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Résultats de vingt années de recherche sur Pinus tecunumanii par la Coopérative CAMCORE[1] (W. S. Dvorak, G. R. Hodge et J. L Romero[2])

Pinus tecunumanii[3] a été l’un des pins tropicaux le plus étudié au cours des deux dernières décennies. La Coopérative CAMCORE[4] a commencé ses premières collections de semences de provenances de P. tecunumanii en Amérique centrale en mars 1981. Depuis, elle a échantillonné 1 473 arbres dans 48 populations de P. tecunumanii dans le Mexique méridional et en Amérique centrale. Cent-cinquante-trois essais de provenances et de descendances et 50 banques de conservation ex situ ont été mis en place dans neuf pays. On a fait 357 sélections dans les essais de descendances de la CAMCORE et les meilleurs génotypes ont été greffés dans des vergers à graines en Colombie et en Afrique du Sud. D’autres vergers à graines seront installés au Brésil et au Venezuela. Le coût de la récolte de semences et de la mise en place, de l’entretien et de l’évaluation des essais de terrain durant les vingt dernières années s’est élevé à environ 1,0 million de dollars E.-U. Le présent document résume quelques-unes des leçons retenues au sujet de l’espèce à la suite de travaux de recherche intensifs.

EVOLUTION ET AIRE GÉOGRAPHIQUE

Pinus tecunumanii semble être sur le plan génétique étroitement apparenté à P. oocarpa selon des résultats phylogéniques d’études de marqueurs moléculaires RAPD. Il s’est développé sur des sites plus fertiles et plus humides que ceux où P. oocarpa est normalement présent. L’aire de répartition géographique de P. tecunumanii va des montagnes centrales du Chiapas (Mexique) au Nicaragua central, soit une distance d’environ 1 000 km. Selon plusieurs taxinomistes, P. tecunumanii s’étend à l’ouest jusqu’à Oaxaca et Guerrero (Mexique). Toutefois, l’examen de l’ADN d’arbres de ces régions à l’aide de marqueurs moléculaires indique qu’ils sont apparentés à P. patula et à P. herrerae et non pas à P. tecunumanii.

PRODUCTIVITÉ EN TANT QU’ARBRE EXOTIQUE

P. tecunumanii non amélioré pousse au rythme de 14m³/ha/an au Venezuela et au Brézil, de 15m³/ha/an en Afrique du Sud et de 25m³/ha/an en Colombie, mesuré à l’âge de 8 ans. Dans le centre du Brésil, P. tecunumanii pousse à peu près au même rythme que de bonnes sources de P. caribaea var. hondurensis. Dans les régions subtropicales du Brésil méridional, de bonnes sources de P. tecunumanii produisent environ 15% de plus en volume que P. taeda amélioré. En Colombie comme en Afrique du Sud, P. tecunumanii affiche une meilleure croissance et un meilleur développement que P. patula sur les sites plus tropicaux de basse altitude. Pinus tecunumanii ne résiste pas au froid et pâti beaucoup des fortes gelées.

VARIATION DANS LES PROVENANCES

On peut diviser les provenances de P. tecunumanii en gros en deux groupes dans leur milieu d’origine. Les sources de haute altitude (HA) sont celles qui se trouvent à peu près entre 1 500 et 2 900 m d’altitude; les sources de basse altitude (BA) se trouvent entre 450 et 1 500 m d’altitude. Sur les 48 provenances testées par la CAMCORE, 30 sont des sources HA et 18 sont des sources BA. L’évaluation de 78 des tests les plus anciens effectués par la CAMCORE a indiqué que Montebello dans le Chiapas (Mexique) et San Jeronimo (Guatemala) étaient les sources HA les plus productives. Villa Santa, Honduras, San Rafael del Norte et Yucul (Nicaragua) étaient les meilleures provenances BA. Camelias et Apante (Nicaragua) ont aussi affiché un bon potentiel, suivies des sources honduriennes de Culmí, San Esteben et San Francisco. Les provenances les moins performantes pour ce qui est du volume de production proviennent de zones de récolte situées à de hautes altitudes (2 200 m) dans le centre du Chiapas ou sont celles mélangées avec P. oocarpa à la limite méridionale de l’aire de répartition géographique de P. tecunumanii dans le centre du Nicaragua.

