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Pêche des poissons pélagiques hauturiers et développement des DCP ancrés en Guadeloupe

N. Diaz[2], M. Doray[3], P. Gervain[4], L. Reynal[5], A. Carpentier[6], A. Lagin[7]

En préambule, il est nécessaire de préciser qu'il n'existe pas de système de suivi de l'activité des flottilles et des débarquements, en Guadeloupe. Cette carence nuit à la précision des informations présentées ci-après.

I. LA PÊCHE DES POISSONS PÉLAGIQUES HAUTURIERS

EN GUADELOUPE

Moyens de production

Description des flottilles ciblant les grands poissons pélagiques

La part de la flotte de pêche guadeloupéenne ciblant les pélagiques est difficile à cerner pour les raisons précédemment évoquées. Il faut simplement considérer que très peu d'unités pratiquent exclusivement cette pêche et que l'alternance de la pratique de plusieurs métiers est une règle quasi générale.

La flottille de pêche est essentiellement composée d'unités de petite pêche (ou pêche artisanale); environ un millier d'embarcation) auxquelles s'ajoutent quelques unités de pêche côtière et de pêche au large.

La flottille de pêche artisanale est constituée en majorité de canots «saintois» de 5 à 9 m, propulsés par des moteurs hors-bord. Des incitations financières ont récemment encouragé l'arrivée d'unités équipées de moteurs diesels inboard dans la flottille. Il n'existe pas de chiffres concernant l'évolution des motorisations de la flottille.

Il est possible de considérer qu'une majorité de ces embarcations pratique la pêche aux grands pélagiques durant la saison dite de «la traîne» (pêche saisonnière de dorades coryphènes sous objets flottants).

Tableau 1: Evolution de la flotte de pêche guadeloupéenne (navires armés à l'année; source Affaires Maritimes) (*: armés au moins un jour dans l'année)


PETITE PECHE

PECHE COTIERE

PECHE AU LARGE

TOTAL

1988

780

17

0

797

1989

745

17

0

762

1990

784

18

0

802

1991

775

11

0

786

1992

760

10

0

770

1993

762

10

0

772

1994

780

10

0

790

1995

860

18

0

878

1996

1014

14

0

1028

1997

1050

12

4

1066

1998

783

6

3

792

1999

750

5

1

756

2000

758

8

1

767

L'équipage de ces embarcations varie ordinairement de 1 à 3 marins. A ces chiffres officiels, il convient d'ajouter la part de la pêche informelle répandue en Guadeloupe. Cette pêche informelle n'est pas constante au cours de l'année mais verrait son activité s'intensifier au moment de la saison de traîne aux pélagiques. Le volume de cette pêche est impossible à évaluer. La Coopérative des marins Pêcheurs de la Guadeloupe (COMAPEGA), avance le chiffre de 1200 marins clandestins, soit autant que la population officielle.

Description des «métiers» ou types de pêche pratiqués

Pêche à la traîne

L'espèce cible est principalement la dorade coryphène ou "dorad" (Coryphaena hippurus) et les espèces annexes sont surtout les "thazards" (Acanthocybium solandri) et les balistes ou "bourses bois" (Canthidermis maculatus).

Les engins utilisés sont des lignes de traîne de surface (généralement 2). Les épaves dérivantes (ou "bois") sont recherchées en fonction des courants ou des vols d'oiseaux marins. Les sorties sont classiquement d'une journée mais durent parfois 2 à 3 jours, avec des conditions de vie à bord particulièrement précaires. La zone de pêche s'étend à l'ensemble de la Zone Economique Exclusive (ZEE) de la Guadeloupe.

Cette pêche est pratiquée dès le mois de décembre jusqu'au mois de mai avec une activité plus intense de janvier à mars. Cette pratique de la pêche à la traîne traditionnelle diminue au profit de l'exploitation des dispositifs de concentration de poisson ancrés (DCP) mais demeure importante pour les communes de la Grande-Terre ou des dépendances (Désirade, Marie-Galante, Les Saintes), (fig. 1).

