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4 - Les déterminants des pratiques d’approvisionnement alimentaire


4.1 - Les facteurs liés aux caractéristiques des ménages
4.2 - Les facteurs liés aux caractéristiques de l’offre
4.3 - Les facteurs liés aux conditions de transaction

Résumé

Les facteurs déterminant les différentes pratiques d’approvisionnement alimentaire peuvent être regroupés en trois grandes catégories: d’une part, les facteurs liés aux caractéristiques des ménages; d’autre part, les facteurs liés à l’offre en produits et à leurs caractéristiques; enfin, les facteurs liés aux conditions de transaction.

Les principales caractéristiques des ménages qui déterminent leurs pratiques d’approvisionnement sont le niveau et la régularité des revenus, la taille et le contour des ménages, le type d’activité professionnelle, le lieu d’habitation et le type d’habitat et l’origine géographique et culturelle des membres du ménage.

L’auto-production des produits du maraîchage est rencontrée dans tous types de ménages, mais surtout dans les ménages qui ont passé un certain temps en zone rurale avant de s’installer à Ouagadougou. L’auto-production de céréales a surtout été remarquée dans des quartiers à caractère rural prononcé (tels que Tanghin) et chez des ménages de grande taille plutôt défavorisés.

Plusieurs types de facteurs liés aux caractéristiques de l’offre contribuent à expliquer les pratiques d’approvisionnement alimentaire: la disponibilité des produits sur les lieux de vente et les caractéristiques des produits vues d’une part sous l’angle de leur adéquation aux fonctions alimentaires, d’autre part aux situations d’usage des produits, enfin aux outils techniques utilisés par le ménage.

Enfin, certaines pratiques d’approvisionnement s’expliquent par la recherche de garantie sur la qualité des produits, notamment ceux transformés. Les relations de proximité permettent de générer cette confiance. Ces relations sont effectives lors de la fidélisation, de l’achat direct sur le site de production, de l’achat chez des vendeuses «réputées» ou répondant à certains critères (âge, ethnie...).

L’augmentation du nombre de vendeuses et préparatrices qui doivent se «débrouiller» dans des conditions économiques difficiles et qui entreprennent alors une activité de petit commerce ou transformation alimentaire est à l’origine d’une méfiance accrue envers une partie de l’offre en produits locaux. Dans ce secteur artisanal de transformation alimentaire, l’apprentissage du métier et du savoir-faire traditionnel n’est en effet pas toujours respecté et le caractère avant tout marchand des activités apparaît difficilement compatible aux yeux des ménagères avec l’assurance d’une production de qualité.


L’analyse des facteurs déterminant les différentes pratiques d’approvisionnement alimentaire étant en cours de réalisation au moment de la rédaction de cette étude de cas, ne seront présentés dans ce chapitre que les premiers résultats partiels de cette analyse. Ces facteurs peuvent être regroupés en trois grandes catégories: d’une part, les facteurs liés aux caractéristiques des ménages; d’autre part, les facteurs liés à l’offre en produits et à leurs caractéristiques; enfin, les facteurs liés aux conditions de transaction.

4.1 - Les facteurs liés aux caractéristiques des ménages


4.1.1 - Les principales caractéristiques des ménages déterminant leurs pratiques d’approvisionnement
4.1.2 - Les caractéristiques des ménages ouagalais qui auto-produisent
4.2.3 - Les facteurs de choix des marchés pour les approvisionnements alimentaires

Sur la base d’une analyse des résultats des entretiens approfondis réalisés avec des consommateurs, on peut identifier les principales caractéristiques des ménages qui déterminent leurs pratiques d’approvisionnement. Cette analyse, qui reste à approfondir, est présentée dans le § 4.1.1.

Deux points particuliers ont cependant déjà fait l’objet d’un premier dépouillement des enquêtes et sont présentés ici: le premier concerne les caractéristiques des ménages qui pratiquent une activité de production agricole et/ou d’élevage en ville (§ 4.1.2.); le second concerne les facteurs déterminant le choix des lieux d’achat et en particulier la proximité aux marchés (§ 4.1.3.).

4.1.1 - Les principales caractéristiques des ménages déterminant leurs pratiques d’approvisionnement

Les informations présentées ici sont essentiellement qualitatives et doivent permettre d’orienter le travail d’analyse des résultats des enquêtes réalisées. Sur la base des entretiens approfondis, on a pu en effet identifier un certain nombre de caractéristiques qui apparaissent à première vue déterminantes des pratiques d’approvisionnement alimentaire. Il faut cependant noter que ces pratiques étant variables d’un produit à l’autre, il est difficile de faire la part des facteurs qui déterminent les choix de produits et l’importance de leur consommation de ceux qui déterminent à strictement parler les pratiques d’approvisionnement.

Le niveau de revenus du ménage est bien sûr déterminant pour l’achat de certains produits: les ménages aisés achètent plus souvent des produits chers et fréquentent par conséquent plus souvent les structures «modernes» de distribution comme les magasins d’alimentation, les «boucheries modernes», etc.

A niveau de revenu moyen équivalent, on peut cependant observer des différences de pratiques d’approvisionnement des ménages qui tiennent à la régularité ou à l’irrégularité de leurs revenus.

Elles déterminent en particulier les possibilités de stockage et par conséquent la répartition des achats entre demi-gros et détail.

