'Est

Afrique Australe

Les pays de l'Océan Indien

Belgique

6

158

2

-

-

Espagne

11

-

-

-

-

France

5 962

2 603

-

-

-

Royaume Uni

22 216

704

-

-

-

Portugal

104

10

-

-

-

Total

28 299

3 475

2

-

-

A partir du Tableau 18, on remarque que l'Afrique de l'Ouest est le premier exportateur des PFNL de l'Afrique subsaharienne vers l'Europe. Il est suivi de loin par l'Afrique Centrale. Quant à l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique Australe et les pays de l'Océan Indien, ils ne participent pas ou peu à ces échanges. Ces résultats s'expliquent par le fait que les Africains, originaire de l'Afrique de l'Ouest, sont les plus nombreux en Europe (cf. Tableau 1). De plus, on constate que plus une région a d'immigrés en Europe, plus elle exporte les PFNL. Ainsi, s'expliquerait l'absence des autres régions (Afrique de l'Est, Afrique Australe et les pays de l'Océan Indien) dans les échanges de ces ressources.

4-2 Organisation des marchés actuels

Il existe actuellement deux débouchés aux PFNL de l'Afrique subsahariennne en Europe. L'organisation et le fonctionnement de ces deux marchés ont été décrits dans nos travaux précédents (Tabuna, 1999 ; 2000). Il s'agit du commerce ethnique et du marché des produits biologiques. Le deuxième marché n'existe qu'en France et concerne surtout les fruits connus (ex : mangue) issus des vergers villageois de l'Ouest du Cameroun. L'importateur principal de ces PFNL certifiés biologiques est Camerounais et réside à Lyon, en France. Outre les PFNL connus, il importe d'autres produits moins connus par les Européens : c'est le cas du safou (Dacryodes edulis), du fumbua ou okasi (Gnetum spp.) et du ndolè ou bitter leaf (Vernonia spp.). Une partie de ces produits est écoulée dans les circuits de distribution de produits biologiques, ils sont présentés aux clients comme de nouveaux produits tropicaux biologiques ; une autre partie, la plus importante, est destinée aux épiceries distribuant les aliments africains où ils sont vendus aux Africains via son épicerie. Ainsi, bien que spécialisé dans les PFNL biologiques, cet importateur est également impliqué dans le commerce ethnique.

4.2.1 Le commerce ethnique : historique et définition

Né aux Etats Unis dans les années 70 (Light, 1972), le terme commerce ethnique est une traduction de plusieurs termes anglosaxons comme ethnic trade, ethnic business et ethnic enterprise. Pour les sociologues américains, le commerce ethnique englobe toutes les activités à but commercial exercées par les personnes issues des communautés minoritaires aussi bien nationales (Noirs américains et Amérindiens) que de l'immigration (Italiens, Africains, Libanais, Asiatiques, etc.). Cette définition est reprise en Angleterre et au Pays Bas tandis que pour les chercheurs de certains pays comme la France, le terme commerce ethnique désigne le commerce pratiqué par des personnes n'ayant pas la culture européenne. C'est le cas des Français des Départements et Territoires d'Outre Mer (Martiniquais et les Réunionnais) et des populations issues de l'immigration (ex : Asiatiques, Africains, Maghrébins).

Acte culturel, plusieurs éléments différencient le commerce ethnique du commerce pratiqué par les autochtones. Citons entre autres : l'identité des produits, le mode de financement, l'utilisation des réseaux ethniques pour le recrutement et les clients ciblés. Bien que largement étudié par les chercheurs français et européens, sa définition fait encore l'objet de nombreuses discussions (Ma Mung, 1992). Pour notre part, nous le définissons comme la distribution commerciale de produits "porteurs d'identité", dans les réseaux spécialisés (épiceries, magasins et restaurant), tenus par des personnes appartenant ou pas à des groupes ethniques minoritaires, utilisant un personnel issu ou pas du même milieu, à une clientèle issue principalement des groupes ethniques minoritaires européens (ex: réunionnais) et issus de l'immigration extra-européenne.