Figure 1: La Guadeloupe et ses dépendances

Production: Description du système de collecte de données statistiques

Il n'existe pas de système de collecte de données statistiques en place, ce qui nuit considérablement à la gestion de la filière pêche en Guadeloupe. L'Ifremer a réalisé des enquêtes d'activité et de débarquements sur le secteur de la côte Caraïbe, depuis 1992, dont sont issues de nombreuses informations produites ici.

Une étude concernant l'activité des flottilles et des débarquements réalisés autour des DCP dans le sud de la Basse-Terre est en cours à l'Institut Régional de Pêche et de Marine. Cette étude effectuée avec le soutien de l'Ifremer est réalisée par enquêtes auprès de pêcheurs volontaires. Le recueil des informations s'inspire du protocole défini par l'Ifremer. Ce dernier a été adapté aux caractéristiques de la pêche associée aux DCP ancrés pratiquée à la Guadeloupe. Des livres de bord mensuels sont envoyés aux pêcheurs puis ces informations sont archivées et traitées grâce au logiciel "Pelagica" (Doray et Reynal, 2000). Les résultats de ce travail seront disponibles au début de l'année 2002.

Aspects socio-économiques

Commercialisation des captures, prix, import/export

La filière de commercialisation des produits de la mer en Guadeloupe demeure peu développée et les circuits de distribution peu structurés. La prédominance de la vente directe du pêcheur au consommateur est une caractéristique (environ 70 % des ventes totales).

20 % de la production passent par l'intermédiaire d'une revente informelle (marchandes de poissons) et seulement 10 % de cette production sont traités par des circuits de mareyage officiels. Ces estimations concernent l'ensemble de la production de la pêche guadeloupéenne et semblent pouvoir être extrapolées aux grands pélagiques.

Les Guadeloupéens sont de très grands consommateurs de produits de la mer (plus de 30 kg/hab./an) et la Guadeloupe ne produit que 2/3 de sa consommation de produits de la mer (environ 10 000 t/an produites pour 15 000 t/an consommées). Il s'agit, à travers la pêche des pélagiques de tenter de réduire ce déficit avant d’envisager l'exportation.

Des importations de grands pélagiques sont réalisées en Guadeloupe. Les données fournies par les douanes sont agrégées et ne détaillent pas systématiquement l'espèce. Pour les dorades, 42t de produits congelés ont été importées du Pérou en 1999. En 2000, ce chiffre a atteint 164t. Ces produits d'importation alimentent essentiellement la grande distribution et la restauration collective.

La préférence des consommateurs s'oriente en priorité vers les poissons de récif ("poissons rouges"). Néanmoins, l'acceptabilité des grands pélagiques ("poissons blancs") s'accroît grâce à l'amélioration de l'offre (conservation en glace, campagnes de promotion, déclinaison de diverses transformations des produits: darnes, filets, steaks...).

Les prix de vente directe pratiqués par les pêcheurs se situent dans les fourchettes ci-dessous:

Description du système de gestion des pêches en application

Aucune mesure de gestion des pêcheries de grands poissons pélagiques n'est en vigueur en Guadeloupe. Aucune restriction sur les captures de grands pélagiques ne figure sur l'arrêté préfectoral réglementant la pêche dans les eaux de la Guadeloupe (Arrêté 981082 du 8 juin 1998) à l'exception de mesures pour des barracudas (Shyraena barracuda) et des carangues noires (Caranx lugubris), qui ne doivent être pêchés ou vendus en raison des risques ciguatoxiques.

Indicateurs socio-économiques relatifs aux populations de pêcheurs

Les effectifs de marins pêcheurs professionnels en Guadeloupe sont détaillés dans le tableau 2. On constate une diminution sensible de leur nombre qui, depuis 1997, a baissé de 1459 à 1244 (-15 %). Les effectifs de la petite pêche sont passés de 1369 à 1200 (-14 %), pour la même période mais représente toujours environ 95% des effectifs totaux. Il faut par ailleurs considérer que la population des pêcheurs professionnels est extrêmement fluctuante. La pêche demeure une profession entièrement libre d'accès, sous réserve de présenter les diplômes requis.

En 1998 sur 1305 marins enrôlés pour la petite pêche, 956 possédaient le titre de patron pêcheur et 348 celui d'équipier ou matelot.

