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Chapitre 5

FACTEURS EXTERNES EXERCANT UNE INFLUENCE SUR LE SECTEUR

5.1 Introduction

La forêt est un écosystème qui a beaucoup à offrir : bois, biomasse, énergie, gibier, etc. Elle peut aussi contribuer à la diversité biologique (ou la protéger), à celle des paysages, protéger la qualité des eaux souterraines et des eaux de surface, assurer une protection contre les avalanches et fournir d'autres services. Les divers biens et services offerts par les forêts doivent être pris en compte de manière équilibrée. La foresterie est une activité qui s'inscrit dans la durée et tient compte des besoins des générations futures. Dès lors, si l'objet de l'Etude est l'analyse des perspectives du bois, il ne suffit pas d'étudier les ressources forestières dans la seule optique de la production de bois : il est nécessaire d'examiner les facteurs physiques et biologiques extérieurs qui influencent la forêt, d'autant plus que de tels facteurs risquent de réduire sa capacité à produire du bois. Le facteur externe sur lequel s'est concentrée l'attention ces dernières années est la modification du climat de la planète, mais d'autres facteurs, notamment les incendies et les dommages dus au gibier seront aussi brièvement présentés.

Dans le présent chapitre, malheureusement trop court pour traiter de manière approfondie ces questions complexes, on décrira d'abord la nature des facteurs externes qui influent sur les ressources forestières puis on en tracera l'évolution probable. On pourra considérer que le présent chapitre vient en contrepoint des prévisions nationales des ressources forestières présentées au chapitre 4.

La majeure partie du présent chapitre, celle relative aux changements à l'échelle planétaire, a été établie par M. Pekka Kauppi (Finlande), en qualité de consultant auprès du secrétariat. Ce dernier saisit cette occasion pour remercier M. Kauppi de sa très importante contribution à l'Etude.

5.2 Tendances observées en ce qui concerne les changements à l'échelle planétaire

Dans le présent chapitre, les changements à l'échelle planétaire sont définis au sens large, conformément à la définition du Programme international sur la géosphère et la biosphère (PIGB). D'après cette définition, de tels changements sont induits par trois facteurs : l'utilisation des sols, la chimie de l'atmosphère et le climat. Etant donné toutefois que le premier de ces facteurs, l'utilisation des sols, est intégralement traité ailleurs dans l'Etude, notamment au chapitre 4, on ne l'abordera pas ici. La présente section vise tout d'abord à montrer l'évolution dans le temps des indicateurs forestiers pertinents puis à présenter les effets des changements à l'échelle planétaire sur les écosystèmes forestiers européens d'après les tendances observées à cet égard. Les effets des forêts sur ces changements sont aussi brièvement analysés.

i) Chimie de l'atmosphère

La qualité de l'air en Europe a changé au cours des 30 dernières années et continuera de changer au XXIe siècle. Les émissions de dioxyde de soufre ont diminué et continueront très probablement à diminuer grâce aux politiques de protection de l'environnement, notamment celles résultant de l'application de la Convention de la CEE sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance. La teneur de l'air ambiant en dioxyde de soufre et en sulfate décroît en conséquence. Les émissions et concentrations d'ammonium suivent une évolution similaire alors que les émissions d'oxyde d'azote n'ont pas encore baissé en Europe, sauf dans quelques pays comme l'Allemagne. Il est peu probable que la teneur en azote des écosystèmes forestiers diminue sensiblement d'ici à 2005.

Les concentrations d'ozone troposphérique augmentent régulièrement en Europe depuis 1960. La chimie de l'ozone est complexe et on ne sait pas trop comment les variations des émissions des précurseurs de l'ozone influeront sur ces concentrations. Il est probable que ces dernières augmenteront dans certaines régions et diminueront dans d'autres. Il est possible que la haute atmosphère ait changé au-dessus de l'Europe depuis 1960 et que ses changements aient affecté l'éclairement solaire total et sa qualité spectrale. Cependant, les estimations quantitatives de ces changements sont rares.

FIGURE 5.2.1FIGURE 5.2.2
Emissions de soufre dans la région de la CEE, 1980–93Emissions d'oxydes d'azote dans la région de la CEE, 1980–93
FIGURE 5.2.1FIGURE 5.2.2
Source: Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance (EMEP)Source: Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance (EMEP)

La modification de la chimie de l'atmosphère la plus évidente et la plus solidement étayée est l'accroissement de la concentration de dioxyde de carbone qui est passée d'environ 280 parties par million (ppm) en 1950 à 317 ppm en 1960 et à 355 ppm en 1990. L'augmentation au cours des 30 dernières années a été d'environ 12 %. La concentration augmentera encore de 10 à 20 ppm d'ici à 2005 parce que le principal moteur de cette croissance - la consommation de combustibles fossiles - est si puissant qu'il serait irréaliste d'anticiper une modification des modes de consommation avant 2005. Il est possible que la concentration de dioxyde de carbone continue d'augmenter au-delà de 2005.