INTERACTIONS PROVENANCES X SITES

Le rendement des provenances relativement au volume dans 78 localités de quatre pays a été relativement stable. Les corrélations génétiques moyennes de type B concernant les effets des provenances pour des paires d’essais dans le même pays ont été estimées à 0,60 - 0,81 (une corrélation de 1,0 laisserait à penser qu’il n’y a pas de changements de classement). Les corrélations génétiques de type B pour des paires d’essais situés dans différents pays ont été de 0,54 à 0,58 selon la méthode de calcul.. Le rendement des provenances était plus stable pour les sources BA que pour les sources HA, probablement parce que les populations de HA étaient établies sur une gamme de sites plus vastes avec des altitudes allant de près du niveau de la mer jusqu’à 2 400 m.

PARAMÈTRES GÉNÉTIQUES

Les niveaux de variance additive chez P. tecunumanii sont de la même ampleur que ceux trouvés pour d’autres espèces de pins tropicaux et subtropicaux. L’héritabilité moyenne des arbres estimée sur la base de 78 essais de provenances/descendances de 5 et 8 ans d’âge était de 0,16 pour le volume, de 0,13 pour la rectitude de la tige, de 0,09 pour le diamètre des branches et de 0,06 pour la fourche. Pour la densité du bois, l’héritabilité dans les quatre essais de P. tecunumanii évaluée en Colombie à l’âge de 8 ans allait de 0,21 à 0,47. Les interactions famille x site pour les caractères relatifs à la croissance sont importantes pour P. tecunumanii.

QUALITÉ DU BOIS

Le bois de Pinus tecunumanii a une teinte jaunâtre et peu de matière extractive dans la plupart des environnements. Par rapport aux autres pins méso-américains plantés comme espèces exotiques, la densité du bois de P. tecunumanii est généralement supérieure à celle de P. patula, inférieure à celle de P. oocarpa, et supérieure à celle de P. caribaea var. hondurensis lorsque les arbres sont plantés à mi-hauteur. Quand ils sont plantés à basse altitude, la densité du bois de P. tecunumanii est égale ou inférieure à celle de P. caribaea var. hondurensis. Des études effectuées par les chercheurs du SAFCOL en Afrique du Sud ont indiqué que P. tecunumanii avait des cellules trachéidales dont le diamètre en section transversale était beaucoup plus large que celui de P. patula ou de P. taeda. Pinus tecunumanii a un faible pourcentage de bois final, ce qui explique pourquoi les gradients de densité moelle/écorce chez cette espèce ne sont pas aussi extrêmes que ceux des pins du sud des Etats-Unis lorsqu’ils poussent en Afrique du Sud. Un certain nombre d’études sur la transformation dans divers pays ont indiqué que le bois est très acceptable pour la pâte, le papier et les produits en bois massif.

RUPTURE DES TIGES

La plus grande limitation à l’emploi de P. tecunumanii dans les plantations des zones tropicales et sub-tropicales est la tendance de la tige principale à se rompre dans la partie supérieure de la couronne. La tige devient sensible à l’intersection des verticilles de la branche lourde. Des vents légers ou même la force de gravité suffisent pour faire casser les branches à l’entre-noeud, affaiblissant la tige principale au point qu’elle se courbe facilement en cas de nouvelles tempêtes. La rupture de la tige tue rarement l’arbre mais entraîne une grande perte de volume. Au pire, la rupture de la tige peut affecter 30 à 40 % des arbres.

Au départ, on a pensé que la rupture de la tige était sous contrôle génétique modéré. Toutefois, des résultats récents font penser qu’il faut plutot rattacher ce défaut à des effets environnementaux qui varient d’une région géographique à l’autre. Les problèmes de rupture de la tige sont pratiquement inexistants dans certaines régions du Venezuela et dans le nord et le centre du Brésil entre 0 et 13° de latitude où des saisons sèches bien définies prévalent. Dans les zones de hautes altitudes, de précipitations abondantes, ou de forts vents saisonniers, la rupture devient très importante. L’héritabilité de la rupture de la tige est d’environ 0,06.

Il y a des différences importantes entre les provenances concernant la rupture des tiges. Toutefois, il semble qu’il n’y ait pas de corrélation étroite entre le taux de croissance et le pourcentage de rupture de la tige. Amoindrir le taux de rupture de la tige dépendra des bonnes pratiques sylvicoles et génétiques. Cela comprend l’établissement de P. tecunumanii sur le site approprié à l’aide d’une bonne source de semences. Cela signifie également enlever les arbres endommagés au moment de l’élagage et de la sélection contre la rupture dans les programmes d’amélioration. Il faut poursuivre les travaux pour expliquer comment des facteurs environnementaux tels que le climat, le sol et la photopériode influent sur le taux de rupture des tiges.