4.2.2 Le commerce des produits africains : historique et organisation

Le commerce des produits africains en Europe est une composante du commerce pratiqué en Europe. Il est un élément du commerce ethnique au même titre que le commerce pratiqué par les Indo-Pakistanias et les Jamaïcains au Royaume Uni les Haïtiens et les Maghrébins en France, les Indonésiens et les Surinamiens aux Pays Bas, les Asiatiques (Chinois, Laotiens, Thaïlandais) en Belgique et les Turcs en Allemagne.

Le commerce africain est constitué du commerce ambulant et du commerce fixe. Le premier est pratiqué généralement, en France par exemple, par des Sénégalais appartenant à la confrerie des Mourides (Salem, 1981). Le second, le plus important, est constitué du commerce alimentaire et du commerce non alimentaire. Si le commerce alimentaire a été abondamment étudié (Woldesselassié, 1989 ; Toubon et Messamah, 1990 ; Bouly de Lesdain, 1996), en revanche le commerce non alimentaire l'a été moins. Celui-ci est constitué des boutiques distribuant des produits décoratifs faits du bois ou d'autres matériaux et des produits à base des tissus africains (chemises, sacs à dos, porte monnaie, etc.). Quant au commerce alimentaire, il est constitué des épiceries et de la restauration hors foyer (restaurant, cantine des foyers).

En France, le commerce africain a été étudié pour la première fois par Salem (1981). Dix ans plustard, d'autres travaux ont abordé cette activité des Africains (Vuddamalay, 1986 ; Toubon et Messamah, 1990). C'est au cours de la décennie 80, notamment à partir de 1982 qu'il s'est développé. Ce développement s'est fait autour des épiceries distribuant les produits non alimentaires et les produits alimentaires dont les PFNL (nous reviendrons dans le paragraphe suivant sur l'évolution de ces épiceries). Eparpillées à l'origine, c'est-à-dire avant les années 80, dans plusieurs quartiers de Paris, les épiceries se sont concentrées dans des zones bien spécifiques dites zones d'activités tropicales (Tabuna, 1999a).

Présente dans tous les pays visités, une zone d'activité tropicale (ZAT) est un espace de commerce, d'échange et de rencontre où règne une ambiance tropicale, rappelant celle des grands marchés africains. Nées géralement d'une façon spontanée c'est à dire sans l'initiative de l'Etat, les ZAT se sont développées en général soit autour d'une épicerie, soit autour d'un restaurant, soit autour d'un foyer ou d'une maison d'hebergement des immigrés. On y trouve une concentration de plusieurs commerces distribuant des biens et des services destinés aux ressortissants des zones tropicales et subtropicales. Elles sont spécialisées par origine géographique des populations issues de l'immigration.

A Paris, par exemple, on trouve : les ZAT spécialisées dans les produits asiatiques (le quartier chinois du 13ème arrondissement et le marché de BelleVille dans le 20 ème arrondissement) où l'on vend également certains PFNL africains (ex : saka saka ou cassava leaves surgelé et safou). Il y aussi les ZAT spécialisées dans les produits afro-antillais (ex : le marché de Château Rouge et le marché de la Place Stalingrad). A Bruxelles, il y a la ZAT de la gare du Nord où l'on trouve des commerces destinés aux Maghrébins et le marché de Matongué à la Porte De Namur, spécialisé dans le commerce des produits africains. A Lisbonne, la ZAT est située au centre ville à la place Rossio, lieu de rencontre des Africains, de vendeurs ambulants africains et des ressortissants de Macao, ancienne colonie portugaise d'Asie. A proximité de Rossio, on trouve le centre commercial Martin Moniz où l'on trouve des commerçants Indo-Pakistanais et le centre commercial Mouraria où sont concentrés aussi bien des commerçants indo-Pakistanais que des commerçants africains (épiceries et cafés-restaurants). A Londres, il y a 5 ZAT où cohabitent commerçants africains et indo-Pakistanais : Brixton market, Peckam market, Ridley Road Market à Dalston, Detford market, West Green Road Market à Tottenham, banlieue de Londres.