Si le salaire est régulier et à somme fixe, il est plus facile pour le chef de ménage de prévoir et de gérer des stocks de façon régulière. C’est notamment après la «paye» (à la fin du mois ou chaque quinzaine) que la majorité des fonctionnaires et salariés font leurs achats de stocks (céréales, viande, poisson, huile, etc.). Pour les personnes à revenus irréguliers, petits commerçants ou artisans notamment, la gestion du budget et la prévision des dépenses sont beaucoup moins routinières et les achats apparaissent plus fréquemment faits au détail, en fonction de la disponibilité monétaire du jour. Les prix sont alors plus élevés que pour des achats en demi-gros ce qui pénalise ces ménages.

La taille du ménage détermine également les choix de certains produits et par conséquent les pratiques d’approvisionnement. Lorsqu’un aliment ou un plat doit être préparé pour un grand nombre de personnes, le temps de travail domestique consacré à sa transformation peut être jugé acceptable comparé à une préparation pour un petit nombre de personnes compte tenu des économies d’échelle. Le recours à des achats de produits déjà transformés apparaît ainsi moins économique pour les ménages de grande taille.

La taille du ménage est également un facteur qui peut être influent sur la gestion des stocks: acheter un stock permet certes d’assurer une certaine sécurité alimentaire aux membres du ménage. Mais cela suppose de pouvoir en contrôler son utilisation. Pour certaines personnes, la constitution d’un stock est «la porte ouverte» à des prélèvements irréguliers: dons aux voisins, abus sur les quantités prélevées sur le stock par les différents membres du ménage. Le risque est d’autant plus marqué quand le ménage est de grande taille, mais surtout quand les contours du ménage sont flous: arrivées et départs fréquents de nombreuses personnes. Face aux nombreuses sollicitations dont les responsables du ménage sont l’objet de la part de diverses personnes, il est moins difficile de refuser un don ou un prêt en prétextant que l’on ne dispose pas du produit demandé en stock que si l’on dispose effectivement de ce stock. Inversement, disposer d’un stock constitue un moyen de pouvoir répondre à ces sollicitations ce qui peut être une pratique privilégiée par certains ménages soucieux de manifester une image généreuse vis à vis de leur entourage.

Il apparaît notamment déterminant sur la gestion du budget dans le couple. Les cas de ménages qui mettent en commun toutes leurs ressources pour en faire ensuite une répartition en grands postes ne sont apparus que dans des ménages où le chef de ménage et son épouse ou conjointe sont tous deux salariés.

Les femmes qui ont une activité de petit commerce participent pratiquement toutes à la dépense en condiments, souvent en complément de la somme allouée par le mari.

Comme on le verra ultérieurement, la proximité des marchés d’approvisionnement du lieu d’habitation est un facteur important du choix de leur fréquentation.

Il est parfois déterminant, notamment pour les ménages qui résident en immeuble où il est a priori délicat de piler des céréales et difficile de cultiver des légumes. De même pour certaines habitations où la cour est très petite, ou encore lorsque les points d’eau sont éloignés du domicile, la production sur pied est plus limitée. Certaines conditions d’habitat rendent aussi parfois difficiles le séchage des denrées (notamment pour le séchage des farines de céréales artisanales).

Si elle détermine certains choix de produits et leur niveau de consommation, elle apparaît aussi déterminante pour certaines pratiques d’approvisionnement.

Lorsque la région d’origine des membres du ménage urbain est éloignée de Ouagadougou, les dons et contre dons de produits alimentaires à l’occasion de visites entre parents urbains et ruraux sont moins fréquents. Le recours au marché pour les approvisionnements est plus systématique.

Comme on le verra plus en détail dans les paragraphes suivants, l’origine culturelle et géographique contribue à expliquer les pratiques d’auto-production en ville et le phénomène de fidélisation des consommateurs auprès de vendeurs afin de réduire les incertitudes sur la qualité des aliments au moment de la transaction.

4.1.2 - Les caractéristiques des ménages ouagalais qui auto-produisent

L’importance relative des pratiques d’auto-production a été présentée précédemment (§ 3.2.1.). Dans le présent paragraphe sont analysées les caractéristiques des ménages qui pratiquent une auto-production de céréales, de viande ou de produits maraîchers. L’identification de ces caractéristiques a été réalisée sur la base d’une analyse statistique des résultats de l’enquête sur ce thème dont les détails sont présentés en annexe 5.

La majorité des ménages enquêtés qui produisent des céréales à Ouagadougou est résidente dans le quartier Tanghin (19 ménages sur 25). Dans ce quartier, plus de la moitié des ménages produisent des céréales (principalement du sorgho). Ce résultat est peu surprenant au regard de l’histoire de ce quartier, qui a gardé un caractère très rural: historiquement et avant l’extension de Ouagadougou, Tanghin était un village.

La taille du ménage est un facteur déterminant. L’auto-production de grains par un des membres du ménage est caractéristique de ménages de grande taille (en moyenne 11,2 personnes), avec un nombre de «parents» important (en moyenne 4 parents). Chez les ménages polygames, cette activité est plus fréquente que dans les ménages monogames.

Il s’agit le plus souvent de ménages où le taux de scolarisation est très faible, et où les chefs de ménages et épouses n’ont pas d’activité professionnelle dans le secteur formel.

