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Amélioration de la valeur de conservation des forêts gérées: le projet Dendrogène en Amazonie brésilienne

M. Kanashiro, I.S. Thompson, J.A.G. Yared, M.D. Loveless, P. Coventry, R.C.V. Martins-da-Silva,
B. Degen et W. Amaral

Milton Kanashiro, J.A.G. Yared et
R.C.V. Martins-da-Silva
sont Chargés
de recherche au Centre de recherche de
l'Amazonie orientale de l'Institut de
recherche agricole brésilien (Embrapa),
Belém, Pará (Brésil).

Ian S. Thompson est Facilitation Officer,
Département du Royaume-Uni pour le
développement international (DFID) -
Amazonie orientale de l'Embrapa,
Belém, Pará (Brésil).

Marilyn D. Loveless est Professeur associé,
the College of Wooster, Ohio (Etats-Unis) et
Chercheur invité, Amazonie orientale de
l'Embrapa, Belém, Pará (Brésil).

Peter Coventry est cadre associé,
DFID - Amazonie orientale de l'Embrapa,
Belém, Pará (Brésil).

Bernd Degen est chercheur, INRA,
Silvolab, Kourou (Guyane française).

Weber Amaral est chercheur,
spécialiste des ressources génétiques
forestières (coordonnateur du programme
mondial) à l'Institut international des
ressources phytogénétiques (IPGRI), Rome.

Des outils destinés à l'identification des espèces, la conception de modèles prévisionnels et une analyse de scénarios sont en cours d'élaboration pour faciliter l'adoption de politiques et de pratiques nouvelles dans les forêts aménagées de l'Amazonie brésilienne.

Alors que l'influence de l'homme sur les systèmes naturels s'étend jusqu'aux recoins les plus éloignés de la planète, le XXe siècle doit faire face au défi consistant à concilier l'exploitation des ressources et une qualité de vie juste et équitable pour la génération actuelle et les générations futures, tout en conservant les millions d'autres espèces avec lesquelles nous partageons la planète. Cela concerne particulièrement les régions tropicales dont on connaît la grande diversité biologique. La question est de savoir comment faire, exactement, pour y parvenir, et que mesurer pour pouvoir affirmer que cet objectif a été atteint.

Le présent article décrit le projet Dendrogène, une initiative lancée pour mettre au point des outils permettant d'améliorer la valeur de conservation des forêts gérées en Amazonie brésilienne, et de contribuer au développement durable des ressources naturelles de cette région. Cette combinaison de conservation et d'utilisation est considérée par beaucoup comme la solution d'avenir aux problèmes de pauvreté et d'inégalité de cette région.

Le projet, qui a pour base la station d'essai d'Amazonie orientale de l'Institut brésilien de recherche agricole (Embrapa), vise à apporter aux exploitants des forêts des outils et des compétences afin de pouvoir mettre en œuvre des systèmes de gestion fondés sur les connaissances. Un modèle de simulation est en cours d'élaboration pour permettre d'analyser les alternatives possibles au mode d'exploitation actuel. La technique des modèles de simulation permet de tester les critères et les indicateurs de durabilité des processus génétiques et écologiques dans les forêts aménagées.

BIODIVERSITÉ ET SALUBRITÉ ÉVOLUTIVE

La diversité biologique (ou biodiversité) peut se définir comme étant la variété et la variabilité naturelles des organismes vivants, des complexes écologiques qui les abritent naturellement, ainsi que de leur interaction les uns par rapport autres et avec leur environnement (OTA, 1987; Noss, 1990; Redford et Richter, 1999). On peut considérer qu'il y a trois niveaux de biodiversité - la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces et à l'intérieur des espèces, et la diversité génétique - tous les trois essentiels pour l'état de l'environnement et le bien-être de l'homme.


Le projet Dendrogène

Basé dans la station d'essai de l'Amazonie orientale d'Embrapa, à Belém, Parà, Brésil, le projet Dendrogène repose sur une approche multidisciplinaire et une participation multi-institutionnelle. Le Département du développement international du Royaume-Uni (DFID) appuie ce projet (de 2000 à 2004) par le biais du Programme d'assistance technique Brésil-Royaume-Uni. Nombre des activités de Dendrogène sont fondées sur des activités antérieures à l'intérieur du Projet de recherche sur la sylviculture des forêts ombrophiles (1993-1998), également appuyé par le DFID.