Aussi bien dans les ZAT de Londres que celles des autres villes, on distingue deux types d'épiceries vendant les PFNL de l'Afrique subsaharienne : les épiceries tenues par les Africains et celles tenues par d'autres personnes issues de l'immigration. Les premières sont spécialisées dans la vente des PFNL africains tandis que les seconds vendent aussi bien les PFNL africains que ceux destinés à leur compatriotes, aux Européens et aux autres communautés issues des zones tropicales. C'est le cas des épiceries tenues par les Indo-Pakistanais des ZAT de Londres. Comme PFNL africains, ils vendent principalement les produits suivants : les ignames ou yam frais en provenance du Ghana, la farine d'igname importée du Nigeria et conditionnée à Londres et deux autres PFNL (ex : fumbua ou okasi et ogbono ou mangue sauvage) tous importés du Nigeria et conditionnés à Londres dans des emballges portant des informations commerciales.

Comme nous l'avons dit chaque ZAT abrite les épiceries et d'autres entreprises de bien et de services destinés aux ressortissants des régions tropicales et subtropicales. Dans le cas de Château Rouge, situé dans le 18ème arrondissement de Paris sur la Ligne de Métro n°4, nous avons identifié 118 commerces (enquêtes de Mars 2000). Le Tableau 19 montre les différents commerces présents à Château Rouge à Paris.

Tableau 19 : Les différents commerces destinés aux Afro-antillais à Château Rouge

Type de commerce

Nombre identifié

Agence de voyage

3

Boutique de pagnes africains

12

Boutiques des produits cosmétiques

8

Boutiques de vente de disques, CD et vidéo de musique africaine

5

Epiceries

51

Boutiques des produits artisanaux

(statues, masques, instruments de musique traditionnelle,..)

5

Importateurs des PFNL

9

Photographe

1

Restaurants

15

Salons de coiffure

6

Tailleurs

4

Les épiceries (photo 17, 18, 19, 20 21, 22) spécialisées dans la distribution des PFNL africains sont de deux types (Tabuna, 1999) : celles qui sont implantées dans les zones d'activité tropicales et celles qui sont situées en dehors des ZAT.

Les premières sont les épiceries des zones d'activité tropicales (EZAT). A Château Rouge à Paris, par exemple, elles constituent la moitié des commerces destinés aux Afro-caraïbéens (cf. Tableau 19). Leur importance tient au fait que le premier commerce destiné aux Africains à Château Rouge fût une épicerie (Toubon et Messamah, 1990 ; Tabuna, 1999). Elles sont tenues aussi bien par des Africains que par d'autres personnes issues de l'immigration. Pour les importateurs rencontrés, les EZAT constituent leur première clientèle. Associé aux restaurants, elles constituent l'assise des activités commerciales des différentes ZAT visitées : Matongué à Bruxelles, Brixton et Peckam à Londres, centre commercial Mouraria à Lisbonne et Château Rouge à Paris.

Quant aux deuxièmes, ce sont les épiceries tropicales de proximité (ETP). Situées dans les quartiers à forte concentration immigrée, elles jouent, comme l'indique leur dénomination, le rôle de commerce de proximité. Elles sont tenues par les Africains et d'autres personnes issues de l'immigration, notamment les Asiatiques dans la région parisienne et les Indo-Pakistanais dans l'agglomération londonienne. Bien que manquant souvent des produits frais, notamment les légume-feuilles, ils répondent au besoin des personnes ne pouvant pas se rendre dans les ZAT, soit pour des raisons professionnelles, soit parce qu'ils n'ont pas d'achats importants à faire. A l'image des établissements d'alimentation générale de proximité, les ETP seraient en pleine croissance dans les grandes villes européennes. Dans l'agglomération parisienne, ce type d'établissement est illustré par les épiceries d'alimentation générale tenues par les Maghrébins. Celles-ci doivent leur succès par le fait qu'ils restent ouvert tard la nuit. De cette façon, ils répondent au besoin d'une clientèle du quartier qui n'a pas eu le temps de faire ses achats dans la journée. Ce succès commercial est tel que certains groupe de la Grande Distribution française commencent soit à implanter des magasins de proximité, soit à proposer des contrats de vente exclusif de leurs produits aux épiciers maghrébins.

