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Les écosystèmes de montagne et leur mise en valeur

M. Muthoo

Maharaj Muthoo est Président de
Harinternational, une organisation
spécialisée dans les problèmes des
écosystèmes fragiles, l'environnement
et le développement. Il a été directeur
des opérations forestières de la FAO et
Directeur exécutif du Forest Stewardship
Council.

Vue d'ensemble de la diversité des environnements de montagne et des facteurs écologiques - d'ordre non seulement naturel et biophysique, mais aussi social, économique et culturel - entrant en jeu dans la mise en valeur durable des montagnes.

Le présent article se fonde d'une part sur des notes préparées par Rakesh Agrawal pour l'Uttaranshal, Siddharta Bajrachraya pour le Népal, David Barkin pour le Mexique, Anvar Buzurukov pour le Tadjikistan, Gerry Neville pour le mont Welgon, Mauricio Castro pour la Colombie et Prasert Trakansuphakon et Helen Leake pour la Thaïlande.

«Agar firdaus ho bar rue zamin ast o hamin ast, o hamin ast, o hamin ast» - s'il y a un paradis sur terre, il est ici, il est ici, il est ici. Ainsi parla l'empereur mogol Jehangir, au début du XVIIe siècle, lorsqu'il visita la vallée du Cachemire en Inde, et fut émerveillé par ses majestueuses montagnes dont quatre sommets culminent à plus de 8 000 m. Cette beauté est intemporelle. Pourtant, Nehru (1946), déplorait, à propos de la même région, que malgré «le riche don de la nature, il y règne une misère noire, et que l'humanité lutte constamment pour obtenir le minimum nécessaire à sa subsistance». D'où vient ce contraste si marqué entre la beauté physique des montagnes et la rigueur des conditions de vie qui y règne? Pourquoi, malgré les richesses de la nature, l'environnement n'est-il pas à même de garantir aux communautés de montagne des moyens d'existence fiables et durables?

Cet article ne prétend évidemment pas fournir de réponse. Il se contente d'attirer l'attention sur cette question, au moyen d'une enquête sur l'état de quelques écosystèmes de montagne, en particulier dans les régions pauvres du monde en développement. Cette enquête met en relief la diversité des situations et l'indifférence généralisée pour la capacité de charge des écosystèmes de montagne et les moyens d'existence des communautés locales. Au vu du tableau général qui émerge de cette enquête, il se penche sur les interactions entre les dimensions environnementales, économiques et sociales, et conclut que la question ne peut être abordée que dans le contexte d'une approche intégrée.

La beauté intemporelle du Cachemire - un paradis terrestre

- M. MUTHOO

LA DIVERSITÉ DES MONTAGNES ET LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Il existe plus de 130 chaînes de montagne dans le monde, sans compter celles qui se trouvent en dessous du niveau de la mer. Etant de nature très différente, les écosystèmes montagneux ont donné naissance à une grande diversité biologique. Cette diversité est importante pour garantir non seulement des moyens d'existence durables aux communautés de montagne, mais aussi la sécurité alimentaire et le bien-être socioéconomique des populations de plaine.

L'hétérogénéité topographique et la compression des zones climatiques (Körner, Spehn et Messerli, 2001) favorisent considérablement la diversité dans les environnements de montagne. Ces facteurs se conjuguent avec le fort ensoleillement, les vents desséchants ou l'humidité atmosphérique pour créer une multitude d'habitats montagneux. D'autres facteurs géomorphologiques, comme les fortes pentes et le relief accidenté, ont une influence critique sur le processus d'altération atmosphérique des roches, la formation des sols, les types de végétation, les habitats de la faune sauvage et des populations humaines. Cela explique que des versants dénudés côtoient souvent des forêts à la végétation luxuriante. Les biotes montagneux sont particulièrement influencés par le contact avec les formations rocheuses sous-jacentes, la descente continue de biomasse vers l'aval et l'érosion du sol. De plus, la plupart des écosystèmes de montagne sont dynamiques, avec des torrents, des modifications des cours d'eau, des éruptions de lave, des mouvements glaciaires et l'activité géologique qui est responsable de l'existence des montagnes et contribue à leur fragilité intrinsèque. Du point de vue géologique, les montagnes de l'Himalaya sont jeunes et encore en croissance, puisqu'elles sont nées de la collision de plaques tectoniques de l'écorce terrestre, il y a à peine 60 millions d'années. C'est la raison pour laquelle on trouve des sols et des substratums marins, y compris des coquillages, sur les sommets des hautes montagnes, qui renforcent leur diversité géologique.

La géodiversité des montagnes, plus grande que celle des plaines, explique en partie la biodiversité des hautes montagnes (Körner et Spehn, 2002). L'écodiversité - qui est une combinaison de la biodiversité et de la géodiversité - est aussi particulièrement élevée dans les environnements de montagne.

