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Que faut-il faire pour promouvoir le développement des plantations forestières? Incitations en faveur de l’arboriculture dans la région Asie-Pacifique

T. Enters, P.B. Durst et C. Brown

Thomas Enters est animateur du Programme forestier national, Bureau régional de la FAO pour l’Asie et le Pacifique, Bangkok (Thaïlande).
Patrick B. Durst est Forestier principal, Bureau régional de la FAO pour l’Asie et le Pacifique, Bangkok (Thaïlande).
Chris Brown est consultant, Politiques et information forestières, auprès du Bureau régional de la FAO pour l’Asie et le Pacifique, Bangkok (Thaïlande).

Résumé d’une étude régionale concernant l’impact des incitations sur le développement des plantations forestières, fondée sur des études de cas nationales et assortie de recommandations visant à renforcer la participation du secteur privé.

Que faut-il faire pour encourager le secteur privé à participer activement au développement des plantations forestières? Les gouvernements et leurs organisations forestières respectives se posent de manière croissante cette question. Bien que le rôle potentiel des plantations forestières dans l’approvisionnement durable en bois, produits forestiers non ligneux et services environnementaux soit largement reconnu, les instruments aptes à encourager les investissements dans ce secteur ne sont pas encore bien compris.

Autrefois, les organisations du secteur public avaient dominé le développement de l’arboriculture forestière. Ce modèle a changé dans de nombreux pays au cours des 10 à 20 dernières années pour trois raisons principales. En premier lieu, le transfert des responsabilités de la gestion forestière a accru la participation des communautés et du secteur privé à cette gestion. Deuxièmement, les résultats (financiers et biologiques) des plantations publiques – à de rares exceptions près – ont été décevants. Troisièmement, la limitation croissante des budgets publics a empêché la plupart des départements forestiers de consacrer aux plantations forestières autant de ressources que dans le passé. C’est pourquoi les gouvernements s’efforcent de manière croissante d’encourager la participation des communautés et du secteur privé au développement des plantations, et utilisent un grand nombre d’incitations directes et indirectes pour stimuler l’arboriculture.

Le présent article résume les principales conclusions d’une étude réalisée à la demande de la Commission des forêts pour l’Asie et le Pacifique en vue d’évaluer l’impact des incitations sur le développement des plantations forestières. L’ouvrage se fondait dans une très large mesure sur des études de cas de pays élaborées en 20021 . Bien que l’Asie et le Pacifique jouent un rôle de chef de file mondial au plan de la superficie des plantations (tableau 1), il s’agit de la première étude exhaustive de ce type réalisée dans la région. Elle met l’accent sur les instruments et les mécanismes visant à atteindre des buts d’ordre financier (rendements pour les investisseurs), tout en reconnaissant que les plantations forestières sont souvent aussi établies pour satisfaire des besoins écologiques de la société. L’analyse porte sur l’Australie, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie (Sabah), la Nouvelle-Zélande, les Philippines et la Thaïlande. L’article formule, en guise de conclusion, quelques recommandations visant à renforcer la participation du secteur privé au développement des plantations.

TABLEAU 1. Les 10 pays ayant la plus vaste superficie de plantations forestières en 2000

Pays

Superficie des
plantations forestières
(milliers ha)

% du total
mondial

China

45 083

24

Inde

32 578

17

Fédération de Russie

17 340

9

Etats-Unis

16 238

9

Japon

10 682

6

Indonésie

9 871

5

Brésil

4 982

3

Tailandia

4 920

3

Ukraine

4 425

2

Rép. islamique d’Iran

2 284

1

Source: FAO, 2001.


INVESTIR DANS DES PLANTATIONS FORESTIÈRES

L’investissement dans les plantations présente, vis-à-vis d’autres options, plusieurs aspects ayant une forte influence sur la prise de décisions des investisseurs. Le plus évident est le caractère à long terme de l’arboriculture. Un pourcentage très élevé des dépenses est encouru lors du démarrage, et la plupart des gains ne se matérialisent qu’à la fin de la révolution. Cette longue période de gestation accroît considérablement l’incertitude et les risques inhérents aux investissements dans les plantations. Les investisseurs éprouvent souvent des difficultés à se dégager de l’investissement avant que les arbres n’aient atteint l’âge d’exploitabilité. En outre, des incertitudes inévitables entourent aussi les prix futurs des produits et des intrants, notamment les prix et les possibilités de commercialisation de la récolte finale.