Photo 17

Photo 18

Photo 19

Photo 20

Photo 21

Photo 22

A l'exception de Madrid, les ETP sont présentes dans toutes les villes visitées. A Londres, elles sont implantées dans plusieurs quartiers de la ville et dans les villes de banlieue (à Forest Gate et à Itford par exemple). De même à Paris, elles sont dans Paris et dans les villes de la banlieue où sont concentrées les Africains. C'est le cas des villes du Département de la Seine Saint Denis (Saint Denis, Montreuil, La Plaine Saint Denis, Pierrefitte,..), du Département du Val d'Oise (ex : Sarcelles) et du Département de Val de Marne ( ex : Créteil). A Lisbonne, elles sont implantées dans les quartiers à forte concentration d'Africains (Cap-verdiens, Angolais, Bissau Guinéens), situés au Nord et à l'Ouest de Lisbonne. Citons le cas d'une épicerie des communes de Sacavem, de Buraca et de Damaïa où l'on trouve également des vendeurs ambulants des PFNL africains installés à la Place Damaïa .

Hormis l'Espagne, tous les pays concernés importent directement les PFNL depuis l'Afrique. Acheminés par avion sauf dans le cas des ignames (frais et transformés), les PFNL sont débarqués dans les aéroports de Bruxelles, Londres, Paris et Lisbonne. A partir de ces villes, ils sont acheminés vers les villes de province et vers celles des pays voisins. Ainsi, les importateurs londoniens fournissent leurs clients des ZAT de Londres (Brixton Market, Tottenham Market, Peckham Market, Deptford et Ridley Road Market à Dalston), ceux des villes de province (Birmingham, Manchester et Newcastle) et ceux de Madrid. Quant aux importateurs de Paris, ils fournissent les détaillants de la région parisienne (Paris et plusieurs villes de banlieue), ceux des villes de province (Bordeaux, Creil, Dijon, Lille, Marseille, Orléans, Rennes, Rouen,....) et ceux installés dans les pays voisins (Suisse, Espagne, Belgique, Italie, et Royaume-Uni). Cette stratégie d'importation et de réexportation des produits tropicaux est déjà utilisée par les acteurs de la filière des huiles essentielles (Verlet, 1997). En effet, des quantités d'huiles essentielles importées de Madagascar et des Comores sont importées en France qui, après fractionnement, les réexportent au sein de l'Union Européenne, aux USA et au Japon. Il en est de même des importateurs Hollandais de la banane plantain latino-américaine. Ces derniers importent le plantain de l'Amérique du Sud avant de le réexporter vers la France et la Belgique (Tabuna, 1999b). En ce qui concerne les clients des importateurs où qu'ils soient, ils sont soit des Africains, soit des Asiatiques, soit des Indo-Pakistanais, soit certains Européens. Ainsi à Londres, Paris, Bruxelles et Lisbonne, les épiceries distribuant les PFNL de l'Afrique subsaharienne sont tenues en majorité par les Africains et par les immigrés.