INSTABILITÉ DES RACINES

On sait depuis plusieurs années que P. tecunumanii a un système radiculaire peut profond ressemblant beaucoup à celui de P. oocarpa a et qu’il peut être vulnérable aux coups de vent. Toutefois, des essais mis en place dans tout le pays ont indiqué que la dimension du récipient en pépinière influe beaucoup sur le développement du système radiculaire et sur la stabilité qui s’ensuit sur le terrain. En particulier, P. tecunumani est très prédisposé à l’enracinement en J ou en vrille. Certains gérants de pépinières ont commencé à utiliser des récipients avec des bords intérieurs pour amoindir les effets d’enroulement en spirale et ont planté des plants à des hauteurs plus basses (10 à 20 cm) que dans le passé pour éviter que le problème ne se pose.

POTENTIEL POUR LES HYBRIDES

Pinus tecunumanii se croise facilement avec P. caribaea, P. oocarpa et P. patula. Des membres de la CAMCORE ont procédé avec succès à des croisements entre P. tecunumanii et P. taeda, P. elliottii, P. greggii, et P. radiata mais la grenaison a été faible ou très variable. Pinus tecunumanii est facile à multiplier végétativement et il devrait être possible de compenser les faibles rendements de semences par la multiplication des familles de la plupart des descendances hybrides. Pinus tecunumanii offre aux sélectionneurs un certain nombre de caractères qui peuvent être précieux dans la combinaison des hybrides comme la croissance rapide, une qualité de bois appropriée, et dans quelques cas, une tolérance à la sécheresse supérieure (arbres BA) et une résistance aux maladies. Par exemple, les sources BA de P. tecunumanii semblent être très résistantes à Fusarium circinatum; syn. F. subglutinans f. sp. pini au stade jeune, grave problème à la fois pour P. radiata et P. patula (au stade jeune).

CONSERVATION

Pinus tecunumanii est présent dans une série de petites populations isolées, dans toute son aire naturelle. Des études d’alloenzymes font penser que les niveaux de diversité génétique vont de la moyenne au-dessus de la moyenne par rapport à d’autres espèces de pins. Bien qu’elles ne soient pas en danger immédiat d’être éradiquées, l’action des bûcherons et l’expansion agricole vont faire baisser la qualité génétique ou détruire complètement certaines populations au cours des dix prochaines années. Sur la base de nos évaluations dans le Chiapas et en Amérique centrale, 30 % des populations de P. tecunumanii sont en danger de disparition, 60% sont vulnérables et 10% courent un faible risque. Parmi les meilleures sources de semences, Yucul, Nicaragua et Montebello, dans le Chiapas semblent être bien protégées. San Jeronimo, Guatemala, San Rafael del Norte et Las Camelias (Nicaragua) nécessitent une forte protection in situ.

Actuellement, P. tecunumanii est un des pins les mieux conservés ex situ. La poursuite de la conservation ex situ de P. tecunumanii dépendra de l’intérêt suscité par l’espèce sur le plan commercial, qui à son tour sera fonction du succès qu’auront les chercheurs en réduisant la rupture de la tige moyennant la sélection et des traitements sylvicoles.

POTENTIEL DE PINUS TECUNUMANII COMME ESPÈCE DE PLANTATION

Il y a environ 10 000 hectares de P. tecunumanii dans les zones tropicales et subtropicales. On plante probablement chaque année moins de 2 000 hectares. Les activités de recherche de la CAMCORE ont démontré le grand potentiel de P. tecunumanii lorsqu’il est planté dans les niches écologiques adaptées. On peut en augmenter l’importance en l’utilisant dans des croisements hybrides. Même si l’espèce présente plusieurs inconvénients, ceux-ci peuvent être surmontés à l’aide de pratiques sylvicoles améliorées associées à la sélection et à l’amélioration. Des activités d’amélioration de P. tecunumanii doivent être transférées à la deuxième génération pour déterminer la vraie valeur de l’espèce. Dans le cas contraire, on continuera de miser sur les espèces qui ont été utilisées au siècle dernier, qu’elles soient meilleures pour tous les sites ou non.

Les avantages et les inconvénients de P. tecunumanii selon les membres de la CAMCORE sont résumés ci-après.

