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CHAPITRE 6
POLITIQUES DE GESTION DE L'EAU EN AGRICULTURE1 (Cont.)

6.5.7 Potentiel et conditions préalables des marchés des droits d'eau

Les arguments présentés ci-dessus suggèrent que les marchés des droits d'eau peuvent présenter divers types d'avantages. Comme l'énonce Thobani:

Les principes économiques et les leçons de L'expérience suggèrent que la mise en place formalisée de droits d'eau négociables favorise l'adaptation rapide et volontaire de l'allocation de l'eau à l'évolution de la demande, ce qui améliore l'usage de l'eau. Ces marchés de l'eau formalisés renforcent également la participation des utilisateurs à l'allocation de l'eau et à la planification de nouveaux investissements, tout en permettant aux entreprises d'investir dans des activités qui requièrent un accès assuré à l'eau. Il en découle une augmentation du nombre des emplois et une génération de revenus susceptibles de faire reculer la pauvreté140.

Par dessus tout, les marchés des droits d'eau permettent de faire payer l'eau à sa pleine valeur (quand les dépenses d'exploitation et d'entretien sont également prises en compte), ce qui augmente les chances d'atteindre les objectifs i), ii), iii) et v) énumérés dans la section 6.5.3 ci-dessus, sans imposer une augmentation des prix administrés, qui équivaut à confisquer un droit élémentaire détenu par de nombreux agriculteurs, même si C'est dans le cadre de règles coutumières ou informelles.

Bien que la mise en place initiale de systèmes de droits d'eau cessibles ait eu lieu en Amérique latine, cette approche a suscité l'intérêt dans D'autres parties du monde. Pour l'Afrique subsaharienne, Sharma et al. ont émis les conseils suivants:

Chaque fois que cela est faisable et approprié, les pays d'Afrique subsaharienne devraient développer des solutions du type marchés… Les principaux instruments économiques à prendre en compte sont les suivants: (a) lois, politiques, réglementations et structures incitatives axées sur le marché et la demande; (b) marchés de l'eau avec droits d'eau négociables; (c) recours plus large au secteur privé…141

Sampath émet une recommandation comparable pour toutes les régions du monde, et en particulier pour l'Asie, à la lumière de l'augmentation importante de la demande en eau municipale et agricole induite par la croissance démographique. Il conclut que l'on n'insistera jamais assez sur la nécessité de facturer tous les services d'eau, et d'encourager activement le développement de marchés des droits d'eau142. La FAO a conclu, quant à elle, que les études sur la tarification de l'eau et sur les types de marchés de l'eau convergent sur la notion que les systèmes de droits d'eau transférables sont ceux qui reflètent le mieux le coût d'opportunité de l'eau143.

Si les avantages potentiels des marchés des droits d'eau en font une option attractive, il faut veiller à ce que leurs conditions préalables soient satisfaites avant de les mettre en place. Thobani a commenté que:

… les droits d'eau négociables ne constituent pas une panacée et la mise en place d'un système efficace n'est pas facile. L'expérience du Chili et la supériorité démontrée, en général, des marchés sur les méthodes d'allocation administrée de la ressource, suggèrent que les marchés sont préférables quand l'eau est rare, quand une infrastructure de transfert est en place ou peut être développée à peu de frais, quand il existe une capacité institutionnelle minimum pour mettre en oeuvre les transactions, et quand il y a la volonté politique de mettre en place la législation adéquate144.

Certaines des conditions préalables spécifiques au marché des droits de l'eau ont été résumées par Hearne et Easter:

  1. [en définissant les droits d'eau] dans les régions où les ressources en eau sont très variables, il faut stipuler le mode d'allocation de l'eau en périodes de pénurie;
  2. lors de la répartition initiale des droits d'eau entre les utilisateurs, il faut veiller à ce qu'ils ne soient pas accaparés par quelques individus;
  3. une technologie et des institutions adaptées, telles que des vannes réglables et des associations d'usagers de l'eau efficaces, peuvent abaisser considérablement les coûts de transaction;
  4. [il faut donner] aux services chargés de la gestion de l'eau un rôle permanent de contrôle du respect des droits et de résolution des conflits145.

On peut ajouter à cette liste:

  1. la définition des procédures s'appliquant aux écoulements restitués et aux droits des tiers;
  2. la diffusion vigoureuse des informations sur le mode de fonctionnement des marchés des droits d'eau auprès des acteurs potentiels146.

La condition peut-être la plus fondamentale de toutes pour la mise en place d'un système de droits d'eau est la suivante:

  1. un engagement politique clair et fort et la patience requise pour élaborer et mettre en place le système.

Il faut souligner que, pour la plupart, ces exigences s'appliquent également aux systèmes irrigués par allocation administrée, et que leur non-respect est à l'origine d'un grand nombre des problèmes constatés en ce domaine.

Les marchés des droits d'eau dans les pays en développement en sont encore à leurs balbutiements. C'est pourquoi le rythme de leur adoption sera probablement lent, mais, s'il apparaît que leurs exigences peuvent être satisfaites, il est recommandé d'étudier de près cette option. À plus long terme, la nécessité inévitable d'améliorer la gestion de l'eau risque d'accélérer le rythme de leur adoption. Dans tous les cas, cependant, il est conseillé de démarrer lentement et de mettre en place des structures institutionnelles adéquates de contrôle et de gestion des cessions de droits d'eau. En règle générale, il est préférable de n'autoriser au début que les transactions entre agriculteurs d'une même vallée, et de n'ouvrir qu'ultérieurement la possibilité de transactions avec D'autres utilisateurs.

6.6 QUESTIONS INSTITUTIONNELLES ET DE PROCESSUS DANS LA GESTION DE l'eau

6.6.1 Questions institutionnelles au niveau du secteur

Ni une technologie convenable d'irrigation, ni des mesures de prix incitatives, ni la combinaison des deux ne suffisent à assurer des performances satisfaisantes des systèmes irrigués. Le contexte institutionnel est au moins aussi important, si ce n'est plus. Le volet institutionnel fait référence à la fois au mode de gestion des systèmes irrigués à différents niveaux et au processus par lequel ils sont développés et mis en œuvre au fil du temps. Il s'agit de la dimension humaine du système: le mode de regroupement des différents acteurs en entités collectives, la manière dont ils travaillent ensemble (ou non), le rôle joué par les individus et les entités, et les objectifs qu'ils poursuivent.

Il incombe, de façon fondamentale, aux politiques sociales de toute nation de définir une structure institutionnelle de répartition de l'eau. Le choix de la structure résulte en définitive d'un compromis entre la nature physique de la ressource, les réactions que suscitent les politiques, et les objectifs sociaux concurrents. Il n'est pas surprenant que selon les cultures, les arbitrages varient en fonction de l'importance relative qu'y prennent des objectifs spécifiques. On constate que les pays recherchent des moyens différents pour équilibrer efficacité économique (produire le plus de valeur possible avec les ressources données) et équité (assurer à tous un traitement équitable). Liberté individuelle, équité, participation populaire, contrôle au niveau local et résolution des conflits en bon ordre sont parmi les autres objectifs importants avec lesquels les sociétés doivent habilement jongler lorsqu'elles déterminent la structure de répartition de l'eau147.

En dernière analyse, une structure institutionnelle n'est efficace que dans la mesure où elle fixe des rôles clairs et appropriés à l'ensemble des individus et groupes concernés, et les incite à bien les jouer. La motivation peut passer par des mesures incitatives, mais, par dessus tout, elle requiert de croire au bien-fondé et à la légitimité de leurs rôles et des rôles des autres institutions participant à la gestion de l'eau. On n'insistera jamais assez sur l'importance d'instiller la conviction que les institutions et les procédures sont, pour l'essentiel, bien fondées et équitables. D'où la référence que fait la FAO aux «réactions humaines» dans la citation ci-dessus.

Ce qui motive les individus à œuvrer ensemble à des fins communes s'appelle une “bonne gouvernance”. Cette remarque s'applique à la gestion de L'irrigation aussi bien qu'à n'importe quel autre domaine. «L'amélioration des résultats de l'irrigation est une question de “bonne gouvernance”, de sage gouvernement… Quatre facteurs principaux de bonne gouvernance peuvent être envisagés, à l'échelon tant national que local: la légitimité du gouvernement, sa responsabilité (obligation de rendre des comptes), sa compétence, et enfin son respect des droits humains et de l'état de droit»148.