Pour plus de renseignements, se reporter au site Web de Dendrogène:

www.cpatu.embrapa.br/dendro/index.htm

La biodiversité est le résultat de processus évolutifs et historiques. L'architecture génétique d'une espèces résulte, elle aussi, de ces processus. La diversité génétique est ainsi capitale pour la biodiversité, et peut aussi être considérée comme la composante fondamentale de l'état de santé de l'écosystème. La sauvegarde de la biodiversité est menacée lorsque des événements naturels, des interventions humaines ou des altérations de l'habitat viennent perturber la constitution génétique de telle manière que l'évolution à venir d'une espèce risque d'être compromise.

Pour conserver la biodiversité d'un habitat particulier, il est crucial de connaître le nombre d'espèces qui l'occupent, et le nombre d'individus de chaque espèce à préserver afin d'éviter de mettre, à long terme, la survie de la communauté en danger.

La plupart des études sur la diversité biologique reposent sur des mesures écologiques relatives à la santé des populations ou des espèces. Ces mesures concernent les effectifs des populations, les taux de reproduction, les répartitions biogéographiques et les paramètres écologiques du même genre qui définissent l'effectif d'une population et l'étendue de son territoire. Il est assez facile de se procurer de telles données qui ont un rôle important à jouer dans les interventions destinées à prévenir l'extinction des espèces.

Toutefois, la condition fondamentale d'une survie à long terme est le potentiel évolutif de la population. Subsiste-t-il au sein des populations et entre celles-ci une variation suffisante pour permettre à l'espèce de réagir aux agressions du milieu ambiant, à la concurrence et aux maladies? L'effectif de la population est un élément capital pour permettre de prévoir la variabilité génétique; il est donc un élément important dans la conservation de la biodiversité. Cependant, il n'y a pas que les nombres qui comptent. La véritable mesure d'une conservation réussie de la biodiversité est le maintien d'un niveau raisonnable de variation génétique à l'intérieur des populations, et la préservation des processus écologiques et génétiques qui entretiennent cette constitution génétique. (Namkoong et Koshy, 2000)

Collection de matériel botanique -

L. PROCÓPIO

CONSERVATION DES FORÊTS TROPICALES

Les forêts tropicales font partie des "superstars" de la diversité biotique. Ce sont des réservoirs de multiples espèces d'oiseaux, de mammifères et de reptiles, beaucoup plus nombreuses que dans les zones climatiques tempérées. Il est vraisemblable qu'elles abritent des milliers, sinon des millions, d'espèces encore non décrites faisant partie de groupes taxinomiques relativement peu étudiés comme les plantes vasculaires et non vasculaires, les insectes, les nématodes et les protozoaires. La protection de l'immense diversité de ces habitats équatoriaux revêt donc un intérêt spécial. En même temps, les forêts tropicales, les savanes et les habitats aquatiques font l'objet d'une énorme surexploitation de la part de l'homme. Les forêts, en particulier, revêtent une grande importance pour l'écologie, l'économie et les interactions sociales des populations tropicales, mais la croissance des populations humaines et le développement de l'exploitation des terres font courir un danger sérieux à ces habitats forestiers.

De grandes étendues de terres, dans les régions tropicales, ont été mises en réserve pour la conservation. Mais même si ces zones étaient efficacement protégées contre des entreprises nuisibles (et beaucoup ne le sont pas), les réserves forestières ne peuvent pas, à elles seules, garantir la conservation de la biodiversité tropicale. La plupart des habitats tropicaux sont exploités par l'homme. Ce qu'il faut, c'est mettre en place des systèmes de gestion qui permettront de préserver le plus efficacement possible les éléments importants de la biodiversité dans les paysages complexes avec différents types d'utilisation des terres. Il est évident que les habitats gérés ou exploités subiront des modifications. Mais, s'il est possible de prévoir avec assez de certitude les effets d'autres modes d'utilisation des terres, ces informations peuvent servir de base pour la négociation de mesures propres à réduire ou atténuer des effets néfastes potentiels ou à les équilibrer en les répartissant sur de plus vastes zones. Il devrait être possible de donner plus d'importance aux paysages gérés pour atteindre les objectifs de la conservation - ou, du moins, de savoir faire clairement les choix qui conviennent entre l'exploitation des ressources et la conservation des espèces compromises.