AVANTAGES DE PINUS TECUNUMANII

  • Excellentes informations disponibles sur la variation dans les provenances en ce qui concerne la croissance et la forme.
  • Pousse rapidement en pépinière.
  • S’installe rapidement sur les sites où l’on lutte contre les adventices.
  • Affiche une meilleure résistance à la sécheresse que P. patula en Afrique du Sud durant les années qui suivent l’établissement.
  • Meilleure productivité que P. oocarpa et parfois que P. caribaea var. hondurensis sur la plupart des sites dans les pays tropicaux où l’âge de rotation est £ 16 ans.
  • Meilleure productivité que P. patula dans les zones où les gelées sont rares.
  • Meilleure productivité que P. elliottii à des latitudes plus basses, sur des sites plus chauds et plus secs dans les zones d’altitude d’Afrique australe.
  • Teneur plus faible en écorce par unité de volume que P. taeda.
  • Faible pourcentage d’hypertrophie terminale (approx. 5 à 15%, sauf Mountain Pine Ridge, source Belize).
  • Plus faible pourcentage de matière extractive (environ 4%) que certains pins du sud des Etats-Unis.
  • Plus forte densité du bois que P. patula en Colombie et en Afrique du Sud.
  • Densité du bois plus uniforme dans et entre les cernes annuels que P. elliottii, P. patula et P. taeda en Afrique du Sud.
  • Propriétés du bois acceptables pour la pâte, le papier et les sciages.
  • Plus résistant à Sphaeropsis sapinea (Diplodia) que P. patula et P. greggii dans le Brésil méridional.
  • Tolérance moyenne à élevée à Fusarium subglutinans f. sp. pini dans le tri des semis.
  • Hybridation facile avec plusieurs espèces de pins.


INCONVÉNIENTS DE PINUS TECUNUMANII

  • La dimension des récipients en pépinière influe largement sur l’architecture des racines.
  • Racines peu profondes et prédisposition au chablis.
  • Rendement médiocre sur les sites humides et lorsque la concurrence des mauvaises herbes est forte.
  • Sensible au gel.
  • Rupture de la tige supérieure commune chez les sujets de plus de 3 ans dans la plupart des localités.
  • La couronne légère ne réussit pas à bloquer complètement la concurrence des adventices dans le sous-étage après fermeture de la couronne dans plusieurs localités, ce qui entraîne la formation de combustible et augmente le risque d’incendie.
  • Ne produit pas de rejets après le feu.
  • Modérément sensible à l’aphide du pin Pineus pini en Afrique du Sud.
  • Sensible aux attaques de Cinara cronartii (aphide noir) en Afrique australe.
  • Modérément sensible à Cylindrocladium spp. en zones de basse altitude dans les zones tropicales.
  • Très sensible à Hylastes sp. au stade jeune en Afrique australe.
  • Très sensible à Cronartium quercuum f. sp. fusiforme (rouille fusiforme) dans les essais de tri de graines.
  • Brouté de préférence par le bétail et les antilopes en Afrique du Sud.
  • Le bois a une plus faible résistance à la déchirure et à l’éclatement que P. patula.
  • Les arbres des populations de HA ne produisent pas en général de grandes quantités de graines.


REMERCIEMENTS

La CAMCORE tient à remercier les institutions du Mexique et de l’Amérique centrale qui l’ont aidée à récolter des semences de Pinus tecunumanii, ainsi que les organisations de la CAMCORE du monde entier qui participent à la conservation et aux essais de l’espèce pour leur appui.

RÉFÉRENCES

La plus grande partie des informations contenues dans le présent article sont tirées de:

Dvorak, W. S., G. R. Hodge, E. A. Gutiérrez, L. F. Osorio, F. S. Malan et T. K. Stanger. 2000. Pinus tecunumanii. In: Conservation and Testing of Tropical and Subtropical Forest Species by the CAMCORE Cooperative. College of Natural Resources, NCSU. Raleigh, NC. USA. pp: 188-209.


[1] Reçu en juin 2001. Original: anglais
[2] Coopérative CAMCORE. College of Natural Resources, North Carolina State University, Raleigh, Caroline du Nord, Etats-Unis.
[3] Pinus tecunumanni a déjà été mentionné dans Ressources génétiques forestières n°13 et n°16.
[4] Les activités de la Coopérative CAMCORE ont été décrites dans Ressources génétiques forestières n° 24 et n° 27.

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