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Gestion forestière et changement climatique
en Wallonie, Belgique

C. Laurent

Christian Laurent est ingénieur forestier du Service des ressources forestières, Ministère de la Région wallonne, Direction générale des ressources naturelles et de l’environnement, Division de la nature et des forêts, Namur (Belgique).

Les mesures de gestion promues par le Gouvernement de la Région wallonne poursuivent l’objectif d’accroître la résistance des forêts aux changements écologiques, tout en renforçant la contribution des forêts à
l’atténuation du changement climatique.

Les mesures de gestion promues par le Gouvernement de la Région wallonne poursuivent l’objectif d’accroître la résistance des forêts aux changements écologiques, tout en renforçant la contribution des forêts à l’atténuation du changement climatique.

En Belgique, les politiques forestières et les fonctions administratives sont, dans une très large mesure, décentralisées, et les responsables de la gestion des forêts relèvent des gouvernements des trois régions du pays, à savoir Flandres, Wallonie et Bruxelles. La Wallonie, la partie méridionale du pays, est peu étendue, densément peuplée et la forêt occupe un tiers environ de ses 16 844 km2. Les mesures prises en Wallonie visant une gestion multifonctionnelle des forêts convenant à une région aussi peuplée comprennent des mesures d’adaptation à l’évolution du climat, suivant deux grands axes complémentaires.

Les premières visent l’entretien, ou plutôt l’amélioration, de la capacité des écosystèmes de s’adapter aux modifications de leur environnement par:

• une diversité biologique plus large au sein des peuplements, grâce à la diversification des essences principales et d’accompagnement, mais aussi à la diversification génétique (moyennant l’utilisation de davantage de provenances et de peuplements à graines différents) et à l’emploi de techniques sylvicoles appropriées;

• l’utilisation d’essences et de provenances les mieux adaptées aux conditions stationnelles actuelles, afin qu’elles supportent les modifications abiotiques et biotiques de leur environnement.

Les deuxièmes concernent l’application de techniques sylvicoles appropriées pour prévenir les dangers spécifiques pour la forêt du changement climatique, notamment une fréquence majeure attendue de tempêtes, les risques accrus d’extension des ravageurs, le stress climatique dû aux épisodes extrêmes alternant des périodes de sécheresse et de pluviosité excessive, et l’augmentation prévue des températures. Les mesures de conservation des sols et de l’eau améliorent la régulation des cycles hydriques. Les écartements plus larges des peuplements, les éclaircies précoces et le traitement en futaie jardinée accroissent la résistance de l’écosystème aux stress climatiques et aux ravageurs.

Le choix d’essences et de provenances bien adaptées contribue aussi au stockage du carbone par l’augmentation de la biomasse dans les forêts et en favorisant les produits ligneux aptes aux emplois de longue durée. Le présent article décrit les mesures prises pour accroître la capacité des forêts de s’adapter au changement climatique et montre comment elles convergent avec les objectifs écologiques, économiques et sociaux de la gestion forestière multifonctionnelle.

Le traitement des peuplements en futaie jardinée renforce la résistance de l’écosystème au stress climatique;
en Belgique ce traitement est encouragé partout où les conditions le permettent
(Photo: O. HUART)

LA GESTION FORESTIÈRE MULTIFONCTIONNELLE EN WALLONIE

La densité de la population en Wallonie est de 199 habitants par kilomètre carré, avec 544 800 ha ou 0,16 ha de forêt par personne (Lecomte et al., 2003). Dans ce contexte général d’intensité de pression foncière, la gestion multifonctionnelle ne peut se concevoir que par un zonage multifonctionnel des forêts: chaque unité aura un objectif principal mais sera gérée pour assurer de manière optimale les fonctions de production, écologiques et sociales de la forêt.