ABSENCE D'INDICATEURS DE BIODIVERSITÉ

L'aménagement forestier et les programmes de conservation sont souvent fondés sur des caractéristiques des écosystèmes et des communautés sans qu'il soit tenu grand compte de la diversité des espèces et de la diversité génétique. C'est particulièrement vrai des écosystèmes des forêts tropicales ombrophiles, où la grande diversité biologique et sa complexité posent de très gros problèmes aux gestionnaires, aux scientifiques et aux décideurs.

Aujourd'hui, aucun indicateur efficace n'a été mis au point pour permettre de mesurer de manière fiable la durabilité écologique ou génétique. Si la gestion forestière peut comporter un ensemble de mesures destinées à minimiser l'impact de l'exploitation sur la biodiversité de la forêt (comme l'abattage dirigé, le délianage, et les limitations de diamètre et de volume au moment de la coupe), ces mesures reposent généralement sur des conjectures relatives au niveau d'exploitation tolérable pour éviter d'hypothéquer à la fois les ressources et le rendement économique, et il n'existe aucune évidence de leur efficacité à protéger la biodiversité. Le défaut d'indicateurs mesurables pour évaluer l'impact des différentes options d'aménagement sur les variables importantes de la biodiversité pose un problème, par exemple, quand il s'agit de prévoir des certifications garantissant aux acheteurs que les produits forestiers ont été obtenus en utilisant des systèmes assurant la durabilité. Les directives du Forest Stewardship Council relatives à la certification prévoient que "les fonctions et valeurs écologiques seront gardées intactes, améliorées ou restaurées, y compris la diversité génétique ainsi que la diversité des espèces et des écosystèmes" (Criterion 6.3b, cité par Bass et al., 2001). En réalité, toutefois, on ne dispose, aujourd'hui, d'aucun outil d'analyse qui permette de mesurer si des objectifs aussi cruciaux sont atteints par les pratiques de gestion mises en œuvre.

LE PROJET DENDROGÈNE

L'objectif du projet Dendrogène est de contribuer à une utilisation durable des terres tropicales en Amazonie brésilienne en développant les possibilités de prévoir les impacts de l'aménagement du paysage (par exemple de la fragmentation des forêts) ou de la zone forestière sur la constitution génétique des essences potentiellement mises en danger par l'exploitation commerciale. Dendrogène est essentiellement destiné à mettre au point un ensemble d'outils pour permettre d'analyser les scénarios et de prévoir les impacts avant d'appliquer des politiques et des méthodes de gestion. L'hypothèse de base est que les moyens d'une gestion forestière planifiée et contrôlée existent ou sont actuellement mis en œuvre.

Ce projet met en jeu diverses approches pour résoudre les problèmes posés par l'inventaire des ressources et la prise de décisions concernant la gestion des ressources forestières et de l'exploitation des terres. En collaboration avec les parties prenantes clefs, il s'efforce de promouvoir des politiques et des pratiques d'aménagement solidement fondées sur des preuves scientifiques, et de lever certaines contraintes opérationnelles à leur mise en application.