En raison des systèmes d’impôts progressifs sur le revenu (où les taux d’imposition montent à mesure que croît le profit) et les rendements importants encore que périodiques des plantations monospécifiques, les investisseurs individuels peuvent devoir payer le taux d’imposition marginal le plus élevé l’année de la récolte s’ils ne bénéficient pas d’un allégement fiscal. L’investissement minimal commercialement viable dans une plantation est souvent bien supérieur à celui de l’agriculture sur la même terre.

Ces inconvénients justifient amplement la réticence des investisseurs à placer des capitaux dans le secteur des plantations, malgré les avantages apparents qui en découlent, comme les bénéfices potentiels, la diversification du portefeuille-titres et l’assurance d’approvisionnements à long terme pour les industries en aval. Cela explique les appels réguliers lancés pour une assistance sous forme d’incitations.


LE CONCEPT D’INCITATION

Il n’existe pas de définition convenue pour les incitations (Meijerink, 1997), ce qui est à la base de nombreuses confusions. Beaucoup de gens mettent les incitations sur le même pied que les subventions, et l’usage de ce dernier terme chargé d’une notion de valeur tend à brouiller les discussions successives. Dans l’étude régionale décrite dans le présent article, les incitations étaient définies comme des «paiements ou services qui accroissent l’avantage comparatif des plantations forestières et stimulent, de ce fait, les investissements dans leur établissement et leur gestion». Elles comprennent une vaste gamme d’interventions allant de la distribution gratuite de plantules à la promotion de la stabilité politique et macroéconomique (tableau 2). Au titre de cette définition, les incitations comprennent tous les moyens aptes à encourager les «affaires» (à savoir, l’établissement de plantations). Les incitations ont donc une portée beaucoup plus ample que les subventions, qui réduisent plus directement les coûts ou augmentent les rendements d’une activité.

Les incitations comprennent la recherche et la vulgarisation, deux importants éléments d’appui au développement des plantations forestières, et les politiques sectorielles et macroéconomiques qui, comme on le verra plus loin, sont responsables, pour une large part, du climat général de l’investissement et influencent de façon marquée le comportement économique des individus et des entreprises. Comme cet article cherche à le démontrer, une évolution graduelle s’est produite dans la manière dont les gouvernements fournissent des encouragements, ainsi que la prise de conscience croissante que des incitations propices et un «climat d’entreprise» dominant sont, à longue échéance, l’incitation la plus efficace et la plus performante au plan économique.

TABLEAU 2. Types d’incitations

Incitations directes

Incitations indirectes
 

Incitations variables

Enabling incentives
 

Sectorielles

Macroéconomiques

 

Plantules

Fourniture spéciale d’infrastructures locales à l’appui des plantations

Dons

Allégements fiscaux

Taxes différentielles

Prêts subventionnés

Accords de partage des coûts

Prix des intrants et de la production

Restrictions commerciales (tarifs, par exemple)

Taux de change

Politiques relatives aux taux d’intérêt


Mesures fiscales et monétaires (impôts sur le revenu, par exemple)

Sécurité de la propriété foncière et des ressources

Conditions socioéconomiques

Accessibilité et disponibilité d’infrastructures de base (ports, routes, électricité, etc.)

Services de soutien à la production

Développement des marchés

Mécanismes de crédit

Stabilité politique et macroéconomique

Sécurité nationale

Recherche et vulgarisation


FACTEURS QUI JUSTIFIENT L’OCTROI D’INCITATIONS

Qu’est-ce qui justifie l’octroi d’incitations à des investisseurs potentiels dans le développement des plantations forestières? Pourquoi les contribuables devraient-ils être intéressés à appuyer les activités économiques des autres? En définitive, si les investisseurs potentiels ne sont pas satisfaits par les faibles rendements tirés des plantations, pourquoi ne les abandonnent-ils pas pour investir dans des utilisations des terres plus rentables ou dans d’autres types d’entreprises?

