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CHAPITRE 4 Innovations technologiques


4.1 Introduction

Des chercheurs ont pris la production de bananes en exemple pour montrer comment l'évolution technique procède par étapes discontinues, avec, dans les intervalles, des innovations minimes, voire inexistantes[63]. Les innovations que le secteur bananier a connu dans les années 70 (la substitution de la variété Cavendish à celle de la Gros Michel, la mise en caisse et l'utilisation des câbles de traction pour transporter les fruits, par exemple) ont eu pour effet d'augmenter la production tout en diminuant ses coûts, et d'abaisser les prix mondiaux. Apparemment, nulle innovation (aucun grand bond en avant) n'a été constatée au cours des années 80. À la fin de cette décennie et au début de la suivante, les chercheurs ont donc été amenés à croire qu'il y avait peu d'espoir d'augmenter le productivité et de réduire les coûts de production[64]. Pourtant, au cours de cette période, la production s'est accrue et les prix mondiaux des bananes exportées se sont contractés, de 2 cent à la fin des années 80, et de 3 pour cent au début des années 90. Qui dit infléchissement des prix dit réduction des coûts de production. Un abaissement des coûts de production peut résulter de l'évolution technique, mais peut également ressortir d'une meilleure performance technique, d'une augmentation d'échelle ou d'une re-localisation des ressources de production à la suite d'une modification du prix relatif des intrants.

Il se peut que l'augmentation de la productivité dans le secteur bananier découle d'innovations à caractère universel. À l'instar de toutes les industries, celle de la banane a tiré bénéfice du multimédia et d'Internet: ces nouvelles technologies ont facilité l'établissement des contrats, et accéléré l'accès aux informations concernant le marché. A côté de nombreuses publications hebdomadaires - Sopisco News et la Semana Bananera, par exemple - qui informent de l'évolution du marché, des calendriers et des tarifs d'expédition, des organisations internationales comme la FAO publient régulièrement les prix de vente en gros et au détail dans les principaux pays importateurs. Un transfert efficace des informations entres clients et fournisseurs a concouru à gérer des marchés complexes et à réduire les pertes. En outre, la réduction des coûts de communication a eu une incidence sur ceux des transactions: d'où une amélioration de l'arbitrage des prix, un gain de souplesse dans l'intégration verticale qui caractérise le secteur bananier, et la naissance de nouvelles compagnies commerciales le long de la chaîne. Ce chapitre se concentrera sur les innovations technologiques spécifiques à l'industrie bananière intervenues entre 1985 et 2002.

Réduire les coûts de production en l'absence d'avancées technologiques requiert d'approcher l'évolution technique sous des angles différents. De meilleures connaissances de cette évolution technique ont mis en lumière que les innovations sont permanentes et continuelles le long des «voies de l'évolution technique». Ces perspectives sont peut-être plus à même d'expliquer que des gains de productivité aient été réalisés là où aucune innovation technologique marquante n'a été observée. L'irrigation est, par exemple, une voie d'évolution technologique, et les évolutions techniques en ce domaine sont la ferti-irrigation, l'irrigation au goutte à goutte et le réglage précis de l'approvisionnement en eau. Chaque contribution apportée par ces innovations modestes se sont conjuguées. Dans la plupart des cas, chacune a décuplé les effets de l'autre, et le résultat à eu d'importantes incidences sur la productivité. De plus, dans cette industrie bananière hautement intégrée, de petites innovations qui ne dérangent pas les habitudes établies le long de la filière ont plus de chance d'être adoptées que de grandes innovations technologiques. Ce chapitre tente d'identifier ces innovations techniques apparemment minimes spécifiques à l'industrie bananière, de la production au mûrissement, qui sont apparues dans les 17 dernières années (1985-2002) et qui auraient pu contribuer à faire baisser le prix mondial des bananes. Il présente également les principales innovations institutionnelles du réseau de recherche sur la banane.