Les concentrations dans l'atmosphère d'autres gaz à effet de serre tels que le méthane, l'oxyde nitreux et les CFC ont augmenté en Europe comme dans le reste du monde. Mais, contrairement à celles de dioxyde de carbone, elles pourraient commencer à diminuer avant 2005.

ii) Climat

En Europe, la variabilité du climat depuis 1960 n'a pas changé au point que l'on puisse parler de nouveau régime climatique. Il y a eu récemment quelques années exceptionnellement chaudes mais on n'a recueilli aucune preuve convaincante d'une modification qui pourrait être due à l'effet de serre. Le réchauffement éventuel dû à l'effet de serre sera perceptible après 2005 et surtout après 2020. Toutefois, comme la foresterie est une activité qui s'inscrit traditionnellement dans la durée, la question est tout à fait pertinente. La plupart des peuplements forestiers actuels seront toujours là après 2005 et même après 2020 et devront s'accommoder de l'environnement qui existera alors.

5.3 Effets des changements à l'échelle planétaire sur les écosystèmes forestiers

i) Regard sur le passé

La productivité des écosystèmes s'est accrue par suite de l'augmentation de la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère et de la pollution par l'azote (Kenk et Fischer 1988; Luxmoore et divers collaborateurs 1993; Johnson et divers collaborateurs 1994). Aux Pays-Bas et dans certaines parties de l'Allemagne, les dépôts d'azote peuvent atteindre 50 à 70 kg par hectare et par an.

Les changements enregistrés dans la chimie de l'atmosphère n'ont été ni la seule ni même la principale raison de la progression de l'accroissement forestier (+ 40 %) depuis 1960. Premièrement, l'augmentation du volume du matériel sur pied induit un accroissement plus fort (conséquence de l'augmentation du “capital-bois”). Deuxièmement, la sylviculture a été améliorée. Ces changements, quoique très importants, ne peuvent cependant à eux seuls expliquer l'accroissement de la productivité mis en évidence par des mesures répétées effectuées dans certains écosystèmes forestiers (voir par exemple Kenk et Fischer 1988). L'accroissement de la productivité de la biomasse qui a été observé s'explique en partie par l'augmentation des quantités de dioxyde de carbone et d'azote, c'est-à-dire par l'eutrophication. En Europe, la modification de la chimie de l'atmosphère a contribué en moyenne à une augmentation et non à une diminution de la biomasse forestière.

Il y a eu toutefois diminution des peuplements dans diverses parties de la région étudiée, notamment l'Allemagne, la Pologne, la République tchèque et d'autres pays. Ce phénomène est dû à une grave pollution, essentiellement par le soufre et les composés de métaux lourds et dans certains cas aussi à une pollution excessive par l'azote.

La biodiversité des forêts a été aussi affectée par la pollution atmosphérique. De nombreuses observations ont été faites aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande et ailleurs sur les modifications de la végétation forestière. L'eutrophication a favorisé les espèces nitrophiles. La répartition, par espèce, des lichens a changé en Finlande, probablement en raison des effets combinés du soufre et de l'azote sur la survie et l'avantage concurrentiel des différentes espèces. On a aussi observé des modifications de la couverture végétale.

En résumé, en Europe, c'est surtout la diversité biologique des forêts qui a pâti des modifications de la chimie de l'atmosphère. La production de biomasse n'a diminué que sur des superficies réduites. Cette diminution a été plus que contrebalancée par une importante augmentation moyenne de l'accroissement forestier dans toute l'Europe.

On a aussi observé des effets néfastes sur les fonctions logistiques des forêts. La pollution a réduit l'aptitude des forêts à améliorer la qualité des eaux souterraines et des eaux de surface. La diminution de la transparence de l'air ambiant a porté atteinte au rôle des forêts en tant qu'éléments du paysage. La transparence, compromise par la présence de particules de soufre, devrait s'améliorer dans l'avenir car la pollution par le soufre a tendance à s'atténuer.

ii) Scénarios relatifs aux effets futurs

Les améliorations effectives ou anticipées de la qualité de l'air facilitent ou devraient faciliter la lutte contre les effets néfastes de la pollution sur les forêts. Par exemple, les perspectives de préservation de l'environnement primitif des forêts protégées s'améliorent parce que la charge de pollution par le soufre est en train de décroître. Cependant, les retombées d'azote n'ont pas diminué et la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère continue d'augmenter.