Le niveau de vie semble également un critère déterminant: l’auto-production de grains concerne 37 pour cent des ménages qui ont un indice d’équipement entre 2 et 5, contre moins de 10 pour cent des ménages qui ont un indice entre 21 et 80. Il concerne aussi 40 pour cent des ménages qui ont un habitat de type traditionnel (en banco).

Toutefois ces caractéristiques correspondent assez bien, d’une manière générale, aux caractéristiques de l’ensemble des ménages de Tanghin. Si l’on considère uniquement les ménages de ce quartier, les variables discriminantes se résument à la composition démographique du ménage. Dans ce quartier, l’auto-production de céréales est plutôt caractéristique des ménages de grande taille, et polygames.

L’effectif des ménages entrant dans cette catégorie est relativement faible pour avancer des résultats extrapolables à l’ensemble de la population de Ouagadougou.

Toutefois, il semble que des variables explicatives sont liées à l’ethnie, à la taille du ménage, au niveau de scolarisation, et au degré d’urbanisation des ménages.

En effet, la proportion des ménages qui pratiquent l’élevage est plus importante chez les ménages peul, chez les ménages de grande taille, avec un nombre de parents élevé, dont la femme n’est pas scolarisée et qui ont vécu plusieurs années à la campagne.[12]

L’activité d’élevage ne semble pas liée à un indice d’équipement particulier. Deux strates sont concernées par ce secteur d’activité: des ménages qui ont un indice très faible (0 à 5) et des ménages qui ont un indice moyen (21 à 40).

Les ménages qui pratiquent le maraîchage sont représentés dans tous les quartiers, mais plus particulièrement dans ceux périphériques (Tanghin et Secteur 30).

Les variables liées à l’équipement, à l’habitat, aux catégories professionnelles, à la taille du ménage et au niveau de scolarisation ne sont pas significatives d’une distribution particulière.

Par contre, l’utilisation du foyer traditionnel et l’origine rurale du ménage apparaissent liées à la production maraîchère. La proportion de ménages qui font du maraîchage est significativement plus importante dans les ménages qui font l’usage du foyer traditionnel (quoique non exclusivement), et qui ont vécu plusieurs années (plus de 15 ans) à la campagne.

L’identification des caractéristiques des ménages pratiquant une activité agricole pour l’autoconsommation, toutes productions confondues, fait apparaître les facteurs déterminants suivants.

La moitié des ménages qui ont une activité agricole pour l’autoconsommation est résidente à Tanghin, l’autre moitié se répartit dans les 6 autres quartiers.

L’auto-production est une caractéristique relativement plus importante dans les ménages présentant les caractéristiques suivantes:

- un nombre de parents élevé;

- un niveau de scolarisation faible;

- le couple (chef de ménage et conjointe[s]) n’exerce pas d’activité professionnelle de cadre;

- un indice d’équipement faible (75 % des ménages concernés ont un indice compris entre 0 et 5);

- un habitat traditionnel (71 % des ménages concernés vivent dans un habitat traditionnel);

- l’utilisation du foyer traditionnel;

- l’épouse a vécu plusieurs années à la campagne (88 % des ménages concernés ont une épouse qui a passé plus de 15 ans à la campagne). Ceci ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse de migrants récents: il peut s’agir de ménages installés depuis plus de 15 ans en ville.

4.2.3 - Les facteurs de choix des marchés pour les approvisionnements alimentaires

L’identification des facteurs de choix des marchés a été faite d’une part en distinguant les types de produits (céréales, viandes et poissons) et d’autre part en observant les lieux d’approvisionnement des chefs de ménage.

D’une manière générale, le ou les marchés dans lesquels les ménages font leurs achats sont des marchés proches du lieu de résidence comme le montrent les résultats du tableau 29:

Ainsi par exemple, les ménages de Gounghin se rendent à Gounghin yaar, les ménages de Zogona se rendent à Zogona yaar ou à Nabi yaar.

Cependant, une partie des achats de demi-gros se font dans des marchés éloignés du lieu de résidence. Par exemple, la moitié des achats céréaliers de demi-gros des ménages du secteur 30 ont été réalisés dans des marchés éloignés tels que Sankareyaar, Zogona yaar, Nabi yaar ou encore le grand marché.

Tableau CC. Répartition des achats de céréales sur les marchés selon leur proximité par rapport au lieu de résidence

Secteur enquêté

Achats au détail sur marché proche

Achats en ½ gros

Marché fréquenté proche

Marché fréquenté éloigné

sur marché proche

sur marché éloigné

Tanghin

100

100

0

Tanghin


Zogona-1200

 

100

81

19

Nabi yaar

Rodwooko*




Zogona yaar

Laarle




Ouemtenga

Sankareyaar

Secteur 30

 

100

50

50

Katre yaar

Rodwooko*




Zone 1

Sankareyaar





Zogona yaar





Nabi yaar

Goughin

100

94

6

Goughin yaar

Sankareyaar


*: Grand marché

Source: nos enquêtes réalisées en septembre 1994

Pour la consommation du jour, le poisson est acheté au marché du secteur. Mais à Zogona et secteur 30, la majorité des ménages qui achètent du poisson en demi-gros, l’achètent hors de leur secteur (Grand marché, Zogona, Laarle).