Cette écodiversité se reflète dans la diversité culturelle et dans les pratiques d'utilisation des terres dans les environnements de montagne, qui se sont adaptées au fil du temps aux conditions spécifiques du sol, de l'eau, de la végétation et du climat, et ont orienté de manière significative le développement de la société et des civilisations. La majorité des populations préhistoriques de chasseurs-cueilleurs (à partir de l'an 10 000 av. J.-C., environ) du Proche-Orient et de l'Asie centrale, de la vallée du Rift africaine et, plus tard, des Andes, de la Sierra Madre et du Tibet, sont nées dans les montagnes, en raison de la grande diversité animale et végétale concentrée sur de petites distances, de la disponibilité d'eau, de bois, de laine, d'abris et de conditions propres à la survie durant toute l'année, souvent à l'écart du monde et de ses dangers. Dès le début du troisième millénaire av. J.-C., les montagnards perfectionnaient leurs systèmes agropastoraux, domestiquant des animaux locaux, comme les yaks, les lamas et les chèvres et les moutons de montagne, ainsi que plusieurs cultures vivrières de base, dont l'orge, le blé, le maïs et les pommes de terre. Comme le démontre l'ascension et la chute des civilisations de la Mésopotamie (bassins du Tigre et de l'Euphrate) et du bassin de l'Indus, il est impossible de préserver les ressources en eau vitales pour les populations d'aval, ou de prévenir les inondations et les famines récurrentes, si l'on ne prend pas la peine de nourrir les environnements de montagne.

La passe de Khyber, en Afghanistan, a toujours été d'une grande importance stratégique pour le commerce, les conquêtes et la défense

- W.L. MITCHELL

De nombreuses montagnes font office d'îlots abritant de nombreuses espèces endémiques, ce qui est fondamental pour la sécurité alimentaire du monde entier. Le pâturage d'altitude traditionnel et les systèmes durables d'aménagement des forêts et d'agriculture de subsistance ont favorisé la formation de riches biotes alpins et subalpins. La richesse biologique est un indicateur de l'intégrité de l'environnement montagneux, qui est menacé par les changements d'affectation des terres déclenchés par la nature ou par le marché, la pression des populations et la pauvreté. Comme l'a noté Sir Edmund Hillary (cité dans Jeffries, 1985) 30 ans après avoir escaladé le mont Everest, «Jadis, les Sherpas de la région de l'Everest (Sagarmatha) protégeaient leurs forêts avec le plus grand soin, mais aujourd'hui les pressions financières de plus en plus fortes les incitent à couper, couper, couper et couper encore!»

Heureusement, le mépris pour la diversité affiché par le monde moderne, qui a ignoré le savoir des communautés montagnardes locales, est aujourd'hui fortement contesté par les membres de la société civile et par une communauté internationale éclairée. On prône le recours à certains mécanismes pour internaliser les externalités positives - par exemple faire payer les services environnementaux et l'utilisation des ressources, comme les fonctions des bassins versants et les activités de prospection biologique (Barbier, 2000), de façon à indemniser les communautés locales et les pays pour leurs efforts de conservation qui sont bénéfiques pour l'ensemble de la planète.

Les sections qui suivent illustrent la diversité des environnements de montagne - le terme «environnement» englobant ici toutes les dimensions de l'environnement de l'humanité - à savoir l'environnement biophysique et social, naturel et an-thropogénique, économique et culturel, passé, présent et futur.

QUELQUES ENVIRONNEMENTS DE MONTAGNE, AUTOUR DU MONDE

L'Afghanistan et l'Hindû-Kûsh

L'Hindû-Kûsh possède les écosystèmes les plus élevés de la planète, couvrant plus de 3 500 km, avec des précipitations oscillant entre moins de 150 mm et plus de 2 500 mm. La majorité des habitants de ces montagnes vivent dans des communautés agrosylvopastorales, étroitement dépendantes des environnements rigoureux de ces hautes montagnes. Ces communautés sont parmi les plus pauvres de la planète.

L'Hindû-Kûsh oriental, en Afghanistan, est un désert froid, constitué d'une toundra alpine et de sommets enneigés de plus de 7 000 m. Dans la steppe, où la pluviométrie annuelle est inférieure à 300 mm, presque toute la végétation, constituée de petits arbustes et d'herbes, est complètement desséchée en mai. Les forêts décidues, qui apparaissent avec l'augmentation de l'altitude et de la pluviométrie, comprennent des boisements xéromorphes de noyers, bouleaux, noisetiers et platanes d'Orient (Platanus orientalis). Les forêts de conifères, présentes jusqu'à 3 300 m, sont constituées de pins, de sapins, de genièvres et de cèdres deodars (Cedrus deodara). L'Afghanistan, qui est doté d'écosystèmes très variés, a 4 500 plantes vasculaires, 460 oiseaux et 119 espèces de mammifères (Hassanyar, 1996). Figurent sur la liste des espèces menacées le tigre de la Caspienne, le guépard, le léopard des neiges et le markhor (Capra falconeri).

Une vingtaine de zones agroécologiques se trouvent dans des zones montagneuses se prêtant à l'agriculture pluviale et caractérisées par une grande diversité de plantes cultivées. Les parcours de haute altitude ont une importance vitale pour les millions de nomades. Les moutons et les autres animaux d'élevage produisent les célèbres peaux, laines et cuirs de caracul. Les montagnes d'Afghanistan abritent les ancêtres sauvages du riz, du blé et de nombreux fruits et noix. Les cultures et les animaux d'élevage comprennent plusieurs variétés primitives qui ont un faible rendement, mais sont génétiquement résistantes aux maladies et aux stress environnementaux. Les raisins, les abricots, les poires, les prunes et les pistaches sont cultivés dans le désert montagneux, de même que le pavot et le cannabis, qui tiennent une place prédominante dans le commerce international de stupéfiants. Le pays a pâti de la chasse non réglementée, de la destruction des habitats et de la perte d'arbres et d'autres végétaux, notamment de ses ressources en bois de feu, indispensables pour le chauffage et la cuisson des aliments.

