A. Whiteman
Adrian Whiteman est forestier principal (Analyse économique), FAO, Rome.
Les incitations, des marchés novateurs et la redistribution des coûts et avantages peuvent-ils rendre plus rentable la gestion des forêts?
DÉPARTEMENT DES FORêTS DE LA FAO/R. FAIDUTTI |
Lorsque les dépenses nous parais-sent excessives ou injustifiées, nous disons souvent que «l’argent ne pousse pas sur les arbres». Et, dans ce cas, nous n’avons pas tout à fait tort car l’investissement dans la gestion des forêts est un domaine où cette remarque s’applique bien. A de rares exceptions près, les arbres poussent plutôt lentement par rapport à d’autres cultures, les récoltes de bois sont peu fréquentes et la concurrence d’autres matériaux déprime les prix des produits forestiers. En outre, en raison du caractère à long terme de la gestion forestière, le risque de ces investissements a souvent un effet fortement dissuasif sur les investisseurs potentiels. C’est pourquoi tenter de dégager des bénéfices de la gestion des forêts est un défi redoutable.
Pourtant, il est fréquemment estimé que les forêts sont précieuses, et leur disparition progressive et les niveaux grandissants de dégradation suscitent une inquiétude croissante. Les signes de cette inquiétude se reflètent dans les débats de plus en plus animés, qui se déroulent dans les instances nationales et internationales, sur la façon de protéger les forêts et de les gérer de façon durable.
Le contraste entre la valeur élevée attribuée aux forêts dans les débats publics et les rendements relativement faibles de la gestion forestière peut s’expliquer par les nombreux avantages non financiers que les forêts peuvent procurer. Il est désormais largement reconnu que les forêts protègent les bassins versants, assurent des habitats à la faune sauvage et sont utilisées par les collectivités locales pour la collecte du bois et des produits forestiers non ligneux. Plus récemment, le rôle des forêts dans les activités récréatives et comme puits de carbone a crû en importance. Toutefois, ces avantages sont rarement considérés par les gestionnaires forestiers comme les rendements financiers de leur investissement, ce qui aboutit à un «échec du marché» et à la tendance à dégrader ou défricher davantage de forêts qu’il ne serait sage du point de vue social, environnemental et économique.
Le présent article examine trois mécanismes pour affronter le problème de cet «échec du marché» en matière forestière. Le premier est l’incitation, où le gestionnaire est payé par l’Etat pour entreprendre certaines activités forestières déterminées. Le deuxième est la création de marchés pour les produits et services forestiers, notamment certains de ceux qui autrefois n’étaient pas commercialisés. Le troisième est la redistribution des coûts et avantages de la gestion forestière entre différentes parties intéressées; son absence peut aussi être considérée comme un exemple d’«échec du marché», lorsque les gestionnaires forestiers ne tiennent pas compte des coûts d’opportunité encourus (par les collectives locales) pour maintenir les terres sous un couvert forestier.
De nombreux types d’incitations ont été utilisés pour accroître la rentabilité des forêts, y compris les subventions, les prêts à des conditions favorables, les dégrèvements fiscaux, la fourniture à faible coût ou à titre gratuit de matériels et/ou avis, celle de biens publics et les mesures d’appui.
Dans le passé, l’Etat était la principale source d’incitations forestières et celles-ci servaient dans la plupart des cas à encourager l’établissement de plantations forestières. Parmi les pays qui ont fourni des incitations pour le développement des plantations on peut citer les suivants: Argentine, Australie, Brésil, Chili, Chine, Etats-Unis, Inde, Indonésie, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni. De fait, il est probable que la plupart des plantations forestières privées ont été établies grâce à une forme ou une autre d’incitation octroyée à un moment donné. Dans la plupart des cas, les subventions, dégrèvements fiscaux ou biens et matériels gratuits ont servi à abaisser les coûts de l’établissement de la plantation et à accroître ainsi le taux de rentabilité de l’investissement relatif. En Nouvelle-Zélande, toutefois, les subventions octroyées à l’industrie de transformation ont aussi permis d’appuyer le développement du secteur forestier (voir l’article d’Enters, Durst et Brown dans ce numéro).
