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4. Gérer les risques dans l’utilisation de l’eau en agriculture


La nature des risques

La vulnérabilité face aux risques est inégale selon les pays. Elle est liée, entre autres, au stade de développement. Les économies qui traversent les étapes de transition entre l’agriculture de subsistance et une économie agricole plus moderne et productive sont particulièrement vulnérables. Une grande partie des zones d’agriculture pluviale sont dans cette situation. Le régime des précipitations n’a guère changé au siècle dernier. Le Sahel, la Corne de l’Afrique et les pays qui bordent le désert de Kalahari sont notamment caractérisés par une grande variabilité interannuelle et intrasaisonnière des précipitations. Les bonnes et les mauvaises années n’arrivent pas au hasard mais ont tendance à être regroupées, ce qui ne manque pas d’avoir de graves conséquences sur la sécurité alimentaire puisque cela implique le stockage de la nourriture et de l’eau en prévision de plusieurs mauvaises années.

Le risque se définit comme le produit du hasard et de la vulnérabilité. En d’autres termes, il est lié à la probabilité d’un événement préjudiciable, tel qu’une sécheresse, et aux conséquences prévisibles d’un tel événement. Le risque de guerre et l’insécurité alimentaire qui en découle sont difficiles à prévoir et ce document n’en abordera pas davantage l’analyse. Pour ce qui est de l’agriculture, le risque le plus courant est la sécheresse. A l’échelle mondiale, ce risque est beaucoup plus menaçant que celui représenté par les cyclones, les inondations et les tempêtes. Par contre, à l’échelle régionale, il existe des zones où le risque d’inondation dépasse celui de sécheresse. La sécheresse constitue l’un des plus importants détonateurs naturels de famine et de malnutrition. Les phénomènes de sécheresse peuvent être abordés au niveau de la parcelle par diverses décisions de gestion, à celui du bassin versant et au niveau national. Les premières décisions appartiennent aux agriculteurs ou aux collectivités d’exploitants, alors que les décisions concernant les bassins et les pays doivent être prises par les gouvernements ou les organismes publics.

Selon Gommes (1999), le risque peut aussi être défini plus simplement comme une perte due à un événement préjudiciable. Cette définition présente l’avantage de faciliter la matérialisation et la mesure du risque (ex.: pertes dans la production agricole, pertes de revenus). Un risque acceptable est un risque que les individus, les entreprises ou les gouvernements acceptent délibérément de prendre en échange de profits potentiels. Les gouvernements locaux définissent généralement le niveau de risque acceptable en prenant en considération l’information sur les risques de sécheresse et en la mettant en parallèle avec les facteurs économiques, sociaux et politiques propres à la zone menacée.

Le conflit est un risque toujours présent et l’une des causes les plus courantes d’insécurité alimentaire. Le déplacement des populations et l’interruption de la production agricole et de la distribution alimentaire laissent des dizaines de millions de personnes à la merci de la faim et de la famine. A l’inverse, l’insécurité alimentaire peut être à l’origine des conflits ou les exacerber (FAO, 2002a). Selon la FAO, les conflits en Afrique subsaharienne ont entraîné, entre 1970 et 1997, une perte de production agricole qui atteint presque 52 000 millions de $E.U., c’est-à-dire une somme équivalant à 75 pour cent de toute l’aide officielle au développement reçue par les pays touchés par les conflits. Les conflits associés aux sécheresses ont déclenché six des sept grandes famines qu’a connues l’Afrique depuis 1980. La rapidité de l’alerte et de la réaction peuvent écarter le risque de famine créé par la sécheresse ou d’autres catastrophes naturelles. Dans les zones de guerre, le manque de sécurité et l’interruption des réseaux sociaux et de transport font obstacle à l’acheminement des secours. Plusieurs autres facteurs participent toutefois à l’insécurité alimentaire, parmi lesquels le manquement aux lois, l’absence de démocratie, les divisions ethniques et religieuses, la dégradation ou l’épuisement des ressources naturelles et la pression démographique (FAO, 2002a).

Encadré 9 Application des renseignements climatiques

Source: Sarachik, 1999;

Hansen, 2002; Ingram et al., 2002

L’application des renseignements climatiques est l’utilisation de ces renseignements pour modifier ou influencer une décision se rapportant à une action future. Il est impossible de prédire le climat à l’avance avec une certitude absolue, et c’est pour cette raison que les prévisions sont exprimées sous forme de probabilités de survenue. Comme pour tout projet probabiliste, on n’obtiendra de bénéfices appréciables qu’après une longue série d’essais. La nécessité de penser et d’agir en termes de stratégie probabiliste est l’un des plus grands obstacles à l’application de l’information prévisionnelle.