L'Afghanistan est un triste condensé des conflits qui éclatent en montagne; plus de la moitié des conflits et des guerres tribales ont fait rage dans des zones de montagne, et ont eu des retombées bien au-delà des montagnes. Les montagnes afghanes sont le siège de conflits depuis l'antiquité, lorsque la passe de Khyber et d'autres cols de montagne étaient les seules voies d'accès pour les armées d'envahisseurs qui sillonnaient l'Asie pour la piller de ses richesses.

Le Ladakh est une région de l'Etat indien du Jammu-et-Cachemire qui se trouve à l'intersection de l'Hindû-Kûsh et de l'Himalaya et a un environnement aride et rigoureux, comparable à ceux de l'Afghanistan et du Tibet voisins. A Leh, (l'une des agglomérations les plus élevées du monde, à plus de 3 800 m, en-tourée de plateaux et de cols, à 6 000 m), la température peut descendre jusqu'à moins 40°C. Les lacs salés, qui comprennent un lac de 5 km de long à 5 000 m, fournissent une eau non potable pour les humains, mais que les chevaux et les yaks peuvent boire. Le yak est pour ces montagnes ce qu'est le chameau pour le désert d'Arabie. La petite population vit essentiellement de ses troupeaux, souvent en se déplaçant de pâturage en pâturage. En raison de la brève saison de végétation et des sols pauvres, les cultures (principalement orge, sorgho et mil) ont de faibles rendements. Les fortes pentes de cette région, où les précipitations sont rarement supérieures à 100 mm, ne sont pas utilisables pour l'agriculture en terrasse ou comme parcours pour les animaux. Malgré leur pauvreté, la plupart des Ladakhis font preuve d'une sérénité et d'un stoïcisme qui leur vient de leur philosophie bouddhiste et de leur vie isolée sur les hauteurs.

L'Himalaya, dans l'Etat indien de l'Uttaranchal

- R. AGRAWAL

L'Himalaya

L'Etat indien de l'Uttaranchal, au cœur de l'Himalaya reçoit d'abondantes précipitations, atteignant 2 000 mm. Le Gange descend de sommets enneigés d'une hauteur allant de 4 800 à 6 000 m. Les chaînes médianes, hautes de 1 500 à 2 700 m, sont les plus peuplées, avec les zones de plaine bordant les fleuves. Les forêts sont relativement denses. La gestion participative des forêts est pratiquée dans quelques petites forêts communautaires, par l'intermédiaire de coopératives villageoises (les panchayats); c'est là qu'est né le mouvement «embrassez les arbres» (Chipko Andolan) pour freiner l'exploitation forestière. Les zones protégées couvrent environ 20 pour cent du territoire de l'Uttaranchal (soit environ quatre fois plus que la moyenne nationale en Inde). Un projet d'écodéveloppement comprenant des activités touristiques, a été lancé afin de fournir d'autres sources de revenu aux villageois. Dans l'intervalle, plus d'un million de personnes continuent de dépendre pratiquement exclusivement des plantes médicinales et des produits forestiers non ligneux - lichen pour la production d'épices et de parfum, bambou pour la fabrication de paniers et de nattes, et tirage de la résine, comme source d'emploi. Il est indispensable de concevoir des pratiques agroécologiques et pastorales améliorées et de trouver d'autres sources de fourrage, d'engrais et d'énergie renouvelable pour remplacer les maigres ressources en biomasse et en bois de feu. L'aménagement conjoint des forêts, en cours d'introduction, a pour but d'associer les parties prenantes aux opérations de conservation des forêts et des bassins versants. A cause de la pression croissante des populations dans les montagnes, beaucoup de sources pérennes d'eau potable se sont complètement taries en à peine 30 ans (Bhandari, 1998).

Le Bhoutan, dans l'Himalaya oriental, est resté relativement intact; environ 60 pour cent de son territoire est recouvert de forêts. Au-dessus de la limite de végétation arborée, à 4 000 m, l'écosystème alpin est fait de pâturages d'herbes courtes et de broussailles de rhododendrons. Plus bas, on trouve un écosystème tempéré constitué de forêts feuillues de chênes et de hêtres, et plus bas encore, des forêts de sapins et des forêts mixtes de conifères, avec des pins de l'Himalaya (Pinus wallichiana). Le pin subtropical à longues aiguilles (Pinus roxburghii) se rencontre dans des vallées arides profondes à sols sableux, à une altitude comprise entre 900 m et 1 800 m. Les forêts renferment une grande part de la diversité biologique du pays: 160 espèces de mammifères, 800 oiseaux et 5 000 plantes vasculaires (Grierson et Long, 1994). Environ 26 pour cent de la superficie des terres sont interdites à la production, en tant que parcs nationaux, réserves ou zones de conservation - avec notamment la zone protégée de Jidgme Dorji, qui fait 3 900 km2; en outre un fonds fiduciaire de 20 millions de dollars EU a été créé aux fins de la conservation de l'environnement dans le pays (Pommaret-Imaeda et Imaeda, 1989). Ces zones protégées montrent qu'une bonne gouvernance peut permettre d'aménager rationnellement les montagnes en respectant leur capacité de charge; un équilibre qui peut aussi être garanti par l'établissement de quotas annuels pour les entrées de touristes.