L’emploi d’incitations pour promouvoir les améliorations de la gestion forestière est moins courant. Cependant, un certain nombre de pays (comme le Royaume-Uni) ont commencé à concevoir et appliquer des systèmes d’incitations plus complexes pour promouvoir des changements dans la gestion des forêts existantes et planifier l’établissement de nouvelles plantations dans des lieux prioritaires.
A part l’Etat, d’autres institutions utilisent aussi souvent les incitations pour encourager certains types d’activités forestières lorsqu’elles sont conformes à leurs buts et objectifs (voir l’encadré).
Les incitations forestières peuvent agir comme un puissant mécanisme d’encouragement du boisement et de la gestion améliorée des forêts en accroissant la rentabilité de ces activités. Cependant, elles peuvent avoir des conséquences imprévues si elles ne sont pas correctement conçues, notamment si elles encouragent la plantation d’arbres sans trop tenir compte d’autres conséquences sociales et environnementales.
En particulier, les dégrèvements fiscaux, si difficiles à cibler, ont soulevé des problèmes à cet égard. C’est ainsi que les boisements appuyés par des incitations fiscales au Chili et en Indonésie ont été critiqués pour n’avoir pas tenu compte des droits d’usage des collectivités locales, et en Indonésie et en Ecosse ces activités l’ont été pour des motifs environnementaux (voir l’encadré).
On peut adopter deux grandes démarches pour tenter d’améliorer la commercialisation des produits et services afin qu’ils traduisent certains des avantages non financiers de la forêt. La première consiste à commercialiser des biens renouvelables et durables qui expriment des valeurs sociales et environnementales. La seconde consiste à vendre certains produits forestiers qui ne sont pas normalement écoulés sur les marchés.
Un exemple traditionnel de la commercialisation d’un produit forestier respectueux de l’environnement concerne le papier fabriqué à partir de fibres recyclées. Ces fibres ont été utilisées dans l’industrie papetière depuis de nombreuses années mais, dans les pays développés, l’emploi de fibres recyclées a crû rapidement depuis les années 80, lorsque les fabriques de papier ont commencé à promouvoir le contenu en fibres recyclées de leurs produits pour tirer parti de l’intérêt croissant manifesté pour les questions environnementales. Plus tard, cette tendance a été renforcée par des lois et règlements visant à encourager le recyclage (UE, 1994, par exemple) et par des améliorations dans la technologie et les systèmes de récupération du papier.
L’exemple du papier recyclé est intéressant car, bien que ces nouvelles tendances aient sans aucun doute amélioré l’impact sur l’environnement, la rentabilité et la durabilité du secteur de la transformation des produits forestiers, elles pourraient fort bien avoir porté atteinte à la rentabilité de la foresterie en réduisant la demande de bois à pâte (un des principaux produits de l’éclaircie et de la coupe définitive dans de nombreuses forêts tempérées et boréales) (voir Bourke, 1995).
De nombreuses campagnes de commercialisation qui suivent une démarche semblable promeuvent, à l’heure actuelle, l’emploi du bois comme produit renouvelable ayant un impact minimal sur l’environnement. Parmi les exemples citons «wood – for good» (du bois pour toujours) au Royaume-Uni (www.woodforgood.com) et le Réseau de promotion du bois en Amérique du Nord (www.woodpromotion.net). Ces campagnes se fondent sur le principe selon lequel en insistant sur les avantages écologiques de l’utilisation du bois plutôt que de produits concurrentiels, on contribuera à accroître la demande des consommateurs et à augmenter ou à maintenir la part du marché détenue par les produits ligneux, et on favorisera par là même la rentabilité de la foresterie.