Le projet a quatre objectifs fondamentaux:

Identification fiable des essences

Savoir nommer les choses, tel est le fondement de la science (Wilson, 1998) et une condition préalable à leur conservation et à leur utilisation adéquates (Helgason et al., 1996). La foresterie amazonienne n'a pas, actuellement, les moyens d'identifier de nombreux arbres au niveau de l'espèce. Cependant, une identification scientifique correcte est essentielle pour permettre d'obtenir des renseignements sur les propriétés des essences. Les noms courants, fréquemment spécifiques au plan local mais non uniques sur de plus vastes étendues, sont souvent associés aux noms scientifiques de manière inexacte (voir encadré p. 28). Dans l'aménagement forestier, une identification inadéquate compromet les possibilités d'organiser la régénération de l'espèce et fait courir des risques de pertes plus directes. En raison de la taille et de la diversité de la forêt tropicale amazonienne, une identification fiable peut sembler être une chimère. Toutefois, des progrès ont été accomplis à partir des ressources existantes comme le "Guide Ducke", un guide sur la flore de la Réserve Ducke (Ribeiro et al., 1999), qui met en œuvre une approche visuelle largement fondée sur les traits morphologiques comme les caractéristiques des feuilles et des tiges.

Dendrogène s'efforce de résoudre le problème de l'identification des espèces au niveau opérationnel. En coopération avec d'autres institutions, dont la Société pour la recherche et la conservation en Amazonie (SAPECA, une organisation non gouvernementale constituée par beaucoup d'auteurs du Guide Ducke), le projet élabore des fiches signalétiques, comportant des caractéristiques botaniques et d'anatomie du bois, pour plus de 50 des principales espèces de bois marchand. Dendrogène organise des cours de formation (continuellement améliorés) à l'identification des arbres et des bois. Le cours de botanique comporte une mise à l'épreuve pratique du Guide Ducke. Le projet encourage et entraîne également des entreprises industrielles privées à entretenir leurs propres collections de référence et à développer des relations avec l'herbier de l'Embrapa pour vérification ou identification de nouvelles essences. Il étudie la manière dont l'industrie regroupe les essences (consciemment ou pas) dans le traitement et les ventes pour en savoir plus sur les conséquences des erreurs d'identification et suggérer des regroupements plus adéquats. Il aide également à informatiser l'herbier et la xylothèque de l'Embrapa (une collection utilisée pour l'identification morphologique) pour en faciliter la gestion et l'utilisation. Plus de 100 000 spécimens (70 pour cent de la collection) figurent maintenant dans la base de données de l'herbier.

Au niveau stratégique, Dendrogène encourage la coopération entre les herbiers et les xylothèques nationaux grâce à l'utilisation d'une plate-forme commune pour la gestion de l'information, BRAHMS (www.brahms.co.uk). Tous les principaux herbiers d'Amazonie ont maintenant adopté BRAHMS, et il est en cours d'installation dans les herbiers de Brasilia et de Rio de Janeiro. Dendrogène s'efforce également de construire des alliances stratégiques pour pousser tous ceux qui sont concernés par l'identification des essences à se mettre d'accord sur des solutions pratiques. Par exemple, le récent atelier sur la pertinence de l'identification botanique pour une gestion durable des forêts en Amazonie a recommandé de créer en priorité un corps spécifique de parataxinomistes, car le manque de reconnaissance professionnelle était considéré comme étant le principal obstacle au développement d'une expertise en identification à l'échelle de la région.

Mise au point et validation d'un modèle prévisionnel

Les approches fondées sur la modélisation ont des avantages lorsque les décisions doivent être éclairées par des procédures coûteuses de collectes de données. Elles sont particulièrement utiles quand de nombreuses variables différentes se conjuguent pour conduire au résultat cherché (dans notre cas, la diversité génétique). Un modèle de simulation permet d'intégrer la phénologie, la pollinisation, la dissémination des graines, le repeuplement et la croissance dans un cadre qui permet d'étudier les effets de chacune des variables sur la diversité génétique grâce à une analyse de sensibilité. Comme les coûts des inventaires génétiques sont prohibitifs pour l'aménagement forestier courant, l'évaluation de l'impact des décisions qu'il amène à prendre sur les processus génétiques ne peut se faire que grâce à une technique de modélisation.