Meijerink (1997) soutient que les incitations ne devraient être appliquées qu’aux biens publics. Lorsque les plantations fournissent des services écologiques comme la protection des sols et des bassins versants, la prévention de la dégradation des terres ou le piégeage du carbone, elles sont appropriées car les gains nets privés sont souvent inférieurs aux rendements sociaux généraux.

Parmi d’autres facteurs importants justifiant l’octroi d’incitations figurent la création d’emplois (notamment dans les zones rurales moins développées), le lancement d’industries forestières dans des pays jouissant d’avantages compétitifs (de meilleures conditions de végétation, par exemple) comme l’Indonésie et le Chili (Williams, 2001), l’assurance d’approvisionnements fiables en ressources ligneuses stratégiques et la réduction de la pauvreté rurale.

Les incitations peuvent être particulièrement justifiées pour accélérer les progrès de l’établissement des plantations lorsqu’une industrie en développement a besoin d’un minimum de matière première (Scherr et Current, 1999). Un accroissement rapide de l’échelle est spécialement important dans les industries de produits comme la pâte et le papier, où les économies d’échelle sont capitales pour promouvoir la compétitivité (Clapp, 1995).

Les incitations ne sont pas nécessaires lorsque les bénéfices privés tirés de la gestion d’une plantation dépassent ceux d’autres utilisations des terres (Haltia et Keipi, 1997; Williams, 2001). Dans ce cas, elles représentent une affectation impropre des ressources du secteur public, permettant tout simplement aux investisseurs d’accroître leurs gains.


DÉVELOPPEMENT DES PLANTATIONS DANS LES PAYS
QUI FONT L’OBJET DE L’ÉTUDE

L’impact des incitations sur le développement des plantations varie entre les pays, même lorsque les situations paraissent similaires. Les pays qui font l’objet de l’étude, où il est souvent estimé que ce développement est réussi (l’Australie, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande, par exemple), sont des pays économiquement avancés où la part de la production agricole dans l’économie a fléchi, l’intensité et la productivité de l’agriculture sont élevées, la pression démographique est faible et la plupart des gens vivent en zone urbaine. De ce fait, davantage de terres, notamment dans les zones agricoles marginales, sont disponibles pour l’arboriculture.

Dans tous les pays couverts par l’étude, les zones boisées ont été, et dans certains pays (Indonésie et Malaisie, par exemple) sont encore, considérées comme une réserve foncière d’une vaste portée pour le développement agricole et industriel. Autrefois, les taux de conversion de la forêt étaient élevés dans tous les pays où la population s’accroissait et l’agriculture fournissait une importante contribution au développement national. Simultanément, on considérait les forêts, explicitement et implicitement, comme des capitaux à liquider pour alimenter le développement économique. Tant que les forêts naturelles étaient abondantes, il n’y avait aucune raison apparente de planter des arbres. De fait, les forêts étaient – et dans certains pays sont encore – perçues comme des obstacles au développement, leurs valeurs environnementales et autres étant largement ignorées.

Au cours des dernières décennies, cette perception a lentement évolué. L’écart grandissant entre la demande et l’offre intérieure (la crainte d’une pénurie de bois) a stimulé un grand nombre d’activités dans le secteur des plantations en Australie, aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande dès les années 20. Dans de nombreux pays faisant l’objet de l’étude, la superficie des plantations s’est accrue considérablement et, en ce qui concerne la participation, le secteur privé devance amplement le secteur public. Cela veut-il dire que les conditions pour le développement des plantations se sont faites plus propices – ou que les gouvernements ont commencé à offrir un ensemble plus attrayant d’incitations pour transformer un investissement intrinsèquement risqué en une entreprise lucrative?