Les stratégies de réduction de la pollution atmosphérique établies sous les auspices de la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance reposent sur les concepts de charges et de niveaux critiques. On entend par “charge critique” “une estimation quantitative de l'exposition à un ou à plusieurs polluants au-dessous de laquelle, selon les connaissances actuelles, il ne se produit pas d'effets nocifs appréciables sur des éléments sensibles déterminés de l'environnement” (EB.AIR/R.30, par. 48). Le concept de “niveau critique” désigne la concentration de polluants dans l'atmosphère au-delà de laquelle, selon les connaissances actuelles, il peut se produire des effets nocifs directs sur les récepteurs, tels que les végétaux, les écosystèmes ou les matériaux. Il n'a pas été facile de fixer ces niveaux et ces charges critiques bien que l'on ait beaucoup insisté sur cette tâche importante. Il est presque impossible scientifiquement de définir ces indicateurs car la productivité et la biodiversité d'un écosystème forestier dépendent d'une combinaison de facteurs environnementaux et non pas d'un facteur isolé. En outre, les réactions sont différentes d'une forêt à l'autre. On a observé, par exemple, que les forêts de résineux plantées en haute montagne étaient particulièrement sensibles aux dommages causés par la pollution de l'air, surtout si les arbres n'étaient pas génétiquement adéquats.

Il n'est pas certain que des dommages écologiques se produisent lorsque les charges ou niveaux critiques sont dépassés. Il n'est pas certain non plus que les risques de dommages disparaissent complètement si les émissions sont réduites et si les charges et niveaux critiques ne sont plus dépassés. Les concepts de charges et de niveaux critiques représentent un compromis entre l'exactitude et la précision scientifiques et le besoin de directives environnementales simples.

La progression de la biomasse forestière et de l'accroissement forestier a été si forte au cours des 30 dernières années qu'on ne peut guère s'attendre à un changement brusque au cours des 20 prochaines années. A plus long terme, la poursuite de ces tendances dépendra des mesures qui seront prises dans le cadre de la politique de l'environnement. Sur la longue période, l'éventualité de changements climatiques et, peut-être aussi les modifications encore mal connues subies par l'environnement, du fait, notamment, de la pollution par les produits chimiques organiques industriels, constituent le principal facteur d'incertitude.

Les incidences sur les forêts des changements qui se produiront à l'échelle planétaire dépendront beaucoup de l'évolution du climat, laquelle est incertaine. A supposer - scénario optimiste - que le climat ne change pas ou change très peu, les structures actuelles du secteur forestier pourraient alors évoluer progressivement et en douceur.

Si - scénario pessimiste - les émissions de gaz à effet de serre augmentaient, entraînant un réchauffement sensible du climat et finalement une modification du régime des précipitations, ce phénomène, qui serait mondial, affecterait le secteur forestier sur toute la planète. Il y aurait des effets de deuxième ordre et de troisième ordre du fait des changements qui interviendraient dans l'utilisation des terres agricoles et dans la composition des échanges mondiaux. Les effets ultérieurs sur le secteur forestier européen sont très difficiles à prévoir.

Il se pourrait que le matériel sur pied et l'accroissement forestier en Europe septentrionale ne diminuent pas, même dans le scénario pessimiste. Dans cette région, les écosystèmes sont moins sensibles au réchauffement qu'au refroidissement du climat. En fait, une élévation de deux à cinq degrés Celsius de la température moyenne annuelle pendant 50 à 100 ans favoriserait l'accroissement forestier et ne menacerait probablement pas la survie des arbres. En Europe méridionale par contre, ce réchauffement sensible et le retour plus fréquent des périodes de grande sécheresse entraîneraient probablement une diminution de l'accroissement forestier. Les risques d'incendies de forêts augmenteraient aussi. La biodiversité serait affectée dans toutes les régions d'Europe.

Il convient de souligner que ce scénario est établi dans une perspective étroite. Il ne tient pas compte des effets de deuxième et de troisième ordre ni de l'ensemble des objectifs de la foresterie à long terme. L'amélioration et la stabilisation de la qualité de l'air contribueraient à rendre l'évolution des écosystèmes forestiers plus prévisible, ce qui est essentiel pour pouvoir instaurer une foresterie viable à long terme. Réduire les émissions de polluants serait une excellente politique environnementale dans la perspective d'une gestion durable et de la préservation des forêts européennes.