Pour les 48 pour cent que représentent les forêts de propriétaires publics, une définition des vocations prioritaires est effectuée dans les plans d’aménagement. Si des objectifs de protection des sols ou des eaux ou de la biodiversité sont identifiés comme prioritaires, les fonctions économique et sociale resteront assurées, mais seront assorties de contraintes garantissant les objectifs prioritaires. Dans le même esprit, des mesures générales seront appliquées dans les zones de production pour assurer les fonctions écologiques. La production sera orientée vers des produits de qualité élevée, aptes à des emplois à haute valeur ajoutée, et non à une production de masse. Pour les forêts des propriétaires privés, des mesures incitatrices et des activités de sensibilisation sont appliquées, afin d’assurer l’équilibre entre les fonctions de la forêt.

MESURES DE GESTION POUR L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Amélioration des capacités d’adaptation des écosystèmes forestiers

Deux voies sont essentielles pour améliorer la capacité d’adaptation des écosystèmes forestiers: la diversification et l’adaptation des essences aux conditions locales.

Diversification. La diversification vise à assurer au sein des forêts une diversité très large à tous les niveaux. Au plan génétique, on recherche une diversité maximale par l’emploi d’une mosaïque de provenances productives et bien adaptées, qu’il s’agisse d’essences indigènes ou acclimatées, comme le douglas (Pseudotsuga menziesii) ou les mélèzes (Larix spp.). On proscrira le recours aux plantations mono ou oligoclonales (c’est-à-dire des plantations avec moins de 20 à 30 clones). Au niveau des essences, on favorise un mélange d’essences principales et on respecte les espèces de sous-bois qui peuvent aussi être introduites dans la plantations ou la régénération naturelle. La diversité de l’écosystème est assurée par la conservation des écosystèmes naturels ou peu modifiés par l’homme, mais également des écosystèmes secondaires à haute valeur biologique.

En Wallonie, les principaux instruments de cette diversification sont:

• le Centre de recherche sur la nature, la forêt et le bois, qui élabore des méthodes de conservation des écosystèmes pour les services de terrain, et identifie des provenances et des peuplements à graines pour une gamme variée d’essences, dans un double objectif d’amélioration et de conservation;

• le Comptoir des matériels forestiers de reproduction, qui gère les peuplements à graines, la récolte, le traitement et la diffusion du matériel génétique vers les secteurs publics et privés.La diversification est également favorisée par des subventions à la régénération qui sont conditionnées notamment à la présence de mélanges. Enfin la désignation de 150 000 ha de forêts dans le réseau Natura 2000 (un réseau européen pour la conservation des habitats naturels et de la faune et de la flore) va considérablement renforcer ce volet de la gestion. Au-delà de ses effets sur la biodiversité et sur l’adaptation des forêts au changement climatique, la diversification a également des effets positifs sur la fonction économique, car elle offre un meilleur potentiel face aux fluctuations des marchés et ouvre l’accès à des niches spécifiques aux produits de qualité, ligneux ou non ligneux. Elle améliore aussi les rôles paysagers et touristiques des forêts.

La diversification des espèces améliore la capacité d’adaptation des écosystèmes forestiers;
des mélanges d’essences principales sont préférés et on maintient les espèces du sous-bois
(Photo: SOCIÉTÉ ROYALE FORESTIÈRE DE BELGIQUE)

L’emploi des essences adaptées aux conditions locales. Il est recommandé de régénérer ou d’installer les essences les mieux adaptées aux conditions climatiques et stationnelles actuelles, car elles supportent mieux les fluctuations abiotiques et biotiques de leur environnement. Certaines essences et mélanges d’essences sont aussi pris en compte pour leurs caractéristiques d’enracinement qui leur permettent de résister au chablis et à la sécheresse.

L’emploi d’espèces bien adaptées est également encouragée par des instruments informatifs et incitateurs tels que:

• Les directives établies pour le compte de la Région wallonne par une équipe interuniversitaire (Weissen et al., 1991; Weissen, Bronchart et Piret, 1994) qui présentent une description précise des exigences écologiques des 14 essences résineuses et 30 essences feuillues les plus utilisées, y compris comme essences d’accompagnement, et des clés de choix des essences en fonction des niveaux trophiques et hydriques des stations, pour les 27 secteurs écologiques qui ont été distingués dans la région.

