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CHAPITRE 7
POLITIQUES DE FINANCEMENT AGRICOLE ET RURAL (Cont.)

7.5.7 Questions de genres dans le financement rural

Le travail de Khandker (1998) cité plus haut vient étayer le consensus grandissant sur le fait que, dans le cadre du financement rural, les femmes constituent de meilleurs risques de crédit et qu'elles utilisent mieux les fonds empruntés pour améliorer le bien-être de la famille. Les microprêteurs n'ont pas tardé à cibler les femmes dans leurs programmes:

Un succès important du mouvement de la microfinance, c'est qu'il est parvenu assez bien à toucher délibérément les femmes pauvres vivant dans divers environnements socioéconomiques. 95% des quelque 90 000 membres de banques villageoises dans le monde ayant bénéficié de prêts de la Foundation for International Community Assistance (FINCA), sont des femmes. La Association for Social Advancement (ASA), l'une des principales institutions de microfinancement du Bangladesh, a prêté 200 millions de dollars à des femmes uniquement. Au Malawi, 95% des prêts consentis par le Malawi Mudzi Fund vont à des femmes. Depuis 1979, la Banque mondiale des femmes (Women's World Banking, WWB) a accordé plus de 200 000 prêts à des femmes à faibles revenus dans le monde. Littéralement des centaines d'exemples similaires s'observent en Asie, en Afrique et en Amérique latine120.

En dépit de ces avancées, les prêts ruraux sont toujours accordés de manière prédominante aux hommes. La FAO fournit plusieurs exemples concrets de la répartition par genres du crédit rural; bien qu'ils soient un peu anciens aujourd'hui, le schéma n'a guère changé dans de nombreux pays:

Une étude des programmes de crédit menée en 1990 au Kenya, au Malawi, en Sierra Leone, en Zambie et au Zimbabwe a montré que les femmes recevaient moins de 10% du crédit consenti aux petits exploitants, et seulement 1% du crédit total à l'agriculture.

Bien que leur part ait été en augmentation, en 1989 les femmes ne recevaient que 20% du crédit des programmes de développement rural intégré du gouvernement indien.

Dans une étude menée au Kenya, seuls 3% des agricultrices interrogées avaient obtenu du crédit d'une banque commerciale, contre 14% pour leurs homologues masculins. De la même manière, au Nigeria, le rapport était de 5% contre 14.

En 1992, les femmes ne représentaient que 12% des emprunteurs du programme de crédit aux petits agriculteurs de l'Institut de développement agricole chilien121.

Quelques unes des raisons avancées par la FAO pour cette distorsion en faveur des hommes en matière de prêt, en dépit de la meilleure productivité moyenne des fonds prêtés aux femmes, sont les suivantes:

Bien que ces obstacles puissent paraître insurmontables, l'expérience de nombreuses institutions de microfinancement a montré qu'ils ne le sont pas et que, de fait, les femmes constituent fréquemment la vaste majorité de leurs clients. Une politique œuvrant en ce sens peut aider à les vaincre, en procédant, par exemple, comme décrit ci-après123:

  1. Mettre à la disposition des institutions financières des documents et une formation qui leur feront prendre conscience de l'intérêt et de l'importance de cibler davantage les femmes, et permettront de renforcer leur capacité à atteindre ce groupe, pour l'épargne comme pour le crédit.
  2. Donner aux agricultrices des notions de base de lecture, d'écriture, de calcul, de gestion de trésorerie et des exigences des programmes de crédit. Dans certains cas, les institutions de crédit pourraient bénéficier de subventions pour des volets formation de cette nature.
  3. Supprimer les contraintes juridiques et réglementaires qui peuvent limiter l'accès des femmes aux dispositifs d'épargne et de crédit, tels que la nécessité que le «chef de famille» autorise les contrats d'emprunt et les dépôts d'épargne.
  4. Réformer les lois sur la propriété foncière pour renforcer les droits des femmes aux terres, qui servent souvent de garantie.
  5. Lors de la mise en place d'une législation sur l'usage des biens mobiliers comme garantie (voir section 7.4 ci-dessus), intégrer les bijoux et autres objets domestiques susceptibles d'appartenir aux femmes. Dans de nombreux pays, le potentiel des femmes, et surtout des femmes rurales, à devenir clientes des institutions financières constitue la plus importante possibilité d'élargissement de la clientèle de ces organisations. L'expérience suggère que les indicateurs de performance d'une institution financière ont de bonnes chances de s'améliorer si les femmes représentent une plus forte proportion de sa clientèle.