La domiciliation des marins pêcheurs peut être calquée sur la répartition de la flottille de pêche; le site de mouillage est presque systématiquement situé à proximité immédiate du domicile du patron pêcheur. L'équipage est, lui aussi, recruté dans le secteur géographique immédiat. Cette dissémination de la population des marins pêcheurs contribue à maintenir une activité économique et sociale traditionnelle dans les communes littorales rurales éloignées des centres urbains pointois et basse-terrien.

Concernant la formation des pêcheurs professionnels guadeloupéens, le niveau demeure peu élevé. Si l'entrée dans cette profession est désormais soumise à la possession des diplômes de la Marine Marchande en vigueur (l'application de la réforme STCW 95[8] est par ailleurs en cours), de nombreux professionnels en activité demeurent dérogataires quant à ces titres. L'effort de formation des professionnels est une priorité prise en considération par les pouvoirs publics pour le développement de ce secteur d'activité.

Les informations concernant l'âge des marins pêcheurs ne sont pas publiées mais la population de marins professionnels paraît âgée (plus de 40 ans de moyenne d'âge). Les investissements nécessaires croissants pour l'installation de nouvelles entreprises de pêche freinent l'intégration dans la filière des jeunes formés à la pêche.

Le niveau de revenus des professionnels n’est pas connu mais il semble que cette activité génère une rentabilité insuffisante mettant parfois en péril l'activité. L'endettement bancaire de la profession est globalement peu élevé (3 millions de dollars EU en 1998 pour l'ensemble des professionnels, tous organismes de crédit confondus; source IEDOM[9]. Ce chiffre assez faible reflète le peu de formalisation de l'activité halieutique.

En revanche, les pêcheurs guadeloupéens ont accumulé une dette sociale globale importante qui correspond à un cumul de cotisations impayées. Le montant global de cette dette s'élevait à 5.5 millions US$ en 1998. Il s'agit d'un endettement lourd qui pénalise la filière. Des solutions individuelles d'apurement des dettes sociales ont été proposées aux professionnels dans le cadre de nouveaux dispositifs financiers nationaux.

Tableau 2: Evolution des effectifs de marins pêcheurs professionnels en Guadeloupe enrôlés au moins un jour dans l'année (source: Affaires Maritimes)


PETITE PECHE

PECHE COTIERE

PECHE AU LARGE

TOTAL

1988

1244

61

0

1305

1989

1200

61

0

1261

1990

1328

65

0

1433

1991

1303

66

0

1369

1992

1397

73

0

1470

1993

1438

71

0

1509

1994

1576

51

0

1637

1995

1300

55

0

1355

1996

1270

60

0

1330

1997

1369

64

26

1459

1998

1308

55

29

1392

1999

1237

45

13

1295

2000

1200

39

3

1242

Indicateurs socio-économiques relatifs à la population insulaire et/ou nationale

La population de la Guadeloupe est de 447 000 habitants (recensement 1999). La population active s'élevait à 178 600 en 1997 (estimation INSEE) ce qui représente un taux d'activité de 57.2 % (rapport entre la population "active", salariés, non salariés, chômeurs, et la population totale en âge de travailler).

La dernière étude de la répartition des emplois par secteurs, en 1993, attribuait au secteur primaire 8 % de la population active (9 975 emplois agriculture et pêche confondus), contre 19 % et 73 % aux secteurs secondaires et tertiaires.

En 2001, le nombre de demandeurs d'emplois en Guadeloupe 48 000 soit 28 % de la population active.

En 1994, le Produit Intérieur Brut de la Guadeloupe était de 6400 US$/habitant/an (INSEE), classant la Guadeloupe derrière les Bahamas, la Martinique et la Guyane, en PIB/habitant au niveau de la Caraïbe.

II. LE DÉVELOPPEMENT DE LA PÊCHE ASSOCIÉE AUX DCP ANCRÉS

Dynamique du développement

Objectifs initiaux

La volonté initiale, à travers le développement de la pêche associée aux DCP, était d'augmenter la rentabilité de l'exploitation des grands pélagiques. En effet, la pêche à la traîne classique induit des consommations très élevées de carburant par les unités motorisées de hors-bord (environ 300 US$ par sortie) et les résultats de pêche demeurent aléatoires. Les DCP ancrés sont censés diminuer les déplacements et donc les coûts en carburant tout en augmentant la probabilité de rencontre des espèces recherchées.