La bonne gouvernance est essentielle au fonctionnement des réseaux d'irrigation comme indiqué ci-après:

Légitimité. Au moment où un nouveau projet est envisagé, les personnes vivant dans la zone concernée sont-elles consultées en ce qui concerne la conception des aménagements? Existe-t-il des groupes représentatifs d'agriculteurs reconnus comme tels, où les femmes sont représentées? Les représentants de ces groupes sont-ils élus et responsables vis-à-vis des membres? Ces groupes prennent-ils part aux décisions qui les concernent?…

Responsabilité. Le montage financier du projet d'irrigation est-il rendu public, et les dispositions prises sont-elles exposées aux agriculteurs? Existe-t-il des critères de résultat et des moyens de vérification assurant que les responsables observent bien les règles et, s'ils ne s'acquittent pas de leurs fonctions de façon satisfaisante, les obligeant à rendre compte de leur gestion? Les personnalités officielles sont-elles attentives aux besoins de la population?

Compétence. Les cadres sont-ils en mesure d'établir des budgets précis et d'effectuer efficacement les prestations de services, par exemple en assurant régulièrement l'entretien des canaux? Existe-t-il des dispositions pour les former ou les remplacer par des personnes compétentes s'ils s'acquittent mal de leurs obligations?

Suprématie de la loi. Un cadre juridique clair réglemente-t-il l'usage de l'eau souterraine pour prévenir le pompage excessif dans la couche aquifère? La loi est-elle appliquée? Est-il possible de réglementer la pollution par l'industrie ou par les eaux salines provenant d'ouvrages de drainage en amont? Les éventuelles dérivations illégales effectuées par les agriculteurs en tête des canaux sont-elles surveillées et les contrevenants sont-ils sanctionnés à l'issue d'un procès équitable, diligent, objectif et sans discrimination…?

(Extrait de: FAO, 1993, p. 291)

Le contexte institutionnel est si fondamental qu'on lui accorde maintenant la priorité dans la planification de L'irrigation, au niveau du projet comme au niveau sectoriel. Au niveau du projet, si les mesures de renforcement de la capacité institutionnelle n'ont pas été incluses dans sa conception, elles resteront court-circuitées tant les gestionnaires de projets seront occupés à résoudre les problèmes immédiats. De même, au niveau du secteur de L'irrigation, on s'accorde à donner la première priorité au renforcement des capacités institutionnelles, ce qui peut comporter la modification des structures vers plus de décentralisation, la dévolution de la propriété des périmètres, ainsi que l'instauration de mécanismes participatifs pour la planification et la gestion de l'eau.

Il est admis que le renforcement des capacités institutionnelles requiert une large participation à tous les niveaux de prise de décision et à toutes les étapes du processus, y compris la formulation de la politique et la conception du projet: «… le processus de formulation, diagnostic et évaluation des résultats des politiques de l'eau doit faire intervenir des groupes plus ouverts, représentatifs des partenaires politiques, techniques, gestionnaires et (c'est le plus important) des associations d'usagers de l'eau. Ces groupes devraient être consultés avant d'opérer les choix d'une politique, et fournir par la suite des informations de suivi conduisant à des ajustements fondés sur l'expérience acquise… L'objectif général est de disposer d'une gamme plus étendue d'options en matière de politique de l'eau, de s'écarter d'une gestion “par réaction aux crises” et d'accroître la résilience face aux pressions extérieures.»149

Deux raisons fondamentales arguent en faveur d'une participation élargie à la formulation de la politique de l'eau et au développement des systèmes irrigués, L'une en rapport avec les objectifs ou les valeurs sociétaux, l'autre en rapport avec des préoccupations pratiques, à savoir: encourager l'équité et améliorer la qualité des politiques et des projets. Les gens dont les intérêts sont concernés auront probablement des idées précieuses concernant le fonctionnement et la conception des politiques et des projets. Leur participation à la conception et à la gestion du projet renforcera également leur motivation à ce que le système fonctionne bien.

Il existe une autre raison très importante d'un point de vue pratique: rendre les politiques et les systèmes irrigués aussi robustes que possible face à l'évolution des situations et aux changements imprévus - la résilience dont parle la FAO. Si les systèmes et leur cadre réglementaire sont élaborés en partie par les usagers de l'eau et les autres catégories concernées, C'est-à-dire s'ils possèdent la légitimité mentionnée ci-dessus, les participants feront tout leur possible pour qu'ils fonctionnent bien et pour les adapter, le cas échéant, à des changements de situation imprévus. Ainsi, le contexte institutionnel a des conséquences directes sur la durabilité des programmes d'irrigation.

En termes pratiques, Vermillion et Sagardoy ont résumé le bien fondé du transfert de la gestion de L'irrigation (TGI) aux groupes d'utilisateurs en ces termes:

Les efforts des gouvernements pour financer et gérer les réseaux d'irrigation et pour collecter les redevances de l'eau auprès des agriculteurs ont rarement été couronnés de succès. Le sous-financement et la mauvaise gestion des systèmes irrigués ont entraîné une détérioration rapide de l'infrastructure, le rétrécissement des périmètres desservis, une répartition de l'eau non équitable et une faible productivité agricole. En règle générale, les gouvernements espèrent que le TGI réduira la charge financière de L'irrigation pour le gouvernement et augmentera suffisamment la productivité et la rentabilité de l'agriculture irriguée pour compenser les éventuelles augmentations du coût de L'irrigation pour les agriculteurs150.

L'autre facette de la démarche visant à encourager la participation et à rechercher le consensus est la décentralisation, y compris celle des structures gouvernementales elles-mêmes. L'intérêt de cette approche a été exprimé par la Banque mondiale dans son document d'orientation consacré à la gestion des ressources en eau:

Puisque leurs ressources financières et administratives sont limitées, les gouvernements doivent se montrer sélectifs dans les responsabilités qu'ils assument à l'égard des ressources en eau. Le principe est qu'il ne faut pas faire à un échelon supérieur de gouvernement ce qui peut être bien fait à un échelon inférieur. Ainsi, quand des capacités locales ou privées existent et qu'il est possible de mettre en place un système de réglementation, la Banque soutiendra les efforts du gouvernement central pour décentraliser les responsabilités vers les gouvernements locaux et transférer les fonctions de fourniture des services au secteur privé, à des établissements financièrement autonomes et à des organisations collectives telles que les associations d'usagers de l'eau151.

Certains types de réformes, pour améliorer l'autonomie et la responsabilisation des services publics d'irrigation et renforcer la participation des agriculteurs à la prise de décision, comportent les options suivantes:

Les réformes possibles comprennent: passer d'un service d'exploitation à une société de service public ou semi-indépendante; appliquer les critères de viabilité financière aux services d'irrigation; attribuer des franchises pour l'exploitation d'installations d'irrigation construites par les pouvoirs publics; et renforcer les mécanismes de responsabilisation, par exemple en prévoyant la supervision des organismes d'exploitation par les agriculteurs. On peut considérer qu'un grand nombre de ces réformes introduisent des mesures incitatives de type marché, ou quasiment, dans la gestion des systèmes irrigués publics152.

Dans un esprit similaire, le document d'orientation de la Banque mondiale consacré à la gestion des ressources en eau insiste sur l'importance de l'autonomie financière des agences d'irrigation, couplée à une ferme détermination du gouvernement de ne pas financer leurs déficits financiers:

L'expérience montre qu'un important principe de restructuration des organismes de service public est leur transformation en entités financièrement autonomes, dotées de l'autorité de facturer et de collecter des redevances, et libres de gérer sans ingérence politique. Ce type d'entités doit travailler sous stricte contrainte budgétaire, ce qui incite à l'efficacité et à la génération de revenus. De la plus haute importance, la stricte contrainte budgétaire déclenche l'incitation à collecter les redevances et à fournir les services que les consommateurs et les agriculteurs désirent153.