7.6 APPROCHES DE GESTION DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES RURALES124

7.6.1 Autonomie

Pour les intermédiaires financiers gouvernementaux, la réflexion sur la gestion commence par une exigence essentielle: l'autonomie. L'ingérence des gouvernements dans les opérations de ces intermédiaires, pour des raisons politiques et au nom d'objectifs sociaux, a considérablement compliqué leurs activités et sapé leur durabilité. Yaron et al. décrivent cela clairement:

D'une manière générale, les performances financières de quasiment toutes les institutions de financement rural appartenant aux gouvernements ont été extrêmement médiocres. La plupart d'entre elles sont demeurées extrêmement dépendantes des subventions. Dans la plupart des États indiens, les arriérés, exprimés en proportion des sommes dues ou en retard, tournent autour de 50%. Le taux de recouvrement de la BANRURAL du Mexique était d'environ 25% à la fin des années 80 (hors recouvrements de la compagnie d'assurance agricole nationale, déficitaire). Les recouvrements de l'Agence de petit crédit agricole du Malawi ayant chuté de près de 90% lors des toutes dernières élections, elle a été déclarée insolvable. L'inflation a érodé la valeur réelle des fonds propres des institutions financières rurales d'État de toute l'Amérique latine pendant les années 80 en raison du faible recouvrement des prêts et de taux prêteurs agricoles qui ne suivaient pas l'inflation.

Le coût économique de ces performances décevantes a été énorme et a souvent compromis la stabilité macroéconomique. Par exemple, les subventions au crédit agricole totalisaient 2,2% du PNB du Brésil en 1980 et 1,7 du PNB du Mexique en 1986… Dans plusieurs cas, il était même impossible de mesurer les subventions en raison de la mauvaise qualité des pratiques comptables…

La cause de ces mauvaises performances est évidente: l'ingérence s'est toujours caractérisée, et généralement encore aujourd'hui, par un manque d'autonomie de gestion des institutions financières rurales et la médiocrité de leurs procédures opératoires125.

À cause de ces difficultés, la plupart des institutions financières rurales d'État jouent un rôle beaucoup moins important dans le secteur qu'au cours des années 70. Les rares exceptions, telles que la Bada Kredit Kecamatan (BKK) et la Banque Rakyat Indonesia (BRI) en Indonésie, ou la Bank for Agriculture and Agricultural Cooperatives (BAAC) en Thaïlande, sont des institutions gouvernementales qui ont atteint le degré le plus élevé d'autonomie dans leur fonctionnement.

7.6.2 Politiques de taux d'intérêts et de prêt

Les politiques de taux d'intérêts ont été abordées dans l'ensemble de ce chapitre. Il suffit de dire ici que la gestion des institutions financières rurales devrait comporter une politique de taux d'intérêts flexibles, proches des taux du marché, et ne pas subventionner les taux appliqués aux emprunteurs. Si des taux excessivement élevés risquent de conduire à une sélection contre-productive des clients, comme mentionné plus haut, ils doivent cependant l'être assez pour couvrir le coût des dépôts plus les marges d'intermédiation (dont les bénéfices) et un modeste provisonnement sous la forme d'une réserve pour créances douteuses, surtout pendant les premières années d'activité. Arriver aux taux les mieux adaptés peut prendre du temps, selon les résultats des efforts pilotes de mobilisation de l'épargne. Après l'introduction des dépôts d'épargne dans une institution:

… on doit envisager de modifier les taux prêteurs de façon à ce que la marge entre ceux-ci et les taux servis sur les dépôts suffise à couvrir tous les frais et à assurer un bénéfice…… [il faut] procéder par tâtonnements pour trouver les bons taux126.