4.2 Amélioration génétique de l'espèce et sélection variétale

Dans l'histoire des programmes d'amélioration génétique de la banane, mettre au point des variétés résistantes aux ravageurs et aux maladies a constitué la principale motivation de la recherche. Compte tenu du nombre limité de variétés disponibles et de leur reproduction asexuée, les bananiers n'ont qu'une réserve limitée de ressources génétiques, d'où leur vulnérabilité face aux ravageurs et aux maladies. Dès les années 20, dans la région des Caraïbes, des programmes d'amélioration génétique des plants de bananier recherchaient des variétés résistantes à la maladie de Panama. Ces recherches étaient menées à la fois au Imperial College of Tropical Agriculture (Trinidad) et en Jamaïque. Au milieu des années 70, de nouveaux programmes d'amélioration génétique ont vu le jour partout dans le monde pour combattre la cercosporiose noire, dont ceux de la Fundación Hondureña de Investigación Agrícola (FHIA), et plus récemment en 1983, ceux de EMBRAPA-CNPMF au Brésil et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, Département des productions fruitières et horticoles (CIRAD-FLHOR) en Guadeloupe et en Afrique de l'Ouest.

Le Réseau international pour l'amélioration de la banane et de la banane plantain (INIBAP) est un centre de recherche et d'information créé en 1985 pour financer les recherches effectuées aux quatre coins du monde. Il est doté d'un service de documentation spécialisé sur les bananes et il abrite la plus grande collection de matériel génétique Musa au monde. L'INIBAP a travaillé, à la fin des années 80 et au début des années 90, en étroite collaboration avec les programmes d'amélioration génétique régionaux en Amérique latine, en Afrique et en Asie. En Afrique, l'INIBAP a collaboré avec le Centre africain de recherches sur les bananiers et plantains (CARBAP, anciennement Centre régional de Recherches sur les Bananiers et Plantains, CRBP) au Cameroun, et avec l'Institut national d'agriculture tropicale (IITA) au Nigéria. Ces deux instituts ont multiplié les variétés traditionnellement cultivées par l'INIBAP, ils les ont distribuées aux programmes régionaux et ont fourni une formation. En Asie, l'INIBAP a travaillé avec le Asia and Pacific Regional Network de l'INIBAP (ASPNET), créé en 1991 et connu aujourd'hui sous l'intitulé Banana Asia-Pacific Network (BAPNET). Ce réseau a joué un rôle dans le subventionnement de la collecte du matériel génétique Musa, dans sa conservation et son évaluation; il a coordonné, dans cette région, la collaboration et la communication entre les chercheurs travaillant sur Musa et il épaulé un échange d'informations intra-régional. En dépit de la création de tous ces instituts de recherches, les analystes estiment que le nombre de programmes d'amélioration génétique Musa demeure insuffisant, compte tenu de la valeur du commerce de la banane dans le monde et de l'importance de ce fruit en tant que denrée de base[65].

Le Programme global pour l'amélioration des Musa (PROMUSA) a été créé en 1997 pour renforcer la collaboration et les échanges d'informations entre les différents chercheurs impliqués dans l'amélioration du matériel génétique Musa. Il vise à la fois à développer un vaste choix d'hybrides susceptibles de convenir aux planteurs de bananes du monde entier, et à combiner une amélioration génétique conventionnelle basée sur l'hybridation avec des techniques de génie génétique et de biotechnologies.