5.4 Effets des forêts sur les changements à l'échelle planétaire

Les forêts et les arbres ne se contentent pas de subir l'influence de facteurs externes : ils influent à leur tour sur un certain nombre d'entre eux. Les arbres, en particulier les résineux, filtrent les polluants comme les composés soufrés et azotés de l'atmosphère lorsqu'ils pénètrent dans l'écosystème et améliorent la qualité de l'air sous le vent. Ce phénomène est une bonne chose pour l'écosystème sous le vent, encore qu'il impose une charge accrue à l'écosystème “filtrant”. Les boisements sur sol acide peuvent contribuer à l'acidification des eaux de surface. Certes les effets des forêts sur les changements à l'échelle planétaire ne sont pas tous positifs mais beaucoup le sont.

La biomasse forestière qui s'accroît piège le dioxyde de carbone de l'atmosphère. Les notions de “puits” et de “source” correspondent à des phases différentes dans l'évolution du réservoir de carbone que constituent les écosystèmes forestiers. Un réservoir en phase d'extension est un puits et un réservoir en phase de contraction est une source. Les deux principaux réservoirs de carbone sont le sol et la végétation forestière. Un autre réservoir beaucoup plus modeste est constitué par les produits forestiers.

i) Regard sur le passé

Dans un passé lointain, la superficie des terres forestières et la biomasse forestière ont diminué en Europe. Les forêts européennes ont été des sources de dioxyde de carbone jusqu'à la fin du XIXe siècle puis, elles sont devenues des puits. Les sols ont eux aussi servi de puits, mais c'est sur les réservoirs constitués par la végétation forestière et les produits forestiers que l'on dispose des meilleures informations.

D'après les estimations établies à partir des statistiques concernant le matériel sur pied et les produits du bois, entre 1971 et 1990, les forêts européennes ont fixé chaque année de 85 à 120 millions de tonnes de carbone. Les forêts ont limité l'accroissement de la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère et ont eu un effet positif sur le bilan du carbone en absorbant à peu près 5 % du dioxyde de carbone émis en Europe du fait de l'utilisation de combustibles fossiles.

La fixation du carbone par les forêts est due pour une large part (70 à 105 millions de tonnes) à l'augmentation du matériel sur pied et, dans une moindre mesure, (15 millions de tonnes) à l'accroissement du stock de produits forestiers (sciages et panneaux). Comme l'écart s'est creusé entre l'accroissement forestier et les quantités enlevées, l'effet de puits s'est accentué. Le ratio quantités enlevées/accroissement forestier a baissé, tombant à 0,7 à 0,8 dans la plupart des pays européens. C'est là la principale cause de l'effet de puits.

ii) Scénarios concernant l'évolution future du bilan du carbone

A court terme, que les forêts européennes constituent un puits ou une source dépendra essentiellement du ratio quantités enlevées/accroissement forestier : plus le ratio sera faible plus le puits sera important. La progression du matériel sur pied a été si générale et si régulière en Europe que l'actuel effet de puits devrait persister pendant au moins 15 à 20 ans. A plus long terme, cependant, le ratio quantités enlevées/accroissement - principale cause de l'effet de puits - augmentera nécessairement. On peut envisager trois scénarios pour le bilan du carbone au-delà de 2010-2015.

Selon un premier scénario, la demande de produits forestiers actuellement disponibles et d'éventuels nouveaux produits pourrait s'accroître. Dans ce cas, les enlèvements augmenteraient atteignant un niveau proche de celui de l'accroissement forestier. Il en résulterait un affaiblissement du puits de carbone qui tendrait vers zéro et l'effet positif actuel des forêts européennes sur le bilan mondial du carbone disparaîtrait en grande partie. Les effets des émissions dues à la consommation de combustibles fossiles en Europe se feraient pleinement sentir, avec l'accroissement de la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Cependant, l'augmentation des quantités enlevées générerait un flux croissant de bois, ce qui finirait par favoriser un développement durable en Europe, notamment en permettant de remplacer des matières premières non renouvelables par le bois, matériau renouvelable.

Selon un deuxième scénario, les enlèvements pourraient se maintenir au niveau actuel ou diminuer. Le matériel sur pied continuerait de croître au rythme actuel ou même plus vite dans un premier temps. Dans un second temps, la plupart des peuplements forestiers arriveraient à maturité. Le réservoir de carbone constitué par la végétation approcherait de la saturation. Dans ce scénario également, l'actuel effet de puits disparaîtrait et l'accroissement forestier diminuerait. Le flux de bois, matériau renouvelable, diminuerait, ce qui contribuerait à une augmentation de la consommation de matières premières non renouvelables.