En Australie – un pays où l’on estime réussi le développement des plantations – la pression de la population rurale est faible et des terres sont disponibles pour la plantation d’arbres (une plantation de pins, Queensland)

DÉPARTEMENT DES FORÊTS DE LA FAO/C. PALMBERG-LERCHE/FO-0422


EMPLOI DES INCITATIONS EN ASIE ET DANS LE PACIFIQUE

On a utilisé une grande variété d’incitations dans toute la région Asie et Pacifique. Les comparaisons entre les études de cas sont forcément générales, puisque même des plans apparemment similaires diffèrent dans le détail. Toutefois, la hiérarchie des types d’incitations offertes à différents stades du développement des plantations a fait l’objet d’une évolution visible.

Dans tous les pays couverts par l’étude (à l’exception des Etats-Unis), le développement à grande échelle des plantations a été le fait de l’Etat, ce qui confirme l’hypothèse qu’une masse critique initiale est nécessaire pour assurer la participation du secteur privé à leur expansion. Lorsque cette participation est recherchée plus directement, les incitations semblent passer graduellement de la fourniture gratuite d’intrants, aux dons et prêts, aux allégements fiscaux, aux accords de coentreprise et, enfin, à la création d’un environnement propice et à l’élimination des obstacles structurels (tableau 3).

Les premiers efforts déployés par les gouvernements pour engager le secteur privé dans l’arboriculture ont mis l’accent sur la fourniture d’incitations matérielles. En Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis, l’une des toutes premières incitations a été l’octroi de terres, qui encourageait les établissements humains et, sous certaines conditions, l’arboriculture. Plus récemment, la Chine a octroyé de vastes superficies aux agriculteurs à destiner à la plantation d’arbres. La fourniture gratuite de plantules et d’engrais fait également partie des incitations collectives matérielles. Ces intrants gratuits sont attrayants car ils sont directs et moins intimidants – notamment pour les petits investisseurs – que des incitations d’ordre plus administratif comme les dons et les prêts subventionnés, qui imposent souvent la présentation de formulaires et de documents compliqués. Cependant, les intrants gratuits ne stimulent pas toujours aussi efficacement l’arboriculture que les dons en espèces dont la plupart sont plus attractifs financièrement et plus faciles à administrer que de volumineux intrants matériels.

Les dons en espèces et les prêts à des taux de faveur se sont révélés très populaires en de nombreuses occasions dans la plupart des pays étudiés. Ces instruments ont encouragé l’établissement d’importantes plantations en Chine, alors qu’en Thaïlande, les dons n’ont pas eu partout la même efficacité, notamment parce qu’ils n’étaient pas suffisamment attractifs. Dans un grand nombre de ces pays, à ces incitations financières plus directes a fait suite une approche plus complexe, à savoir l’octroi d’allégements fiscaux pour les plantations. Les abattements fiscaux – qui ont eu énormément de succès en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis – permettent de combler très efficacement l’écart qui sépare l’investissement initial dans la plantation des recettes tirées plus tard de la récolte.

Plus récemment, plusieurs pays qui donnaient auparavant plus d’importance aux incitations matérielles s’emploient aujourd’hui à lever les contraintes structurelles et à créer un environnement favorable à l’investissement dans les plantations.

TABLEAU 3. Développement des plantations et incitations dans les pays objet de l’étude (exemples cités)

Pays

Plantations publiques

Plantules à faible coût

Dons de terres

Subventions aux pépinières

Incitations pour la survie

Dons aux planteurs

Prêts à des conditions de faveur

Allégements fiscaux

Accords de coentreprise

Recherche et vulgarisation

Sécurité de la ressource

Accent mis sur les incitations habilitantes et l’élimination des contraintes structurelles

Australie
x
         
x
x
x
x
x
Fort
Chine
x
x
x
   
x
x
   
x
x
Moyen
Inde
x
x
x
x
x
x
x
 
x
x
 
Faible
Indonésie
x
       
x
x
x
 
x
 
Faible
Malaisie
x
           
x
 
x
 
Moyen
Nouvelle-
Zélande
x
x
x
   
x
x
x
x
x
x
Fort
Philippines
x
 
x
     
x
x
 
x
 
Faible
Thaïlande
x
x
     
x
x
   
x
 
Faible
Etats-Unis
x
x
x
   
x
 
x
x
x
x
Fort


INCITATIONS DIRECTES – QUE PEUVENT-ELLES OBTENIR?