L'un des moyens d'obtenir une variabilité génétique passe par l'utilisation des biotechnologies. Or, ces dernières années, le risque que cette technique puisse produire des nourritures malsaines a soulevé des controverses[66]. Tout en reconnaissant que les technologies du génie génétique peuvent aider à augmenter la production et la productivité dans les secteurs agricole, forestier et de la pêche, la FAO est consciente des inquiétudes liées aux risques potentiels induits par certains aspects des biotechnologies. Ces risques se répartissent en deux grandes catégories: les effets sur la santé de l'homme et de l'animal, et les conséquences sur l'environnement. Les risques que les bananes modifiées font encourir à l'homme, du fait de toxines d'antifongique ou anti-nématode exprimées dans les feuilles ou les racines du bananier, sont probablement minces; quant aux les risques encourus par l'environnement, ils sont encore plus ténus puisque la plupart des variétés de bananes commercialisées dans le monde sont stériles. Ces outils offrent de nouvelles opportunités susceptibles de résoudre les problèmes agricoles là où les techniques traditionnelles ont échoué, ou n'ont qu'un potentiel limité - comme c'est le cas en ce qui concerne l'amélioration génétique de la banane.

Les techniques d'amélioration des variétés par génie génétique sont relativement récentes et les activités de recherche demeurent, pour une large part, cantonnées dans les laboratoires spécialisés. Au cours des dix dernières années, la production de bananes génétiquement modifiées a mobilisé de considérables efforts de recherche. On a mis au point des protocoles, et l'on a produit des plantes dans des conditions de confinement, ce qui a confirmé qu'en principe, la banane peut être génétiquement modifiée. Des recherches en cours s'appliquent à découvrir des méthodes susceptibles de préparer le matériel végétal d'origine à sa transformation et capables de permettre le transfert des caractères génétiques souhaités. Ce travail est mené par des sociétés commerciales, dans des universités aux États-Unis ou en Europe, et dans les instituts de recherche agronomiques. Compte tenu des coûts élevés de cette recherche qui nécessite des laboratoires sophistiqués (avec des installations de confinement adéquates), il est peu probable qu'une variété de banane transformée destinée à la production commerciale soit mise en circulation au cours de cette décennie[67].

À la fois en ce qui concerne les bananes et les bananes plantains, il existe un lien direct entre la disponibilité de variétés résistantes aux maladies et l'accroissement des rendements pour des agriculteurs produisant pour la consommation locale. Les agriculteurs qui approvisionnent les marchés locaux en bananes de diverses variétés (bananes dessert, bananes à cuire, bananes à jus et plantains) ont besoin de clones résistants. Malheureusement, les ressources financières qui leur permettrait l'accès à la technologie leur font souvent défaut. Cependant, que toutes les variétés de bananes cultivées en ce moment dans des pays comme l'Ouganda ou l'Inde, où il y existe une grande diversité répondant à des préférences spécifiques, subissent une transformation, est irréaliste. De surcroît, cela ne serait pas souhaitable, car le succès de cette innovation pourrait conduire à une éventuelle perte de diversité génétique. Cette crainte a déjà été formulée par l'INIBAP, dans la mesure où des clones anciens, forcément moins productifs, sont écartés à mesure que les goûts des consommateurs évoluent. Les producteurs ont donc tout intérêt à conserver la diversité des variétés, tout en introduisant de nouvelles améliorations qui augmentent la productivité.

La biotechnologie ouvre peut-être de nouveaux horizons en matière d'amélioration de la sécurité alimentaire dans les contrées où les bananes constituent une importante source de nourriture, en particulier parmi les petits exploitants des pays en développement. Si on mettait au point un éventail de différents gènes résistants aux maladies, permettant un contrôle le mûrissement, et cætera, les risque de dégâts imprévisibles et à grande échelle causé par une nouvelle maladie s'en trouveraient minimisés. En ce sens-là, la biotechnologie contribuerait réellement à améliorer la situation des petits exploitants, en leur permettant de prolonger la campagne et d'augmenter, sur de plus longues périodes, la quantité de fruits proposés à la consommation locale.