Selon un troisième scénario, on pourrait mettre au point une nouvelle politique forestière dans le cadre de laquelle on envisagerait la réduction de la concentration de carbone dans une perspective à long terme et l'on parviendrait à concilier les différents objectifs de la foresterie. Elle reposerait sur l'extension du domaine boisé et l'augmentation des quantités enlevées. Dans diverses parties de l'Europe, de nouvelles zones de protection de la nature seraient établies et le réservoir de carbone constitué par les forêts se renforcerait. La plantation de forêts sur des terres non boisées contribuerait aussi à renforcer, à long terme, les réservoirs de carbone que constituent la végétation et les sols. Les enlèvements augmenteraient par suite du boisement, de l'amélioration de la gestion des forêts et des efforts pour combler l'écart actuel entre les quantités enlevées et l'accroissement dans les forêts exploitables. Il y aurait une augmentation du flux de produits forestiers, lesquels viendraient remplacer d'autres produits écologiquement moins rationnels. Les forêts et la gestion des forêts apporteraient une contribution positive au bilan mondial du carbone tant à court terme qu'à long terme.

Ces trois scénarios à long terme correspondent davantage à des visions du futur qu'à des prévisions : les objectifs de la foresterie pourraient très bien changer sensiblement au cours des 30 à 60 prochaines années comme ils l'ont déjà fait précédemment. Les incertitudes sont encore plus grandes si l'on suppose qu'il y aura des changements climatiques. Les mécanismes qui régissent les réservoirs et les flux de carbone dans les écosystèmes forestiers sont sensibles au climat et, en particulier, à la température.

Comment les scénarios à long terme ci-dessus s'articulent-ils avec les scénarios à moyen terme (jusqu'à 2020) détaillés du chapitre 4 ? L'agrégation des prévisions des correspondants nationaux fait apparaître la poursuite, mais dans une moindre mesure, du rôle de puits de carbone joué par les forêts européennes, les coupes devant passer de 69 % de l'accroissement annuel en 1990 à 77 % en 2020. La différence annuelle entre coupes et accroissement devrait régresser de 200 millions de m3 environ à quelque 160 millions de m3, ce qui demeure un volume important. Aucune expansion, ni contraction, notable du domaine boisé n'est prévue. Les prévisions semblent plus proches du premier des scénarios à long terme ci-dessus (réduction de l'effet de puits du fait que les abattages se rapprocheraient de l'accroissement) que du deuxième (réduction de l'effet de puits par suite d'une diminution des enlèvements) bien que l'on puisse théoriquement les considérer comme les prémices du troisième (adoption d'une nouvelle politique forestière). Néanmoins, la place optimale des forêts européennes dans le bilan mondial du carbone ne semble pas faire l'objet d'un débat approfondi de la part des responsables.

5.5 Perspectives quant au lien entre les forêts européennes et les changements à l'échelle planétaire

Les effets des changements à l'échelle planétaire sur les forêts et les effets des forêts sur les changements à l'échelle planétaire doivent être évalués dans la perspective d'une foresterie à long terme visant des objectifs multiples. Dans cette perspective, il est de la plus haute importance de stabiliser au maximum le milieu atmosphérique afin que l'évolution des écosystèmes forestiers soit davantage prévisible. Si toute prévision devient impossible, on ne sera plus en mesure de définir rationnellement des politiques forestières à long terme. L'incertitude actuelle quant à l'évolution du climat au-delà de 2010–2020, par exemple, fait obstacle au développement d'une foresterie à objectifs multiples dans toutes les régions d'Europe. Même quelque chose d'aussi fondamental que l'emploi des tables de production forestière devient risqué si ces tables ne sont plus fiables en raison des modifications du milieu atmosphérique. Cela étant, tant que ce milieu n'a pas été stabilisé, il importe d'enregistrer et d'analyser les tendances environnementales et de tenter de faire face aux changements au fur et à mesure qu'ils se produisent.

Si les forêts ont été victimes de la pollution atmosphérique, ou ont été perçues comme telles, elles peuvent aussi contribuer à résoudre les problèmes posés par ce type de pollution. Les forêts filtrent les polluants et réduisent la durée de vie du soufre, des métaux lourds, de l'azote et d'autres types de polluants dans l'atmosphère. En entretenant les forêts et en en créant de nouvelles, on favorise le filtrage. En Europe méridionale par exemple, la plantation, en plus grand nombre, d'arbres donnant de l'ombre permettrait une utilisation plus rationnelle de l'énergie dans les logements, rendant moins nécessaire l'installation de systèmes de climatisation et réduisant du même coup les émissions de polluants liées à la consommation d'énergie (c'est ce qui se serait produit en Amérique du Nord). Les forêts pourraient, en particulier, apporter une contribution positive au bilan mondial du carbone et aider à atténuer le risque de renforcement de l'effet de serre. On voit ainsi se dessiner de nouveaux objectifs pour la foresterie contemporaine.

