Page précédente Table des matières Page suivante


Perspectives d'avenir


6. Le défi: réinventer la gestion de l’eau en agriculture

Les principaux défis qui se présentent sont l’élimination de la malnutrition, l’adaptation à une demande alimentaire persistante et changeante et la recherche de niveaux durables de développement et gestion des ressources naturelles. Il est manifeste, étant donné le rythme actuel des progrès réalisés en matière de sécurité alimentaire, que l’agriculture irriguée et pluviale devront toutes les deux être repensées pour que l’on puisse remédier aux déficits alimentaires actuels et prévus. En même temps les méthodes de gestion devront permettre les transferts à d’autres utilisations concurrentielles, dont l’approvisionnement en eau des municipalités et le renouvellement des eaux nécessaires à l’environnement. C’est dans cette optique que l’irrigation se verra contrainte de se mettre au service de l’agriculture, plutôt que de se considérer comme une fin en elle-même. Cela nécessitera de passer d’un fonctionnement axé sur l’offre, ou sur les moyens de production, à des activités qui répondent davantage à la demande.

Il est également important que l’agriculture pluviale participe à ces efforts et un équilibre stratégique doit souvent être trouvé entre la production irriguée et la production pluviale. Cela nécessitera l’amélioration et l’intensification des systèmes agraires pluviaux par le biais des méthodes de l’agriculture de conservation, telles que la gestion de l’humidité et de la fertilité des sols.

Six sphères de changement progressif se dégagent:

1. Le développement stratégique des ressources disponibles en terres et en eau pour répondre à la demande réelle de produits alimentaires et de denrées agricoles.

2. Un réajustement de l’équilibre entre une gestion formelle de l’eau d’irrigation et une gestion abordable de l’eau en agriculture qui soit favorable aux pauvres (les solutions peu coûteuses et à petite échelle de récupération de l’eau, d’irrigation et de drainage sont de mieux en mieux acceptées par les communautés rurales).

3. Une généralisation de la sensibilisation économique aux avantages, tant en matière d’efficacité que de productivité, qui peuvent être tirés de la mise en valeur et de la préservation des eaux utilisées en agriculture, et du maintien des moyens d’existence ruraux.

4. Une stratégie de modernisation de l’irrigation qui transforme les rigides systèmes actuels basés sur le contrôle par l’amont en réseaux de prestation de services beaucoup plus souples.

5. La participation structurée et réglementée des utilisateurs de l’eau, qu’il s’agisse d’agriculteurs individuels, de groupes d’exploitants agricoles ou d’autres groupes d’intérêts, s’est révélée importante à l’échelle locale pour l’amélioration de la sécurité alimentaire lorsqu’elle est négociée sur la base d’une répartition claire des obligations et responsabilités.

6. La prise de conscience que l’agriculture peut endosser beaucoup plus efficacement ses responsabilités écologiques en minimisant les impacts négatifs de l’agriculture irriguée sur l’environnement et en cherchant des solutions pour rétablir la productivité des écosystèmes naturels.

Il existe en ce sens des perspectives positives pour l’amélioration de l’utilisation de l’eau en agriculture. Le comportement de l’agriculteur individuel est crucial pour la mise en oeuvre d’une meilleure utilisation de l’eau mais l’eau n’est qu’un facteur de production agricole parmi bien d’autres et il faut mettre en perspective son importance conomique et écologique à l’échelle locale. Les organismes gouvernementaux des pays développés et en développement devront se transformer en organismes avertis de réglementation économique et environnementale pour surmonter les problèmes de production alimentaire et d’épuisement des ressources naturelles. Par conséquent, l’utilisation durable de l’eau en agriculture doit se baser sur la valeur que l’on peut tirer des infrastructures existantes et garantir une production orientée vers les marchés. L’agriculture et la réglementation des eaux ont toutes les deux un rôle à jouer, mais leur action devrait être véritablement concertée.

Certaines contraintes institutionnelles devraient toutefois persister. Les mesures d’incitation à la gestion de la demande de services d’irrigation resteront modiques (l’on peut s’attendre à ce que certaines subventions à la consommation d’eau et d’énergie pour le pompage continuent à être accordées) et l’eau ne représente que l’un des multiples sujets de préoccupation des agriculteurs. L’échelle même de l’assiette des actifs et l’intensité des intérêts en place risquent même de renforcer les rigidités institutionnelles pour un certain temps. Les effets de distorsion du soutien aux prix et des subventions à l’achat d’intrants continueront également à tempérer les initiatives privées qui fructifieraient s’il en était autrement.