Dans la plupart des cas, en même temps que l'accent est mis sur une plus grande autonomie des institutions d'irrigation et sur la décentralisation des décisions, il faut améliorer la capacité des institutions gouvernementales elles-mêmes. La FAO a souligné que, outre les «dysfonctionnements du marché»154 bien connus qui caractérisent une ressource comme l'eau, les «dysfonctionnements gouvernementaux» sont largement répandus, en partie pour les raisons suivantes:

Les «produits» sont difficiles à définir. Les produits des activités non-marchandes sont difficiles à définir en pratique… Les avantages que procure un barrage de retenue, en ce qui concerne tant la maîtrise des crues que les usages d'agrément, en sont un bon exemple…. Les buts internes… d'une agence publique de l'eau, tout autant que les buts déclarés qu'elle se donne, déterminent les motivations… [des] performances individuelles. On peut donner pour exemple du caractère antiéconomique que peuvent avoir les buts internes la maximalisation des budgets, les choix techniques onéreux et impropres, et la non-exécution pure et simple des devoirs. En outre, les agences publiques adoptent parfois des solutions de haute technologie comme s'il s'agissait d'un but en soi…. Enfin, il arrive que le personnel de l'agence d'irrigation puisse être persuadé, par des cadeaux ou autres manœuvres de corruption, de contrevenir aux règles d'exploitation au bénéfice de quelques-uns155.

Dans des situations optimales, la gestion publique des systèmes irrigués peut donner de bons résultats mais ces cas sont des exceptions, comme l'ont observé Ruth Meinzen-Dick et al.:

Des exemples de réseaux d'irrigation qui fonctionnent bien, en Malaisie, par exemple, montrent qu'il est possible d'obtenir de bonnes performances sous la gestion de l'État… De nombreux projets d'irrigation se sont appuyés sur des innovations technologiques pour améliorer l'efficacité du système… Pourtant, sans une bonne gestion, ces innovations ne parviennent pas à assurer les services d'irrigation désirés…
En général, les pays ont confié la gestion de leurs systèmes irrigués à des services publics, partant du principe qu'ils posséderaient la capacité et la motivation à atteindre des normes de performances élevées. La forte présence de l'État dans L'irrigation a été justifiée par ses caractéristiques de bien public, en particulier ses externalités positives et négatives, son importance stratégique, l'échelle des systèmes… En pratique, les organismes d'État ne sont, ni omniscients, ni omnipotents, en particulier lorsqu'il s'agit de traiter des problèmes au niveau local. Par ailleurs, les incitations privées du personnel de l'organisme sont souvent en porte à faux avec les objectifs officiels de la gestion de L'irrigation et entraînent un comportement de recherche de rente. Il en a résulté des performances sous-optimales des systèmes…156

Meinzen-Dick et al. évoquent également la difficulté qu'il y a à rechercher une solution dans l'augmentation administrative des redevances d'irrigation à des niveaux adéquats (difficulté abordée dans la section 6.5.3 ci-dessus) et la nécessité de trouver d'autres moyens pour améliorer les performances des systèmes:

… la simple augmentation des taxes d'irrigation est politiquement impopulaire et n'incite, ni les organismes, ni les agriculteurs à améliorer les performances des réseaux d'irrigation. La solution économique traditionnelle consistant à «rétablir le juste prix» s'est avérée difficile à appliquer et d'usage limité pour améliorer les performances des systèmes irrigués… Les décideurs et les analystes sont en train d'explorer les solutions de marché, telles que les droits de propriété négociables, mais la difficulté à définir des droits de propriétés clairs et applicables, l'existence de coûts de transactions élevés et d'externalités positives et négatives, ainsi que D'autres types de dysfonctionnements du marché dans les systèmes irrigués, ont limité l'efficacité de cette stratégie. C'est pourquoi les réformes institutionnelles visant à abaisser les coûts tout en améliorant les incitations à de meilleures performances des réseaux sont essentielles157.

Pour des raisons similaires, le Bureau régional pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la Banque mondiale a conclu que «La faiblesse de nombreux organismes gouvernementaux est très préoccupante et constitue un problème qui ne peut être, ni contourné, ni évité… Dans la mesure où il existe peu de preuves qu'un changement institutionnel ad hoc suffise à fonder une bonne gestion, les problèmes institutionnels doivent être traités de manière intégrée et cohérente…»158.

Une stratégie d'amélioration des performances des organismes publics dans la gestion des systèmes irrigués doit inclure une meilleure formation des gestionnaires et l'introduction de mécanismes de responsabilisation vis-à-vis des utilisateurs et vis-à-vis de leurs supérieurs administratifs. Cela demande diverses aptitudes, y compris savoir planifier et superviser des domaines variés, gérer l'environnement, et assurer la liaison avec les autres parties prenantes. Un autre élément critique est:

d'assurer que le personnel de l'organisme public soit convenablement incité à travailler avec les agriculteurs. Les mesures les plus fortes et les plus durables, pour inciter le personnel de ces organismes à travailler avec les AUE, consistent à lier le budget aux redevances payées par les utilisateurs, et les rémunérations et primes du personnel à l'amélioration des services fournis aux agriculteurs159.

Le manque de capacité institutionnelle est fréquemment imputable à la dispersion de l'autorité entre un grand nombre d'organismes, qui empêche une approche intégrée de planification et d'élaboration de politiques de gestion de l'eau, comme souligné plus haut dans le présent chapitre. Souvent, la gestion des ressources en eau est très fragmentée entre les secteurs et les institutions, et l'on compte de manière excessive sur le secteur public pour fournir les services160. C'est pourquoi la FAO a lancé un appel à l'intégration des institutions chargées de l'élaboration et de la mise en œuvre de la politique de l'eau (voir section 6.3 ci-dessus).

Ce besoin d'intégration souffre néanmoins une exception: la nécessité de séparer clairement les rôles de définition de la politique de l'eau et ceux de fourniture (ou de coordination de la fourniture) des services d'eau. La responsabilité de la politique est souvent confiée aux organismes chargés de l'approvisionnement et de la gestion de l'eau, mais cette approche peut s'avérer source de conflits d'intérêts institutionnels et se traduit généralement, au minimum, par une efficacité amoindrie de L'une des fonctions. Sharma et al. ont exprimé ce point avec force:

Une stratégie importante consiste à encourager la séparation des fonctions de réglementation («garde-chasse») des fonctions de fourniture («braconnier») de l'approvisionnement en eau, ainsi que de la collecte et de la distribution des eaux usées, afin d'éviter les conflits d'intérêt et d'assurer le respect des règles. Pour que la réglementation porte pleinement ses fruits, il faut un «bon gouvernement», mais aussi des fonctionnaires expérimentés et tenus responsables.
Séparer la réglementation de la fourniture est une règle première de la gestion des ressources en eau… Cependant, il n'existe pas de «bon» cadre institutionnel [prédéfini] pour assurer la gestion efficace des ressources en eau; les solutions évoluent pour s'adapter aux paramètres constitutionnels et culturels, à des objectifs de politique clairs et à l'engagement politique envers l'application de cette orientation… La mise en place et la réforme des institutions sont une longue «aventure», dans laquelle on s'embarque souvent sans bien savoir où l'on va. Néanmoins, la séparation des fonctions de réglementation et de fourniture constitue un principe important. Certains pays confient la responsabilité de la gestion des ressources en eau au ministère de l'Agriculture, ou disposent d'un ministère de l'eau, également responsable de l'approvisionnement en eau des municipalités et des services d'eaux usées; ces deux modalités font obstacle à une gestion efficace des ressources en eau161.

Les allocations d'eau aux niveaux macro et micro requièrent également la séparation de l'autorité administrative. Le principe général est que la macro-gestion doit relever d'une entité autre que les entités sectorielles (telles que celles chargées de l'hydroélectricité, de L'irrigation, de l'approvisionnement en eau des municipalités, etc.). Le cas de l'Espagne illustre ce principe. Depuis 1927, la gestion des ressources en eau est réglementée par un organisme centralisé mais gérée par des autorités de bassin décentralisées. L'organisme centralisé s'appelle l'Autorité nationale de l'eau (sous le contrôle du ministre de l'Environnement); il est responsable de la politique et de la réglementation nationales en matière d'eau. Les autorités de bassin gèrent les ressources en eau de manière holistique, participative et décentralisée, avec un financement partagé entre les utilisateurs et l'État. Leur rôle s'arrête au point de distribution de l'eau aux différentes catégories d'utilisateurs, là où commence la responsabilité des institutions sous-sectorielles (AUE, municipalités, etc.).