La même chose est observée en ce qui concerne la viande. Une exception cependant: plusieurs ménages du Secteur 30 achètent leur viande au détail ailleurs que sur le marché de secteur (achats effectués par la ménagère). Sachant que les ménages situés en zones périphériques, notamment Tanghin et Secteur 30, se plaignent de la qualité de la viande dans leur secteur, on peut faire l’hypothèse que les ménagères préfèrent acheter la viande dans d’autres marchés (Grand marché, Zogona, et Ouemtenga).

Concernant les légumes, certaines ménagères qui font des stocks de légumes frais vont s’approvisionner directement au producteur, dans des marchés situés à proximité des barrages où est pratiqué le maraîchage. Des femmes salariées ou fonctionnaires aiment s’y approvisionner en demi-gros très tôt le matin avant de se rendre au service.

Aucun cas où le chef de ménage achète de la viande ou du poisson sur un marché de secteur n’a été rencontré durant l’enquête. Quand celui-ci fait des achats, c’est dans d’autres lieux que les marchés de secteur, ou au grand marché. Plusieurs hypothèses peuvent être faites pour expliquer ce phénomène.

Le chef de ménage est parfois chargé de l’achat des stocks. Or le marché de produits alimentaires n’est pas un lieu où l’on rencontre des hommes, sauf là où sont concentrés les vendeurs de céréales en sacs. C’est avant tout encore le domaine de la femme, et il peut être mal perçu pour un homme de faire des achats au marché.

L’achat de stock représente un investissement important: c’est un achat concerne de nombreux repas. La préoccupation de trouver un produit de qualité satisfaisante et à un coût avantageux en est plus grande et justifie le fait de se déplacer.

Dans les ménages où le couple est salarié, la femme (ou le chef de ménage) peut facilement, à la sortie du service, s’arrêter sur le marché de son choix, marché qui se trouve sur sa route entre le lieu de travail et le lieu de résidence.

La non disponibilité de certains produits vendus en demi-gros, ou leur cherté relative, est aussi parfois à l’origine de la recherche d’un autre marché.

4.2 - Les facteurs liés aux caractéristiques de l’offre


4.2.1 - La disponibilité en produits
4.2.2 - L’adéquation des produits aux fonctions alimentaires
4.2.3 - L’adéquation des produits aux situations d’usage
4.2.4 - L’adéquation des produits aux outils techniques du ménage

Plusieurs types de facteurs liés aux caractéristiques de l’offre contribuent à expliquer les pratiques d’approvisionnement alimentaire: d’une part, la disponibilité des produits sur les lieux de vente, et d’autre part, les caractéristiques des produits vues sous l’angle de leur adéquation aux fonctions alimentaires, aux situations d’usage des produits, enfin aux outils techniques utilisés par le ménage.

4.2.1 - La disponibilité en produits

Les pratiques d’approvisionnement sont liées à la disponibilité spatiale et temporelle des produits.

D’une façon générale, la ville de Ouagadougou est relativement bien desservie en marchés (annexe 7). Tous les lieux de vente n’offrent cependant pas les mêmes types de produit. Certains marchés par exemple sont parfois déficitaires en certains produits. Sur les huit marchés enquêtés, nous n’avons cependant pas relevé de cas où l’approvisionnement est particulièrement difficile. Dans tous ces marchés il est possible de trouver des céréales, de la viande, du poisson, du soumbala, des légumes, des condiments, etc. Notons toutefois que les marchés périphériques (Tanghin, Zempasgo, et Katre yaar) ont tendance à être moins fournis que les autres marchés.

La vente sur les marchés commence entre 6 h 00 et 7 h 30 et se termine entre 17 h 00 et 18 h 00. C’est le grand marché qui ferme le plus tôt (17 h 00). La vente de viande se termine parfois avant la fermeture du marché.

La ville est assez bien desservie en nombre de marchés, et tous les quartiers bénéficient de marchés. Le marché qui est perçu par les consommateurs comme étant le plus cher est le Grand marché.

Les produits qui subissent les plus fortes variations de prix sont les fruits et légumes de contre-saison.

4.2.2 - L’adéquation des produits aux fonctions alimentaires

Les caractéristiques des produits et leur adéquation à certaines fonctions alimentaires (nutritives, mais aussi hédoniques et identitaires) jouent un rôle important dans les pratiques d’approvisionnement. Plusieurs cas illustrent ce rôle.

Des entretiens approfondis auprès des consommateurs et préparatrices de soumbala révèlent plusieurs caractéristiques reconnues et recherchées dans l’utilisation de ce produit. On peut citer les caractéristiques culinaires et nutritives, mais aussi identitaires (Bricas et Cheyns, 1995).

La consommation de soumbala permet en effet d’affirmer une identité, en exprimant son appartenance à un territoire. Celui-ci est perçu comme un héritage: «je suis née trouvé[13] le soumbala, mes parents en consommaient, moi aussi», «c’est une tradition», «je consomme le soumbala car je suis Mossi». Les soumbalas n’ayant pas les mêmes méthodes de fabrication et donc pas les mêmes caractéristiques intrinsèques selon les régions du Burkina, la population à Ouagadougou distingue les soumbalas «Bobo», «Mossi», «Bissa», etc. Ainsi, la recherche d’un produit spécifique, mais aussi le fait de s’approvisionner chez une préparatrice du même groupe culturel «participe de l’activation et de la construction de l’identité, à travers la reconnaissance dans une même communauté» (Bricas et Cheyns, 1995).