La prise de conscience de tous ces éléments s’est traduite par la formulation de trois clés qui devraient permettre de déverrouiller le potentiel de l’eau en agriculture: modernisation, administration et investissement.

7. Clé n°1 - Accroissement de la productivité de l’eau: moderniser l’irrigation

L’accroissement de la productivité de l’eau est cruciale pour l’agriculture irriguée. Puisque l’agriculture continuera à être le principal utilisateur d’eau, l’amélioration de l’utilisation de l’eau en agriculture, à la fois dans les systèmes irrigués et pluviaux, aura un impact direct sur les besoins en eau locaux et régionaux. Des volumes d’eau brute sont déjà attribués à d’autres secteurs plus utiles tels que l’approvisionnement municipal, les besoins de l’environnement et la production d’énergie mais il est encore possible d’optimiser ces attributions aussi bien sur le plan économique qu’environnemental.

L’accroissement de la productivité est réalisable par l’application d’une stratégie d’amélioration de l’agriculture pluviale et par la modernisation de l’agriculture irriguée et en particulier par la transformation des aménagements rigides d’irrigation en réseaux de prestation de services beaucoup plus souples, favorisant une participation beaucoup plus structurée et équitable des utilisateurs d’eau.

La modernisation de l’agriculture irriguée par le perfectionnement technologique et les réformes institutionnelles sera déterminante. La FAO l’a définie comme un processus de perfectionnement de la technologie et de la gestion des périmètres d’irrigation associé, au besoin, à des réformes institutionnelles, dans le but d’améliorer l’utilisation des ressources et la distribution de l’eau aux exploitations. C’est ainsi que la modernisation devrait stimuler la productivité de l’eau, mais il faudrait n’entreprendre de réforme institutionnelle qu’avec de bonnes raisons, et pas juste dans le but de réformer. Elle doit être systémique et pratique sans nécessiter une modification de tous les aspects institutionnels, et devrait être engagée lorsqu’il est nettement plus avantageux comparativement pour l’agriculture irriguée de produire dans un marché effectif. En outre, une appréciation beaucoup plus précise du débit des cascades et de l’écoulement des eaux dans les paysages, ainsi que de la circulation des eaux souterraines dans les nappes aquifères, permettra de prendre des décisions éclairées sur l’utilisation et la réutilisation de l’eau en agriculture.

Les institutions d’irrigation doivent donc s’orienter davantage sur les services et améliorer leurs performances sur le plan économique et écologique, en adoptant de nouvelles technologies, en modernisant leurs infrastructures, en appliquant des techniques et des principes administratifs plus adaptés et en favorisant la participation des usagers.

8. Clé n°2 - Amélioration de l’administration de la gestion de l’eau en agriculture

Les solutions d’amélioration de la gestion de l’eau en agriculture telles que la modernisation et l’agriculture écologique ne peuvent réussir que si l’engagement et la participation des usagers dans les décisions de planification et d’investissement et dans la circulation de l’information sont fermement soutenus. La participation a pour but d’augmenter la productivité et les revenus et de partager les bénéfices. Bien qu’il soit exact qu’il peut être difficile au départ de négocier le partage des bénéfices d’une ressource commune, les avantages économiques d’une négociation réussie peuvent être considérables.

L’accès aux ressources naturelles est fondamental et les droits d’utilisation des terres et des eaux doivent être stables, mais en même temps ils doivent être transférables pour permettre des bénéfices économiques. Il est donc indispensable de définir un cadre légal et réglementaire clair qui régisse les droits d’utilisation de l’eau et les régimes fonciers. La gestion durable de l’eau en agriculture nécessite également la formulation de systèmes judicieux de recouvrement des coûts qui soient socialement acceptables et reflètent mieux la valeur de l’eau dans la production alimentaire. Le passage d’une planification basée sur les secteurs à une planification basée sur les ressources naturelles est déjà en cours car les secteurs économiques et leurs régulateurs réalisent qu’une amélioration de leurs performances est possible s’ils partagent une approche commune de la mise en valeur des ressources et de la protection de l’environnement.