• Les subventions à la régénération qui sont conditionnées à l’adaptation à la station des essences plantées comme déterminé par les directives susmentionnées.

Le choix optimal des essences converge avec les objectifs de production, par une productivité optimale et durable et une meilleure qualité des produits. En outre il prévient les effets négatifs de l’essence sur le milieu, ce qui est indispensable à la protection des sols et des eaux.

Un exemple de «sylviculture dynamique»: douglas à large écartement soumis à une éclaircie et à un émondage précoces
(Photo: C. LAURENT)

Techniques sylvicoles

Diverses techniques sylvicoles, largement promues par la Région wallonne, permettent d’atténuer les dangers spécifiques du changement climatique pour la forêt.

«La sylviculture dynamique». Le traitement désigné en Belgique sous le terme de «sylviculture dynamique» (André et al., 1994) comprend le maintien de densités relativement faibles (nombre de tige et surface terrière par hectare) par l’installation de peuplements à des écartement plus larges ou des éclaircies précoces et fortes en cas de régénération naturelle. Les objectifs relatifs au changement climatique sont:

• la réduction des risques de chablis, grâce à des plants mieux enracinés;

• l’amélioration du bilan hydrique en diminuant l’interception et l’évapotranspiration: la résistance aux sécheresses sera donc accrue, grâce à de meilleures réserves en eau du sol;

• l’amélioration de la biodiversité et de la conservation des sols, grâce à une végétation de sous-bois plus abondante;

• un recyclage plus régulier et progressif des éléments minéraux, ce qui améliore le fonctionnement de l’écosystème et prévient le lessivage d’éléments nutritifs lors des coupes.

L’emploi de la «sylviculture dynamique» pour maintenir une structure dégagée du peuplement est encouragé par des subventions à la régénération, qui imposent une fourchette de densité à la plantation, des subventions à l’éclaircie précoce et des actions de vulgarisation telles que des guides de bonne pratique. Pour la forêt publique s’y ajoutent des circulaires spécifiques relatives à des normes sylvicoles.

Au plan des avantages économiques et sociaux, ce type de sylviculture, renforcé par l’émondage (qui est également encouragé par des subventions) améliore le rentabilité de la gestion forestière en permettant une réduction des révolutions et une production plus rapide de bois de dimensions intéressantes pour une transformation à plus haute valeur ajoutée. Le maintien d’un matériel sur pied plus faible réduit également les risques financiers, car moins de capital est exposé aux catastrophes biotiques ou abiotiques. L’augmentation du couvert et du fourrage disponible améliorera l’équilibre entre la faune sauvage et les arbres et favorisera aussi la chasse.

Gestion de l’eau. Les mesures générales de protection de l’eau concernent notamment les essences utilisées, une réduction de la densité des peuplements et des limitations au drainage dans certaines situations, notamment le long des cours d’eau et sur les sols hydromorphes (excessivement humides), même si cela va au détriment des fonctions de production de la forêt. Dans les sols à nappe permanente, le drainage sera même interdit, et l’abandon de la sylviculture est préconisée sur les sols tourbeux (Ministère de la Région wallonne, 1997, 2002). Ces mesures permettent d’améliorer le rôle régulateur de la forêt. L’écosystème forestier sera plus à même de supporter des épisodes de sécheresse alors que dans les épisodes de pluviosité intense, la forêt libérera progressivement l’excès d’eau.

La circulaire relative à la protection des sols et de l’eau prévoit ces mesures pour les forêts publiques, les zones à vocation de protection étant par ailleurs identifiées et cartographiées dans les aménagements. Les subventions à la régénération, outre le choix des essences et des mélanges d’essences, prévoient aussi l’interdiction du drainage.

En plus des avantages qualitatifs et quantitatifs de la gestion de l’eau, la temporisation des épisodes de crues permet de prévenir les inondations et de protéger les infrastructures.

Le traitement en futaie jardinée et mélangée. Sans qu’il soit imposé, le traitement en futaie jardinée et mélangée est conseillé chaque fois que les essences en place et les conditions stationnelles le permettent. Ses avantages relatifs au changement climatique futur sont le maintien d’une couverture forestière permanente, la meilleure stabilité des peuplements face aux tempêtes et la résistance accrue de l’écosystème aux stress climatiques et aux ravageurs.