4.3 Ensemencement

Le rendement d'un bananier tend à décroître au delà de cinq ans après sa plantation, et il décline rapidement après dix ou quinze ans. Afin de maintenir les rendements existants, on doit remplacer, par cycles, des vieux plants par des plants neufs. Traditionnellement, on considère que les plantations de bananiers sont des cultures pérennes parce que les exploitants laissent pousser des rejets végétatifs à partir d'une tige qui affleure à surface du sol. Cependant, le remplacement périodique des plants après quelques années (même dans les plantations mono-cycles) est devenu une réalité à la fin des années 80 quand les petits bulbes et les techniques de propagation in vitro en laboratoire ont été commercialisées. Élaborée en Chine, dans la Province de Taiwan, où il fallait faire face à des problèmes de virus, la pratique s'est maintenant étendue à toutes les zones commerciales.

Dans une plantation mono-cycle, les plants sont très vigoureux et ils possèdent un fort potentiel de rendement du fait de la nature juvénile de leur matériel végétal et de leur photosynthèse efficace. Leur superficie foliaire est plus développée et ils possèdent davantage d'accumulation de matière sèche que les plants traditionnels. L'amélioration des rendements peut persister l'espace de trois récoltes successives, après quoi les différences d'avec les plants traditionnels deviennent moins significatives. Le principe du mono-cycle consiste en la micro-propagation des cellules et le transfert des plants issus de la culture in vitro dans des pépinières, où ils pourront s'acclimater et où ils seront cultivés jusqu'à avoir atteint la taille requise pour leur transplantation dans la bananeraie. Micro-propagation des bananes et pépinières sont aujourd'hui des techniques couramment employées dans la plupart des pays exportateurs de bananes.

Pour être rentables, les plantations mono-cycles doivent s'appuyer sur plusieurs techniques d'accompagnement. Le transport des plants de la pépinière à la bananeraie nécessite une manipulation délicate et les sols doivent être traités avec des herbicides de prélevée. Comme les plants ne possèdent que de faibles réserves de substances nutritives, il faut procéder à une fertilisation quotidienne. La ferti-irrigation constitue l'option privilégiée. Les plantations mono-cycles permettent une forte densité de plantation (et elles offrent aux agriculteurs la possibilité de la calibrer année après année) et leur rendement peut atteindre 100 tonnes par hectare. Cependant, elles épuisent aussi intensément la fertilité des sols. Un suivi attentif est donc indispensable pour maintenir le rendement[68]. En outre, les agriculteurs doivent être capables de faire face à une importante quantité de fruits à récolter et à emballer en un laps de temps réduit.

Le succès commercial et la diffusion rapide des plantations mono-cycles s'explique par les bénéfices économiques qu'en retirent les agriculteurs. En comparaison de plants produits par des moyens traditionnels, les plants obtenus par micro-propagation sont plus homogènes; ils ne sont pas vulnérables aux ravageurs et aux maladies; ils poussent plus vite, fleurissent plus tôt; achèvent leur premier cycle plus rapidement que les plants produits par des moyens traditionnels; enfin, ils permettent de produire des fruits en temps voulu (Crop Timing Plantation) dans les périodes de forte demande[69]. De plus, la micro-propagation permet de multiplier plus rapidement les plants intéressants, ce qui accélère l'avancée des programmes d'amélioration génétique[70]. La culture tissulaire permet également aux agriculteurs d'utiliser un matériel végétal garanti indemne de maladie et de ravageurs. Cependant, dans la plupart des cas, elle n'éliminera pas tous les virus de la banane. Elle retarde seulement la nécessité d'utiliser des produits chimiques.

4.4 Ravageurs et maladies

La cercosporiose noire est devenue la maladie la plus préjudiciable à la production moderne de bananes. Elle affecte la croissance et la productivité des plants et elle constitue la principale raison qui pousse les exportateurs à refuser les fruits. Le champignon (Mycosphaerella fijiensis Morelet) diminue la photosynthèse, réduit la taille du fruit et provoque une maturation prématurée. Cette maladie a été observée pour la première fois à Fidji au début des années 70, puis dix ans plus tard en Amérique latine. Maîtriser la maladie dans de grandes plantations coûte environ 1 000 dollars EU par hectare, et ce coût est supérieur dans des plantations de taille plus modeste qui ne peuvent pas appliquer de fongicides par voie aérienne. Les petits exploitants optent généralement pour d'autres mesures: ils arrachent les vieilles feuilles infestées, intercalent des souches résistantes à la maladie, plantent partiellement à l'ombre - ce qui retarde l'évolution de la maladie[71]. Cette maladie est omniprésente dans le monde, à l'exception des îles Canaries. La gérer et la maîtriser sont devenues le principal souci des producteurs de bananes destinées au commerce.