Il faut signaler aussi que les DCP ancrés améliorent les conditions de sécurité lors de la pêche par les professionnels (localisation précise des lieux de pêche et réduction de l’éloignement à la côte).

Chronologie

La première implantation de DCP en Guadeloupe a été conduite par le Service de Développement et d’Aide Technique, en 1988, au large de la commune de Bouillante. A la suite de cette expérience de courte durée, les pêcheurs ont été sensibilisés à l’efficacité des dispositifs, et dès 1992, une trentaine de DCP privés étaient recensés (Paulmier, 1992), puis au moins 48 pour la seule côte sous le vent (Lagin et Ledouble, 1994).

Le développement initial de cette technique s'est concentré à la côte sous le vent où les eaux sont plus calmes. L'absence de plateau insulaire sur cette façade de l'île limitait le développement de la pêche artisanale traditionnelle. L'introduction des DCP ancrés a très fortement stimulé le développement de la pêche sur ces secteurs en l'espace d'une décennie. Progressivement, cette technique s'est généralisée puisque l'implantation de DCP ancrés concerne désormais l'ensemble de l'archipel. Ce mode d'exploitation des grands pélagiques s'est largement substitué à la pêche à la traîne classique. Le parc de DCP ancrés est très difficile à estimer car très fluctuant: un chiffre minimum de 200 DCP sur le pourtour de l'archipel semble réaliste.

L’implantation de ces dispositifs a constitué un axe de développement majeur de la pêche en Guadeloupe, ces dernières années, et a contribué à une nette augmentation des apports de poissons pélagiques. Les professionnels sont désormais convaincus de l’efficacité de ces dispositifs et ont généralisé leur implantation sous forme de DCP artisanaux légers. La profession a depuis acquis un capital de connaissances lui permettant d’optimiser l’exploitation des espèces cibles autour des DCP et la fabrication de ces dispositifs.

Description de la technologie des DCP ancrés utilisés

En 1994, 10 DCP collectifs semi-lourds ont été confectionnés et mouillés sur le pourtour de l’archipel, grâce au concours de fonds européens (Diaz, 1995). Leur durée de vie a été relativement courte, faute d'une stratégie d'entretien établie. Aujourd'hui, le parc de DCP guadeloupéen est strictement privé. Reynal et al. (2000) ont relaté les types de DCP légers confectionnés par les pêcheurs avec comme objectif prioritaire de minimiser les coûts de fabrication et de mouillage. Les montages obtenus sont donc très hétéroclites. Le lest est souvent constitué de matériaux de récupération. La ligne de mouillage est en polypropylène de 8 à 12 mm Ø, parfois remplacée par plusieurs brins de "cordes à banane" (brins jointifs de polypropylène d'un diamètre total de 4 mm). Les flotteurs sont constitués d'une ou plusieurs bouées de 2 L (ou de simples bidons), auxquelles s'ajoute parfois un chapelet de quelques bouées de 2 à 10 L. L'agrégateur, rudimentaire, est souvent constitué de bâches ou vieux filets ou encore de feuilles de coco. Bien que sommaires, ces DCP peuvent offrir une longévité de plusieurs mois si l'entretien des têtes est fréquemment réalisé. L'avantage de ces montages réside dans leur faible coût: environ 500 US$. Chaque pêcheur peut posséder ainsi plusieurs DCP (jusqu'à 10, usuellement 4 à 5).

Initialement, les DCP étaient mouillés à faible distance des côtes (moins de 15 miles). Progressivement, les implantations se sont éloignées des côtes pour dépasser les 50 miles, sur des fonds de plus de 2000 m. Cet éloignement est une réponse à l'utilisation des DCP côtiers par les plaisanciers ou des professionnels autres que leurs propriétaires.

Réglementation concernant les DCP ancrés

La réglementation qui s’applique aux DCP fait l’objet du titre III (article 39) de l’arrêté préfectoral N° 981082 du 8 juin 1998 portant réglementation de la pêche maritime côtière dans les eaux du département de la Guadeloupe.