Lors de l'élaboration de modes de gestion participative appropriés aux traditions culturelles nationales, certains pays pourront trouver utile d'explorer des adaptations du système français de comités de bassins fluviaux mentionné plus haut, bien que leur processus de mise en place ne soit pas simple. Le Sénégal, par exemple, a envisagé l'adoption de certains éléments de L'approche française dans son cadre institutionnel:

On a créé le Service de la planification et de la gestion des ressources en eau, responsable de la gestion et de l'allocation de toutes les ressources en eau et de l'émission des permis d'extraction. [Un] Conseil consultatif de l'eau a été proposé comme comité de pilotage de la définition et de la gestion de la politique des ressources en eau. Ses membres incluent des représentants d'associations de consommateurs, des associations d'agriculteurs et d'éleveurs, des industriels, des associations d'eau et de foresterie, des communautés rurales, des maires, la compagnie nationale des eaux… ainsi que des [organismes gouvernementaux]162.

Comme stipulé par la [Loi nationale sur l'eau, au Mexique], les conseils de bassins fluviaux ont un rôle clé à jouer dans la planification et la gestion des bassins… Un conseil du bassin fluvial, celui de Lerma-Chapala, fonctionne depuis 1993 et une vingtaine D'autres sont à divers stades de mise en place. L'expérience a montré que la création de conseils de bassins fonctionnels est difficile et demande beaucoup de temps. L'organisation des différents usagers de l'eau en groupes fonctionnels qui élisent ensuite des représentants aux conseils, tout en communiquant de manière adéquate avec les utilisateurs et les représentants du gouvernement, s'est avérée beaucoup plus difficile que ces derniers ne le pensaient. L'expérience a montré que les bassins ayant de graves problèmes de pénurie et de gestion de l'eau ont eu moins de difficultés à mettre les conseils en place. (Karin E. Kemper et Douglas Olson, 2000, p. 350)

Dans la même veine, des «parlements de l'eau» au niveau du bassin fluvial sont actuellement envisagés au Zimbabwe et en Afrique du Sud (Sharma et al., 1996, p. 50).

Sharma et al. ont résumé les exigences institutionnelles d'une gestion adéquate des ressources en eau en termes de «prise de conscience, capacité et gestion». Maillon clé de la chaîne, la prise de conscience est aussi souvent le plus faible. Elle est nécessaire à plusieurs niveaux:

Susciter la prise de conscience n'est pas nécessairement une entreprise onéreuse, mais cela nécessite des efforts bien planifiés et de la persévérance. Sharma et ses collègues (1996. p. xx) ont cité la «réussite de la Namibie et du Botswana, où la conservation de l'eau est devenue une éthique nationale». Un autre exemple de l'importance de la prise de conscience, soulignent-ils (1996, p. 53) est que:

… la capacité participative est fermement intégrée à la culture de nombreuses régions d'[Afrique] et constitue une ressource précieuse. Cependant, s'appuyer sur les compétences indigènes et les traditions culturelles ne peut réussir que s'il existe une conscience du problème et une identification des solutions.

Cette observation vaut pour toutes les autres régions du monde.

Créer une prise de conscience dans la société et mettre en place les capacités et compétences de gestion à tous les niveaux pertinents du service public sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes, au bon fonctionnement des systèmes irrigués. Comme dit plus haut, le secteur public à lui seul ne peut pas tout faire; il est confronté aux limites inhérentes à un fonctionnement coûteux, en termes institutionnels, surtout aux niveaux locaux, et a beaucoup de mal à recueillir toutes les informations nécessaires pour prendre des initiatives locales. De ce fait, c'est chez les utilisateurs et D'autres parties prenantes du secteur privé qu'il faut cultiver les capacités et les compétences en gestion. Subramanian et al. ont souligné cette exigence:

Les décideurs se sont tournés vers le potentiel que représentent les groupes d'usagers de l'eau pour la planification et la gestion de l'infrastructure hydraulique, en raison d'un double problème: [d'une part,] le coût institutionnel de faire appliquer les règles de distribution de l'eau; [d'autre part,] la difficulté de planifier et gérer l'infrastructure de l'eau avec des informations incomplètes. Les arguments en faveur des associations d'usagers de l'eau sont qu'elles… détiennent des informations beaucoup plus complètes sur les conditions locales et doivent donc être incluses dans le processus de planification et de gestion. En outre, les normes et conventions traditionnelles des usagers de l'eau sont souvent beaucoup plus efficaces qu'une bureaucratie pyramidale pour faire respecter les contrats entre utilisateurs des systèmes de distribution secondaires et tertiaires164.

6.6.2 Avantages de la gestion locale de l'eau

Les associations d'usagers de l'eau constituent la principale forme de gestion locale de L'irrigation. Elles se sont multipliées rapidement partout dans le monde au cours des dernières années et sont devenues des composantes incontournables de la gestion de L'irrigation dans des pays tels que l'Indonésie, les Philippines, la Thaïlande, Taiwan, le Bangladesh, l'Inde, le Pakistan, le Népal, Sri Lanka, l'Égypte, le Maroc, le Zimbabwe, le Sénégal, le Cameroun, le Mali, le Nigéria, le Kenya, le Guyana, l'Argentine, le Brésil, la Colombie, le Chili, le Mexique, le Pérou, la République Dominicaine et plus de 20 autres nations (Vermillion et Sagardoy, 1999). Le réseau international INPIM (International Network on Participatory Irrigation Management) facilite les échanges d'informations et d'expériences165. Dans le cas de l'Indonésie, par exemple, le gouvernement avait transféré en 1992 plus de 400 réseaux d'irrigation, desservant 34 000 ha, à des associations d'usagers de l'eau166.

En Inde, l'État d'Andhra Pradesh a «opté pour une approche ‘Big Bang’ » en constituant 10 292 AUE couvrant l'ensemble des systèmes irrigués de cet État, soit une superficie de 4,8 millions d'hectares167.

Il est clair que les AUE répondent à des besoins bien définis et ont toutes les chances d'offrir de grands avantages. Cependant, avant d'explorer leur rôle et la nature de ces avantages, il faut se rappeler que les AUE n'améliorent pas toujours les performances, et que leur création demande un effort conscient et soutenu de la part des institutions d'appui. On a pu dire que, en général:

il n'a pas été facile de déterminer si les approches collectives de la gestion de l'eau ont effectivement augmenté la production et le revenu des exploitations… En pratique, le transfert des systèmes irrigués [à leurs usagers] a justifié la transmission de la responsabilité de leur exploitation et de leur gestion aux agriculteurs, ce qui a réduit les coûts pour des administrations aux ressources financières limitées. Cependant, le transfert des coûts et des responsabilités ne s'est accompagné, ni d'un meilleur accès à l'eau grâce à la mise en place et à la concession de droits d'eau négociables, ni d'une séparation claire des obligations des services d'irrigation gouvernementaux et des groupes d'usagers de l'eau privés. De ce fait, les incitations fondamentales régissant l'usage de l'eau n'ont pas changé168.

Laissant de côté ces avertissements, les sections précédentes du présent chapitre ont abordé quelques unes des raisons d'encourager la création d'associations d'usagers de l'eau. La Banque mondiale en donne la justification en ces termes:

La participation des utilisateurs à la gestion et à l'entretien des installations et des activités hydrauliques présente de nombreux avantages. Leur participation à la planification, à l'exploitation et à l'entretien des ouvrages et des installations d'irrigation visant à fournir de l'eau et des systèmes sanitaires augmente la probabilité que ceux-ci soient bien entretenus et contribue à la cohésion et à la responsabilisation de la collectivité, d'une manière susceptible de s'étendre à D'autres activités de développement… En outre, les gouvernements en profitent directement… ; la participation des utilisateurs dans les zones urbaines et rurales peut alléger les fardeaux financiers et de gestion qui pèsent sur le gouvernement lorsqu'il se charge d'administrer l'allocation de l'eau…169
La FAO a conclu que la formation d'AUE offre plusieurs sortes d'avantages:
Les études effectuées dans le monde entier montrent que la participation des usagers aux services d'irrigation améliore l'accès à l'information, réduit les coûts de surveillance, induit chez les agriculteurs un sentiment de propriété partagée et accroît la transparence des décisions aussi bien que leur responsabilisation170.