Sur 24 sommets de plus de 8 000 m, 17 se trouvent au Népal, dans l'Himalaya central. Avec ses cinq grandes régions naturelles et sa richesse en diversité biologique, l'Himalaya est menacé par de graves problèmes écologiques; conscient de cela, le Népal a établi plusieurs zones protégées. La plus grande, la Zone de conservation de l'Anapurna (ACA), est un microcosme du Népal, avec environ 1 140 plantes, 100 mammifères, 750 oiseaux et des centaines de plantes médicinales. Parmi les espèces rares et menacées d'extinction, on trouve le léopard des neiges, le porte-musc et l'argali du Tibet. L'ACA est aménagée selon le concept de multifonctionnalité de la terre et la philosophie locale qui prône le renforcement des capacités des communautés locales, comme condition de l'efficacité de la conservation. Comme modèle de conservation, l'ACA est considérée comme une expérience réussie. Toutefois, il reste beaucoup à faire pour adapter l'aménagement à l'écologie fragile et à la diversité de l'ACA, compte tenu de la pression de la population, de la pauvreté et des disparités socioéconomiques.

Thaïlande

Dans les montagnes du nord et du nord-est de la Thaïlande, l'évolution de la rotation des cultures est un exemple de conservation des ressources naturelles en harmonie avec la spécificité de l'environnement montagneux et les besoins des communautés locales, constituées de 13 tribus de montagnards, appelées chao khao (population de montagne, en thaïlandais). Le nord de la Thaïlande est la principale région boisée du pays; les forêts couvrent les bandes montagneuses parallèles nord-sud, où prennent leur source plusieurs grands fleuves. Les conditions environnementales dans ces montagnes du nord sont influencées par deux moussons saisonnières, notamment par les moussons provenant du sud de la Chine, qui font entrer une vague de froid sec dans les montagnes. L'écosystème comprend divers types de forêts de mousson: forêt sempervirente de haute altitude, forêt semi-décidue de moyenne altitude, ou végétation subtropicale, à plus basse altitude. Les couches superficielles du sol, facilement dénudées en raison des formations de roches amorphes, doivent être recouvertes de végétation pour prévenir leur lessivage et leur érosion par les pluies de la saison humide.

Le système d'agriculture et d'agroforesterie respectueux de l'environnement, fondé sur le savoir traditionnel et les cycles de rotation des cultures, assure la conservation de la biodiversité dans les champs cultivés, les terrains en jachère et les forêts environnantes. Ce système comporte aussi des mesures de prévention des incendies et un entretien de la végétation allant au-delà des superficies qu'utilisent les communautés. Le dicton des Karens «si un gibbon meurt, sept forêts se sentent abandonnées; si un oiseau-mouche meurt, sept figuiers du Bengale souffrent de solitude» signifie que l'on doit préserver l'intégrité de l'écosystème et protéger les plantes et les animaux qu'ils soient ou non utilisés par la communauté locale.

Pamir en Asie centrale et Caucase

Depuis 50 ans, l'exploitation des ressources naturelles a gravement endommagé les écosystèmes du Tadjikistan, un pays constitué à 93 pour cent de montagnes. Situé en grande partie dans la chaîne montagneuse de Pamir, dont les sommets atteignent 7 495 m, le Tadjikistan possède le plus grand glacier continental (8 041 km2), et un débit hydrique important, devancé uniquement par la Fédération de Russie. Sous la pression continue des populations humaines, les terres boisées, les pâturages et les parcs sont dégradés. La brousse tougaï, unique au monde, a pratiquement disparu, de même que le tigre de Tourane, qui a été signalé pour la dernière fois dans les années 50. A cause des migrations forcées des communautés, notamment des Yagnobi qui ont dû quitter la vallée du Yagnob dans le nord du pays au début des années 70, des connaissances agropastorales locales ont été perdues et les afflux de bétail ont augmenté, ce qui favorisé l'érosion et l'infestation des prairies d'altitude par des plantes envahissantes et des maladies animales. Les rares forêts de montagne encore sur pied sont surpâturées, d'où une avancée de la désertification des montagnes. La conversion à la viticulture (abandonnée depuis) et l'accroissement de la demande de bois de feu ont conduit à des abattages massifs, près des zones peuplées. L'agriculture repose principalement sur la culture du coton, généralement irriguée. Toutefois, la gestion de l'eau et des bassins versants a été négligée et les glissements de terrain et les inondations sont des phénomènes récurrents, comme dans d'autres républiques d'Asie centrale. Un projet du Fonds pour l'environnement mondial (FEM) pour la gestion de l'eau de la mer d'Aral et des ressources en terre, est une initiative qui arrive à point nommé, mais qui devra être suivie de près et intensifiée. Des programmes à long terme sont nécessaires pour la mobilisation des ressources et la remise en état de l'environnement, le renforcement des institutions nationales et la bonne gouvernance.

Le Tadjikistan est constitué de montagnes à 93 pour cent, situées principalement dans la chaîne de Pamir

- FAO/20649/E. YEVES

Le haut-plateau anatolien, en Turquie, est un pont biologique et culturel entre l'est et l'ouest. De vastes étendues du plateau ont des sols érodés, et les cultures (essentiellement blé) ne sont possibles que grâce à la fonte des neiges et à la surexploitation des nappes d'eau souterraine. L'importance de l'aménagement des montagnes pour la conservation de la richesse en diversité biolo-gique du pays et pour la sécurité alimentaire et la durabilité des moyens d'existence, est de plus en plus reconnue. Cela est démontré par la forêt de Camili dans les montagnes du nord-est bordant la mer Noire et jouxtant la frontière géorgienne. Cette forêt va jusqu'à 3 500 m, avec une forêt ombrophile tempérée mixte et des prairies de haute altitude. Elle comprend une partie de la dernière forêt vierge naturelle de la région, dominée par le bouleau (Fagus orientalis) et l'épicéa orientaux (Picea orientalis), le tilleul du Caucase, le sapin de Crimée, l'aulne, le châtaignier, le noyer, le charme, et les chênes. Les populations vivent de l'agriculture durable axée sur la subsistance, de l'élevage de transhumance sur le haut-plateau pendant l'été, de l'élevage, de la production artisanale de noisettes, de noix et de miel (de bourgeons de tilleul et de châtaigne). L'exploitation forestière et le tourisme n'ont pas encore été introduits et nécessiteront une gestion appropriée de l'environnement pour prévenir des dommages irréversibles.