Cependant,

Les programmes pour microentreprises peuvent appliquer des tarifs très supérieurs à ceux des institutions financières structurées, tout en demeurant moins coûteux que les solutions proposées par le secteur informel. Par ailleurs, les études ont montré que les microentreprises emprunteuses sont beaucoup plus sensibles à la disponibilité et à la commodité du crédit qu'au taux d'intérêts (Christen, 1989127). Les coûts non financiers de transaction normalement subis par les emprunteurs sont énormes par rapport au coût des intérêts128.

Des politiques de crédit novatrices ont permis les prêts non garantis. Elles concernent les critères d'éligibilité des emprunteurs, les mesures d'incitation au remboursement et les techniques de contrôle du comportement des emprunteurs. Ces nouvelles politiques répondent aux trois problèmes de base auxquels sont confrontés les prêteurs des marchés du crédit rural, décrites dans la section 7.1 ci-dessus: sélection des emprunteurs potentiels, mise en place d'incitations à respecter les conditions des prêts et exécution coercitive des obligations de remboursement.

Le prêt collectif occupe une place de choix parmi les nouvelles techniques de crédit. Conçue en partie pour résoudre les problèmes de sélection des clients potentiels que complique fréquemment l'asymétrie d'information entre prêteurs et emprunteurs, cette approche traite aussi ceux d'incitation et d'exécution des engagements. «Si les clients sont mieux informés sur leurs investissements respectifs que le prêteur, et s'ils sont prêts à jouer le jeu coopératif, le fait qu'ils garantissent mutuellement leurs contrats peut améliorer les conditions de prêt qui leur sont faites, sans réduire le revenu attendu par les prêteurs. Ceci est possible parce que la garantie collective est à même d'augmenter le niveau d'effort et de réduire les taux de défaillance sur les prêts»129.

La Grameen Bank du Bangladesh a été la première à lancer un programme nécessitant que les emprunteurs se constituent en groupes de cinq, dont chaque membre garantit les prêts des autres. Dans un premier temps, les prêts ne sont accordés qu'à deux personnes, et l'octroi de prêts aux autres membres du groupe dépend des performances des deux premiers emprunteurs. Une approche similaire avait été mise en place au Mexique encore plus tôt pour les petits programmes de crédit rural, sous le nom de grupos solidarios. L'Albanie a adopté une version extrême de ce principe de responsabilité partagée puisque «si un emprunteur ne rembourse pas un prêt, la ligne de crédit de tout son village risque d'être suspendue»130.

Parmi d'autres caractéristiques spécifiques, on pourrait dire que ces approches collectives substituent des garanties sociales, ou «surveillance par les pairs», à des formes plus tangibles de garanties. Voici deux manières possibles d'appliquer ce concept:

Les deux moyens les plus fréquemment utilisés pour que le groupe assume ses responsabilités sont (a) la responsabilité conjointe à plusieurs et (b) la responsabilité limitée. La responsabilité conjointe à plusieurs favorise une sélection extrêmement rigoureuse des membres, parce que chacun d'entre eux peut être tenu pour responsable des défaillances des autres. Cela présente cependant le risque de décourager les personnes relativement aisées de se joindre au groupe, puisqu'elles ont davantage à perdre. Dans le Zimbabwe rural, des programmes basés sur la responsabilité conjointe à plusieurs ont bien fonctionné en périodes de production normale, mais ont eu des résultats pires que d'autres programmes de la même région en périodes de sécheresse et de faible production. La crainte de la défaillance a conduit les agriculteurs à geler leurs remboursements en espérant une amnistie générale, puisque, dans tous les cas, ils seraient responsables des dettes des autres membres.