En D'autres termes, le principal avantage des AUE est peut-être que, convenablement organisées, elles forment un dispositif de contrôle efficace pour réduire ou éliminer le problème du ‘passager clandestin’, qui serait, dans ce cas, que certains exploitants bénéficient de l'eau d'irrigation sans contribuer de façon commensurée à la gestion et à l'entretien du système171.

Au Mexique, le transfert de la gestion des systèmes irrigués aux AUE a progressé rapidement, grâce à un programme qui leur confie la distribution tertiaire, fréquemment sur des périmètres de dizaines de milliers d'hectares. Les utilisateurs appartiennent également à des sociétés, dont les actionnaires sont parfois des AUE, qui contrôlent et exploitent les canaux principaux. S'il est encore trop tôt pour en évaluer les effets à long terme, une évaluation des résultats basée sur une enquête dans quatre districts d'irrigation a été effectuée au bout d'une ou deux années d'expérience, selon la date du transfert. Cecilia Gorriz, Ashok Subramanian et José Simas ont résumé certains des principaux résultats de cette évaluation au Mexique, comme suit:

Néanmoins, les réserves à ces résultats positifs sont éclairantes et risquent d'apparaître dans D'autres situations également:

Les économies imputables à la gestion locale de L'irrigation ont été remarquables dans une expérience analysée au Chili:

Au Chili, la gestion par l'État d'un périmètre irrigué de 60 000 ha sur le Río Digullín mobilisait cinq ingénieurs, huit à dix techniciens, quinze à vingt camions et cinq bulldozers, contre un ingénieur, deux techniciens, une secrétaire et deux camions avec la gestion du même périmètre par les agriculteurs. Parce que les agriculteurs collaborent avec les ingénieurs et les techniciens, ils sont parfaitement conscients du «véritable» coût d'exploitation des systèmes irrigués et comprennent donc que la redevance qu'ils paient pour l'eau, même si elle est élevée, constitue un coût «crédible»… (R. Meinzen-Dick et al., 1997, p. 90)

L'avantage des AUE le plus fréquemment confirmé est la réduction des dépenses budgétaires du gouvernement liées à la gestion des programmes d'irrigation, du fait de la contribution accrue des agriculteurs en ressources financières et humaines. La gestion par les agriculteurs étant souvent aussi plus efficace, le coût total baisse, indépendamment de qui le finance. Meinzen-Dick et al. ont documenté cet avantage de manière approfondie:

Le gain le plus tangible et bien documenté de la participation des agriculteurs à L'irrigation est la baisse des coûts pour le gouvernement. Ces économies proviennent de la diminution des coûts de gestion et d'exploitation liée à la réduction du personnel de terrain, à une meilleure conception des projets, à l'augmentation des redevances collectées et à la destruction moins fréquente des installations. L'expérience de nombreux pays appuie cette affirmation. Bagadion et Korten (1991173), par exemple, ont estimé que le gouvernement philippin économisait chaque année douze dollars par hectare grâce aux heures-hommes consenties par les associations d'irrigation pour l'entretien, les réparations, les activités d'amélioration, la distribution de l'eau et la collecte des redevances, ainsi que grâce à la participation financière directe à la réparations des canaux, aux fournitures et aux matériaux174.

L'expérience sénégalaise fournit un autre exemple de baisse des coûts et d'amélioration de l'efficacité lorsque la gestion de L'irrigation est transférée aux agriculteurs, même si cela leur coûte plus cher:

Lorsque la gestion était assurée par un organisme public, les redevances d'irrigation étaient faibles, ainsi que la qualité de service. L'organisme en question effectuait l'entretien, et payait l'électricité irrégulièrement, ce qui se traduisait par un manque de fiabilité des services d'irrigation. Mal supervisé, son personnel de terrain s'en allait après avoir démarré les pompes, avec pour conséquences un pompage excessif et des pannes du système. À l'inverse, les AUE ont mieux supervisé le personnel, réduit les excès de pompage et donc abaissé les coûts d'électricité de jusqu'à 50%. D'autres économies ont été réalisées du fait que les AUE payaient au personnel un salaire inférieur au plein tarif des fonctionnaires. Néanmoins, parce que les associations devaient financer l'intégralité de la consommation d'électricité, l'entretien et un fonds de remplacement des pompes, les redevances des agriculteurs ont doublé et même quadruplé…175

Il est clair que, dans le cadre de la gestion locale des systèmes irrigués, une partie au moins des économies de coûts pour les gouvernements se traduit par une augmentation des coûts pour les agriculteurs. On peut supposer que ceux-ci y gagnent principalement en fiabilité de service, mais, dans la quasi majorité des cas, ils finissent par payer celui-ci plus cher après le transfert des responsabilités.

Bien qu'une réduction de tous les coûts soit possible, en pratique, le transfert de la responsabilité de la gestion de L'irrigation aux AUE entraîne une augmentation des coûts pour les agriculteurs…. Cela est imputable en partie à la suppression des subventions de l'État suite au transfert de la gestion. Si, avant le transfert, les redevances payées pour les services d'irrigation étaient inférieures aux dépenses d'exploitation et d'entretien totales et si, après le transfert, les AUE doivent supporter l'intégralité de ces coûts, il faut que la contribution des agriculteurs augmente (sauf si les gains d'efficacité suffisent à compenser la perte des subventions de l'État). Par exemple, au Mexique, les redevances d'irrigation ont été multipliées par quatre à six lorsque les AUE ayant repris la gestion ont dû couvrir l'intégralité des coûts d'exploitation et d'entretien. À propos de l'Indonésie, Johnson (1993176) montre que, bien que l'élargissement de la participation locale aux programmes de pompage ait multiplié par cinq ou sept les redevances pour l'eau par rapport aux tarifs imposés par le gouvernement, celles-ci ne couvraient encore que 30 à 50% des dépenses de pompage177.

C'est pourquoi la viabilité financière des AUE va dépendre du niveau des coûts totaux (monétaires et de transaction) supportés par les agriculteurs, par rapport à leur niveau de revenu (Meinzen-Dick et al., 1997, p.21).

Après les économies budgétaires, le second avantage plus fréquemment observé des AUE est leur plus grande efficacité dans l'exploitation des réseaux d'irrigation. Meinzen-Dick et al. (1997, p. 87) ont compilé les exemples suivants:

À Azua, en République Dominicaine, l'amélioration de l'efficacité de l'approvisionnement en eau (diminution des pertes) a permis d'économiser 25 à 30% des ressources de L'irrigation après la prise de contrôle par les AUE, ce qui a eu pour conséquence de limiter le besoin de drainage et les investissements apparentés… Au Népal, pendant la saison humide, l'eau est mieux distribuée dans les petits périmètres contrôlés par les agriculteurs que dans les systèmes de grande envergure… La distribution plus équitable de l'eau a constitué un attribut positif des systèmes de pompage gérés par les agriculteurs au Bangladesh… et de l'introduction des AUE à Gal Oya, au Sri Lanka.

Le gain d'efficacité est en partie imputable à un plus faible taux de destruction des installations et à des réactions plus rapides en cas de dommages ou de dégradation:

Pour fournir de l'eau comme il convient à leurs membres, les AUE ont des chances d'être plus attentives à l'entretien des canaux et des ouvrages de tête. À Taiwan, les agriculteurs qui en sont membres effectuent des patrouilles et des inspections systématiques afin d'assurer le bon entretien des systèmes… Des techniciens payés par l'association d'utilisateurs font régulièrement « la police » au Chili. Parce qu'ils sont en contact radio direct avec les agriculteurs, il est en général possible de résoudre les problèmes en une heure, contre des semaines de lenteur bureaucratique lorsque la gestion était assurée par un service public… Au Sri Lanka, on a remarqué que les agriculteurs dont les installations étaient endommagées commençaient à en prendre davantage soin lorsqu'ils étaient organisés en groupes d'eau collectivement intéressés au réseau d'irrigation…178

Ces gains d'efficacité s'accompagnent parfois d'une meilleure résolution des conflits. Une autre observation à propos du projet Gal Oya au Sri Lanka était que:

les groupes [d'utilisateurs] discutaient de leurs problèmes et en parlaient au personnel du service de L'irrigation du gouvernement. Ce processus a grandement amélioré la communication entre les agriculteurs et les fonctionnaires. Les conflits entre agriculteurs ont considérablement diminué et le système amélioré approvisionne mieux en eau les agriculteurs les plus en aval. Soucieux de tenir leurs organisations à l'écart des politiques partisanes, les agriculteurs ont également atténué les tensions ethniques. Dans une zone, le nettoyage collectif d'un canal par les agriculteurs a permis de cultiver pendant la saison sèche 1 000 hectares, laissés auparavant en jachère179.