Le gorille de montagne, une espèce gravement menacée d'extinction du Congo, du Rwanda et de l'Ouganda

- FAO/14981/J.J. LEROY

A noter aussi l'exemple du parc national de Koprulu, important pour le tourisme culturel (avec des ruines gréco-romaines et pisidiennes) dans les montagnes du Taurus, au sud du pays, avec des écosystèmes forestiers et alpins allant jusqu'à 2 500 m. Le parc de Koprulu est probablement la plus vaste forêt naturelle de cyprès restant au monde (Cupressus sempervirens). Il contient 350 espèces végétales (dont 43 endémiques) et pratiquement tous les éléments du maquis méditerranéen (FEM, 2000). Les populations rurales vivant au-dessus de la limite de végétation arborée cultivent des races de pays de blé et d'orge adaptées aux conditions locales et tirent un revenu de la résine de pin, de l'élevage et du tourisme. L'environnement est menacé par l'impact accru des visiteurs, la chasse non réglementée, l'exploitation forestière illicite pour obtenir du bois de feu ou de construction ou pour fabriquer des meubles, la récolte non durable d'herbes et le surpâturage des chèvres. Ce parc peut être pris comme modèle de planification multifonctionnelle dans une zone protégée, fournissant des services récréatifs sans porter atteinte au milieu naturel.

Les forêts de montagne

La carte et les chiffres présentés dans le tableau ont été obtenus en superposant la carte du couvert forestier mondial produite par l'Evaluation des ressources forestières mon-diales 2000 de la FAO et la carte des montagnes du monde (pour toutes les catégories de montagnes) préparée par le Centre mondial de surveillance de la conservation du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE-CMSC). Les résultats montrent que 24 pour cent des forêts du monde sont des forêts de montagne.

Forêts de montagne par zone écologique mondiale

Région

Superficie des forêts de montagne

Forêts de montagne en pourcentage de la forêt totale

 

(millions ha)

 
 

Tropicales

Subtropicales

Tempérées

Boréales

Polaires

Total

 

Afrique

69

7

     

76

12

Asie

129

94

46

6

 

276

50

Océanie

19

6

10

   

35

17

Europe

 

33

61

183

1

278

27

Amérique du Nord et centrale

43

35

74

39

1

192

35

Amérique du Sud

68

8

6

   

82

9

Total mondial

327

183

198

228

2

939

24

Les montagnes africaines

L'Afrique a plusieurs massifs montagneux isolés, dont l'Atlas au nord, le Kilimandjaro et le mont Kenya à l'est, le Lesotho au sud et le Fouta-Djallon à l'ouest. Malgré la faible densité de peuplement globale de l'Afrique, les lacs et la lave attirent les communautés vers les régions montagneuses, où elles tendent à se concentrer. Mis à part les ravages des guerres, les urgences humanitaires sont monnaie courante en montagne, en raison de catastrophes naturelles récurrentes, telles que secousses et agitations sismiques, chutes de pierres, tempêtes et avalanches, coulées torrentielles, inondations et éruptions volcaniques. Le mont Nyiragongo, au Congo, à 3 465 m, est le volcan le plus actif d'Afrique. A chaque éruption correspond une hécatombe de pertes humaines et de souffrances, comme on l'a vu à Goma, au Congo, en 1977 et en 2002. L'instabilité de l'écosystème montagneux impose la prudence dans l'aménagement des cultures en terrasses et des établissements humains et explique en partie pourquoi tant de communautés montagnardes sont nomades.

Le mont Elgon, situé à cheval sur la frontière entre le Kenya et l'Ouganda, est un volcan en sommeil, qui a environ 15 millions d'années de plus que le mont Kenya et le Kilimandjaro voisins. Du fait de son ancienneté, de sa proximité par rapport à l'équateur et de son altitude - partant d'environ 1 000 m, dans la grande vallée du Rift africaine, et culminant à 4 320 m - le mont Elgon abrite plusieurs espèces végétales et animales que l'on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde (UICN, 2001). La partie plus basse est recouverte de vastes étendues de forêt sempervirente, qui font place à des marécages alpins, au-dessus de 3 000 m. La précieuse biodiversité des montagnes est menacée par les défrichements illicites, le surpâturage, la conversion des forêts au profit de l'agriculture, l'exploitation forestière non durable et les feux, souvent impossibles à maîtriser durant la saison sèche. Les populations qui vivent dans les zones montagneuses dépendent de leurs ressources naturelles pour leur subsistance et de leurs forêts pour leurs approvisionnements en bois de feu. Des systèmes de production vivrière et fourragère et d'agroforesterie améliorés font leur apparition (culture d'herbes à éléphant, d'arbres et d'arbustes fourragers et de pommes de terre de semences).