Il est très difficile d’évaluer l’impact des incitations directes sans tenir compte des incitations indirectes, et les résultats risquent d’être trompeurs. Dans un environnement caractérisé par de fortes désincitations (démarches complexes pour l’obtention de permis de coupe, de transport et de transformation du bois, politiques illogiques, risques graves d’incendies, hauts prix des terrains, taux d’intérêt élevés, débouchés incertains), les incitations directes n’ont souvent donné que des résultats négligeables. Au pire des cas, elles peuvent même entraîner une affectation impropre des ressources, encourager l’investissement dans des plantations non viables à longue échéance, ou avoir des impacts négatifs à long terme sur l’intérêt pour l’arboriculture.

Le manque de suivi fait qu’il est difficile de déterminer dans quelle mesure les incitations directes ont accéléré les activités de plantation par rapport à d’autres facteurs. En certains endroits, de vastes superficies ont été plantées sans appui direct, ce qui donne à penser que les crédits ont parfois été affectés de manière inefficace ou inutile.

Par ailleurs, lorsque le climat général de l’investissement est favorable et la demande de bois s’accroît, les incitations directes peuvent certainement accroître la rapidité avec laquelle le secteur privé commence à s’intéresser aux plantations forestières. Les incitations directes les plus efficaces comprennent les allégements fiscaux et le traitement favorable des gains de capital. Les plans relatifs aux prêts et aux dons ont obtenu des résultats mélangés – certains étant plus généreux que d’autres – et ont favorisé en premier lieu les grands investisseurs.

Cinq considérations s’imposent dans cette évaluation générale:


INCITATIONS INDIRECTES – OU CE QUI DÉTERMINE L’ÉTABLISSEMENT D’ARBRES (ET CE QUI LE DÉCOURAGE)

Les résultats de l’étude montrent que des incitations variables et habilitantes encouragent normalement davantage l’investissement que les incitations directes.

Du fait que les investissements commerciaux dans le développement des plantations forestières ont pour but de maximiser les rendements financiers, les hauts prix du bois ont parfois encouragé l’investissement dans l’arboriculture. Récemment, le stimulant le plus attractif et tentant pour de nombreux investisseurs en Asie et dans le Pacifique semble avoir été la flambée mondiale des prix du bois en 1993 et 1994, qui a été à la base de l’essor des activités de plantation dans beaucoup de pays. Inversement, lorsque les prix du bois ont fléchi, ou notamment lorsqu’ils ont été maintenus artificiellement bas, les investissements dans les plantations se sont ralentis. Dans ces cas, l’intérêt des investisseurs s’est refroidi considérablement en dépit de l’octroi d’autres incitations. On a observé des exemples de ce phénomène en Nouvelle-Zélande, où les contrôles imposés sur les prix étaient en place jusqu’en 1965, et plus récemment en Indonésie, où les politiques et pratiques ont soutenu les mouvements de bois bon marché tiré des forêts naturelles.

Les prix doivent être aussi raisonnablement prévisibles et assurer des bénéfices comparables à ceux obtenus d’utilisations similaires des terres (palmier à huile, hévéa ou activités pastorales, par exemple). En Malaisie, les gains actuels tirés de l’investissement dans les plantations de palmier à huile sont considérablement plus élevés que ceux venant des arbres à croissance rapide, ce qui décourage les investissements potentiels dans les plantations forestières.

La stabilité politique, institutionnelle et macroéconomique a grandement encouragé l’investissement dans les plantations. Bien qu’il soit difficile de dégager des facteurs spécifiques de l’environnement général de l’investissement, il est évident que quand les risques sont estimés faibles et que les gouvernements promettent un appui indiscuté à la participation du secteur privé au développement des plantations, les investissements se multiplient.

Un autre facteur crucial est la sécurité de la propriété foncière. La privatisation des terres et des forêts en Chine, qui a démarré en 1978, fournit un excellent exemple de l’importance de droits de propriété respectés et protégés. L’un des objectifs principaux de la réforme consistait à encourager les agriculteurs à gérer les ressources forestières de façon durable et à planter des arbres. La réforme n’a été ni simple ni uniforme, et les régimes fonciers varient souvent entre les municipalités, si bien que les collectivités n’ont pas toutes été enthousiastes. Cependant, un schéma clair se dessine: l’expansion de la privatisation a déterminé des accroissements marqués dans les investissements en arboriculture (Lu et al., 2002).