Les programmes d'irrigation gérés par les agriculteurs ont une longue tradition au Népal, où ils contrôlent 70% de toute L'irrigation. Le gouvernement a néanmoins fortement participé au développement de la nouvelle irrigation, avec des résultats médiocres. Révisant son approche, il encourage maintenant la gestion par les agriculteurs afin d'améliorer les performances de L'irrigation et de réduire le fardeau financier sur son budget du développement et de l'exploitation des systèmes irrigués… Les résultats sont impressionnants. Pendant les deux premières années d'exploitation, 43 sous-projets de surface de la ligne de crédit pour L'irrigation [de la Banque mondiale] ont été terminés sur 61 sous-projets traités… et 81 puits tubulaires ont été forés… La réussite du projet est due à la coopération enthousiaste des agriculteurs et à la qualité de la concertation entre les fonctionnaires et les agriculteurs. Le fait que les associations d'usagers de l'eau s'approprient la supervision et en assument la responsabilité a amélioré la qualité de la construction, ajoutant un élément de transparence fortement nécessaire à l'utilisation des ressources du gouvernement. Les associations ont créé des organisations fortes qui ont atteint un taux satisfaisant de recouvrement des coûts et appliqué des pénalités aux membres qui ne respectaient pas les règles. De nombreuses associations participent également à D'autres aspects du développement de la communauté. (Banque mondiale, 1993, p. 103)

Un exemple en provenance de Tunisie suggère un autre avantage des AUE: la plus grande flexibilité des schémas de culture irriguée. Au fil du temps, cet avantage peut se traduire par une augmentation du revenu des exploitations plus importante que ce n'aurait été le cas autrement. Ce cas illustre aussi comment gouvernement et AUE peuvent partager les coûts:

En Tunisie, il existe depuis quasiment le début du vingtième siècle des associations d'usagers de l'eau, dont le gouvernement colonial français a introduit les bases légales en 1913. Le Gouvernement tunisien a réaffirmé le statut légal de ces associations par une législation de 1975 et de 1987. Pendant les années 1970, cependant, il a renforcé sa participation au développement de L'irrigation. Pendant les années 1980, conscient du fardeau financier et de l'inefficacité de cette approche, il a commencé à redonner du pouvoir aux associations d'usagers de l'eau et à autoriser une participation plus importante du secteur privé… Les plus grandes réussites ont eu lieu dans le sud, où les associations contrôlent désormais pratiquement tous les programmes d'irrigation par forages, allant de 50 à 200 hectares. Les agriculteurs sont responsables de toutes les dépenses d'exploitation et d'entretien, y compris l'embauche de la main d'œuvre et le paiement de l'électricité. Les associations sont bien structurées techniquement et financièrement. Si elles se chargent des réparations de routine, C'est le Gouvernement qui assure les réparations importantes, moyennant une modeste contribution des associations. Un résultat notable de la participation des associations d'utilisateurs est la plus grande flexibilité dont disposent ceux-ci pour s'adapter à l'évolution de la demande du marché pour différentes cultures. Le contrôle gouvernemental antérieur ne permettait pas cette flexibilité180.

Un autre exemple de ce que la gestion de L'irrigation par les agriculteurs facilite la flexibilité des schémas de culture, et des avantages que cela comporte, est donné par L'expérience de la société cooperative Mohini Water Distribution, au Gujarat (Inde):

[Elle] ne serait pas bénéficiaire si elle s'en tenait aux schémas de culture planifiés… Aux prix actuels, la société ne réalise un bénéfice que si l'essentiel de la superficie est consacré à la canne à sucre. Si elle produisait des céréales alimentaires, elle réaliserait des pertes. La Mohini Society est devenue une réussite financière parce que plus de 85% de la surface ont été consacrés à la canne à sucre, au lieu des 18% prescrits181.

Les effets positifs des AUE sur le processus d'identification et de conception des projets, ainsi que sur la qualité de leur construction, ont également été observés. Dans de petits réseaux d'irrigation en Éthiopie, «plus de 40 groupes d'usagers de l'eau se sont créés volontairement au départ, puis ont participé pleinement à l'identification et à la construction des réseaux. Ces groupes ont assumé la pleine responsabilité de l'exploitation et de l'entretien»182.

Doug Vermillion a résumé les principaux résultats d'une étude multinationale systématique des expériences de transfert de la gestion de L'irrigation, menée par l'Institut international d'irrigation (IIMI), au Sri Lanka, en Colombie, en Indonésie et en Inde trois à cinq ans après le transfert. Il en ressort que les effets des AUE ne sont pas toujours franchement positifs:

En dépit de leur hétérogénéité, les résultats empiriques de ces premières années d'expérience du TGI sont dans l'ensemble suffisamment convaincants pour imprimer à cette approche un élan important dans toutes les régions du monde. Les observations de Hatusya Azumi, de l'Institut de développement économique de la Banque mondiale, reflètent bien la solidité de ce consensus:

La gestion participative de L'irrigation a-t-elle un rôle important à jouer? À mon avis, il s'agit du pas le plus important que les gouvernements puissent franchir pour améliorer la productivité et la durabilité des réseaux d'irrigation. Je le répète: «la gestion participative de L'irrigation est le pas le plus important que les gouvernements puissent franchir pour améliorer la productivité et la durabilité des réseaux d'irrigation»184.

6.6.3 Modalités de la gestion locale de L'irrigation

Bien que les AUE constituent la forme principale de gestion de l'eau d'irrigation par les utilisateurs, ce n'est pas la seule. Dans le cas de la province chinoise du Shaanxi mentionné plus haut, outre les AUE et le modèle d'accession des utilisateurs à la propriété par détention de parts, les modalités suivantes sont utilisées:

Contrats. L'organisme public propriétaire de l'infrastructure d'irrigation, qui était traditionnellement responsable de son exploitation et de son entretien, signe un contrat avec un individu (en général, un agriculteur local ou un ancien membre de son personnel). L'organisme conserve les droits de propriété de l'infrastructure au sein du District d'irrigation. En revanche, les droits et la responsabilité de la gestion du réseau sont transférés à l'autre partie. Celle-ci devra en assurer l'exploitation et l'entretien pendant une période fixée, en général 10 à 30 ans. Elle prend toutes les décisions relatives à la gestion de l'eau et est seule responsable des bénéfices et des pertes du contrat. Dans la plupart des cas, l'organisme lui demande d'investir une somme d'argent spécifiée destinée au doublage et à la remise en état des canaux latéraux et sous-latéraux et de fournir un volume d'eau fixe. La partie contractante doit payer une pénalité si elle ne produit pas le volume convenu. Elle détermine la redevance que les agriculteurs paieront pour les services d'irrigation, dans une fourchette définie par l'organisme. Elle doit également collecter les redevances et les transmettre à l'organisme public d'irrigation local. À son tour, celui-ci lui paie les honoraires de gestion contractuels185.

Baux. Le bail est une légère variante du contrat. En général, il ne s'applique que lorsque l'infrastructure d'irrigation est en relativement bon état… et ne nécessite pas d'investissements importants de la part du contractant.