Dendrogène travaille en collaboration avec l'Institut national français de la recherche agronomique (INRA) à travers Silvolab (Guyane française) pour mettre au point le modèle Ecogène (Degen, Gregorius et Scholz, 1997) relatif aux applications de l'aménagement de la forêt tropicale. Ce modèle utilise une base de données génétiques et écologiques pour de essences néotropicales (Dendrobase), avec un système de génération de données en cours d'élaboration pour fournir les données nécessaires manquantes et faire en sorte que ce modèle puisse permettre de traiter les essences pour lesquelles l'ensemble des informations écologiques ou génétiques n'est pas encore accessible.

Les problèmes d'identification gênent le commerce

Pour les négociants en bois marchand, le fait que des essences portent différents noms rend difficile de mettre en regard essence, produit et marché:

  • Un importateur allemand voulait acheter plus de "cedrinho". L'exportateur du sud du Brésil avait reçu une livraison en provenance de la basse Amazonie et avait été informé que cette essence était difficile à obtenir. Si cette dernière avait été identifiée comme étant Erisma uncinatum, l'exportateur aurait pu savoir que de grandes quantités étaient disponibles en Amazonie orientale - où ladite essence est habituellement connue sous le nom de "quarubarana".

  • Une étude effectuée par un botaniste pour une société de négoce de bois a révélé que les essences vendues sous le nom de "louro amarelo" comprenaient deux espèces qui n'avaient jamais été répertoriées auparavant.

  • Des études entreprises par Dendrogène auprès de différentes sociétés ont révélé que quatre espèces de Manilkara étaient toutes gérées sous le nom de "massaranduba" et trois espèces de Couratari et une de Cariniana étaient gérées sous le nom de "taouari".

  • Une étude menée par Dendrogène a permis de découvrir que 32 espèces différentes de 13 genres étaient vendues sous le nom de "angelim".

Trois espèces (de gauche à droite, Dinizia excelsa, Hymenolobium excelsum et Hymenolobium pulcherrimum), toutes connues sous le nom de "angelim" -

G. FERREIRA

Le modèle Ecogène sera validé par comparaison avec les données réelles collectées sur une parcelle d'expérimentation intensive (500 ha) dans la forêt nationale des Tapajós (voir encadré p. 30). Dendrogène fait ce travail en coopération avec le projet "Gestion durable des forêts pour la production de bois" de l'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renovàveis, IBAMA) et l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT). L'étude de la génétique, de la biologie de la reproduction et de l'écologie de sept essences est en cours et se poursuivra après l'abattage de la zone en 2003. La croissance, le repeuplement et la mortalité seront modélisés en espace réel. Les éléments d'un modèle de simulation de rendement, le SYMFOR (Phillips et van Gradingen, 2001), seront spécialement modifiés, adaptés à Ecogène et paramétrés avec les données à long terme d'une placette d'échantillonnage permanente collectées par Embrapa Amazonie orientale (Silva et Lopes, 1984; Silva et al., 1995).

Grâce au modèle Ecogène, le projet s'efforce de prévoir les effets de nouvelles formes d'aménagement sur la constitution génétique des essences dans 50 ou 100 ans. La modélisation est le moyen le plus efficace pour essayer de prévoir les interactions de processus complexes à cet horizon. Il est évident qu'elle a, cependant, ses limites. Elle utilise inévitablement des relations simples pour décrire des systèmes complexes. La validation du modèle est grande consommatrice de ressources, et ne peut se faire que pour quelques espèces. L'application du modèle à d'autres essences, à d'autres forêts et à d'autres laps de temps suppose d'autres hypothèses, avec les risques d'erreurs qu'elles comportent. Les données de sortie du modèle ne valent que ce que valent les données d'entrée. Ainsi, le défaut actuel d'identification fiable des essences sur le terrain est source d'erreurs pour la modélisation des processus d'une population. Toutefois, étant donné que le modèle fonctionne dans la transparence, il peut être un outil précieux, surtout pour les prises de décisions stratégiques. Il peut aider à évaluer les limites dans lesquelles les populations sont très susceptibles de subir les impacts génétiques de diverses options d'aménagement, et à améliorer les décisions relatives à la gestion actuelle alors que reculent progressivement les limites de nos incompétences, comme celles de nos difficultés à identifier les essences.