Bien que n'important pas directement les PFNL depuis les villes africaines, comme nous venons de le signaler, les détaillants de Madrid s'approvisionnent régulièrement à Londres et à Paris. Si Londres est la source d'approvisionnement des détaillants équato-guinéens et nigérains, en revanche Paris l'est pour les détaillants camerounais. Selon une détaillante Equato-Guinéenne installée à Madrid, l'absence des importations directes est due à la sévérité de la réglementation espagnole. En effet, après son installation à Madrid en 1984, cette personne importait les PFNL de la Guinée Equatoriale. Mais les difficultés rencontrées régulièrement aux services des douanes madrilènes l'ont contraint à abandonner cette activité. Parmi les difficultés rencontrées aux douanes, il y a la durée des délais de dédouanement des colis. Cette durée serait imputée, selon elle, au temps de vérification de l'identité des produits importés, car les douaniers ont peu d'information sur les PFNL africains. Bien que fondée, ces vérifications prolongées affectent la fraîcheur des produits, notamment les légumes et l'approvisionnement régulier de l'épicerie. En conséquence, elle était souvent en rupture de stock, ce qui constitue une gêne considérable pour les clients.

Contrairement aux détaillants de Madrid, ceux de Lisbonne vendent des PFNL importés d'Europe et directement d'Afrique. De Paris, ils importent des produits comme le saka saka ou cassava leaves, le fumbua ou okasi, l'attiéké , le kwanga et les noix de kola. Le reste des produits est importé soit du Sénégal via la Guinée Bissau, soit directement de la Guinée Bissau. Ces importations à partir de la Guinée Bissau sont le fait d'un importateur originaire de la Guinée Conakry et un autre originaire de la Guinée Bissau installé à Lisbonne depuis 1975. Les deux importent les produits suivants : cacabera (Adansonia digitata) photo 23, le veludo (Dialium guineense) photo 24, le lalo (Adansonia digitata) et le baguitche (Hibiscus sabdariffa). La majorité des produits importés par ces deux importateurs sont destinés aux détaillants originaires de la Guinée Conakry et de la Guinée Bissau, ce qui fait que ces deux importateurs se partagent un marché de 11 018 consommateurs. Ces derniers s'approvisionnent auprès des détaillants sédentaires et des détaillants ambulants.

Contrairement aux autres villes, Lisbonne est la ville qui abrite plus de détaillants ambulants (photo 25). Ils sont présents à trois endroits : la place Rossio au centre ville de Lisbonne, à la Place Damaïa et au marché de fero relojo. Ce sont des personnes qui tiennent des ETP dans les villes de banlieue. Dans l'exercice de leur activité, ils ont développé deux stratégies de vente. La première consiste à attendre les clients dans leur épicerie et la deuxième consiste à aller vers les consommateurs, non à leurs domiciles, mais dans les lieux de rassemblement de rassemblement de la diaspora africaine. Ils passent certains jours de la semaine dans leurs épiceries et d'autres dans la vente ambulante. Dans le dernier cas, ils se déplacent avec leur marchandise soit vers Rossio, soit vers Damaïa. Les produits manufacturés (huile de palme, pâte d'arachide) sont placés à même le sol (photo 26) et les produits frais (légumes frais, les noix de kola, arachide, etc.) sont placés dans les sacs de voyage, tenant lieu d'étal pour la circonstance. Ainsi, se font les vente à Damaïa tous les jours à partir de 10 h. Quant aux ventes à Rossio, elles se font tous les jours à partir de 16 h sauf le dimanche où elles démarrent à partir de 10 h.

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Photo 25

Photo 26

Les restaurants africains sont présents dans toutes les villes. Maillon de la chaîne de distribution des aliments africains en Europe, ils représentent une part minime dans le chiffre d'affaires des importateurs interviewés, car les restaurateurs traitent des petits volumes et préfèrent, par conséquent, s'approvisionner auprès des détaillants. On distingue trois types d'établissements : les restaurants africains "européanisés", les restaurants de type africain ou restaurants-buvettes et les ngandas ou maquis. Tous ces établissements ont en commun la vente des plats à base des PFNL de l'Afrique subsaharienne et des plats préparés à partir des produits de substitution. Parmi les PFNL proposés dans leurs menus, il y a le fumbua ou okasi, le saka saka ou cassava leaves, les condiments et épices (Monodora myristica, Ricinodendron heudelotii, Xylopia aethiopica, etc.) utilisés pour assaisonner les poissons et les poulets braisés à l'africaine, le kwanga et le safou. Une étude approfondie de tous ces établissements sera abordée dans nos travaux ultérieurs. Ici, nous nous contentons d'exposer quelques éléments caractéristiques de ces établissements.