Les entretiens et enquêtes sur la consommation et les achats de viande, permettent de confirmer deux critères de qualité qui apparaissent communs à toutes les situations: la fraîcheur et la qualité sanitaire. Une viande de qualité est une viande «contrôlée» et «fraîche» ou «fraîchement abattue». La préférence des consommateurs pour la viande fraîche est bien sûr liée à une «trajectoire des goûts». Mais elle est aussi liée aux fonctions culinaires de la viande lors de son intégration dans un plat. Certaines des caractéristiques recherchées par les consommateurs à travers la viande sont d’ordres biologiques et nutritives: nourrir le groupe, apporter des «vitamines», «donner la force», mais aussi culinaires et gustatives: la viande est appréciée pour son goût, et pour sa capacité à agrémenter la sauce.

La quantité de viande consommée par personne peut être très minime, et parfois certains membres du groupe ne bénéficient pas de morceaux. Il n’est pas rare de rencontrer des ménages qui, avec 100 ou 200 FCFA de viande, doivent satisfaire une dizaine de personnes. Dans ce cas, la viande découpée en petits morceaux et mijotée dans la sauce a surtout pour rôle de lui donner du goût. La viande est perçue comme un exhausteur de goût, et ce qui en est attendu est alors son pouvoir de diffusion dans la sauce: diffusion de la saveur et diffusion des «vitamines». C’est donc une viande abattue depuis peu et bien saignante qui est privilégiée, ce critère primant alors sur la tendreté. «Comme le jus pénètre dans la nourriture, c’est aussi de la vitamine pour ceux qui n’ont pas de morceaux». Par contre, dans des ménages de petite taille à revenu élevé, la consommation occasionnelle de viande en tant que morceau (un steak par exemple) requiert d’autres caractéristiques: la tendreté devient un critère plus important que le pouvoir de diffusion du jus.

Le choix de la viande, du morceau, et du lieu d’achat dépend alors de l’une ou l’autre de ces caractéristiques culinaires de la viande recherchées: la viande vendue en alimentation est plus tendre (viande gardée au frais quelques jours), la viande du marché est une viande plus saignante (fraîchement abattue).

Le riz national et le riz importé sont a priori deux riz équivalents en terme de prix au kg (210 FCFA). Pourtant le riz importé semble préféré pour ses caractéristiques économiques. Le riz national est particulièrement long à cuire: il faut une première cuisson à la vapeur avant la cuisson à l’eau (pour éviter la bouillie de riz). L’allongement du temps de cuisson nécessite un coût supplémentaire en bois ou autres combustibles. D’autre part, le riz national gonfle moins à la cuisson que le riz importé: «si tu prends le riz du Burkina, le sac ne va pas finir le mois». Ainsi, pour la même quantité à l’achat en riz non cuisiné, les ménagères se retrouvent avec des quantités moindres après cuisson.

La majorité des individus enquêtés déclarent cependant préférer le goût du riz du Burkina. L’arbitrage entre les deux types de riz dépend ainsi des caractéristiques recherchées en priorité: nourrir le ménage avec une fréquence de consommation de riz satisfaisante, ou apprécier le goût du riz national, quitte à consommer moins de riz ou dépenser plus.

En milieu rural, les céréales traditionnellement utilisées pour le tô sont le mil et le sorgho. En ville, la majorité des ménages préparent le tô avec le maïs. Pour le ménage, le moment de rupture entre l’utilisation des mil/sorgho et du maïs apparaît le plus souvent comme la période d’arrivée à Ouagadougou. Le maïs est bien une céréale de la ville. Selon les ménagères urbaines, cette céréale est plus adaptée car elle permet de préparer un tô plus léger, plus «joli» et plus présentable (car bien blanc), et parce qu’elle est le signe d’une certaine «urbanité». Les mil et sorgho sont par contre reconnus plus nourrissants et consistants, mais plutôt adaptés à la vie au village.

4.2.3 - L’adéquation des produits aux situations d’usage

Les caractéristiques attendues par les consommateurs doivent souvent être replacées en fonction du contexte d’utilisation du produit: dans quels plats s’insère-t-il, à quelle occasion le consomme-t-on? Le choix des produits, mais aussi les pratiques d’approvisionnement peuvent alors varier d’un plat à l’autre, d’une occasion à l’autre.

Si l’on considère un produit sous sa forme spécifique (distinguer par exemple les différents poissons), il apparaît que le plat et les produits sont très liés.

Par exemple, si le poisson est destiné à relever la sauce, la ménagère choisira plutôt du poisson d’Abidjan ou de Dakar (une petite quantité suffit), qu’elle peut piler et disperser dans la sauce. Par contre, s’il s’agit de faire une soupe où les morceaux de poisson doivent être de taille suffisante pour en apprécier le goût et la consistance, elle optera plutôt pour des silures fumés ou des carpes.

En ce qui concerne le soumbala, les ménagères peuvent en utiliser différents type: un soumbala «ordinaire» pour les jours de la semaine, et un soumbala «spécial» pour préparer certains plats «spéciaux». Le soumbala «spécial» correspond souvent au soumbala du village d’origine, indispensable lors de la préparation de plats traditionnels.