Un exemple plus récent et plus recherché de cette démarche est la certification forestière. Dans le cadre de ce processus, les forêts sont inspectées et évaluées par rapport à un ensemble de critères qui mettent en évidence les bonnes pratiques de gestion forestière. Si la forêt obtient un bon classement, elle pourra être certifiée et les produits qui en sont tirés (y compris les produits transformés) pourront être considérés comme provenant d’une forêt bien gérée. La plupart des programmes de certification ont mis au point des étiquettes («écoétiquettes») ou permettent l’utilisation de leurs logos dans les campagnes promotionnelles.
Un certain nombre de programmes de certification aux caractéristiques variables ont été élaborés (Hansen et Juslin, 1999). Cependant, bien qu’elle soit assez largement répandue dans les zones de forêts tempérées et boréales, l’impact de la certification sur la gestion des forêts tropicales n’a pas été aussi prononcé qu’on l’avait espéré initialement (Ebaa et Simula, 2002). En outre, il semble prouvé que le principal résultat de la certification est d’aider les entreprises à accroître ou maintenir leur part du marché mais qu’elle n’élève pas forcément les prix payés aux producteurs de produits forestiers certifiés, sauf pour des créneaux spécialisés (Vilhunen et al., 2001; CEE-ONU/FAO, 2002). Par conséquence, en tant que mécanisme visant à améliorer la rentabilité de la forêt et à en encourager la gestion durable, la certification n’a obtenu à ce jour que des succès limités.
La technique consistant à accroître la rentabilité de la foresterie en obtenant des consommateurs des paiements directs pour des produits forestiers, qui ne font pas à l’heure actuelle l’objet d’un commerce actif, est souvent désignée sous le nom de «financement novateur».
Sur ces produits, celui dont la commercialisation remonte le plus loin dans le temps est la récréation en forêt. Des activités spécialisées comme la chasse et la pêche peuvent, dans certaines situations, assurer au gestionnaire forestier une source de revenu supérieur à la vente de produits forestiers. De fait, dans de nombreux pays européens, de vastes étendues de forêt sont gérées expressément à cette fin (CEE-ONU/FAO, 1993).
Ces dernières années, dans les pays développés, s’est aussi dessinée une tendance à la commercialisation de types de loisirs forestiers plus généraux. Les droits d’entrées, charges de stationnement, paiements autorisant le visiteur à circuler et photographier les espaces naturels et excursions en bicyclette sont autant de mécanismes qui ont été introduits pour hausser les recettes tirées des loisirs en forêt (voir l’article de Leslie dans ce numéro).
Certains pays en développement ont commencé, eux aussi, à dégager des revenus de la récréation en forêt. L’un des meilleurs exemples est, peut-être, celui du Parc national des volcans au Rwanda, qui est la dernière demeure des gorilles africains de montagne. Vu le caractère exceptionnel du lieu, le Gouvernement du Rwanda a pu augmenter les droits d’entrées au parc qui ont atteint 250 dollars EU par touriste et par visite, et les recettes tirées de ces droits représentent maintenant une importante source de revenus pour le parc. Les organisations écologistes, les gouvernements et les agences de développement reconnaissent désormais son énorme potentiel dans les aires forestières protégées, et ils aident les gestionnaires forestiers à le réaliser (UICN, 2000).
On crée aussi à l’heure actuelle des marchés pour d’autres importants produits et services forestiers dont l’intérêt commercial avait été jusqu’ici négligé; tels sont la conservation de la biodiversité, le piégeage du carbone, la protection des bassins versants, le paysage et les services d’agrément (voir aussi les articles de Trexler; Rodriguez Zuñiga; et Walsh, Barton et Montagu dans ce numéro). Ces biens peuvent être vendus séparément ou regroupés, parfois avec les activités récréatives en forêt. En effet, il pourrait être difficile, par exemple, de séparer la biodiversité du paysage et des services de récréation en forêt.