Les programmes de prêts collectifs basés sur la responsabilité limitée sont plus fréquents. Au Malawi et au Népal, les emprunteurs doivent placer une partie du montant de leur prêt dans un fonds qui sera confisqué en cas de défaillance de l'un des membres du groupe. Si tous les membres remboursent leurs prêts, ces dépôts sont restitués. Cette pratique s'est traduite par des taux de remboursement satisfaisants. Au Malawi, où 10% du montant des prêts étaient retenus en garantie, 97% du crédit saisonnier versé entre 1969 et 1985 ont été recouvrés. Dans le cadre du Programme de développement des petits agriculteurs du Népal, qui exigeait des dépôts de sécurité de 5%, le taux de remboursement atteignait 88% en 1984. Ces chiffres n'ont rien à envier à ceux des autres programmes de crédit ciblant les petits emprunteurs131.

Quand faut-il recourir au prêt collectif?
  • Lorsque les communautés sont très solidaires.
  • Lorsque… les coûts de transaction sont élevés au démarrage.
  • Lorsque les membres potentiels du groupe sont à même d'obtenir des informations au sujet les uns des autres à un coût moins élevé que la banque.
  • Lorsque les personnes n'ont rien qui puisse servir de garantie.
Consignes pour une meilleure utilisation du prêt collectif:
  • Privilégier des petits groupes homogènes qui assumeront en partie la responsabilité du contrôle de leurs fonds.
  • Appliquer des pénalités (par exemple: interdire de nouveaux prêts à une personne défaillante) et mettre en place des mesures d'incitation (par exemple: promettre des prêts de montants plus élevés aux personnes qui remboursent aux dates convenues).
  • Instituer le prêt séquentiel (pour permettre aux groupes d'éliminer les risques douteux).
Risques associés aux prêts collectifs:
  • Risque de mauvais résultats et de non exécution des obligations contractuelles.
  • Risque de corruption et de contrôle par un noyau puissant ou un leader au sein du groupe.
  • Risque covariant en raison d'activités de production similaires…
  • Risque de consacrer beaucoup de temps et d'argent à la création de groupes viables.
  • Risque que le départ d'un leader compromette la viabilité du groupe.
  • Risque de resquille (qui peut être réduit si le groupe est à même d'appliquer des pénalités à ses membres).
(Extrait de J.Yaron, M.P.Benjamin et G.L.Piprek, 1997, p. 108).

La Grameen Bank pratique une approche un peu différente du prêt collectif:

Les clients de la banque, qui sont tous très pauvres, sont organisés en groupes de cinq. Chaque membre du groupe doit épargner régulièrement chaque semaine avant de pouvoir demander un prêt. Les deux premiers emprunteurs du groupe doivent effectuer plusieurs remboursements hebdomadaires réguliers de leurs prêts avant que les autres membres du groupe puissent emprunter… la Grameen Bank a connu d'excellents taux de recouvrement de prêts. Depuis février 1987, environ 97% des prêts ont été recouvrés dans l'année suivant leur versement et près de 99% en deux ans132.

La même étude (p. 117) lance un avertissement concernant le mode d'organisation de ces programmes:

Les groupes ont souvent été créés à l'initiative des gouvernements ou de services de développement privés. Cette approche verticale signifie que les programmes peuvent prendre rapidement de l'ampleur, mais elle risque aussi d'affaiblir les sanctions locales (ibid.).