De même que des régimes fonciers clairs étaient à la base du succès du développement des plantations forestières en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis et dans certaines parties de la Chine, des régimes incertains ont limité les investissements en Indonésie, en Thaïlande et aux Philippines. Dans des cas extrêmes, les conflits relatifs à la propriété et à l’utilisation des terres se sont soldés par la destruction des plantes et du matériel d’exploitation (Kartodihardjo et Supriono, 2000), d’où la réticence des investisseurs.

En Nouvelle-Zélande, le développement des infrastructures (routes, réseau ferroviaire, installations portuaires modernes, centrales hydroélectriques) par le gouvernement a ouvert la voie à des initiatives de transformation à grande échelle et assuré les planteurs potentiels que le gouvernement avait sérieusement l’intention de créer un secteur arboricole viable. Des faits semblables ont eu lieu en Australie. Ces mesures étaient complétées par des activités accrues de recherche et vulgarisation, ce qui a permis de réduire les risques, d’accroître les rendements et d’abaisser réellement les coûts de l’établissement de plantations.

Plusieurs pays ont formulé des politiques visant à encourager le développement des plantations, mais très peu d’efforts sont faits pour les traduire en actions pratiques. Il est indispensable que les politiques d’appui soient suivies de stratégies et d’actions qui fournissent un cadre concret apte à encourager et permettre l’investissement. Ces mesures peuvent comprendre l’examen des systèmes d’incitation appliqués dans tous les secteurs de l’économie afin d’aplanir le terrain de jeu de l’investissement en plantations forestières. Le rôle du secteur public comme propriétaire et gestionnaire forestier devrait être régulièrement passé en revue afin d’assurer que les plantations publiques ne concurrencent pas de manière injuste les investissements privés. Les plantations publiques sont touchées de manière différente par les taxes et les prix fonciers et souvent déterminent le prix et l’affectation des grumes, comme dans le cas de l’Australie. En outre, les taux de rendement des plantations du secteur public ne reflètent pas nécessairement le coût du marché du capital.

L’élimination des obstacles au développement des plantations signifie souvent réduire ou supprimer les subventions dans d’autres secteurs directement concurrentiels de l’économie, notamment l’agriculture. En Thaïlande, par exemple, le soutien financier octroyé par le biais du Rubber Plantation Aid Fund pour la replantation de l’hévéa s’élève à environ 1 000 dollars EU par hectare, alors que le Private Reforestation Extension Project offre moins de la moitié de cette somme pour les plantations de bois industriel. Si les gouvernements ont vraiment l’intention d’accroître les disponibilités de bois, ces importants écarts envoient aux investisseurs un signal erroné. D’autres facteurs peuvent aussi assombrir le climat de l’investissement dans les plantations par rapport à d’autres secteurs, comme la restriction discriminatoire des marchés pour les produits tirés des plantations, ou les contraintes touchant les investissements étrangers dans les plantations par rapport à d’autre secteurs.

Point fondamental, les politiques doivent rester cohérentes au fil du temps. Des changements fréquents résultent en des risques accrus et créent un climat d’insécurité pour les investisseurs, en raison notamment de la nature à long terme propre à l’investissement dans les plantations. Dans certains pays, des changements fréquents de gouvernement ont déterminé des changements répétés dans les politiques et l’érosion des mécanismes de soutien. C’est ainsi qu’entre 1982 et 2002, la Thaïlande a eu 10 gouvernements et les nouveaux suivaient rarement les traces de leurs prédécesseurs. La situation a été analogue dans les Philippines.

Alors que la production décroissante des forêts naturelles a fourni un débouché pour l’investissement dans les plantations, les préoccupations écologiques – et des considérations sociales – suscitées par les plantations forestières monospécifiques ont également causé des soucis aux investisseurs.