Un examen portant sur 287 cas de marchés créés pour les services forestiers environnementaux (Landell-Mills et Porras, 2002), et basé sur les informations disponibles dans la littérature sur ce thème, a montré que ces marchés étaient à peu près également répartis sur une large gamme de types de produits et services forestiers. La région Amérique latine et Caraïbes jouait un rôle de chef de file dans la mise en place de marchés pour ces services, alors que d’autres régions en développement comme l’Afrique et l’Asie avaient réalisé beaucoup moins de progrès dans ce domaine (voir la figure).
Un grand nombre de mécanismes ont été conçus pour gérer le transfert de l’argent des utilisateurs aux fournisseurs des services. Un nombre élevé de personnes prennent souvent part à leur production et à leur paiement, et la chaîne de production peut comprendre beaucoup d’intermédiaires. Landell-Mills et Porras (2002) ont souligné l’importance de la sécurité du régime de propriété de la terre, d’une bonne gouvernance et d’un cadre juridique solide pour assurer un environnement propice à la création de ces marchés (comme dans le cas des produits forestiers qui n’ont pas été commercialisés depuis longtemps).
Les marchés pour les services forestiers environnementaux se développent à un rythme croissant dans le monde entier, mais la plupart des exemples cités se rapportent à des cas limités et localisés. Un obstacle de taille qui s’oppose à la rentabilité de ces services réside dans les hauts coûts de transaction (voir l’encadré). Beaucoup de chemin reste encore à parcourir avant que le «financement novateur» puisse apporter une contribution significative et à plus grande échelle à la rentabilité de la foresterie. En outre, un grand nombre de problèmes devront encore être surmontés, notamment en ce qui concerne l’effet de ces initiatives sur les pauvres.
Les coûts de transaction sont ceux découlant de la réunion dans un marché d’acheteurs et de vendeurs en vue de commercialiser un bien ou un service. Bien que de nombreuses enquêtes aient indiqué que les forêts peuvent produire des biens d’une valeur non financière élevée, et que les théories économiques montrent que cette valeur doit être reflétée dans l’utilisation de la ressource forestière, le coût de la création de marchés pour ces biens aura un effet considérable sur le succès de ces essais. Les acheteurs potentiels des biens forestiers non commerciaux sont souvent nombreux et vivent loin de la forêt. Du côté de l’offre, la protection et la production de beaucoup de ces biens pourraient imposer l’action concertée de nombreux individus. En outre, nombre de ces biens sont publics et sujets au risque de «resquillage», car il est extrêmement difficile d’empêcher une personne qui n’a pas payé pour la protection de la biodiversité, par exemple, d’en tirer des bénéfices. |
La commercialisation de la récréation en forêt a une longue histoire |
B. MOORE |
Situation actuelle des marchés des services forestiers environnementaux |
Source: Landell-Mills et Poras (2002). |
Dans la plupart des cas, les avantages économiques découlant de la gestion forestière ne favorisent qu’un nombre exigu de personnes (à savoir, les propriétaires et gestionnaires forestiers). Cela peut poser des problèmes dans des pays où les régimes de propriété publique ou communautaire sont répandus. Si les habitants de la forêt ou ceux vivant aux alentours ne reçoivent pas une part des avantages de la gestion forestière, et qu’ils estiment avoir des droits sur la terre en question, ils pourraient être tentés de défricher la forêt pour utiliser la terre conformément à leurs besoins.
Dans de nombreux cas, le défrichement pourrait être économiquement justifié (c’est-à-dire quand la valeur de la nouvelle utilisation de la terre est supérieure à celle du maintien du couvert forestier). Toutefois, dans les cas où un couvert forestier de valeur élevée (y compris les forêts présentant un grand intérêt non commercial) est remplacé par une affectation des terres d’une faible valeur, le problème réside moins dans la non-rentabilité de la forêt que dans le fait qu’elle ne favorise pas la population locale qui pourrait réaliser davantage de revenus en se tournant vers d’autres utilisations du sol.