Le projet Dendrogène élabore des fiches signalétiques, comportant des informations botaniques avec des précisions sur la qualité du bois, pour plus de 50 des principales essences de bois marchand d'Amazonie brésilienne -

L. PROCÓPIO

Dendrogène organise des cours d'identification botanique pour les ouvriers forestiers et d'autres personnes qui participent à l'inventaire et à l'aménagement forestier -

J. SOLER

Analyse de scénarios pour aider à l'élaboration de politiques et de formes d'aménagement

Le modèle Ecogène sera utilisé pour prévoir la durabilité de scénarios de nouvelles formes d'aménagement afin d'étayer les prises de décisions relatives à l'élaboration de politiques publiques concernant les ressources forestières. Parmi ses utilisations possibles, il y a le contrôle:

Parcelle d'étude intensive de Tapajós - validation sur site du modèle Ecogène

Sept essences modèles, occupant diverses niches écologiques et manifestant différentes stratégies au cours de leur cycle biologique, sont à l'étude au sein de populations assez importantes pour que le flux génique puisse être étudié en détail (200 à 400 individus adultes). L'inventaire de bois marchand a été étendu vers le bas sur la parcelle d'étude, de manière à comprendre tous les individus de l'espèce modèle dont le diamètre à hauteur d'homme était égal ou supérieur à 20 cm. Sur une sous-parcelle de 100 ha, l'inventaire a été étendu encore un peu plus, jusqu'à un diamètre de 10 cm à hauteur d'homme.

Avant que des études puissent être faites au niveau de l'espèce, il est essentiel de procéder à des vérifications sur site des inventaires commerciaux. Bien que l'étude soit concentrée sur des arbres considérés comme faciles à reconnaître, on constate encore des erreurs répétées d'identification sur le terrain pour plus de la moitié des espèces modèles; dans le pire des cas, 16 pour cent des arbres d'une seule espèces ont été mal identifiés.

La détermination du génotype de tous les individus de chacune des populations est fait à partir de collections de cambium, grâce à l'amplification d'ADN et à l'analyse par microsatellite. Ces données sont ensuite couplées avec les cartes d'inventaire sur le terrain pour obtenir des cartes de population pour chaque espèce qui documentent des modèles spatiaux et génétiques. L'analyse génétique par microsatellite de graines collectées sur des "arbres pièges" à l'intérieur de chaque population peut être utilisée pour déterminer les répartitions du flux génique paternel (pollen). La collecte et l'analyse des génotypes de graines des arbres pièges avant et après la coupe devrait livrer des informations détaillées sur l'impact de l'abattage (en particulier les altérations de la densité des adultes et la répartition dans l'espace) sur le flux génique, les taux d'allofécondation et les changements de diversité génétique dans les génotypes de jeunes plants produits après une coupe. La collecte des graines de 30 arbres pièges chaque année permettra de faire de bonnes estimations du flux génique d'arbre à arbre, tandis que la collecte de 30 graines ou plus sur chaque arbre donnera une mesure de la variabilité du mouvement du pollen sur l'arbre lui-même.

La phénologie est une composante importante du comportement procréateur des arbres, parce que les formes de floraison peuvent agir sur le flux génique. Le transfert de pollen ne peut se faire qu'entre des arbres qui fleurissent en même temps. Les écarts chronologiques entre les floraisons peuvent ainsi limiter ou même empêcher le flux génique entre les individus. Des observations phénologiques détaillées sont pratiquées sur tous les arbres pièges et un contrôle est opéré de temps en temps sur la totalité des populations adultes étudiées. C'est pourquoi il a fallu ouvrir plus de 45 km de pistes de surveillance phénologique pour avoir accès à ces arbres "cobayes" dispersés sur un vaste territoire. Des études ont également été entreprises sur les pollinisateurs, ainsi que sur la répartition des plantules et des jeunes arbres.

La gestion des bases de données est reliée automatiquement à un système d'informations géographiques pour fournir des informations spatiales faciles à interpréter pouvant être immédiatement mises à jour.