Enchères. Le modèle des enchères est très utilisé dans le district de Jinghuiqu… Dans cette variante du modèle du contrat, l'organisme public d'irrigation local présélectionne trois ou quatre contractants, qui font leur offre pour le contrat d'exploitation et d'entretien du canal latéral…

Compagnies des eaux. Contrairement aux modèles ci-dessus [y compris les AUE et les sociétés en actionnariat collectif] qui ne concernent qu'un ou deux canaux secondaires, les compagnies des eaux couvrent un canal primaire ou un sous-canal primaire et desservent donc tous les canaux secondaires dérivant de l'eau du canal primaire. Cela peut aller jusqu'à 20 canaux secondaires. À ce jour, la plupart de ces sociétés utilisent le modèle d'actionnariat collectif pour financer les importants investissements requis par l'amélioration du canal primaire et de ses multiples canaux secondaires. En général, les parts sont vendues aux agriculteurs, au personnel de la station d'irrigation et aux fonctionnaires locaux, avec certaines restrictions sur le nombre de parts qu'un investisseur peut détenir…186

Lorsque l'on définit le rôle des AUE, il est important de déterminer le niveau du réseau où prend fin la responsabilité des agriculteurs en matière d'exploitation et d'entretien et où commence, ou continue, celle du gouvernement. Si les agriculteurs peuvent être propriétaires de tout le système dans les petits périmètres, comme indiqué plus haut, cette solution est plus difficile à mettre en œuvre dans les grands réseaux. C'est pourquoi, en principe, il est spécifié que la responsabilité des canaux principaux revient au gouvernement et celle des réseaux tertiaires aux agriculteurs. Le choix des variantes est large:

(1) Le gouvernement prend tout en charge. En Malaisie, le Département de L'irrigation et du drainage assure l'exploitation et l'entretien des canaux primaires et secondaires, tandis que les organisations d'agriculteurs parrainées par le gouvernement sont responsables de la distribution de l'eau à chaque exploitation. Les agriculteurs n'ont aucune responsabilité ni pouvoir décisionnaire en ce qui concerne l'eau en amont de leur prise d'eau de distribution.

(2) L'État joue le rôle dominant, les utilisateurs lui apportent de l'aide. Dans les grands réseaux d'irrigation, la gestion est traditionnellement divisée comme suit: l'État assume la responsabilité de l'exploitation et de l'entretien des ouvrages de prise d'eau, tels que barrage ou dérivation de rivière, ainsi que des canaux primaires, secondaires et grands tertiaires, tandis que les agriculteurs sont responsables de la gestion de la distribution de l'eau et de l'entretien le long des canaux de moindre importance. En général, des groupes de 10 à 50 familles d'agriculteurs se retrouvent ainsi à convenir entre elles des modalités de partage.

(3) Les utilisateurs jouent le rôle dominant, l'État facilite. Dans certains pays, les associations d'usagers de l'eau passent avec les organismes publics de l'eau des accords contractuels de fourniture de services spécifiques. Dans le cas du Mexique, la Commission nationale de l'eau gère les ouvrages de prise d'eau et les canaux primaires, tandis que des associations d'usagers de l'eau jouissant d'un statut légal emploient leur propre personnel technique à la gestion des niveaux secondaires et tertiaires des réseaux de canaux. Les agriculteurs paient l'eau à leurs associations et une petite partie de cette redevance est transmise à la Commission nationale de l'eau en paiement de ses services.

(4) Les agriculteurs se chargent de tout. Dans la région des Collines, au Népal, la quasi totalité du périmètre irrigué appartient aux communautés locales, qui ont construit leurs propres réseaux de canaux, en général par dérivation de petits cours d'eau. Des exemples de systèmes locaux gérés par les agriculteurs se retrouvent dans presque tous les pays où L'irrigation joue un rôle important…187

Meinzen-Dick et al. (1997, p. 58) proposent de ranger les variantes de gestion collective en catégories à la fois plus succinctes et plus fines:

Comme l'indiquent ces citations, d'un point de vue opérationnel, il s'agit de déterminer le point intermédiaire où la responsabilité change de main. Un autre type de solution peut encourager la création de fédérations d'AUE. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, par exemple:

Dans les réseaux d'irrigation gérés par les pouvoirs publics, les associations d'usagers de l'eau (AUE) sont encouragées (par exemple, en Tunisie et au Maroc) et ont été introduites avec succès dans de nombreuses autres parties du monde. En général, leurs responsabilités sont limitées à l'exploitation et à l'entretien des réseaux tertiaires. Dans certains pays, des associations d'usagers de l'eau se sont fédérées pour prendre en charge l'exploitation et l'entretien de canaux plus importants et participer à la gestion globale du système; le transfert intégral des petits réseaux publics constitue alors une possibilité souvent envisageable188.
La fédération des AUE a été entreprise énergiquement en Argentine:
Les associations d'irrigation traditionnelles de Mendoza couvraient 100 à 500 hectares, ce qui était insuffisant pour couvrir les coûts. L'entretien et la gestion laissaient à désirer et L'irrigation profitait surtout aux agriculteurs situés à l'amont du réseau. La situation a changé avec leur fusion en associations plus importantes de 5 000 à 15 000 hectares. Vingt et une nouvelles organisations ont été créées, couvrant 200 000 hectares. Chacune d'entre elles est autonome, finance son propre budget et émet ses propres réglementations, en accord avec les dispositions de la récente loi sur l'eau. Elle confie à des gestionnaires professionnels rétribués la charge de tous les problèmes administratifs, tels que distribution de l'eau, recouvrement des coûts et entretien. La diminution du nombre d'associations s'est traduite par une baisse des coûts de gestion. Ces organisations plus importantes ont augmenté l'efficacité du transport de 10% grâce à l'amélioration de la distribution189.

Le lien entre la création de fédérations d'AUE et une distribution plus équitable de l'eau a été clairement mis en lumière par Rice dans son étude des systèmes d'Asie du Sud-est:

L'étude montre que l'on observe plus difficilement un traitement équitable sur les tertiaires plus longs et entre réseaux tertiaires d'une même rigole d'irrigation. Ce sont les zones de commande en tête de réseau, davantage que les agriculteurs en tête de réseau, qui posent un défi majeur à l'équité de la distribution. À ce niveau, les associations et les fédérations formalisées d'AUE primaires peuvent changer les choses. À Lam Pao [en Thaïlande], par exemple, plus les associations de groupes d'usagers de l'eau partageant les mêmes canaux secondaires se renforcent, plus les fonctions et la prééminence des AUE de cours d'eau tendent à diminuer. Cette situation n'a rien d'étonnant parce que, une fois que l'association des dirigeants d'AUE a mis au point une bonne formule de partage de l'eau ou de planning de nettoyage, les réunions au niveau inférieur n'ont plus lieu d'être. Dans les années à venir, le transfert de la responsabilité des activités d'exploitation et d'entretien des organismes publics aux irrigants se concentrera sur ces réseaux de tertiaires190.

En termes plus généraux:

… La répartition des fonctions entre organismes publics et AUE… varie en fonction des niveaux du réseau. En général, l'organisme public contrôle surtout les niveaux les plus élevés et les AUE jouent un rôle plus important aux niveaux inférieurs. Cependant, la division exacte des responsabilités varie largement d'un pays à l'autre… Au niveau du réseau principal, les utilisateurs interviennent parfois dans la prise de décision… mais l'organisme public conserve un rôle fort de réglementation, de propriété et d'exploitation et d'entretien. Quelques petits réseaux… reconnaissent également aux AUE la propriété du réseau primaire. La gestion partagée s'observe fréquemment au niveau du sous-réseau ou de la rigole d'irrigation, qu'il s'agisse du partage programmé des responsabilités d'exploitation et d'entretien ou de la prise en charge informelle par les agriculteurs de certaines tâches. En général, les plans de transfert de gestion des grands réseaux ne prévoient un éventuel passage de la propriété et de la responsabilité de l'exploitation et de l'entretien aux AUE qu'au niveau du sous-réseau ou de la rigole.
En dessous de la prise d'eau de distribution la plus basse, au niveau des rigoles d'arrosage, la participation de l'organisme public est en général très faible… Malheureusement, à moins que les agriculteurs aient convenablement participé au processus de conception et de construction, ils ne reprennent pas à leur compte la propriété ou la responsabilité permanente des rigoles. Dans ce cas, à moins qu'ils ne possèdent un contrôle quelconque sur la distribution de l'eau en provenance du réseau principal, la propriété au niveau de la rigole d'arrosage n'a que peu de valeur191.