Le partage des avantages comporte une grande variété de mesures visant à acheminer les bénéfices de la gestion forestière aux différentes parties prenantes. Au sens large, elles embrassent la foresterie communautaire et des initiatives comme la gestion conjointe des forêts appliquée en Inde, où les collectivités locales reçoivent des droits d’accès et d’usages pour des forêts qui étaient auparavant sous le contrôle de l’Etat. Dans ces cas, les collectivités et les individus deviennent les gestionnaires de la forêt et partagent aussi bien les coûts que les avantages de la gestion avec l’Etat. Un grand nombre de ces initiatives ont réussi aboutissant à l’amélioration de la gestion forestière et à une protection accrue de la forêt (FAO, 1997, par exemple).
Dans d’autres cas fréquents, le partage des avantages consiste à continuer à permettre aux entreprises forestières de récolter les produits dans les concessions octroyées par l’Etat, mais à les obliger à en partager les revenus avec la population locale. On a eu recours à une grande variété d’accords institutionnels pour distribuer de tels fonds. Dans certains cas, les montants sont versés aux autorités locales ou aux chefs traditionnels, ou bien des fonds spéciaux sont établis à ces fins. Parfois le partage des avantages a fait un pas de plus, et la population locale a participé à l’octroi des concessions et à la collecte des revenus. Comme ailleurs, le succès de ces programmes dépend en grande partie de l’honnêteté et du sens de responsabilité de ceux qui encaissent l’argent. La complexité de tels arrangements et les lacunes dans la capacité institutionnelle de les réaliser sont aussi une source de problèmes. C’est ainsi qu’une enquête récente menée sur le partage des revenus en Afrique a montré que cette procédure se répand de plus en plus, mais que ses succès ont été limités à ce jour dans la plupart des pays (FAO, 2003).
Le partage des avantages peut aussi comprendre l’obligation pour les concessionnaires forestiers d’investir dans des infrastructures communautaires locales ou d’entreprendre d’autres projets de développement local.
Les collectivités ont parfois le droit de planter des cultures entre les arbres dans des plantations forestières immatures (système «taungya»), ce qui peut aussi être considéré comme un type de partage des avantages. Toutefois, ces arrangements ne sont pas toujours profitables en raison de l’écart entre les objectifs des gestionnaires forestiers et ceux de la population locale.
Un dernier exemple qui mérite d’être mentionné est la certification contrôlée des produits forestiers non ligneux (PFNL), Normalement, les ramasseurs de PFNL ne reçoivent que de petits paiements pour les produits qu’ils récoltent. Ces produits pourraient rapporter des sommes plusieurs fois plus élevées, notamment s’ils sont exportés d’un pays en développement à un pays développé. La certification contrôlée et d’autres types de certification ont été utilisés pour tenter de redistribuer certains de ces bénéfices le long de la chaîne de production, afin d’accroître la rentabilité de la collecte de PFNL, redresser les revenus des populations locales et contribuer à protéger les terres boisées. Certes, comme pour la certification du bois, ces arrangements permettraient d’améliorer la rentabilité de la foresterie pour les populations locales, mais à l’heure actuelle ils ne concernent qu’une part limitée de la production totale de PFNL.
Les mécanismes de partage des avantages comprennent la foresterie communautaire, où les communautés locales et les particuliers deviennent les gestionnaires de la forêt et partagent les coûts et les avantages de la gestion avec l’Etat |
DÉPARTEMENT DES FORêTS DE LA FAO/R. FAIDUTTI |
Comme le montre l’examen ci-dessus, de nombreuses approches ont été mises à l’essai pour combler le fossé entre la rentabilité financière des forêts et certains des avantages plus généraux qu’elles procurent. Celles qui ont la plus longue histoire et paraissent les plus efficaces à ce jour sont les incitations forestières.