En résumé, la situation actuelle et les perspectives à court terme sont très bonnes en Europe pour ce qui est de la productivité de la biomasse et des réserves de biomasse. Si l'on considère la préservation de la diversité biologique et d'autres fonctions des écosystèmes, comme la protection des aires d'alimentation en eau et des eaux souterraines, l'évolution récente et les perspectives à court terme ne sont toutefois pas aussi bonnes. Les niveaux de pollution par les composés soufrés et azotés sont élevés en Europe. Bien que les dépôts de soufre et de certains métaux lourds aient commencé à décroître sur de vastes territoires de l'Europe, le flux des dépôts d'azote ne diminue toujours pas et la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère augmente. En ce qui concerne la diversité biologique on a observé momentanément une évolution favorable aux espèces qui demandent beaucoup de nitrates pour se développer (espèces nitrophiles) et ce, même dans les zones de protection de la nature.

5.6 Incendies de forêt

Chaque année, plus de 500 000 hectares de terres forestières ou d'autres terres boisées en Europe sont touchés par au moins 50 000 incendies. Dans leur quasi-totalité, ces dommages concernent l'Europe méridionale 1. En 1994, quelque 0,85 % de la superficie des terres forestières et autres terres boisées de ces pays ont souffert du feu. Le pourcentage serait même plus élevé si l'on excluait de la superficie totale les vastes régions (par exemple la France non méditerranéenne et l'Espagne septentrionale) qui appartiennent à un pays d'Europe méridionale mais qui sont en réalité épargnées par les incendies. D'une année sur l'autre, les variations sont importantes : au cours des 15 dernières années, le nombre d'incendies a varié entre 40 et 75 000 et la superficie entre 450 000 et 1 million d'hectares. Il est difficile de discerner des tendances, bien que le nombre d'incendies semble progresser depuis la fin des années 1980. En ce qui concerne la superficie, aucune tendance véritable ne se dessine, ce qui peut être interprété comme une meilleure efficacité dans la lutte contre les incendies mais aussi comme une absence de progrès en ce qui concerne la prévention.

Outre les étés chauds et secs, les causes des incendies de forêt sont nombreuses et complexes. En Europe, à la différence de l'Amérique du Nord ou de la Russie, la plupart des incendies sont dus à l'homme, soit volontairement, soit par négligence. Les incendies s'expliquent notamment par le dépeuplement rural, une sylviculture moins intensive (notamment l'accumulation de combustibles qui auparavant étaient recueillis pour être utilisés localement), le développement du tourisme, le pâturage sauvage, la spéculation immobilière et les tensions sociales et politiques, tous facteurs qui débouchent sur l'incendie volontaire de ressources vulnérables. Toutes ces questions sont complexes et il n'est pas possible d'y répondre à court terme, par des mesures administratives.

Là où ils sont fréquents, les incendies non seulement entraînent des dommages et parfois des morts, mais ils limitent sérieusement les possibilités d'aménagement forestier, empêchant parfois complètement la création de futaies productives. Les aménagistes n'ont alors guère d'autre solution que celle d'une “forêt” arbustive dégradée, ce qui n'est pas économiquement viable et les rend encore plus dépendants d'un financement public. Etant donné que l'écosystème forestier naturel a le plus souvent été définitivement modifié il y a plusieurs siècles ou millénaires, on ne peut considérer ce type de dommages dus à l'incendie comme faisant partie de processus écologiques normaux ainsi que c'est le cas, par exemple, dans de nombreuses régions d'Amérique du Nord ou de Sibérie. Le cercle vicieux dont l'incendie est l'élément le plus visible semble condamner de nombreuses forêts d'Europe méridionale à un avenir précaire du point de vue écologique, social et économique, dans lequel la production de bois (autres que de petites quantités de bois de feu) ne jouerait plus aucun rôle.

Cette situation laisse manifestement à désirer et les gouvernements des pays touchés, ainsi que l'Union européenne, se sont penchés sur la question en assurant des services de lutte contre l'incendie et en y sensibilisant davantage le public. Sans aucun doute la situation serait bien pire en l'absence de telles mesures. Néanmoins, au niveau européen, il ne semble pas que ces efforts importants entraînent une réduction du nombre des incendies ou de la superficie incendiée. Le secrétariat ne dispose bien entendu pas de solutions toute prêtes pour ce problème persistant : il apparaît toutefois que si l'on veut réduire le nombre des incendies et la surface dévastée, il est nécessaire de dégager des ressources sensiblement plus importantes ou d'élaborer et d'appliquer des solutions novatrices, ou bien, plus probablement, de combiner ces deux méthodes. En ce qui concerne la première, les contraintes générales qui pèsent sur les finances publiques limiteront les ressources disponibles pour la prévention et la maîtrise des incendies de forêt.