Article 39

Des dispositifs de concentration de poissons (appelés localement bouées) dûment balisés pourront être installés par les marins pêcheurs professionnels, sous réserve du respect des dispositions suivantes:

La construction de chaque dispositif doit faire l’objet d’une autorisation délivrée par le Directeur des Affaires Maritimes de la Guadeloupe.

Cette autorisation peut être accordée après examen d’une déclaration obligatoire qui doit comprendre les renseignements suivants:

- l’identification de chaque pêcheur professionnel ou de chaque membre composant un groupement de marins pêcheurs professionnels;

- le nombre de dispositifs mis en construction

- les schémas descriptifs des dispositifs, la liste des équipements utilisés pour leur construction, et la nature des matériaux qui composent ces équipements.

Lors de l’immersion, la position exacte du mouillage de chaque dispositif, avec l’indication des coordonnées géographiques précises (longitude et latitude), doit être fournie à la Direction des Affaires Maritimes de la Guadeloupe.

Chaque dispositif doit faire l’objet d’une signalisation maritime, constituée par une ou plusieurs bouées de couleur jaune orange ou rouge.

L’identification de chaque dispositif sera assurée par l’indication sur la bouée de signalisation du numéro d’immatriculation du navire appartenant au marin pêcheur professionnel qui l’exploite.

L’exercice de la pêche par des tiers à l’intérieur d’un cercle délimité par un rayon d’un quart de mile centré sur les dispositifs appartenant à des marins pêcheurs professionnels, est interdit lorsque ces derniers sont présents sur les lieux.

Les dispositifs de concentration de poisson ne doivent en aucun cas constituer une entrave à la navigation maritime.

La réglementation applicable à la Guadeloupe autorise donc l’implantation de DCP privés ce qui constitue une originalité au niveau de la Caraïbe et diffère, par exemple, du modèle martiniquais qui n’autorise que les DCP collectifs sous l’administration du Comité des Pêches. Cette particularité a généré, en Guadeloupe, une prolifération des DCP dont la déclaration auprès de l’administration est rarement effective (de peur principalement de voir les positions des engins privés divulguées). Le nombre actuel de DCP en place est, en conséquence, difficile à estimer.

Désormais, les pêcheurs de Guadeloupe semblent très attachés au système de DCP privés et les habitudes sont déjà fortement ancrées. Les pêcheurs ont eux-mêmes développé le parc de DCP ainsi que les règles tacites de pose et d'exploitation et souhaitent pérenniser le système en place. Malgré les inconvénients de la multiplication mal contrôlée des implantations et des coûts de fabrication, pose et entretien des DCP, qui reposent intégralement sur les entreprises de pêche artisanales, les pratiques guadeloupéennes présentent néanmoins plusieurs avantages:

La multiplication des DCP dans les eaux guadeloupéennes, leur impact sur le comportement des grands pélagiques et leur capturabilité sont difficiles à évaluer. Une tendance apparaît cependant selon les témoignages de pêcheurs: la raréfaction des prises sur les dispositifs les plus côtiers qui contraint les professionnels à des implantations sans cesse plus distantes des côtes. Ce phénomène atténue d’autant le bénéfice attendu de la diminution des trajets. Il semblerait également que les dispositifs périphériques exposés aux courants dominants soient ceux qui fixent le mieux le poisson.

Il faut noter que les prises effectuées sous les DCP ne semblent pas optimales. De nombreux juvéniles de certaines espèces sont capturés par les professionnels (thon jaune et thon noir). De plus, les prises sont constituées essentiellement de 3 espèces: le thon jaune, le thon noir et le marlin bleu, qui représentent environ 80 % des débarquements en provenance des DCP. Une meilleure répartition de l’effort de pêche sur l’ensemble des espèces qui s’agrègent autour de ces dispositifs paraît souhaitable.

Pêche associée aux DCP ancrés

Techniques de pêche

Les techniques de pêche employées généralement par les professionnels sont la traîne de surface et la «pêche au bidon» ligne verticale dérivante à un hameçon marquée à la surface par un bidon (Reynal et al., 2000). Les lignes sont appâtés avec de petits thons vivants ("bonites") capturés précédemment à la traîne et maintenus vivants dans un vivier. Jusqu'à une douzaine de lignes sont mouillés simultanément autour du DCP et surveillés visuellement. Lorsqu'un bidon plonge ou se redresse sous la traction d'une prise, la ligne est relevée. Les prises sont amenées à bord manuellement ou à l'aide d'apparaux de levage hydrauliques selon l'équipement du navire.