Ces dernières années, des chercheurs ont travaillé activement pour comprendre la maladie et trouver de nouveaux produits agrochimiques car le champignon est prompt à développer une résistance aux nouveaux fongicides. Par exemple, lors de la XVè Conférence Internationale d'ACORBAT (2002), pas moins de 21 études portaient spécifiquement sur la cercosporiose noire[72], témoignant de l'importance de cette maladie pour la communauté internationale.

En République dominicaine, où les bananiers sont plantés dans des régions sèches, les planteurs ont utilisé avec succès la Protection Intégrée (PI) pour combattre les ravages de la cercosporiose noire. Grâce à la PI, le pays a augmenté sa production de bananes biologiques: elle était de 2 000 tonnes en 1993 et dépassait les 60 000 tonnes en 2000. La République dominicaine est devenue le premier exportateur mondial de bananes biologiques.

Les manchons en plastique qui séparent les mains de chaque régime durant la période de croissance et limitent la quantité de fruits abîmés et rejetés peuvent également inhiber la propagation de la cercosporiose noire. Ces manchons accélèrent la maturation des fruits avant récolte en maintenant un microclimat plus chaud et plus humide autour du fruit en développement, ce qui joue contre la cercosporiose. De plus, les «couches» augmentent la productivité en ralentissant le cycle de rotation des cultures (Richard Yudin 2003, Banana Forum).

Les innovations en matière de maîtrise des ravageurs et des maladies ont été stimulées par la nécessité de satisfaire aux normes phytosanitaires, aux normes de qualité des marchés d'exportation, mais également aux accords environnementaux bilatéraux et multilatéraux. Les consommateurs des principaux pays importateurs exigent de plus en plus de garanties de qualité, notamment en ce qui concerne une faible teneur en pesticides. Les techniques de lutte contre les parasites à faible utilisation de pesticides, tels que la Lutte intégrée contre les parasites, le contrôle biologique, l'éradication des parasites et la prévention de leur prolifération, ont gagné en importance au cours des années 90.

Là où les ravageurs ne se sont pas présents, la prophylaxie s'est avérée un moyen efficace de prévenir des pertes, ce qui englobe les avaries des récoltes et les restrictions de quarantaine sur le commerce[73]. Pour éviter d'introduire des ravageurs et des maladies dans des zones où les bananiers sont cultivés pour la première fois, les agriculteurs ont recours à des plants issus de la culture tissulaire. Installer des laboratoires de culture tissulaire est relativement peu onéreux: 50 000 dollars EU peuvent suffire à équiper une petite installation. Les laboratoires de culture tissulaire, la plupart sur une base commerciale, produisent à présent de grandes quantités de variétés Cavendish, de plantains et quelques uns des nouveaux «hybrides» de la FHIA. Dans les pays en développement, les coûts de production d'un plant sont en général nettement inférieurs aux coûts de production en Europe.

4.5 Technologies respectueuses de l'environnement et socialement acceptables

Entre 1985 et 2002, les questions d'environnement liées à l'agriculture se sont hissées au premier plan des préoccupations des chercheurs, des responsables politiques et du public. La perte de biodiversité et ses conséquences sur la viabilité à long terme, les effets néfastes de la pollution sur la productivité, les contrecoups négatifs de la pollution sur la pauvreté, la pollution des eaux de surface et souterraines, la nocivité de produits chimiques mal utilisés sur la santé des agriculteurs, les risques induits par les biotechnologies, et la demande des consommateurs de «produits propres» ne sont que quelques-uns des problèmes qui affectent le marché global depuis le milieu des années 80, et qui ont influé sur les méthodes de production et de commercialisation des bananes (voir au Chapitre 5).