Un "arbre piège" de la forêt expérimentale, dans lequel les graines sont collectées pour être soumises à une analyse génétique -

M. KANASHIRO

Les résultats de ces tests peuvent servir à affiner la législation, les meilleures pratiques d'aménagement et le processus de certification. Tandis que l'utilisation du modèle pour l'analyse des résultats des scénarios restera un travail de spécialiste, l'analyse de l'ensemble sera une démarche collective. Les aménagistes, les communautés locales, et les autres entités ou personnes intéressées par ces résultats participeront à l'élaboration des questions, à l'interprétation des informations et à la formulation des propositions pour déterminer les types de politiques ou d'aménagement à appliquer en conséquence. La modélisation permettra de connaître les impacts d'utilisations alternatives des terres sur la diversité génétique des essences, qui est un élément fondamental pour la préservation de la biodiversité végétale. Ce n'est, naturellement, qu'un des indicateurs potentiels de la valeur de conservation des forêts gérées, et il faudra peut-être d'autres indicateurs pour évaluer d'autres impacts importants de l'écosystème.

Un exemple d'application du modèle Ecogène à l'aménagement

Degen, Roubik et Loveless (2002) ont utilisé les données du terrain concernant la répartition spatiale des arbres sur les parcelles d'étude intensive de la forêt nationale des Tapajós pour examiner les effets de la coupe et de la fragmentation sur la diversité génétique du Jacaranda copaia, l'une des sept essences auquel Dendrogène se consacre. Ils ont créé des populations avec des densités et des types de répartition différents, représentant:

  • un témoin, en utilisant des données d'inventaire pour une seule parcelle de 400 ha;

  • la coupe (l'élimination) de tous les individus de plus de 31 cm de diamètre à hauteur d'homme;

  • la fragmentation pour obtenir le même effectif de population résiduelle (90 arbres à fleurs de plus de 20 cm de diamètre à hauteur d'homme) comme dans le scénario d'abattage, en réduisant la zone d'habitat forestier à 140 ha (35 pour cent de sa taille originale).

La phénologie de la floraison, les mouvements types des pollinisateurs et la dispersion des graines étaient identiques dans les trois simulations.

Les graines produites au cours d'un épisode de fécondation, dans ces populations, ont ensuite été analysées pour déterminer 13 mesures génétiques normalisées, y compris l'effectif de la population, la fraction de pollinisation directe, la distance moyenne de dispersion du pollen, les hétérozygosités observées et attendues, et la diversité génique. Chaque simulation a été faite 30 fois, et les moyennes et les écarts types (et) ont été utilisés pour comparer les résultats de la population témoin et des deux scénarios de traitement différents. Dans les deux traitements, 11 indices de diversité génétique sur 13 étaient très différents de ceux de la population témoin. L'effectif de la population valide a été le plus sévèrement affecté par les modifications de la répartition spatiale des arbres; il a été estimé à 161,81 (et = 7,34) individus dans la population témoin, 59,22 (et = 4,16) individus dans la population coupée et 44,80 (et = 4,84) individus dans la population fragmentée. L'autopollinisation avait beaucoup augmenté dans les scénarios de traitement, ainsi que la distance moyenne de dispersion du pollen. L'hétérozygosité attendue (également appelée diversité génique) était beaucoup plus faible dans les simulations du traitement. Les résultats suggèrent aussi que certaines variables génétiques sont plus adaptées que d'autres à manifester des différences génétiques dans des régimes d'aménagement différents.

Cartes montrant les scénarios de contrôle et de traitement dans l'étude de simulation du Jacranda copaia d'Ecogène; les points noirs représentent les spécimens de Jacaranda copaia de plus de 10 cm de diamètre à hauteur d'homme, et les points gris représentent les individus qui fleurissent dans chaque scénario (308 arbres dans la population témoin et 90 dans chacun des scénarios du traitement)

Faciliter l'adoption de nouvelles pratiques

La difficulté de modifier les routines de fonctionnement est un obstacle courant quand il s'agit de changer les pratiques d'aménagement ou de se plier à une nouvelle législation ou à une nouvelle politique. Cela s'applique en particulier lorsque les nouvelles procédures sont plus complexes que celles qui sont en vigueur - comme ce serait le cas, par exemple, si l'on adoptait des plans d'exploitation forestière prenant en compte chaque essence, ses caractéristiques intrinsèques et les caractéristiques de la population à gérer. Le projet Dendrogène appuie l'élaboration d'une base de données pour l'aménagement et la cartographie des forêts, Trema, afin de faciliter l'adoption de nouvelles pratiques d'aménagement.