Enfin, il faut se demander si les incitations, quelles qu’elles soient, sont justifiées au plan social. Les plantations forestières créent il est vrai des emplois, mais face à la perte des emplois agricoles locaux et aux coûts de l’importante restructuration des économies locales, ces avantages risquent de s’estomper (Tonts, Campbell et Black, 2001). Lorsque les bénéfices sociaux sont négligeables, le secteur privé, notamment les industries de transformation, a un rôle important à jouer en motivant les propriétaires fonciers à planter des arbres. En Inde, un plafond juridique sur la propriété foncière interdit aux entreprises privées d’établir des plantations à grande échelle. Pour surmonter ce problème, les entreprises privées ont offert un certain nombre d’incitations aux petits propriétaires fonciers, y compris une assistance technique et des garanties de rachat (Saigal, Arora et Rizvi, 2002). Des accords semblables ont été mis en place dans d’autres pays (Australie, Nouvelle-Zélande et Thaïlande), ce qui indique que les entreprises privées pourraient se trouver mieux placées que les gouvernements pour atteindre les petits planteurs par le biais de plantations artisanales (Desmond et Race, 2000).

Il est largement convenu que des avantages sociaux élevés, conjugués à des gains privés insuffisants voire négatifs, sont une justification rationnelle pour offrir des incitations aux investisseurs. Cependant, dans de nombreux cas, ces avantages ne sont pas évidents, et l’arboriculture n’est pas intrinsèquement infructueuse. L’analyse économique appliquée est rarement utilisée pour déterminer si un certain niveau de soutien est justifié. Cela n’est guère surprenant puisqu’il est encore plus improbable que l’on puisse s’accorder sur la manière dont les avantages sociaux devraient être évalués. C’est pourquoi les incitations tendent à être offertes sur la base de critères moins concrets, y compris dans certains cas de manœuvres politiques et de favoritisme.

En Malaisie, les rendements des investissements sont actuellement beaucoup plus faibles pour des arbres à croissance rapide que pour le palmier à huile. Cela décourage les investissements potentiels en plantations forestières (plantation d’Azadirachta excelsade quatre ans, Perlis, Malaisie)

T.H. ONG, FRIM


CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Les rôles joués par les secteurs privé et public dans le développement des plantations forestières ont fait l’objet de changements prononcés en Asie et dans le Pacifique, de même que l’intérêt témoigné par les investisseurs privés pour les plantations. Le développement des plantations peut se subdiviser en trois stades: démarrage, accélération et maturation. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis ont atteint le stade de la maturation dès les années 90, mais la plupart des pays asiatiques en sont encore au stade du démarrage ou du début de l’accélération.

Les incitations directes sont le plus susceptibles d’exercer une influence marquée au stade du démarrage, pour sensibiliser et accroître le rythme et l’échelle de l’établissement de la plantation, notamment pour créer des disponibilités de fibres pour un secteur de la transformation naissant. Elles devront être remplacées par des incitations variables et complétées par des activités de recherche et de vulgarisation pendant le stade de l’accélération. Si une incitation directe n’est plus pertinente au stade de la maturation, c’est un signe certain de son succès (Williams, 2001).

Un climat d’investissement favorable, la recherche, l’assistance technique et des marchés bien établis ont souvent davantage d’influence que les incitations directes comme la distribution gratuite de plantules, le crédit subventionné ou le partage des coûts de la plantation. Dans les pays où les incitations ont connu une longue tradition, il apparaît clairement qu’elles doivent être octroyées en temps voulu, et être bien ciblées et flexibles si leur objectif est d’assurer la présence du secteur privé dans le développement des plantations forestières.

Dans les pays qui ont atteint le stade de la maturation, il a été reconnu que les mesures de base visant à maintenir vif l’intérêt du secteur privé dans le développement des plantations consistent à réduire des barrières et à éliminer des obstacles structurels et des contraintes opérationnelles. Certaines mesures comme des accords de propriété adéquats sont difficiles à appliquer, mais essentielles au succès. D’autres, comme les réformes fiscales et l’abolition des règlements et démarches inutiles (licences et permis) sont tout aussi importantes et, dans de nombreux cas, plus faciles à mettre en œuvre. Bien qu’il n’existe pas de stratégie efficace universelle, on peut énoncer certains principes directeurs qui contribueront à créer un secteur de la plantation forestière viable (voir encadré p. 17).