Les gouvernements, la communauté internationale et les marchés ont encouragé le développement et la diffusion de technologies respectueuses de l'environnement par le biais de programmes de vulgarisation, de réglementations et de primes d'aide. Tout au long des années 90, la Protection Intégrée (PI)[74] également connue sous le terme «lutte raisonnée» et, plus récemment, l'agriculture biologique ont compté au nombre des alternatives populaires à un usage excessif de pesticides. La PI est décrite comme une approche multidisciplinaire de protection des cultures basée sur des procédés écologiques, un ensemble de techniques qui ont en commun une connaissance approfondie de la dynamique des ravageurs, de leur rôle dans l'écosystème et des dommages économiques qu'ils sont susceptibles de causer aux différents stades de l'attaque[75]. La PI repose sur l'idée que l'éradication des ravageurs est peut-être inopportune, et qu'il vaut mieux contenir leur population dans des limites d'infestation causant le minimum de pertes économiques. D'un autre côté, l'agriculture biologique est devenue une caractéristique familière des produits chez les consommateurs et, en segmentant le marché, elle a offert de nouvelles opportunités aux producteurs (voir au Chapitre 5).

Les règles et réglementations internationales (programmes d'assurance qualité inclus) ont également été à l'origine des évolutions technologiques dans le secteur bananier. Le Protocole de Montréal est le tout premier exemple d'un accord multilatéral relatif à l'environnement qui ait eu une incidence sur les méthodes de production. Le Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d'ozone (signé en 1987 et amendé en 1990 et 1992) stipule que la production et la consommation de composants chimiques qui appauvrissent la couche d'ozone doivent être progressivement abandonnées. Un des ces composants est le bromure de méthyle, un produit de fumigation très efficace dans le cas de plus de 100 variétés de cultures pour lutter contre les ravageurs, les nématodes, les mauvaises herbes et les agents pathogènes. Les conséquences désastreuses sur la productivité d'un abandon progressif de ce pesticide ont suscité de nombreuses inquiétudes, et depuis le milieu des années 90, les chercheurs du monde entier s'emploient à trouver des alternatives.

À la suite de la Conférence de Rio en 1992, l'Organisation internationale de normalisation (ISO) basée en Suisse a mis au point des normes génériques pour la gestion de l'environnement. La plus importante pour l'industrie bananière a été la norme ISO 14001, introduite en 1996. En 1998, la bananeraie de Dole Food au Costa Rica a été la première exploitation agricole du monde a recevoir l'homologation certifiant que sa gestion de l'environnement était conforme aux normes. Plus récemment, la société Chiquita Brands s'est également vue octroyer une certification ISO 14001 pour son système de gestion de l'environnement.

Des organisations de la société civile, et notamment des ONG, ont également pris part à des initiatives avec le secteur privé pour établir des normes sociales et environnementales. En 1992, l'organisation écologiste Rainforest Alliance et Chiquita Brands ont mis en place le «Better Banana Project» afin de résoudre des problèmes d'ordre social et environnemental dans les plantations bananières en Amérique latine. L'objectif du projet est de montrer que le fruit a été produit selon des méthodes inoffensives pour l'environnement et des conditions de travail satisfaisantes pour les travailleurs agricoles. En 2000, Rainforest Alliance avait certifié l'ensemble des plantations que possède Chiquita en Amérique latine.

Toutes ces normes concernent non seulement les sociétés qui les appliquent, mais également la plupart des producteurs des pays dans lesquels ces sociétés opèrent. Au Honduras, par exemple, Dole ou Chiquita ne produisent qu'une partie de leurs fruits d'exportation et le restant des fruits qu'ils commercialisent est produit par des exploitants locaux. Ces derniers peuvent ne pas être autorisés à leur vendre des fruits à moins de satisfaire à ces nouvelles normes environnementales.