Une diversification des activités et des revenus est indispensable si l'on veut réduire la dépendance des communautés voisines à l'égard de la montagne. La conservation des ressources naturelles du mont Elgon ne peut être assurée qu'avec un environnement politique approprié. Un projet de conservation et de développement bénéficiant d'un appui international, a été opérationnel en Ouganda et est en cours de reproduction au Kenya. Les pays doivent aussi co-opérer entre eux pour préserver le gorille de montagne, une espèce gravement menacée qui rôde autour des frontières du Congo, du Rwanda et de l'Ouganda. Plusieurs guerres et conflits de montagne pourraient sans doute être jugulés, en encourageant les pays à coopérer entre eux et à coordonner leurs interventions dans les domaines de l'aménagement intégré des bassins versants et de la mise en valeur des montagnes de la région.

Le Kilimandjaro a des environnements différents en fonction de l'altitude, à commencer par des forêts de petite montagne entre 2 000 m et 2 400 m, avec des oliviers et des podocarpus, des hylochères, des damans arboricoles, des mangoustes à queue et des singes. Vient ensuite une riche zone de bambous entremêlés d'herbes phanérogames et d'arbres, avec de longs cordons de lichens, de fougères, de mousses et d'orchidées jusqu'à 3 000 m. Jusqu'à 3 500 m, s'étend un terrain marécageux ouvert, constitué de prairies d'herbes à gazon et d'autres plantes qui varient avec l'altitude et retiennent le sol. L'écosystème est menacé par le trop grand nombre de grimpeurs non respectueux de l'environnement, la surexploitation illégale des forêts, la substitution des espèces locales naturelles et le détournement des cours d'eau, qui ont de graves effets négatifs sur les ressources en eau dont disposent les communautés locales pour abreuver leur bétail et assurer leur propre subsistance de manière durable. Ces effets se vérifient aussi dans le bassin du mont Kenya, où les entreprises d'horticulture commerciale ont surexploité les ressources en eau sans indemniser les utilisateurs locaux. Ces conflits d'intérêts entre des entreprises externes et des communautés montagnardes vivant de l'agriculture, qui se retrouvent privées de leur source de revenu, ne sont pas rares et doivent être résolus de manière équitable.

Les montagnes éthiopiennes sont parmi les «points chauds» de la biodiversité mondiale. La fève de café en vient. La plus grande antilope africaine (Tragelaphus buxtoni) est originaire des montagnes entourant le lac Zwai, dans le centre du pays. Les montagnes d'Alimar et Mondebo dans le sud, la source du Nil bleu dans le nord et les montagnes de Bale dans le sud-est, ont des températures d'été pendant le jour, et des températures d'hiver pendant la nuit. Plusieurs espèces de la faune et de la flore, dont des espèces menacées d'extinction comme Canis simensis, sont endémiques aux montagnes de Bale. La végétation varie avec l'altitude: savane et forêts claires sur les contreforts, à 1 450 m, quelques forêts denses et une végétation alpine plus près du sommet, à 4 377 m. La physionomie, la topographie et l'écologie changent rapidement en 75 km; lorsque l'on escalade la montagne, c'est comme si l'on passait en moins d'une demi-journée de l'équateur à 50° de latitude Nord.

En Ethiopie, où le couvert forestier restant ne représente plus que 4 pour cent du territoire (FAO, 2001), la savane et les conditions semi-arides dominent, et ont mis à rude épreuve les écosystèmes fragiles de montagne et les communautés qui y vivent. La plantation d'eucalyptus exotiques a été sporadique et sans grande utilité. L'érosion inexorable du sol et les sécheresses récurrentes ont entraîné famines et insécurité alimentaire. Les feux pour la préparation des terres, la prédominance de l'agriculture pluviale et la pression généralisée des activités pastorales exacerbent la situation. Toutefois à Guichi, dans les montagnes éthiopiennes, l'agriculture a été introduite, avec des techniques appropriées pour la récolte de l'eau, le travail du sol et l'assolement, pour garantir un revenu agricole sans aggraver l'érosion, malgré la disparition des prairies.

Zone remise en état, dans la partie supérieure du bassin versant du Copalata-Zimatan, dans l'Etat d'Oaxaca, au Mexique

- CENTRO DE SOPORTE ECOLOGICO, MEXICO

Des programmes ciblés sont nécessaires pour donner des moyens d'action aux communautés de montagne et réduire leur pauvreté, en les aidant et en les mettant mieux à même d'entretenir la terre et de préserver les ressources en eau, de prévenir les feux injustifiés et de s'appuyer sur les mécanismes du marché, pour améliorer la rentabilité de leur main-d'œuvre, de leurs troupeaux, de leurs cultures et de leurs objets d'artisanat. Une politique de protection de l'environnement et de développement coordonnée, avec une composante de conservation des sols et des eaux et de remise en état du couvert de végétation, doit être mise en œuvre.

Oaxaca et les Andes

Les montagnes de la Sierra Norte de l'Etat d'Oaxaca, au Mexique, ont été habitées pendant au moins un millénaire par les Zapotèques, qui en vertu d'une éthique de la conservation, ont su sauvegarder leurs forêts de brouillard et leurs forêts mixtes de pins et de chênes des zones semi-arides. Les bassins versants de montagne vont jusqu'à 2 000 m et s'écoulent dans les nappes aquifères d'aval. L'Etat d'Oaxaca étant doté d'une source pérenne, les terres des Zapotèques sont menacées par la colonisation sauvage et l'agriculture non respectueuse de l'environnement. Le développement excessif du tourisme a réduit de façon spectaculaire les niveaux d'eau dans les aquifères de Bahia de Huatulco, de sorte que les ressources hydriques risquent d'être épuisées d'ici 2020.