Il est généralement admis que les plantations forestières peuvent aider à satisfaire la demande croissante de bois et, du moins dans certains cas, fournir des biens et services publics. Il est également accepté, d’une manière générale, que des incitations adaptées peuvent jouer un rôle déterminant en stimulant le développement des plantations. Toutefois, il faut tenir compte de deux considérations. Tout d’abord, le secteur forestier n’est pas le seul à se demander: «Que faut-il faire pour promouvoir le développement?». Le secteur agricole a ses propres promoteurs, souvent soutenus par des incitations généreuses qui leur sont propres. Les partisans de la foresterie devront admettre que d’autres utilisations des terres pourraient offrir des avantages similaires, voire supérieurs, à la société. Dans de tels cas, il pourrait être inapproprié d’offrir des incitations pour le développement des plantations, puisque l’investissement dans d’autres utilisations des terres pourrait être économiquement plus rentable.

La deuxième considération concerne le marché du bois. Bien qu’il soit traditionnellement estimé que les pénuries de bois garantiront indéfiniment des marchés lucratifs pour ce matériau, un scénario contraire est apparu récemment qui laisse prévoir l’éventualité d’une pléthore de bois dans le futur. Si cette pléthore se confirme, la promotion d’un trop grand nombre de plantations pourrait procurer un rude réveil aux investisseurs et à ceux qui les ont encouragés.

L’observation finale qui ressort de l’étude est que, dans le passé, les incitations étaient largement appliquées à des cas spéciaux. La compréhension des mécanismes et des conditions régissant la croissance et le développement économique s’étant améliorée, il est apparu clairement que les incitations relatives aux plantations ont souvent eu moins de succès qu’elles n’auraient pu avoir si l’on avait tenu compte de certaines désincitations à l’établissement de plantations. De même qu’une bonne préparation matérielle du site est importante pour stimuler la croissance des arbres, la préparation d’une base administrative favorable est essentielle au succès du développement des plantations.

Principes directeurs pour une politique des plantations

CE QU’IL FAUT FAIRE

  • Formuler une politique forestière cohérente qui soutienne les activités économiques.
  • Assurer l’alignement avec les autres politiques (non forestières) afin que les investissements dans les plantations se réalisent sur un terrain de jeu uniforme.
  • Renforcer vigoureusement la recherche et la vulgarisation en matière de développement des plantations.
  • Etablir des groupes industriels forts, y compris une infrastructure de soutien, une main-d’oeuvre compétente et des pratiques et techniques adaptées.
  • Collecter et rendre disponibles des informations objectives et de haute qualité
    sur les ressources pour appuyer la formulation des politiques, les prévisions, la planification et le suivi.
  • Encourager les débats et discussions rationnels sur les mérites d’incitations données et sur les motifs de leur octroi.

CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE

  • Promouvoir des politiques inéquitables d’utilisation des terres qui favorisent d’autres secteurs (agriculture, par exemple) au détriment des plantations forestières.
  • Persister dans l’application de contrôles sur les exportations et les importations qui entravent le développement des industries de transformation du bois et/ou l’établissement de plantations forestières.
  • Maintenir des politiques qui permettent le développement de plantations ayant un impact écologique et/ou social négatif, causant ainsi des conflits entre les entreprises privées, les communautés et les groupes écologistes.
  • Evincer l’investissement du secteur privé dans les plantations en maintenant forte la participation du secteur public, et en particulier octroyer aux plantations publiques des privilèges qui neutralisent la concurrence du secteur privé.
  • Appliquer des politiques et incitations plus longtemps que nécessaire, en tenant compte du fait que la plupart des incitations performantes sont celles qui peuvent être supprimées.
  • Maintenir des désincitations qui réduisent directement ou indirectement les bénéfices des investisseurs.

Bibliographie

Clapp, R.A. 1995. Creating competitive advantage: forest policy as industrial policy in Chile. Economic Geography, 71(33): 273-296.

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