Les circulaires relatives à la protection des sols et de l’eau et aux aménagements accordent une grande importance aux avantages de ce type de traitement, que ce soit au sein même des peuplements (mélanges pied par pied) ou au niveau du paysage. Pour la forêt privée, les mélanges sont imposés en présence de résineux dans les conditions d’attribution des subventions à la régénération. En forêt publique, ils s’imposent sauf dans des situations particulières où les conditions stationnelles ne le permettent pas.

Ces mesures contribuent aussi à réaliser les objectifs de protection de la biodiversité, tout en soutenant les rôles paysagers et touristiques des forêts.

CONTRIBUTION AU STOCKAGE DU CARBONE

La contribution au stockage du carbone sort du cadre du présent article et ne sera traitée que brièvement ici. Le stockage du carbone dans les forêts de la Wallonie en 2003 (chiffré à partir de données de l’inventaire forestier régional) est estimé à environ 52 millions de tonnes de carbone (biomasse seulement), alors que l’absorption de carbone par photosynthèse nette est d’environ 2,38 millions de tonnes, soit près de 2,1 pour cent des émissions régionales annuelles (Laitat et al., 2003). L’accroissement net annuel de la biomasse après récolte correspond à près de 500 000 tonnes. Cette valeur devrait diminuer à l’avenir, en raison des méthodes sylvicoles préconisées qui tendent à réduire le capital ligneux à l’hectare. Compte tenu de la pression foncière importante, la contribution des boisements, reboisements et déboisements peut être considérée comme négligeable.

L’apport le plus important de la gestion forestière à la réduction des émissions d’anhydride carbonique sera sans doute indirect, dans la mesure où la part des produits aptes à des emplois de longue durée, pouvant se substituer à d’autres matériaux plus coûteux en énergie, devrait augmenter à l’avenir (Roth, 2002)

CONCLUSIONS

Les choix sylvicoles préconisés en Wallonie qui tiennent compte des effets prévus du changement climatique futur sur la forêt permettent aussi de répondre à des objectifs écologiques, économiques et sociaux de la gestion durable des forêts. En outre, ils contribuent à renforcer le rôle positif du secteur forestier sur le changement climatique en améliorant le bilan du carbone, en empêchant les catastrophes en forêt mais surtout en favorisant la proportion des produits ligneux aptes à des emplois de longue durée.

Bibliographie

André, P., Buchet, V., Defays, E., Lhoir, P. et Reginster, P. 1994. Eclaircie en futaie résineuse. Fiche technique no 3. Namur, Belgique, Ministère de la Région wallonne.

Laitat, E., Lebègue, V., Perrin, D., Pissart, G. et Sheridan, M. 2003. Séquestration du carbone par les forêts selon l’affectation des terres. Gembloux, Belgique, Université agricole de Gembloux.

Lecomte, H., Florkin, P., Morimont, J.P. et Thirion, M. 2003. La forêt wallonne, état de la ressource à la fin du 20ème siècle. Namur, Belgique, Ministère de la Région wallonne.

Ministère de la Région wallonne. 1997. La forêt et la protection de l’eau. Namur, Belgique.

Ministère de la Région wallonne. 2002. La forêt et la protection du sol. Fiche technique no 14. Namur, Belgique.

Roth, B. 2002. La richesse écologique du bois. Sylva Belgica, 109(6): 42-47.

Weissen, F., Baix P., Boseret, J.P., Bronchart, L., Lejeune, M., Maquet, P., Marchal, D., Marchal, J.L., Masson, J.L., Onclincx, F., Sandron, P. et Schmitz, L. 1991. Le fichier écologique des essences. Namur, Belgique, Ministère de la Région wallonne. 3 vols.

Weissen, F., Bronchart, L. et Piret, A. 1994. Guide de boisement des stations forestières de la Wallonie. Namur, Belgique, Ministère de la Région wallonne.


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