De même, les os de la viande sont particulièrement appréciés pour la constitution des soupes.

Certains ménages ont en stock du riz ordinaire et du riz parfumé. La composition des repas a permis de révéler que le riz parfumé est alors destiné à la préparation du «riz gras», alors que le riz ordinaire est réservé aux autres plats de riz plus courants, notamment le «riz sauce».

Cette association des produits aux plats explique que les mêmes ménages achètent des produits spécifiques différents et explique aussi des pratiques d’approvisionnement différentes selon les situations.

Un même ménage peut s’approvisionner en viande de façon régulière au marché, et de façon occasionnelle dans une boucherie moderne ou une alimentation. Une ménagère explique ainsi qu’elle achète une à deux fois par semaine du steak haché dans les magasins d’alimentation pour préparer un plat spécial destiné aux enfants (sandwich à la viande). Pour la consommation ordinaire, elle continue à s’approvisionner au marché.

Les occasions de consommation (avec qui est partagé le plat, à quel moment il est consommé, où il est consommé, comment il est consommé) sont aussi des facteurs qui influent sur le choix des produits et sur les pratiques d’approvisionnement. Par exemple, pour offrir un plat à une personne enceinte, pour préparer les festivités d’un mariage, les exigences en matière de qualité du soumbala sont différentes de l’ordinaire. A ces occasions, beaucoup de ménagères déclarent utiliser un soumbala de leur région.

De même, dans une famille qui consomme régulièrement du boeuf, les jours de fête sont l’occasion de consommer du mouton. A cette occasion particulière, le mouton est de préférence acheté vivant, par le chef de ménage.

La réception d’invité à manger le soir peut-être l’occasion pour le chef de ménage d’acheter ou d’envoyer un enfant acheter un poulet grillé dans un point de grillade de la ville.

4.2.4 - L’adéquation des produits aux outils techniques du ménage

L’outil technique disponible et utilisé par les ménages n’est pas sans lien avec les pratiques d’approvisionnement. En effet, la capacité de stocker certains aliments frais, outre le besoin de disponibilités monétaires, est déterminée par l’infrastructure de stockage du ménage. Il est difficile d’acheter de la viande ou du poisson frais en stock sans un réfrigérateur à domicile. Cette contrainte est relativement levée par l’utilisation d’autres techniques de conservation, telles que le canari et la production maraîchère sur pied (pour le frais), le séchage et le fumage, ou encore la cuisson.

De même, en saison humide, la conservation de farine de maïs est particulièrement difficile. Dans ce cas, les ménagères qui s’approvisionnent habituellement en farine, reviennent pendant cette saison à un achat de maïs en grains qu’elles transforment elles-mêmes en farine (par le biais des moulins de quartier).

4.3 - Les facteurs liés aux conditions de transaction

Dans un contexte d’incertitude sur la qualité des produits, le choix du vendeur par les ménagères est très souvent lié à un besoin de garantie. Les relations de proximité permettent le plus souvent de générer cette confiance comme on peut s’en rendre compte au travers de plusieurs cas.

Au moment de l’achat de viande, les ménagères font le lien entre la viande et les conditions d’obtention qui sont déterminantes pour sa qualité: c’est le «parcours» de la viande depuis l’animal, jusqu’à sa vente en viande sur le marché. Il s’agit d’une part des conditions d’élevage: «quand la viande n’est pas bonne, elle est gluante; ça veut dire que la vache n’a pas été bien nourrie»; d’autre part des conditions d’abattage: «si la viande n’est pas passée par l’abattoir, on ne sait pas si l’animal était malade ou pas»; et enfin des conditions de distribution: l’exposition au soleil, la chaleur, le fait que «tout le monde puisse toucher la viande» avant l’achat, l’écoulement par certains bouchers de viande «de la veille». Ces facteurs, du point de vue des ménagères, altèrent la qualité de la viande.

Pour cela, les ménagères mobilisent leurs capacités d’évaluation sensorielle: de façon relativement unanime, la viande doit être «bien rouge», propre, elle doit être «ferme» au toucher et non «gluante», enfin elle doit être «saignante».

Outre l’évaluation sensorielle de la viande, d’autres indicateurs permettent à la ménagère de se garantir la qualité: la présence du tampon de l’abattoir (signifiant que la viande à été contrôlée par les services sanitaires); le moment de l’achat: il est préférable d’acheter au plus tôt le matin, avant que les mouches et la chaleur n’aient altéré la viande et avant que de nombreuses mains de ménagères n’aient touché les tas de viande; et enfin le lieu de vente et le choix du boucher détaillant (Cheyns, 1995).

Les lieux qui génèrent une plus grande confiance sont l’abattoir et certains marchés de secteur, notamment du point de vue de la qualité sanitaire: «quand on achète la viande à l’abattoir, on est sûr que l’animal était bien portant». A l’inverse, la viande vendue par les vendeurs ambulants est suspectée: «souvent ils se promènent vendre dans les maisons. Quand ils viennent, je dis que j’ai déjà acheté ma viande, ils repartent, ensuite je vais acheter au marché (...) cela parce qu’on ne connaît pas l’origine de leur viande, et puis on n’a pas confiance dans la viande qu’ils vendent». Avec les vendeurs ambulants, les ménagères sont incertaines de savoir si la viande est passée par l’abattoir, si l’animal était en bonne santé, s’il s’agit de viande «du jour», si l’animal a été abattu selon les coutumes religieuses: «nous sommes musulmans, on ne peut pas manger la viande tuée par n’importe qui». Certains marchés de secteurs périphériques ont mauvaise réputation: la viande clandestine y est, d’après les ménagères, beaucoup plus courante.