Les restaurants "européanisés", moins nombreux, se distinguent par leur décor intérieur proche du concept des restaurants européens. Les tenanciers de ces restaurants ciblent les consommateurs européens, c'est pourquoi ils sont localisés dans ou à proximité des quartiers habités par les Européens. Quant aux tenanciers de deux autres types de restaurants, ils ciblent en premier les Africains et sont généralement implantés dans les quartiers à forte concentration d'immigrés. Ainsi à Paris, on les trouve dans les 18ème, 19ème et 20ème arrondissement autour des ZAT (Château Rouge et le marché de la Place de Stalingrad). Ils rappellent les restaurants implantés dans et autour des grands marchés des capitales africaines. Ils sont des lieux où on vient boire, manger et rencontrer des compatriotes.

Quant aux ngandas, ils se distinguent des restaurants-buvettes par leur lieu d'implantation. Ils rappellent le phénomène des restaurants de plein air, en pleine croissance dans plusieurs villes africaines (Yaoundé, Douala, Abidjan, Bangui, Kinshasa, Niamey, etc.) où ils portent différents noms : Yao au Niger, maquis en Côte d'Ivoire, chantier ou circuit au Cameroun et nganda à Kinshasa ou à Brazzaville. Concept en plein développement en Afrique (Akindès, 1997), il s'est transposé en Europe depuis quelques années (Bouly des Lesdain, 1996). De notre part, nous les avons observés à Matongué à Bruxelles et à Château Rouge à Paris où un camerounais se livre à la vente de détail et tient un circuit à l'arrière de son épicerie.

Selon un ressortissant du Congo-Kinshasa, ancienne exportatrice et importatrice des PFNL, tenancière d'un nganda à Amadorra au nord de Lisbonne, les ngandas sont des formes de restauration hors foyer discrète fréquentée par des initiés, notamment par des Africains et les Portugais. Ils sont tenus dans les salons de maison transformés pour la circonstance. La "publicité" de bouche à oreille, couramment utilisée par les Africains, rend difficile leur accès à des personnes extérieures à la diaspora africaine.

Au vu des éléments caractéristiques de ces trois types de restaurants africains, il ressort que le restaurant africain est peu ouvert aux consommateurs européens, ce qui est un handicap au développement et à la promotion de la cuisine africaine. De même, la discrétion de ces établissements constituent un frein pour le développement des aliments africains en dehors des réseaux spécialisés, notamment dans la Grande Distribution. En effet, le développement des restaurants asiatiques a contribuer à la promotion des aliments asiatiques auprès des consommateurs européens. Ceux qui découvrent les produits dans les restaurants les achètent dans les Supermarchés. Ainsi, le restaurant exotique ou "ethnique" est devenu un lieu d'initiation des Européens aux saveurs venus d'ailleurs.

Aussi, sommes-nous persuadés que les PFNL de l'Afrique Centrale, notamment alimentaires, devraient d'abord se révéler aux Européens via les restaurants, avant d'intégrer la Grande Distribution où ils sont absents comme nous l'avons signalé plus haut. Un concept du restaurant africain en Europe doit être mis en place. A l'image des restaurants asiatiques et Indo-Pakistanais bien connus respectivement en France et en Angleterre, ce nouveau type de restaurant africain devrait être un lieu d'initiation aux saveurs africaines et de découverte des différentes composantes de la culture africaine ( ex : la sculpture, les instruments de musique, la peinture, etc.). Leur but serait d'accompagner l'ouverture de la cuisine africaine aux populations extérieures à la diaspora africaine.

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