En ce qui concerne les scénarios de l'Etude, il ressort des observations du chapitre 4 que les correspondants nationaux ont tenu compte de l'effet des incendies de forêt lorsqu'ils ont élaboré leurs scénarios nationaux de l'offre de bois 2, de sorte qu'il n'y a pas lieu de les modifier.

Si la prévention des incendies de forêt faisait des progrès en Europe méridionale, alors il est clair que tant l'accroissement que les quantités enlevées en dernière analyse pourraient augmenter : cependant, même en cas de diminution des incendies de forêt dans les prochaines années, ces deux paramètres ne connaîtraient pas de changement manifeste à l'horizon temporel de la cinquième Etude. Les conséquences éventuelles des changements à l'échelle planétaire sont également entachées d'incertitude. Si les étés devenaient plus chauds et plus secs en Europe méridionale, comme certains modèles le prévoient, il en résulterait une aggravation du problème des incendies, et une difficulté accrue à réaliser une gestion durable des forêts dans les régions considérées.

5.7 Autres facteurs externes exerçant une influence sur la forêt

Si les changements à l'échelle planétaire et les incendies de forêt sont les causes les plus connues et les plus apparentes au niveau politique des dommages subis par les forêts, il en existe d'autres qui créent de sérieux problèmes aux aménagistes. Les principales d'entre elles sont le gibier, les insectes et les champignons parasites. On ne dispose de données comparables au niveau international sur aucun de ces éléments. Ceux-ci exercent cependant des influences et des contraintes importantes, quoique locales et spécialisées, sur l'aménagement forestier dans l'ensemble de l'Europe.

La possibilité d'un changement majeur de la situation en ce qui concerne les dégâts dus aux insectes et aux champignons n'a pas été examinée par les pouvoirs publics même s'il existe dans toutes les administrations un service de la protection des forêts et si les prévisions du chapitre 4 tiennent compte de la situation en ce qui concerne les insectes et les champignons. La Pologne cependant, et les pays voisins, ont connu des invasions de Lymantria monacha, qui ont causé des dégâts considérables avant d'être maîtrisées.

La nature des dégâts provoqués par le gibier est assez différente pour deux raisons :

En Autriche par exemple 3, pays qui dispose de données fiables sur la question, 42 % de la superficie totale régénérée en peuplements de production, en particulier sapinières et hêtraies, sont abroutis par le gibier. Dans les forêts de protection, la régénération des sapins a été compromise par le broutage du gibier. Selon le Ministère autrichien, l'équilibre écologique est menacé par l'extension de la population cynégétique et la régénération des essences nécessaires à une sylviculture écologique n'est possible que sur un quart des terres boisées. La régénération des peuplements trop âgés et qui s'effondrent dans les forêts de protection est gênée, et parfois rendue impossible, par les dégâts dus au gibier. On recherche d'urgence des solutions équilibrées permettant de concilier foresterie et gestion cynégétique.

En Finlande 4 les élans sont responsables d'une diminution de la qualité des peuplements sur 1,2 % des terres forestières (contre 0,3 % pour les insectes et 7,1 % pour les champignons). En Suède 5, des dégâts moyens, sévères ou très sévères dus au broutage d'élans ont été enregistrés sur 279 000 hectares de forêt de jeunes pins (sur un total de 3,79 millions d'hectares, soit plus de 7 %). Les auteurs de la cinquième Etude ne disposent pas de chiffres pour les autres pays, mais l'on sait que les dégâts dus au gibier constituent un problème majeur d'aménagement forestier dans un grand nombre d'entre eux, notamment en Europe centrale et orientale et dans les pays baltes. Dans certaines régions, il semble que, comme en Autriche, le maintien de la forêt sous sa forme actuelle, notamment dans sa composition spécifique, soit menacé.

Il est difficile de trouver un équilibre entre la population cynégétique et la régénération des peuplements forestiers, non seulement du fait des problèmes techniques posés par la détermination du niveau “juste” des effectifs du gibier et sa réalisation, mais aussi parce qu'il faut trouver un accord entre les chasseurs, les forestiers et la population urbaine, peu familière des facteurs techniques, mais de plus en plus opposée à ce que l'on tue des animaux 6. Dans certaines régions, le revenu provenant de la chasse est très supérieur à celui tiré de la production de bois, ce qui rend encore moins justifiable la diminution des effectifs de la faune sauvage pour des raisons économiques.

Du point de vue de la production du bois, le problème des dégâts provoqués par le gibier accroît les coûts de l'aménagement forestier et par conséquent de la production de bois ronds (en réduisant la production et la qualité et en accroissant les coûts de la régénération). A moyen terme cependant, il apparaît que les correspondants nationaux ont déjà tenu compte de ce type de dommage lorsqu'ils ont établi leurs scénarios.