Parmi les fonctions de Trema, il est prévu de faciliter le contrôle de la nomenclature des essences et de produire une liste de ces dernières, des cartes et des tableaux de peuplement, ainsi qu'il est requis pour la planification et le contrôle de l'aménagement forestier. Cette base contient des informations sur les caractéristiques des essences clefs, et stocke les données relatives à la population des espèces de la parcelle forestière concernée. Elle comporte également des sous-programmes automatisés permettant d'appliquer les critères de sélection des arbres à abattre. Ces critères et leurs seuils peuvent être ajustés pour tenir compte de recommandations liées à la modélisation de l'impact génétique. Les critères économiques du choix des arbres à abattre, comme les chances actuelles d'écoulement sur les marchés et la présence de défauts, sont aussi intégrés, de sorte que la sélection finale répond aux impératifs commerciaux.

On peut craindre, dans le secteur commercial, que l'application des critères de conservation génétique à la sélection des arbres à abattre ne menace la viabilité économique de l'aménagement. Dendrogène ne cherche pas à poser des limites qui équivaudraient à ne définir l'aménagement acceptable qu'en termes d'impact génétique, mais s'efforce bien plutôt de fournir des outils d'analyse propres à aider les parties prenantes à équilibrer leurs choix entre les valeurs économiques, sociales et écologiques. Les habitants locaux des forêts peuvent aussi avoir une perception différente des valeurs de la biodiversité. Ces questions seront étudiées grâce à une évaluation collective de l'impact de la coupe effectuée dans la zone d'investigation.

Le cadre conceptuel utilisé par Dendrogène pourrait être appliqué à d'autres écosystèmes forestiers et d'autres régions forestières. Les éléments de base, comme la collecte et l'exploitation des informations existantes, l'amélioration de la capacité d'identifier correctement les essences, l'élaboration des logiciels d'appui aux prises de décisions relatives à la foresterie et celle de pratiques de politiques et d'aménagement fondées sur les meilleures preuves scientifiques dont on dispose, ajoutent de la valeur, indépendamment du succès de la composante modèle de simulation. Ce cadre pourrait facilement être intégré aux programmes en cours de développement du secteur forestier.

La base de données pour l'aménagement et la cartographie des forêts, Trema, est en cours d'élaboration pour faciliter l'adoption de pratiques d'aménagement privilégiant la conservation; elles contient des informations sur les caractéristiques des essences clés et stocke les données concernant la population de la parcelle forestière concernée

REMARQUES EN MANIÈRE DE CONCLUSION

Le projet Dendrogène met à profit des alliances multidisciplinaires et multi-institutionnelles. Il s'efforce de collecter de nouvelles données appropriées et d'appliquer les informations de la recherche actuelle à l'élaboration de nouveaux outils d'aménagement efficaces. Il apporte une aide précise à l'identification des essences, à l'information sur les processus écologiques forestiers et la modélisation de la dynamique forestière (y compris la génétique des essences forestières). Il sert de test expérimental de l'utilisation des modèles de simulation afin d'intégrer les processus génétiques et écologiques, à une échelle adéquate, dans l'étude des impacts de l'aménagement de la forêt tropicale sur les processus génétiques. Ce projet met à contribution l'analyse des scénarios et des méthodologies participatives pour agir sur les pratiques de politique et d'aménagement.

Les auteurs croient que cette approche scientifique de l'évaluation des impacts de l'abattage sur les processus génétiques dans les forêts tropicales de l'Amazonie, si elle n'élimine pas le facteur d'incertitude, aidera les aménagistes, les industriels et les décideurs à prendre de meilleures décisions et à se rapprocher d'un développement durable des ressources forestières tropicales.

Bibliographie


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