Etant donné les tendances définies dans le document AT2030, une réorientation positive des politiques et institutions qui ont un impact direct sur l’administration de la gestion de l’eau en agriculture est impérative. Il est manifeste que les organismes d’irrigation devront faire un effort d’adaptation dans le cadre de la planification de l’utilisation d’une ressource naturelle. Dans un tel contexte, les méthodes de la gestion adaptative peuvent paraître quelque peu «maladroites» par rapport aux méthodes «globales» ou «intégrées» mais elles sont systémiques et s’adaptent à la fois à l’échelle des investissement et aux dispositions institutionnelles qui déterminent l’administration actuelle des périmètres d’irrigation.

9. Clé n°3 - Poursuite de l’investissement stratégique en agriculture

Il faudra, pour parvenir à une situation satisfaisante de sécurité alimentaire et d’utilisation durable des ressources naturelles, que l’investissement soit aussi novateur que stratégique afin de maintenir l’accroissement de la productivité et de créer de nouvelles perspectives d’utilisation de l’eau. L’application de la technologie aux tâches d’exploitation et de gestion a permis de faire avancer les choses du point de vue de l’amélioration de l’utilisation de l’eau et de la performance des périmètres d’irrigation. Ces améliorations se fondent essentiellement sur les principes de participation des irrigants, d’autonomie financière, de privatisation partielle et progressive et de recul corrélatif de l’intervention directe des gouvernements. La mise en vigueur de ces principes poursuivra le renforcement de la viabilité des futurs investissements destinés à réhabiliter et moderniser les périmètres existants et à en aménager de nouveaux.

Le secteur privé peut réagir dynamiquement pour réunir les fonds nécessaires à une meilleure maîtrise des eaux s’il n’est pas limité par des contraintes arbitraires ou une réglementation dépassée. Les usagers et groupes d’usagers trouveront toujours leur intérêt à investir dans la maîtrise des eaux lorsqu’ils y voient un avantage comparatif évident, que ce soit pour fournir les marchés locaux en denrées de consommation courante ou les marchés d’exportation en cultures commerciales. Dans ce cas, les mécanismes de financement doivent être adaptés à la nature de l’investissement de maîtrise des eaux, à moyen ou long terme, ainsi qu’à la subtilité des besoins des marchés. A cet effet il faudrait envisager un assortiment stratégique de micro-crédits pour les petits exploitants, de crédits commerciaux bien modulés pour les gros et les nouveaux exploitants et de financements à des conditions libérales pour les infrastructures publiques à grande échelle. Les interactions entre ces différents types d’investissement dans la maîtrise des eaux sont indispensables pour tirer le sous-secteur de l’irrigation de sa morosité. Il ne serait toutefois pas raisonnable d’ignorer un élément aux dépens d’un autre. Il est également nécessaire d’ajuster ces investissements aux conditions climatiques et hydrologiques et aux pratiques agricoles régionales, et de pouvoir compter sur une meilleure détection des créneaux commerciaux et transferts de technologie possibles.

L’action politique offre en général de vastes possibilités d’amélioration de la maîtrise et de l’utilisation des eaux en agriculture. Alors qu’à l’échelle mondiale la production alimentaire semble avoir suivi le rythme de la demande (et s’être globalement améliorée), de nombreux problèmes d’insécurité alimentaire et de vulnérabilité aux sécheresses persistent au niveau local. Pour surmonter ces contraintes physiques et socioéconomiques et permettre aux populations pauvres et marginalisées de sortir de la pauvreté, il va falloir poursuivre les investissements dans l’agriculture pluviale et irriguée. L’agriculture écologique, la petite irrigation, les infrastructures rurales et l’accès aux marchés, notamment, sont autant de moyens vitaux pour lutter contre la faim et la pauvreté.

On distingue trois domaines possibles d’action politique et d’investissement:

Il importe d’envisager ces trois domaines parallèlement et d’organiser les investissements au fur et à mesure que la demande augmente et que les actifs sont réalisés. Ces progrès devront être réalisés à la fois par des fonds publics et privés. Les fonds privés devront favoriser les communautés rurales les plus pauvres. En outre, les fonctions de facilitation des gouvernements aux niveaux micro et macroéconomiques seront déterminantes pour maintenir les flux financiers privés au niveau des agriculteurs individuels et des investisseurs commerciaux.

Pour finir, l’alimentation, l’agriculture et la réglementation des eaux devraient agir de manière véritablement concertée, et être soutenues par des investissements de premier ordre à l’intention des populations marginalisées qui ont la capacité de sortir de la pauvreté de s’intégrer progressivement dans les circuits économiques.


Page précédente Début de page Page suivante