Au Kenya, le Juhudi Credit Scheme organise ses clients en associations de trente membres baptisées KIWA. «L'épargne précède le prêt. Quand une KIWA a épargné pendant huit semaines d'affilée, dix-huit de ses membres peuvent obtenir un prêt. Les douze autres ont droit à un prêt lorsque les dix-huit premiers ont remboursé aux moins quatre échéances sans défaillance. Tous les membres de la KIWA alimentent le fonds d'épargne du groupe sans interruption. Quand les membres ont remboursé les prêts en cours, ils ont droit à de nouveaux prêts, pourvu que les autres membres de la KIWA continuent à satisfaire à leurs obligations»133.

7.6.3 Autres incitations à rembourser

Dans le même esprit, la Grameen Bank et d'autres institutions pratiquent également le prêt à escaliers: les emprunteurs commencent par des prêts de très faibles montants, qui augmentent graduellement en fonction de l'historique des remboursements. Le programme KUPEDES du système d'unités Desa de la BRI établit avec précision l'éligibilité au renouvellement des prêts en fonction des performances de remboursement du prêt en cours. Si tous les paiements sont effectués à la date prévue, l'emprunteur a droit à une augmentation de 100% du montant de son prêt. Si le dernier paiement est effectué dans les délais mais qu'une ou deux mensualités ont été réglées en retard, l'augmentation autorisée est de 50%. Si le paiement final est effectué dans les délais mais que trois mensualités ou plus ont été réglées en retard, aucune augmentation n'est autorisée, mais l'octroi d'un nouveau prêt est possible. Si la dernière traite est réglée en retard, mais dans les deux mois suivant sa date d'échéance, le nouveau prêt est inférieur de 50% au prêt en cours. Si le dernier remboursement intervient avec un retard supérieur à deux mois, aucun nouveau prêt n'est consenti134.

Une autre approche consiste à accorder à un emprunteur qui rembourse par anticipation l'intégralité du prêt, une remise sur une partie des intérêts cumulés payés.

Les techniques suivantes, spécialement conçues pour les emprunteurs pauvres, permettent elles aussi d'améliorer les taux de recouvrement des prêts:

  1. Paiements fréquents, souvent hebdomadaires, sur le restant dû, afin que le remboursement demeure une priorité du client (cependant, il s'agit là d'un exemple de technique évidemment non applicable à la majorité des prêts agricoles).
  2. Suivi fréquent de la situation du client, par exemple par des visites hebdomadaires à son exploitation ou son lieu de travail.
  3. Visites immédiates à l'emprunteur en cas de retard de paiement. Cela nécessite un système fournissant des informations actualisées quotidiennement, comme c'est le cas pour BancoSol en Bolivie.
  4. Installation des prêteurs «à proximité du lieu de travail des emprunteurs»135.

Cette dernière technique peut être remplacée par un guichet itinérant:

La Banque agricole nationale du Maroc a doublé son réseau bancaire en ouvrant des guichets saisonniers dans des bureaux locaux existants du ministère de l'Agriculture. Plusieurs intermédiaires financiers ruraux ont employé des agents qui se rendent régulièrement dans les villages à moto ou à pied pour dispenser des services financiers136.

L'assistance technique peut utilement informer les institutions financières rurales de ces autres approches et les aider à mettre en place de bons systèmes d'information de gestion permettant de détecter tôt les problèmes de portefeuille ou de politique de prêts.

7.6.4 Techniques de mobilisation de l'épargne

La mobilisation de l'épargne rurale est une préoccupation récente dans la pratique des politiques de développement - elle date pratiquement des années 80. Comme dit plus haut, du point de vue des ménages ruraux, l'accès à des moyens fiables d'épargne peut être plus urgent que l'accès aux prêts:

Le besoin d'une épargne sûre, liquide et rémunératrice est souvent plus important que le besoin de crédit, parce que l'épargne permet au client de mieux lisser la consommation avec ses propres ressources et lui évite le poids des remboursements de dette pendant les périodes où ses revenus baissent137.