Meinzen-Dick et al. abordent également la question de la propriété des systèmes irrigués par les agriculteurs, soulevée dans la section consacrée au prix de l'eau:

La propriété du réseau d'irrigation s'accompagne de droits et de devoirs clairs. Elle comporte comme actifs les plus importants les ouvrages, le matériel, l'eau et D'autres éléments de patrimoine (tels que poissons ou arbres). Elle s'appuie sur une participation financière au moins partielle aux investissements, et sur l'engagement à supporter l'intégralité des coûts récurrents de propriété. Dans le même temps, elle permet de mieux contrôler les biens et garantit le droit d'en tirer un revenu, ce qui incite davantage à s'occuper de la gestion. Si, dans la majorité des cas, l'État revendique la propriété des installations et des droits d'eau, de nombreux réseaux traditionnels gérés par les agriculteurs relèvent de la propriété des AUE. Elle est également intégrée à un nombre croissant de plans de transfert de gestion…… Choisir comme stratégie de transfert de gestion l'attribution des droits de propriété aux AUE est susceptible de renforcer la responsabilisation des communautés concernées et de les inciter à prendre en charge les activités d'exploitation et d'entretien du réseau. Lorsqu'il n'est pas possible - pour des raisons pratiques ou politiques - de donner la propriété aux AUE, il faut attribuer des droits clairs (tels que le droit d'exclure des tiers ou de prendre des décisions contraignantes) dans le but de renforcer les AUE et d'améliorer l'efficacité de la gestion du système. (Extrait de R. Meinzen-Dick et al., 1997, p. 61; souligné dans l'original)

D'une manière générale, le principe à retenir est que le transfert de responsabilités ne dépend pas du volume d'eau mais du type d'utilisateur. Si, en aval d'un point donné, la seule utilisation est L'irrigation, C'est là que doit commencer la responsabilité des agriculteurs, quelle que soit la superficie irriguée et la forme institutionnelle choisie: AUE, fédération d'AUE, etc. En Asie, les AUE ne gèrent en général que les canaux tertiaires. En revanche, il n'est pas rare en Amérique latine qu'elles gèrent tout un réseau en aval de la prise d'eau du canal principal sur le fleuve. Il est important de noter que ces périmètres couvrent parfois 50 000 ha et même jusqu'à 100 000 ha. Les dispositions institutionnelles varient en fonction des caractéristiques du processus de transfert. Au Pérou, chaque district d'irrigation dispose de sa propre AUE (Junta de Usuarios), qui, à son tour, est divisée en commissions d'irrigants (Comisiones de Regantes), chacune gérant un canal secondaire. Au Mexique, les AUE (Módulos de Riego) sont responsables des canaux secondaires et regroupées en fédérations (sous forme de sociétés) au niveau du district pour la gestion du canal principal.

Le cas du Chili illustre le rôle que l'État continue à jouer, quelles que soient les dispositions relatives aux AUE:

Les associations d'utilisateurs du Chili ont été responsabilisées et ont pris en charge de nombreuses fonctions. Cependant l'État conserve un rôle clairement défini, à savoir l'exercice de fonctions d'adjudication (lorsque les demandes de droits d'eau concernent une source d'eau naturelle, par exemple) et la résolution de conflits internes sujets à forte controverse (accords relatifs à l'allocation de l'eau en périodes de sécheresse prolongées, par exemple). Même quand on ne demande pas à l'État de régler les différends, le fait qu'il puisse intervenir suffit à inciter les utilisateurs à se mettre d'accord192.

140 Op. cit., p. 177.

141 N. P. Sharma et al., 1996, p. 60

142 R. K. Sampath, 1992, p. 974.

143 FAO, 1993, pages 274–275.

144 M. Thobani, 1997, p.177 [souligné par nous].

145 R. R. Hearne et K. W. Easter, 1995, p. 41. Pour d'utiles études de cas sur le fonctionnement des marchés de droits d'eau au Brésil, en Espagne et aux Etats-Unis d'Amérique, voir Manuel Mariño et Karin E. Kemper (eds.), Institutional Frameworks in Successful Water Markets, Word Bank Technical Paper № 427, Banque mondiale, Washington D.C., USA, 1999.

146 «L'expérience montre qu'il est essentiel d'expliquer aux utilisateurs et aux autres groupes concernés les avantages de droits de propriété de l'eau formalisés. Une campagne d'information bien conçue peut surmonter la résistance à la réforme de puissants intérêts existants». (M. Thobani, 1997, p. 173).

147 FAO, 1993, p. 268.

148 FAO, 1993, p. 291 [souligné par nous].

149 FAO, 1993, p. 296.

150 D. L. Vermillion et Juan A. Sagardoy, 1999.

151 Banque mondiale, 1993, p. 15 [souligné par nous]. Voir aussi Banque mondiale, 1994, p. 23.

152 M. W. Rosegrant et H. P. Binswanger, 1994, p. 1614.

153 Banque mondiale, 1993, p. 55.

154 Monopoles naturels créés par les économies d'échelle de la fourniture d'eau, manque d'internalisation des externalités par les responsables des décisions économiques relatives à l'allocation de l'eau.

155 FAO, 1993, p. 264 [souligné par nous].

156 R. Meinzen-Dick et al., 1997, pages 11–13.

157 Op. cit., p. 13.

158 Banque mondiale, 1994, p. 52.

159 A. Subramanian, N. V. Jagannathan et R. Meinzen-Dick, Executive Summary, dans A. Subramanian, N. V. Jagannathan et R. Meinzen-Dick, 1997, pages xii-xiii.

160 N. P. Sharma et al., 1996, p. xvi.

161 Op. cit., p. 68 [souligné dans l'original].

162 Op. cit., p. 50.

163 Op. cit., p. 53.

164 A. Subramanian, N. V. Jagannathan et R. Meinzen-Dick, 1997, pages 5–6.

165 Coordinateur: Matthew Hebreger, Banque mondiale, fax: (202) 676-0977. L'adresse du site Web de l'INPIM est http://www.inpim.org.

166 FAO, 1993, p. 293.

167 Oblitas et Peter, 1999, pages 1 et 2.

168 M. W. Rosegrant et H. P. Binswanger, 1994, p. 1615 [souligné par nous].

169 Banque mondiale, 1993, p. 55.

170 FAO, 1993, pages 292–293.

171 Ce point est soulevé par Elinor Ostrom, Larry Schroeder et Susan Wynne, Institutional Incentives and Sustainable Development: Infrastructure Policies in Perspective, Westview Press, Boulder, CO, États-Unis d'Amérique, 1993, pages 136–137.

172 Cecilia M. Gorriz, Ashok Subramanian et José Simas, Irrigation Management Transfer in Mexico: Process and Progress, Bulletin technique Banque mondiale № 292, Banque mondiale, Washington, D.C., 1995, p. 38 [souligné dans l'original]. Ces résultats s'appuient sur une enquête menée par le Colegio de Postgraduatos, México: Diagnóstico sobre la Administración de los Módulos Operados por las Asociaciones de Usuarios, México, 1994.

173 B. U. Bagadion et F. F. Korten, Developing Irrigators' Organizations: A Learning Process Approach, dans: M. M. Cernea, éd., Putting People First: Sociological Variables in Rural Development, 2ème éd., Banque mondiale, Washington, D.C., 1991.

174 R. Meinzen-Dick et al., 1997, p. 88–89.

175 Ibid.

176 S. H. I. Johnson, Can Farmers Afford to Use the Wells after Turnover? A Study of Pump Irrigation Turnover in Indonesia. Collection de rapports courts sur le transfert de gestion de L'irrigation, № 1, Institut international d'irrigation, Colombo, Sri Lanka, 1993.

177 R. Meinzen-Dick, et al., 1997, p. 89.

178Op. cit., pages 87–88.

179 Banque mondiale, 1993, pages 103–104.

180 Op. cit., p. 104.

181 R. Meinzen-Dick, et al., p. 50.

182 Sharma et al., 1996, p. 48.

183 Doug Vermillion, Impacts of Irrigation Management Transfer: Results from IIMI's Research, INPIM Newsletter, № 7, avril 1998, p. 3.

184 Cité dans: David Groenfeldt, compilateur, Handbook on Participatory Irrigation Management, L'Institut de développement économique, Banque mondiale, Washington, D.C., avril 1998, p. 2 [souligné par nous].

185 Ce modèle est similaire à celui de la franchisation d'exploitation des installations d'irrigation construites par les pouvoirs publics, noté par Rosegrant et Binswanger, 1994, cité plus haut.

186 Six Irrigation Management Models from Guanzhong, op. cit., 2001, pages 8–9.

187 D. Groenfeldt, 1998, pages 4–5.

188 Banque mondiale, 1994, p. 50.

189 Banque mondiale, 1993, p. 102.

190 E. B. Rice, 1997, pages 54–55 [souligné dans l'original].

191 R. Meinzen-Dick et al., 1997, pages 58, 62 et 64 [souligné dans l'original].

192Op. cit., p. 63.


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