Le protocole "EUREP/GAP" établi en 2000 est une norme privée volontaire applicable à la production de fruits et légumes frais qui garantit la traçabilité du produit tout au long de la filière du consommateur jusqu'au champ. Cette norme prend en compte la gestion des sols et l'utilisation de fertilisants et de pesticides, aussi bien que la santé et la sécurité des ouvriers. Cette norme a été élaborée sous l'égide de Euro Retailer Produce Working Group (EUREP), un groupement de grands distributeurs européens, dans le but d'offrir aux consommateurs un produit sain et salubre. L'aspect essentiel de ce protocole repose sur le principe de traçabilité, dont la mise en application peut être jugée trop onéreuse par les petits producteurs et les négociants.

Les méthodes de production de bananes qui ciblent la protection de l'environnement et qui ont été employées ces dernières années incluent, entre autres, le traitement des eaux usées, l'enlèvement des manchons en plastique des champs, le compostage des bananes rejetées et des autres résidus organiques pour aider à la reconstitution des sols, ainsi que des systèmes d'irrigation et de fertilisation plus efficaces qui minimisent la pollution en aval.

4.6 Transport

Les trois innovations majeures dans le transport des bananes concernent la réfrigération, la mise en conteneur des cargaisons et l'utilisation de palettes. Des innovations dans les technologies de la réfrigération (et du mûrissage) ont permis de transporter les bananes dans un état «latent» tout en obtenant un produit fidèle à ses caractéristiques de goût et d'aspect lorsque le fruit atteint sa maturité. La réfrigération, aujourd'hui, consiste non seulement en la maîtrise de la température, mais également en celle du taux d'hygrométrie et de la composition de l'air du cargo. La réfrigération des cales des bateaux date du début du XXè siècle, et celle des conteneurs a vu le jour à la fin des années 60. Chiquita a acheté ses premiers cargos équipés de conteneurs frigorifiques en 1976, pour acheminer ses bananes d'Amérique latine aux États-Unis. La société a commencé à contrôler l'atmosphère en 1992 et elle a informatisé les systèmes de maintenance pour le contrôle des conditions atmosphériques à la fin des années 90.

Une autre innovation consiste en l'utilisation de conteneurs frigorifiques. Ces conteneurs permettent aux agriculteurs de récolter en continu, par opposition à l'époque du transport maritime classique, et ils réduisent les coûts d'arrimage et de manutention dans les ports. Quant aux palettes, elles sont de plus en plus souvent utilisées à l'intérieur des conteneurs: elles accélèrent le déchargement et, parce qu'elles permettent de diviser la cargaison en petites unités, elles contribuent à réaliser des économies sur les coûts de distribution. En outre, grâce aux conteneurs frigorifiques, les bateaux peuvent rapporter dans le pays exportateur (opérations de retour à charge) divers produits en plus petites quantités et à un moindre coût que dans des cales isolées de navires frigorifiques.

Dans les navires frigorifiques, les systèmes de ventilation verticale ont de plus en plus remplacé les systèmes de ventilation horizontale. En effet, il a été constaté que l'air froid circule plus rapidement à travers la cargaison à la verticale qu'à l'horizontale. Les cartons (les conteneurs dans lesquels on transporte les bananes) ont également subi des modifications, à la fois de leur taille et de la disposition de leurs perforations. Taille et perforations jouent un rôle important dans la circulation de l'air à travers et autour de la palette. Un nouveau type de carton, baptisé «plateau», est apparu au milieu des années 90: il mesure 60 par 40 cm et ne contient qu'une seule couche de bananes. D'après certains mûrisseurs, en comparaison des traditionnels cartons télescopiques, les plateaux permettent une meilleure maîtrise de la température pendant le mûrissage. En outre, les négociants affirment que, comparés aux cartons télescopiques, les plateaux réduisent la manutention lors du transport et dans les supermarchés (ce qui permet un gain sur la qualité des fruits et une économie de main d'œuvre). Les cartons télescopiques peuvent s'avérer plus économiques sur des cargaisons plus importantes, mais certains producteurs ont émis des réserves quant aux difficultés à adapter les équipements d'emballage existants aux plateaux, car ces équipements sont conçus pour des cartons standards de 18,14 kg.