Dans le choix du boucher, la fidélisation permet aussi aux ménagères de se garantir la qualité du produit: «nous allons toujours chez lui parce qu’on sait que sa viande vient de l’abattoir», ou «j’achète chez lui parce que c’est un musulman».

Ces moyens sont employés par les ménagères pour leur permettre de réduire l’incertitude sur la qualité de la viande, celle-ci étant difficile à évaluer sur la seule base de ses caractéristiques physiques. Ce sont les étapes et personnes intermédiaires qui séparent le consommateur de l’origine même du produit (l’animal) que la ménagère cherche à identifier. S’approvisionner à l’abattoir, outre la garantie du contrôle sanitaire, est un moyen pour les ménagères de se rapprocher de la source du produit, et d’éluder les incertitudes liées aux conditions de distribution de la viande sur les marchés. Inversement, avec un vendeur ambulant, la ménagère perd la trace de l’origine et du parcours du produit.

Outre les phénomènes d’incertitude sur la qualité, rester proche de la source du produit fait aussi partie d’un rapport particulier de l’homme à son alimentation, qui participe à expliquer l’importance du «frais». On remarque que quand c’est encore possible, les consommateurs urbains s’approvisionnent en animaux vivants plutôt qu’en viande morte: c’est le cas pour l’achat de moutons en période de fêtes, mais aussi pour la majorité des achats de volailles, dont le passage à l’abattoir n’est pas obligatoire.

En ce qui concerne l’achat du soumbala, on constate que le choix de l’approvisionnement chez un vendeur est souvent lié à la recherche d’une garantie sur la qualité du produit (Bricas et Cheyns, 1995).

L’incertitude exprimée par les ménagères quant à l’achat du soumbala concerne les caractéristiques physiques du produit (qualité du séchage, composition du produit), son origine territoriale, les compétences et le savoir-faire des préparatrices, le respect du procédé de fabrication, et les conditions hygiéniques de transformation et de vente. A Ouagadougou, ces incertitudes sont essentiellement liées à l’évolution des compétences des ménagères et des artisanes, et des conditions de production et d’acquisition sur un marché urbain. Sur ce dernier point, on peut remarquer que l’apparition des intermédiaires dans la commercialisation du soumbala contribue à accroître l’incertitude sur la qualité: «Vous voyez, à Ouaga le commerce est difficile... Si c’est en zone rurale on connaît les préparatrices de soumbala qui sont en même temps les vendeuses. On sait que à une telle, son travail c’est le soumbala. Donc on peut repérer facilement la vendeuse réputée. Mais à Ouaga la vendeuse achète chez une autre vendeuse, et quand nous allons acheter, nous ne pouvons pas savoir...».

A Ouagadougou, contrairement au village, la reconnaissance de la compétence des préparatrices n’est plus unanimement admise: la non qualification de certaines préparatrice est dénoncée: «Je prends mon soumbala au village pour une question de qualité. Parce que les conditions, l’hygiène ici, à Ouaga, c’est pas ça. Tu peux rencontrer une femme qui est là, au bord du barrage, ou vraiment dans des lieux malpropres. Et comme elles font le soumbala pour le commerce...». On observe ainsi l’émergence d’une suspicion sur la qualification des préparatrices de soumbala à Ouagadougou.

Pour résoudre cette incertitude sur la qualité du soumbala, les ménagères peuvent prendre le parti de mettre en oeuvre leurs propres compétences à sélectionner chez les différentes vendeuses un soumbala qui leur convienne. Mais elles peuvent aussi baser leur confiance sur un type de vendeuse ou de préparatrice, en établissant une relation de proximité. Il peut s’agir du choix de s’approvisionner directement au village (57 % des ménages), ou de se fidéliser chez une vendeuse à Ouagadougou (30 % des ménages). La confiance peut dans ce cas être générée par le fait d’acheter le soumbala chez une préparatrice âgée qui a le savoir traditionnel (on les appelle les «vieilles du quartier»). Elle peut être générée par le fait de s’approvisionner chez une femme de même origine territoriale, chez une vendeuse réputée, ou encore chez une préparatrice directement à domicile, c’est-à-dire sur son lieu de production. Cette dernière pratique permet à la cliente de connaître les conditions de production du soumbala.

La demande potentielle en farine de maïs est apparue chez beaucoup de ménagères. Pourtant ces ménagères continuent à s’approvisionner en grains et à utiliser les moulins de quartier. Les principales raisons qu’elles avancent sont:

- Pour les farines artisanales: l’absence de confiance dans les conditions de transformation du maïs par les artisanes du marché, qui sont avant tout perçues comme des commerçantes «qui cherchent le profit», et non comme des artisanes compétentes, et parfois le manque d’hygiène.

- Pour les farines industrielles: la non adaptabilité des caractéristiques organoleptiques du produit pour la préparation du tô (mauvaise consistance du tô).