Les communautés autochtones des montagnes voisines ont gravement pâti de la pratique de l'agriculture sur brûlis et de la destruction sauvage de leurs forêts. Un programme de remise en état des bassins versants visant à favoriser la reconstitution des aquifères par des techniques d'aménagement des terres et des eaux améliorées, fournit une compensation à des groupes ruraux pour leurs efforts de régénération des forêts et de captage de l'eau des fleuves (Barkin et Pailles, 2000). Le programme stimule les revenus locaux, atténue la pauvreté, encourage la réintroduction de l'agriculture écologique et régularise le débit des fleuves. Les communautés yavesi mettent à présent en bouteille l'eau des sources de montagne, pour la vendre sur des marchés éloignés. L'intégration des programmes de production et de conservation de l'eau dans un processus élargi de diversification et de gestion communautaire des ressources, est facilitée par un appui de la société civile, qui mobilise des fonds fiduciaires pour des projets locaux visant à protéger les lits et les rives des fleuves, et préconise le paiement de redevances par le secteur privé et les gros utilisateurs d'eau, sur la côte, pour couvrir les coûts de la régénération du bassin hydrographique. De fait, les services écologiques rendus par les communautés montagnardes indigènes doivent être reconnus et récompensés par un système d'obligations à l'encontre des populations d'aval qui utilisent l'eau, dans le cadre d'une approche d'aménagement intégré des bassins versants pour garantir la durabilité des approvisionnements en eau.

Les Andes couvrent, avec leurs contreforts, 8,1 millions de kilomètres carrés. Les montagnes atteignent plus de 4 000 m en Argentine, en Bolivie et au Pérou. Les Andes tropicales sont un point chaud de diversité biologique, avec 45 000 espèces de plantes vasculaires. Dans les Andes péruviennes, au-dessus de 5 000 m, on trouve 200 familles de plantes phanérogames - soit 20 pour cent de plus que dans toute la flore de l'Europe, qui est une zone 20 fois plus grande. Cette richesse biologique, nettement plus grande que dans les forêts ombrophiles amazoniennes environnantes, est due à la compression des zones climatiques avec les gradients d'élévation. De la même manière, les 17 000 km2 de forêt tropicale de brouillard équatorienne contiennent plus de 3 400 plantes vasculaires, ce qui est plus qu'en Amazonie, qui fait 70 000 km2. La diversité totale en mousse dans les cinq pays tropicaux des Andes est 7,5 fois plus élevée que dans l'ensemble du bassin amazonien (Braun et al., 2002; Myers et al., 2000).

Plus de 70 pour cent de la population colombienne vit dans les montagnes, qui couvrent 28 pour cent du territoire. La forêt de brouillard andine, que l'on trouve entre 2 000 et 3 800 m, est riche en espèces endémiques d'oiseaux et d'arbres. Les précipitations oscillent entre 900 et 2 000 mm et les températures s'échelonnent entre 6o et 15 oC. Le bassin versant d'altitude de la province de Quindio, par exemple, est une source de bois de feu et d'autres produits forestiers, mais surtout il régularise le débit de l'eau pour l'agriculture et pour les établissements urbains d'aval. Le fleuve Quindio est vital pour les populations de plaine, en particulier durant la saison sèche. Les fonctions hydrologiques de la forêt de brouillard et des autres types de végétation d'amont doivent être évaluées, afin de mettre en place des mesures de conservation appropriées et d'indemniser les communautés de montagne de leurs efforts.

La conservation et la gestion durable des prairies humides (paramos) des hautes montagnes andines étant absolument nécessaire, un réseau a récemment été constitué à cette fin. Ce réseau, intitulé Grupo Paramo, est composé de représentants du gouvernement, d'organisations non gouvernementales, de ruraux et d'institutions de recherche de tous les pays andins, ainsi que de divers partenaires européens. Il faut également prêter attention aux espèces menacées d'extinction du genre Polylepis, qui sont des arbres qui poussent aux altitudes les plus élevées du monde. Les forêts de Polylepis dans les montagnes des Andes deviennent des zones de captage naturel des eaux, car elles recueillent l'humidité des nuages et du brouillard. Elles servent aussi d'habitat au rare roselin des montagnes de Cochabamba, un oiseau que l'on ne rencontre qu'entre 3 000 m et 4 000 m d'altitude dans le nord de la Bolivie (Hjarsen, 1997). Toutefois, les activités de reboisement consistent à planter des eucalyptus et des pins exotiques, plutôt qu'à régénérer l'environnement naturel, quitte à sacrifier les moyens d'existence des populations locales qui dépendent des plantes médicinales, du gibier et des tubercules. Les objectifs écologiques, hydrologiques et socioéconomiques ruraux à long terme passent par la protection et la régénération des forêts de Polylepis menacées d'extinction et par la zonation des différentes utilisations des terres.

Le scénario qui vient d'être décrit pour les Andes démontre que les forêts et la foresterie ne représentent qu'une composante de l'aménagement intégré des montagnes, parfois nécessaire mais pas toujours suffisante, et presque jamais importante sur toutes les zones d'altitude. Même si le reboisement est le type d'utilisation des terres préféré, le choix des essences et des méthodes de travail doit être parfaitement adapté, non seulement aux exigences de la conservation de la terre et des eaux, mais aussi aux besoins et aux connaissances des communautés locales et à la demande de bois, de combustible et de produits forestiers non ligneux, afin de fournir des moyens d'existence durables. Il est indispensable de tenir compte des perspectives de certains produits importants, comme les plantes cultivées (par exemple les pommes de terre de semence de fondation, les tubercules et les fruits), la fourrure des animaux de montagne et la laine d'alpaga pour la consommation et les marchés, surtout s'ils sont basés sur la biodiversité locale; les communautés montagnardes doivent être indemnisées comme il convient non seulement pour ces produits, mais aussi pour l'eau des fleuves, l'écotourisme et d'autres services écologiques, comme la fixation du carbone.