4.7 Mûrissage

D'après les détaillants, les bananes relèvent d'un achat impulsif: les consommateurs ont envie de les acheter lorsque leur peau ne présente aucune tâche. Or, les bananes sont des fruits délicats qui parcourent de longues distances, qui s'abîment facilement et dont le mûrissage réclame des équipements spécialisés. L'utilisation de l'éthylène pour déclencher le processus de mûrissage est une innovation qui a découlé de la livraison par cargos réfrigérés de bananes en sommeil dans les ports. Le mûrissage consiste en la transformation de l'amidon en sucres (qui donne à la banane un goût moins âpre), l'assouplissement des tissus, et la destruction de la chlorophylle, qui provoque le jaunissement de la peau. C'est une opération complexe, qui requiert des soins attentifs et nécessite beaucoup de main d'œuvre. Il faut en permanence, au moyen de ventilateurs, réguler la température de l'air, vérifier la composition de l'humidité et des gaz. Progressivement, les négociants se tournent vers des systèmes informatiques pour automatiser le processus.


[63] R.E. Evenson, Houck, J.P. Jr and Ruttan, V.W. (1964) Technical change and agricultural trade: three examples (sugarcane, bananas and rice); Department of Agricultural Economics, University of Minnesota.
[64] FAO (1996) The world banana economy 1970-1984: structure, performance and prospects; FAO Economic and Social Development Paper 57, Rome.
[65] Jean-Vincent Escalant and Panis, B. (2002) Biotechnologies toward the genetic improvement in Musa, In: Memorias XV Reunión Internacional ACORBAT 2002; Cartagena de Indias, Colombia.
[66] La FAO a soutenu le développement de nouvelles variétés de bananes appuyé sur des techniques d’amélioration génétique basés sur les biotechnologies. Voir par exemple le Banana Improvement Project (BIP), co-sponsorisé par le Fonds commun pour les produits de base le IBRD.
[67] FAO (2001); Biotechnologie et production de bananes; CCP: BA/TF 01/6; FAO: Rome.
[68] E. Lahav (1995) Banana nutrition; In. Bananas and Plantains, Chapman & Hall.
[69] Les cultivateurs de bananes des îles Canaries utilisent le CTP pour faire coïncider leur récolte avec Noël. Pour plus d’information sur le CTP, voir A. Ronen, Cohen, I and Rodriguez, R (2002) Crop Timing Plantation (CTP): la respuesta a la demanda del Mercado. In: Memorias XV Reunión Internacional ACORBAT 2002.
[70] Les planteurs doivent être prudents car une subdivision excessive des tissus peut provoquer des taux inacceptablement élevés de plantes mal formées dans la progéniture. (Richard Yudin, communication personnelle).
[71] Voir également Ploetz, R. (2001) The most important disease of a most important fruit; The American Phytopathological Society.
[72] Asociación para la Cooperación en Investigaciones de Bananos en el Caribe y la América Tropical
[73] Pour une description de la propagation des maladies du bananier dans l’ensemble du monde, voir David R. Jones (2002), Risk of spread of banana diseases in international trade and germplasm exchange; Dans: Proceedings XV ACORBAT meeting 2002; Cartagena de Indias, Colombia.
[74] Voir par exemple le Chapitre 14 de l’Agenda 21, Rio de Janeiro 1992.
[75] Pour un résume sur les techniques de Lutte Intégrée contre les Parasites dans la culture bananière, voir: V.M. Merchán Vargas (2002); Manejo integrado de plagas del plátano y el banano; In. Proceedings XV ACORBAT meeting 2002; Cartagena de Indias, Colombia.

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