Les objectifs publics présentant plusieurs facettes différentes, on ne sait pas toujours exactement quel aspect est optimisé par l’application des renseignements climatiques, ni au bénéfice de quelle partie de la société. Par exemple, dans le domaine de la gestion des ressources en eau publiques, les priorités que sont la qualité de l’eau, les utilisations récréatives, la nécessité d’éviter les inondations et les besoins du secteur agricole sont souvent conflictuelles les unes par rapport aux autres. Les entretiens avec les responsables de la gestion des eaux révèlent que les renseignements climatiques sont rarement utilisés, même lorsqu’ils sont faciles à obtenir. L’une des raisons de la réticence des décideurs est peut-être le risque qu’ils prennent s’ils engagent une action novatrice qui pourrait échouer. La crainte des sanctions découlant d’un échec potentiel pourrait l’emporter sur les avantages possibles.

Les responsables de la gestion des eaux s’intéressent sans doute davantage à l’ensemble des précipitations saisonnières, mais les agriculteurs semblent préférer recevoir des prévisions précisant le début et la fin des pluies, ainsi que la survenue d’éventuelles périodes sèches au cours de la saison des pluies. La diffusion des prévisions climatiques aux agriculteurs pose une question délicate, celle de savoir comment éviter les catastrophes potentielles que risquent d’entraîner des prévisions incorrectes. Une prévision probabiliste n’est à proprement parler ni correcte ni incorrecte. Il n’en reste pas moins que les agriculteurs risquent de réagir à des prévisions indiquant une grande probabilité de précipitations plus abondantes que la normale en investissant des ressources, pour ensuite perdre leur investissement et davantage si les pluies sont en dessous de la normale. Il ne sera possible de surmonter ces obstacles à l’utilisation des renseignements climatiques, aussi bien par les responsables de la gestion des eaux que par les agriculteurs, que si l’on démontre que les prévisions donnent de bons résultats.

Stratégies de gestion des risques pour l’agriculture

Deux voies essentielles de minimisation des risques émanent de la définition du terme risque: la diminution des risques ou celle de la vulnérabilité. Il existe peu de moyens de minimiser les risques, mais on peut tout de même citer la pluviogénie, l’évitement de la grêle et la gestion des bassins versants pour lutter contre les inondations. Pour ce qui est de la minimisation de la vulnérabilité, les stratégies possibles sont: le développement des installations d’irrigation de surface (dont le pompage de l’eau des cours d’eau) et enterrées; la gestion intégrée des ressources en eau; la valorisation et la diversification des écosystèmes; la sensibilisation et la formation des agriculteurs; les systèmes d’alerte rapide; les prévisions climatiques saisonnières; et l’assurance agricole.

Les systèmes d’alerte rapide et les prévisions météorologiques saisonnières fournissent de plus en plus tôt les informations nécessaires aux gouvernements et organismes d’aide internationaux pour qu’ils puissent prendre les mesures qui permettront de diminuer l’impact des sécheresses. Les techniques de prévisions saisonnières ne sont toutefois pas parfaites et les prévisions n’arrivent pas jusqu’aux agriculteurs (FAO, 2002d). Si c’était le cas, elles pourraient les aider à choisir des cultures moins exigeantes en eau, et à remplacer par exemple le maïs par le sorgho à l’annonce d’une sécheresse (encadré 9).

En l’absence de renseignements fiables sur les précipitations saisonnières attendues, certains agriculteurs auront tendance à accepter de prendre des risques dans la perspective d’un plus grand profit, alors que d’autres préféreront éviter le risque même s’ils voient la possibilité de réaliser de gros bénéfices. Ces comportements d’acceptation ou d’évitement des risques sont affaires de personnalité et de culture.

De tout temps l’agriculture irriguée a évolué pour répondre à la nécessité de réduire le risque de récoltes déficitaires dans les terres sujettes à des sécheresses périodiques, comme les bassins de l’Euphrate et du Tigre. Les chapitres qui précèdent font état de nombreuses pratiques culturales et agronomiques à l’échelle de la parcelle qui sont susceptibles d’atténuer les conséquences des sécheresses et de diminuer ainsi le risque de récoltes déficitaires et d’insécurité alimentaire.