Prairie humide des hauts plateaux andins, ou páramo, dans le bassin versant supérieur de Quindio, en Colombie

- M. CASTRO-SCHMITZ

CONCLUSIONS

Selon Mao Ze-dong «la montagne nourrit la vallée et la vallée nourrit la ville». Mais qui nourrit la montagne?

La bonne conservation des actifs naturels en aval et la marginalisation des communautés de montagne montrent qu'il est urgent de prendre des mesures pour récompenser les montagnards des efforts qu'ils font pour protéger l'environnement. Il faut donner des moyens d'action aux populations de montagne, renforcer leurs capacités et réinvestir les recettes pour garantir un flux permanent de biens et de services écologiques, et trouver un compromis équitable entre les besoins des montagnes et les demandes en augmentation constante des plaines.

Il y a des montagnes sur tous les continents. Les points communs entre les environnements de montagne ignorent le clivage Nord-Sud. Pourtant, dans le monde, ce sont les montagnes des pays en développement qui abritent le plus fort pourcentage de gens extrêmement pauvres. Plus de 80 pour cent des communautés de montagne des pays en développement vivent avec moins de 1 dollar EU par jour. Parmi les 7 millions de villageois forestiers de la Turquie, environ 6 millions vivent dans des zones montagneuses et ont un revenu annuel inférieur à 200 dollars EU (Muthoo, 2001) - et la Turquie n'est pas le pays le plus défavorisé. Cette misère noire est à la fois une cause et une conséquence de l'épuisement des ressources naturelles et de la dégradation de l'environnement, qui mettent en péril la survie des populations de l'Hindû-Kûsh dans l'Himalaya, de Pamir, du Caucase, du mont Elgon, du mont Kenya et du Kilimandjaro, de la Sierra Madre et des Andes. Cela montre qu'il faut agir simultanément sur les deux fronts de la conservation de l'environnement et de l'éradication de la pauvreté.

Il faut certes trouver des solutions spécifiques à un site, mais elles doivent être conçues dans le cadre de stratégies intégrées de protection de l'environnement et de développement, adaptées aux divers bassins versants et écosystèmes fragiles. La conversion en zones de conservation ne suffira pas. On peut en dire autant des interventions sectorielles étroites intéressant uniquement les forêts, les sols et l'eau, ou le pâturage et l'agriculture, ou encore l'énergie renouvelable, l'écotourisme et les infrastructures. Les utilisations actuelles des ressources exigent des solutions créatives permettant de concilier la protection de la faune sauvage, des bassins versants et des paysages avec les fonctions de production potentielles, en répondant à la fois aux demandes présentes et futures des utilisateurs d'aval (par exemple, l'eau, l'électricité, le bois et le tourisme), et aux besoins des communautés montagnardes (par exemple, la garantie d'un toit, le bois de feu, la fourrure et la nourriture). Cet équilibre serait facilité si ceux qui utilisent, produisent ou gèrent les ressources adoptaient comme principe directeur, le concept de la multifonctionnalité des montagnes.

Les efforts de développement devraient encourager la diversification des technologies de conservation et d'utilisation, ainsi que des sources de revenu pour tous les intéressés, car le potentiel monofonctionnel est généralement trop limité dans le temps et dans l'espace pour garantir les moyens d'existence. Le concept de multifonctionnalité implique la reconnaissance des liens entre la diversité biologique et culturelle et les rôles des différentes parties prenantes, notamment les détenteurs du savoir local, les institutions locales, les secteurs public et privé et la société civile. Il faut regarder plus loin que les montagnes, pour minimiser les risques et créer des synergies, en tirant profit de la grande diversité qui existe dans les montagnes et dans leur environnement social et économique.

A peu près un quart des habitants de la planète vivent dans des zones montagneuses et plus de la moitié de l'humanité est tributaire de leurs ressources (Messerli, 2001). La dégradation des écosystèmes de montagne n'affecte pas seulement les communautés qui y vivent, elle met aussi en péril le bien-être à long terme des populations de plaine. La sécurité est peut-être le service le plus important que puissent fournir les montagnes; cette sécurité peut être liée aux ressources hydriques, alimentaires, énergétiques, ou à la protection des habitats humains contre les risques naturels ou anthropiques. La dégradation de l'environnement, l'érosion culturelle et l'exclusion sociale chassent les réfugiés des montagnes, déclenchant des conflits et des crises bien au-delà. Les responsables de la planification doivent en être conscients et être informés des dimensions environnementales, économiques, sociales et culturelles du problème, qui sont imbriquées.

Une approche intégrée est la seule possible pour tirer profit des avantages écologiques et affronter les enjeux de développement offerts par les montagnes du monde. L'environnement montagneux ne doit pas être envisagé seul. Des millions de personnes vivant dans les plaines, les collines et les montagnes dépendent directement et indirectement des montagnes. Ce qu'il faut, c'est faire preuve de créativité, en intégrant les montagnes dans le développement équitable de toutes les communautés, pays et continents.

Bibliographie


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