5.8 Conclusions

Il ressort des tendances de l'environnement physique et chimique des forêts européennes décrites ci-dessus que les modifications de cet environnement ont eu peu d'effets négatifs sur la biomasse forestière. L'accroissement forestier et le matériel sur pied ont évolué favorablement dans toutes les grandes régions européennes. La forêt européenne a apporté une contribution positive au bilan mondial du carbone. Les tendances favorables de l'accroissement forestier et du matériel sur pied devraient se poursuivre pendant au moins une vingtaine d'années encore. Les polluants ont toutefois eu partout des effets préjudiciables sur la diversité biologique des forêts. A cet égard, on ne peut guère attendre d'amélioration au cours des 20 prochaines années.

A long terme, vers 2030 et au-delà, les futures interactions entre les forêts et les changements à l'échelle planétaire sont incertaines et très difficiles à prévoir. Par exemple, les changements observés dans les concentrations des gaz à effet de serre peuvent entraîner un réchauffement climatique d'ici 20 à 40 ans, c'est-à-dire, durant l'existence de la plupart des peuplements forestiers.

Dans l'hypothèse d'un tel réchauffement, les perspectives à long terme de productivité de la biomasse sont bonnes en Europe septentrionale, modérées en Europe centrale et incertaines en Europe méridionale. Les perspectives de la diversité biologique des forêts sont beaucoup moins bonnes dans toutes les régions.

Il est possible de développer encore la foresterie pour faire face aux changements de l'environnement physique et chimique. Une gestion durable et la protection des forêts peuvent contribuer à atténuer les changements à l'échelle planétaire.

Dans le présent chapitre, les auteurs ont fait état de plusieurs facteurs externes influençant les ressources forestières et susceptibles de compromettre leur développement à moyen et à long terme. Si des changements devaient survenir, ils n'auraient toutefois pas d'effets sensibles avant l'horizon temporel de la cinquième Etude, aussi n'est-il pas nécessaire de modifier les scénarios de la productivité des forêts et de l'offre de bois du chapitre 4, du moins au niveau européen. Néanmoins, toute modification de la situation de base en matière d'émissions de polluants, d'incendies ou de niveau des dégâts dus au gibier devrait être soigneusement examinée.

La conclusion probablement la plus importante à tirer de l'analyse faite au présent chapitre concerne la possibilité d'élaborer une stratégie concernant le rôle des forêts européennes dans le bilan global du carbone. A la section 5.4, nous avons défini trois grands scénarios :

Il importe de ne pas oublier que l'augmentation de la consommation de matériaux dérivés du bois contribue au bilan mondial du carbone dans la mesure où ils remplacent des matériaux issus de sources non renouvelables.

5.9 Références

UICN (1994) Parks for Life. Action for Protected Areas in Europe. Alliance mondiale pour la nature. Gland (Suisse).

Johnson D.W., Ball J.T., Walker R.F. (1994) Effects of Elevated CO2 and Nitrogen on Nutrient Uptake in Ponderosa Pine Seedlings. Plant and Soil (sous presse).

Kenk G., Fisher H. (1988) Evidence from Nitrogen Fertilisation in the Forests of Germany. Environmental Pollution 54: 199–218.

Luxmoore R.J., Wullschleger S.D., Hanson P.J. (1993). Forest Responses to CO2 Enrichment and Climate Warming. Water, Soil, and Air Pollution 70: 309–323.

OCDE. Corps central d'indicateurs de l'environnement (1994), Service des publications, OCDE, Paris.

Notes du chapitre 5

1 La présente section s'appuie sur les statistiques des incendies de forêt régulièrement recueillies et publiées dans le Bulletin du bois (dernière livraison : vol. XLVIII (1995), No 4). S'agissant des statistiques des incendies de forêt, l'“Europe méridionale” regroupe les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Chypre, Espagne, France, Grèce, Israël, Italie, Portugal, Slovénie et Turquie (un petit nombre de pays d'Europe méridionale ne communiquent pas de données).

2 Un correspondant a expressément supposé que le problème des incendies de forêt ne serait pas résolu.

3 Oesterreichischer Waldbericht 1993. Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft, Vienne.

4 Statistical Yearbook of Forestry, 1995. Institut finlandais de recherche forestière, Helsinki.

5 Skogsstatistisk arsbok 1995, Skogsstyrelsen, Jönköping.

6 Pour leur part, les chasseurs sont habituellement hostiles à la réintroduction de gros prédateurs susceptibles de les “concurrencer”.


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