L’incertitude sur les conditions de transformation de la farine artisanale et donc de la qualité du produit pour la préparation du tô est souvent levée par les ménagères par un approvisionnement auprès d’une préparatrice qu’elles connaissent, auprès de qui elles sont fidélisées, et où elles ont pu vérifier les conditions de transformation.

Le peu de succès qu’ont eu les farines industrielles GMB, non adaptées à la préparation du tô, souligne l’attachement des consommateurs à une qualité du produit qui renvoie à un modèle: le produit domestique. Proposer un produit sur le marché qui a déjà son concurrent au domicile des ménages (la transformation par la ménagère) l’expose à une comparaison avec un savoir-faire domestique et un jugement de son adaptation au plat.

D’une façon plus générale, l’importance des relations de proximité sociale dans les transactions entre consommateurs et vendeurs, conduit à dépasser une vision des structures de distribution comme seuls espaces économiques. Certes, des produits et de la monnaie s’échangent sur les marchés et l’on peut bien parler d’espace économique. M. Poussi (1975) écrivait que «au 17ème siècle, Ouagadougou était devenue un carrefour pour les caravaniers et une escale de commerce entre la Côte et les régions sahéliennes. L’on comprend alors que les rois mossis aient tenu à l’approcher de leur résidence pour un meilleur contrôle des gens et des biens, objets de prélèvements systématiques[14]. En effet, le grand marché a connu différents emplacements depuis son existence, dont certains étaient liés à une proximité avec le lieu de résidence du Naba (roi). La place actuelle du grand marché est celle qui a été décidée en 1924 sous Naba Koom II».

On peut toutefois percevoir aussi le marché comme un espace social. Le marché est d’abord un lieu de rencontre par excellence. «Sur le plan socioculturel, le marché avait une importance égale sinon supérieure à l’importance économique. Le marché était en effet l’endroit privilégié où les aristocrates et les chefs pouvaient étaler leur rang social en prodiguant des largesses aux amis, parents, alliés, même aux inconnus, aux griots surtout chargés de proclamer leurs mérites et leur rang. C’est là également le lieu de rencontre par excellence, des rendez-vous amoureux en particulier, les jeunes filles voyant là les seules rares occasions de sorties autorisées. C’est là enfin que se déroulaient les manifestations publiques des initiations et des funérailles» (Poussi, 1975).

Le nom du marché Rood-wooko est d’ailleurs assez significatif: il associe le verbe roo ou doo qui signifie courtiser, fréquenter ou aller faire un tour au marché ou aux fêtes, au mot wooko qui signifie long, longuement (marché ouvert toute la journée). Les bouchers se plaisent ainsi parfois à courtiser leurs clientes. Certains reconnaissent même que «cela fait partie du jeu», et peut constituer une tactique pour fidéliser la clientèle.

Le marché est aussi un lieu où se pratique le marchandage. Pratique dont on peut mesurer le rôle économique, mais qui fait aussi partie d’une «façon de faire», d’une culture spécifique. L’achat en magasins d’alimentation de produits conditionnés dont les prix sont fixés à l’avance, marque ainsi une rupture par rapport au style de vente traditionnel.

Enfin, le marché est le lieu où l’on discute, mais aussi où l’on affirme ses compétences et son intérêt pour l’alimentation. «Les consommatrices, en cherchant sur le marché le soumbala qu’elles souhaitent, en évaluant la qualité du soumbala sur la base de ses caractéristiques physiques, montrent et font reconnaître leur savoir sur l’évaluation de la qualité du soumbala. La consommatrice qui choisit le soumbala sur la base de son savoir pour évaluer la qualité et la valeur d’un produit, affirme en même temps ses compétences» (Bricas et Cheyns, 1995).

On pourrait ainsi penser que les lieux de vente modernes (magasins d’alimentation, boucheries) attirent la population par le prestige que peut représenter la consommation des produits de luxe qu’on y trouve. Cela est certainement vrai. C. Yaméogo (à paraître) écrit à ce propos que beaucoup de jeunes ou de ménagères se rendent dans les magasins d’alimentation pour y acheter juste un produit, flâner dans le magasin, et profiter de la fraîcheur (lieux climatisés).

Toutefois, les formes d’échange locales des produits ont aussi leurs atouts et ne sont pas en concurrence avec celles modernes. On doit plutôt les voir comme complémentaires et ne remplissant pas les mêmes fonctions.

Questions

Quels sont les principales caractéristiques des ménages à prendre en compte pour comprendre les pratiques d’approvisionnement?

Dans quelle mesure les conditions d’usage des produits déterminent-elles des pratiques d’approvisionnement spécifiques?

Par quels moyens les ménagères parviennent-elles à réduire leur incertitude sur la qualité des produits proposés lors des transactions commerciales?

Quelles sont les limites pour la promotion des produits alimentaires locaux du développement de l’artisanat de transformation?


[12] La dépendance de ces variables explicatives entre elles n’a pas été étudiée.
[13] Née trouvé: quand je suis née, c’est ce que j’ai trouvé (ce qui était pratiqué).
[14] "Le Raag-naba prélevait nombre de denrées pour la cour du Moro-Naba et pour lui-même, mais assurait aussi la police du marché. Les délinquants étaient saisis, corrigés sur place ou exclus du marché. Les cas graves étaient déférés au Moro-Naba lui-même pour être jugés" (Poussi M., 1975, note de l’auteur).

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