Au cours d'une même journée de pêche, chaque embarcation visite plusieurs DCP (jusqu'à une dizaine). Il est à noter que quelques unités de pêche pontées pratiquent également la pêche autour des DCP. Ces unités, handicapées par leur vitesse de déplacement réalisent des marées de plusieurs jours. Une partie de la flottille de pêche guadeloupéenne pratique désormais exclusivement cette pêche tout au long de l'année, plus particulièrement à la côte sous le vent.

Production et effort de pêche

Système de collecte de données

De 1992 à 1995, des carnets de pêche distribués à des pêcheurs pratiquant la pêche associée aux DCP ancrés ont été récupérés mensuellement. Des données de prises par espèce ont été déclarées pour chaque sortie par ces professionnels ainsi que la durée de ces sorties. Les sorties sans prises ont également été déclarées.

La zone géographique concernée est la côte caraïbe de Basse Terre. Les points de débarquement les plus suivis ont été Baillif (54 % des fiches), Vieux Habitants (20 %), Pointe Noire (17 %), Bouillante (7 %), (fig. 1 et 2). Environ un millier de fiches correspondant chacune à une sortie journalière ont été récoltées chaque année auprès d’une dizaine de pêcheurs (fig.3).

Figure 2: Provenance des fiches de pêche DCP en Guadeloupe (1992-95)

Figure 3: Nombre de fiches de pêche DCP récoltées en Guadeloupe et nombre de pêcheurs échantillonnés

Grâce à ces données, des captures moyennes ont pu être évaluées par sortie et par heure de sortie.

Statistiques de pêche

- Rendements par sortie

Le nombre moyen mensuel de sorties de pêche déclarées par bateau a varié de 58 à 72 selon les années. La proportion moyenne de sorties nulles (sans prise) a oscillé dans le même temps entre 7 et 17 %. La répartition moyenne mensuelle des sorties par bateau sur les années suivies semble indiquer une activité plus intense en début et en fin d’année (octobre à avril).

Les captures moyennes annuelles par sortie oscillent entre 40.8 et 57.7 Kg. Une augmentation de ces captures par sortie est observée entre 1992 et 1995. Ces rendements sont significativement différents (test de Kolmogorov Smirnov) entre 1992 et 1993, 1993 et 1994 mais pas entre 1994 et 1995 (fig. 4).

Figure 4: Captures moyennes par sortie DCP et écart type. Guadeloupe.

La composition spécifique des captures montre que l’augmentation importante des prises de poissons à rostre et dans une moindre mesure de thons de plus de 14 kg explique l’accroissement des débarquements moyens par sortie entre 1992 et 1995. Cette augmentation des captures de gros pélagiques est due au développement de la pêche à la palangre verticale dérivante à un hameçon («pêche au bidon»), qui a permis d’exploiter des profondeurs plus importantes autour des DCP ancrés. Cette technique était pratiquée traditionnellement par les pêcheurs de Baillif sur les hauts fonds pour capturer les albacores adultes et a été utilisée par la suite autour des DCP ancrés. Les autres espèces (ou groupes d’espèces) capturées sont les dorades, les petits thons de moins de 14 kg et les thazards (fig. 5).

Figure 5: Captures moyennes par sortie DCP et par groupe d’espèce. Guadeloupe, 1992-1995

Les rendements annuels moyens par sortie et les écarts types associés les plus élevés sont le fait des poissons de grande taille: poissons à rostre et thons de plus de 14 kg, dont la pêche plus aléatoire entraîne des fluctuations importantes dans les captures moyennes.

La saisonnalité des prises s’observe au travers des rendements moyens mensuels par sortie établis sur les quatre années de données (fig.6).

Figure 6: Captures moyennes mensuelles par sortie DCP et par groupe d’espèce. Guadeloupe, années 1992 à 1995

Les poissons à rostre sont capturés principalement entre septembre et avril. et les dorades constituent la principale espèce cible de décembre à mai. Les thons de plus de 14 kg sont pêchés sur une période plus courte, entre septembre et janvier et il faut noter que les thonidés de moins de 14 kg constituent l’essentiel des captures de la morte saison de mai à août. Les rendements mensuels moyens, toutes espèces confondues, obtenus sur la période 1992 à 1995 oscillent entre 29.6 kg en juin et 74.5 kg en octobre.