Les approches plus novatrices n’ont pas encore été expérimentées à grande échelle, mais il est peu probable qu’elles exerceront un impact marqué sur de grandes superficies forestières mondiales, notamment en raison des hauts coûts de transaction. L’approche traditionnelle prévoit que l’Etat prenne les mesures nécessaires pour protéger et fournir les produits et services non commerciaux des forêts. C’est peut-être pour cette raison que, dans le passé, les incitations forestières ont eu un impact plus prononcé sur le développement des forêts que toutes les autres approches. Cependant, même les programmes d’incitation souffrent du problème des hauts coûts de transaction.
Parmi toutes les approches décrites, celle qui est le plus susceptible d’avoir une influence dans les pays en développement est la foresterie communautaire ou la gestion forestière conjointe: retirer les forêts des mains de l’Etat et les rendre à la population locale, améliorant par là même leurs avantages financiers, pourrait aboutir à une meilleure gestion de grandes superficies forestières. Toutefois, à mesure que s’enrichissent les populations des pays en développement et que leurs attentes se modifient, la simple redistribution des avantages de la foresterie risque d’être insuffisante, au fil du temps et à elle seule, à assurer une meilleure gestion de la forêt.
Deux questions sont à la base de la rentabilité de la foresterie: les forêts sont-elles suffisamment précieuses pour mériter qu’on les protège pour leurs produits et services non commerciaux? Faut-il des incitations pour rendre la foresterie rentable et garantir sa protection? Les réponses à ces questions ont de profondes implications pour l’avenir de la foresterie, notamment dans les pays en développement. Bien que la plupart de ces pays aient cherché à octroyer des incitations forestières d’un type ou d’un autre, dans l’ensemble elles n’ont pas toujours été très efficaces et, qu’il s’agisse de coût ou de manque de volonté politique, il est improbable que ces pays élaborent de nouveaux programmes d’incitations dans un proche avenir. Si l’on veut protéger ces forêts, il faudra donc créer un mécanisme pour permettre à ceux qui les apprécient le plus (et qui vivent normalement dans les pays développés) de donner leur appui aux incitations forestières dans les pays en développement.
La plupart des études sur la valeur des produits et services non commerciaux fournis par les forêts tropicales montrent que les valeurs très élevées sont normalement spécifiques du site et qu’elles ne sont pas toujours applicables à des grandes zones forestières dans le monde (Bann, 2002). Ces études ont produit une énorme gamme d’estimations de la valeur. Nombre d’entre elles ont affirmé qu’après la production de bois, c’était le piégeage du carbone qui était le produit forestier le plus apprécié, alors que la valeur totale des autres biens non commerciaux pourrait aller de zéro à 30-50 pour cent de la valeur de la production de bois dans la totalité des cas, à l’exception des plus particuliers. D’autres (Kaimowitz, 2002, par exemple) suggèrent que la valeur des forêts pourrait être beaucoup plus élevée que ne laissent supposer ces résultats.
Etant donné que le bois est encore le produit le plus précieux de la plupart des forêts, la question de la nécessité réelle des incitations dépend aussi des possibilités d’accroître la rentabilité de la production de bois. Ces deux dernières décennies, de nombreuses études ont mis en doute le bien-fondé de la faible valeur des bois sur pied dans les forêts naturelles établie par les gouvernements, en particulier dans les pays en développement (FAO, 1983; Repetto et Gillis, 1988; Grut, Gray et Egli, 1991; Karsenty, 2002; FAO, 2003).
Tant que certaines de ces questions concernant l’évaluation de la forêt et les prix des bois sur pied resteront irrésolues, il paraît improbable qu’il y ait de par le monde beaucoup de volonté politique pour encourager l’utilisation à grande échelle des incitations forestières dans les pays en développement. Dès lors, la solution au problème de la rentabilité de la foresterie paraît encore lointaine.
Les produits tirés des ressources forestières non ligneuses, comme ces produits cosmétiques venant du Burkina Faso, pourraient être vendus à des prix bien plus élevés que ceux payés aux cueilleurs, notamment s’ils sont exportés; la certification pourrait être un mécanisme de redistribution des avantages |
DÉPARTEMENT DES FORÊTS DE LA FAO /CFU000300/R. FAIDUTTI |
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