Il existe, dans le domaine des pratiques agricoles et de la conduite des parcelles, diverses méthodes permettant d’améliorer la gestion des sols et des eaux (Gommes, 1999). En matière d’agriculture pluviale, les stratégies sont basées sur la production durable de davantage de nourriture par unité d’eau; pour ce faire, il faut: récupérer les quantités maximales d’eau de pluie à l’échelle de la communauté, de l’exploitation et de la parcelle; minimiser les pertes d’eau au niveau de l’exploitation et de la parcelle; et utiliser l’eau efficacement à l’échelle de la parcelle. La récupération de quantités maximales d’eau de pluie peut faire intervenir à la fois l’état et les organisations d’agriculteurs (collecte de l’eau, utilisation d’eaux recyclées provenant d’autres secteurs) ou les agriculteurs seuls (collecte de l’eau sur l’exploitation, réduction du ruissellement à l’échelle de la parcelle, plantation précoce, système de culture par jachères, etc.). La minimisation des pertes en eau met les agriculteurs à contribution (réduction de l’évaporation par le paillage ou la couverture rapide des cultures, les plantations brise-vent, le travail minimal du sol, le désherbage, etc.). L’utilisation efficace de l’eau nécessite la participation des agriculteurs (utilisation d’espèces culturales consommant peu d’eau, fertilisation adaptée aux quantités d’eau disponibles, lutte contre les maladies et les ravageurs, optimisation de la plantation et des semis, variétés sélectionnées capables d’accomplir leur cycle dans les limites de la période de croissance offertes par le climat, etc.).

Il vaut peut-être mieux, pour réduire appréciablement les risques tout en ne diminuant pas énormément les profits espérés, combiner plusieurs méthodes plutôt que de n’en choisir qu’une. Par exemple, un exploitant qui travaille dans une zone d’agriculture pluviale comme Machakos, au Kenya, où la culture du maïs donne en moyenne un bon rendement tous les quatre ans, pourrait choisir de semer du maïs sur un quart de champ tous les ans. La réalité est évidemment plus compliquée car la quantité totale de pluies saisonnières et leur répartition au cours de la saison de croissance ont toutes les deux des conséquences importantes sur le rendement des cultures.

Les stratégies qui précèdent permettent d’améliorer l’utilisation des eaux disponibles à l’échelle de la parcelle. Par ailleurs, l’agriculture traditionnelle vise plutôt la stabilité de la production qu’un revenu maximum. Les agriculteurs remplissent cet objectif en diversifiant leur production et en choisissant des pratiques à faible niveau d’intrants qui ne nécessitent pas d’investissements ni de montants d’espèces trop importants. L’association de plusieurs agriculteurs, par exemple au niveau du village ou au sein des groupes d’agriculteurs, peut diminuer encore le risque d’une production faible.

Repartir les risques

L’assurance agricole constitue le dispositif le plus explicite de répartition des risques, en utilisant les institutions financières pour distribuer le coût des événements météorologiques entre d’autres secteurs économiques et les gouvernements. Les assurances agricoles contre les répercussions des cyclones et des tempêtes de grêle sont des exemples réussis de ce type de garantie. Les sécheresses ont un impact plus important dans les pays en développement que dans les pays développés, mais les agriculteurs des pays en développement ne peuvent pour ainsi dire pas accéder à ces assurances. En général, le coût de l’assurance pour les cultures de base de relativement faible valeur est inabordable (FAO, 2002d).

Planche 11 Vue de la campagne (Cambodge)

FAO/19680/G. BIZZARRI

La répartition des risques peut pourtant favoriser aussi un partage de l’eau. Cela fait quelque temps que des transferts d’eau sont pratiqués à l’intérieur des pays. Certains canaux ont été construits pour servir à la navigation, d’autres pour alimenter en eau potable des villes à court d’eau, et d’autres encore pour les besoins de l’agriculture, ou pour plusieurs de ces raisons. L’on peut citer l’exemple du Snowy Mountain Scheme, en Australie, et celui de plusieurs aqueducs en Californie, aux Etats-Unis dérique. A l’échelle internationale, un vaste système de canaux de liaison entre les bras de l’Indus a été construit pour garantir l’égalité de l’accès à l’eau entre l’Inde et le Pakistan après la partition de 1947. La Chine développe à l’heure actuelle de grands projets de tranfert d’eau qui relient le sud du pays au nord très peuplé et à court d’eau. Le financement et la mise en oeuvre de projets aussi coûteux pourraient dorénavant permettre de réduire le risque de conflits internationaux portant sur l’eau. Lorsque plusieurs pays partagent des ressources en eau, comme dans les bassins du Mékong, du Nil, de l’Euphrate et du Tigre, il existe un risque patent que l’association de facteurs tels que la croissance démographique, la pauvreté, l’insécurité alimentaire et la rareté de l’eau entraînent l’éclatement d’un conflit sur l’eau. Les tentatives actuelles pour mettre en place une médiation par la création d’organismes de gestion des bassins fluviaux visent à diminuer ces risques.


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