- Rendements par heure de sortie

La durée moyenne annuelle des sorties de pêche associée aux DCP ancrés, calculée à partir de l’échantillon sur la période 1992-1995, varie entre 6h40 et 7h35. Aucune tendance particulière ne se dégage de l’évolution annuelle de ce chiffre. L’écart type de cette durée est élevé (proche de 2), ce qui dénote une variabilité importante du temps de sortie (entre 4h40 et 9h35).

Figure 7: Captures moyennes par heure de sortie DCP. Guadeloupe.

Les rendements moyens annuels par heure de sortie toutes espèces confondues laisseraient apparaître une tendance globalement croissante entre 1992 et 1995 (fig. 7) variant de 5,8kg/h à 8,8kg/h. Cette amélioration des rendements horaires pourrait s’expliquer par l’augmentation des captures de poissons à rostre et de gros thons du fait du développement de la pêche au bidon, mais le faible nombre d’années échantillonnées impose une certaine prudence quant à l’interprétation de ces résultats.

La durée moyenne mensuelle des sorties oscille entre 6h20 et 8h30. Les sorties les plus courtes se situent entre les mois de juin et octobre, alors que les rendements horaires sont les plus bas entre mai et août.

Commercialisation des captures

La commercialisation des captures associées aux DCP s’effectue globalement selon la même stratégie que pour le reste de la pêcherie de pélagiques hauturiers et les prix de vente subissent donc les mêmes variations. Le succès des DCP occasionne des périodes ponctuelles et imprévisibles de surproduction que le marché ne parvient pas à absorber. De la mi-aout à la fin septembre 2001, de grandes quantités de thons jaunes ont été débarquées dans l'ensemble de l'archipel guadeloupéen, ce qui a conduit à une saturation du marché pour ces produits. Les professionnels ont alors rencontré de sérieuses difficultés pour écouler leur production qui, bien que bradée, est parfois restée invendue. Ce pic de production a également généré une pénurie de glace disponible pour la conservation des produits. Ces considérations amènent les pêcheurs à autolimiter leurs captures, faute de débouchés ou de possibilités de conservation pour différer la vente. Le manque de disponibilité de la glace et les carences de structuration et d'équipements de la filière de commercialisation empêchent, par conséquent, les pêcheurs de profiter pleinement de l'abondance ponctuelle de poissons. Il apparaît donc que lorsque la ressource n'est plus le facteur limitant, c'est la filière de commercialisation qui le devient, empêchant par exemple la profession de rattraper avec la pêche associée aux DCP la mauvaise saison de traîne enregistrée en 2001. Une telle situation avait déjà été constatée en juillet et août 1999. Maintenir des moyens et des infrastructures susceptibles de ne fonctionner pleinement qu'en de rares occasions reste problématique.

Références consultées

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[2] Institut Régional de Pêche et de Marine Rivière-Sens, 97113 Gourbeyre Guadeloupe (F.W.I.) [email protected]
[3] Ifremer, délégation des Antilles Laboratoire de Recherche Halieutique Pointe Fort, 97231, Le Robert Martinique (F.W.I.) [email protected] [email protected] [email protected]
[4] POLKA Rue Authe 2, 97100 Basse-Terre Guadeloupe (F.W.I.) [email protected]
[5] Ifremer, délégation des Antilles Laboratoire de Recherche Halieutique Pointe Fort, 97231, Le Robert Martinique (F.W.I.) [email protected] [email protected] [email protected]
[6] Ifremer, centre de Boulogne 150, quai Gambetta BP 699 62321 Boulogne-sur-Mer Cedex France [email protected]
[7] Ifremer, délégation des Antilles Laboratoire de Recherche Halieutique Pointe Fort, 97231, Le Robert Martinique (F.W.I.) [email protected] [email protected] [email protected]
[8] STCW = Convention on Standards of Training Certification and Watchkeeping for Seafearers
[9] Institut d’émission des Départements d’Outre-Mer

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