Marguerite Robinson a cité l'expérience d'un villageois indonésien quant à l'épargne:

Avant, j'épargnais en chèvres, mais les chèvres demandent beaucoup de travail. Maintenant, les bergers vont tous à l'école et leurs parents ont des emplois. Maintenant, nous n'avons plus le temps d'épargner en chèvres. Nous préférons épargner à la banque138.

Néanmoins, comme déjà dit, la plupart des petites institutions financières rurales financées de l'extérieur commencent par se contenter de prêter. Mais pour atteindre la durabilité, il leur faut également devenir une institution d'épargne et tôt ou tard elles se trouvent confrontées au problème de cette transition. Dans son synopsis du travail de Marguerite Robinson, Joyita Mukherjee a résumé les raisons qui justifient d'accorder la priorité aux dépôts d'épargne:

La mobilisation de l'épargne volontaire locale pourrait constituer la source de financement la plus abondante et la plus rapidement disponible pour certaines institutions de microcrédit. Une deuxième bonne raison pour que les institutions de microfinancement commencent à mobiliser l'épargne volontaire est l'existance dans les pays en développement d'une forte demande non satisfaite de services institutionnels d'épargne à l'échelle locale139.

Cependant, lorsque la participation à un mécanisme d'épargne dépasse le petit cercle local, il faut se poser la question du besoin de supervision bancaire, tout en se rappelant les arguments évoqués plus haut contre l'introduction prématurée d'exigences de supervision:

Dans l'intérêt de leurs clients, et surtout des déposants, il faut que les institutions qui mobilisent l'épargne volontaire soient supervisées par les pouvoirs publics. Pour cela, il faut, bien entendu, que le gouvernement soit disposé à modifier la surveillance qu'il exerce sur les opérations bancaires, afin que les règles appliquées aux institutions de microfinancement soient adaptées à leurs activités, et que l'organisme de surveillance soit capable de surveiller efficacement leurs opérations. … Avant de mobiliser l'épargne volontaire de la population, l'institution de crédit doit démontrer qu'elle a toujours géré judicieusement ses propres fonds. En d'autres termes, elle doit être solvable, justifier d'un taux de recouvrement élevé et d'une bonne rentabilité. La bonne réputation des institutions est importante car, dans de nombreux pays, des particuliers à faible revenu qui avaient confié leurs économies de toute une vie à de petites institutions financières non supervisées ont tout perdu140.

Robinson et Mukherjee insistent sur l'importance, pour la mobilisation de l'épargne, d'une politique macroéconomique saine et d'un environnement juridique et réglementaire adapté, incluant une capacité suffisante de contrôle des institutions de dépôt. En outre, ces deux auteurs dégagent, à propos de la transformation que l'introduction des dépôts d'épargne provoque dans la nature et le travail des institutions de prêt, plusieurs enseignements importants qu'il vaut mieux leur laisser présenter eux-mêmes:

Ajouter l'épargne volontaire à un programme de microcrédit modifie fondamentalement le programme

Il faut que l'institution soit prête à ces changements et ne s'imagine pas qu'on ajoute l'épargne comme on ajoute «n'importe quel autre produit». Dans les pays où il existe une forte demande non satisfaite de services d'épargne, les institutions de microfinancement qui offrent des prêts et des instruments d'épargne bien conçus ont beaucoup plus de comptes d'épargne que de prêts. Dans le réseau de banques locales de la BRI, on dénombre six fois plus de comptes de dépôt que de prêts. À la Banque Dagang Bali, le rapport des comptes d'épargne aux comptes de prêt est de 30/1. Cet état de choses tient au fait que la plupart des clients des institutions de microfinancement veulent pouvoir épargner à tout moment, tandis que la plupart ne désirent emprunter qu'une fois de temps en temps.

L'offre de services d'épargne volontaire se traduit donc par l'addition d'un grand nombre de nouveaux clients - qui elle-même se traduit par une expansion au niveau des agents, des cadres, des bureaux, des systèmes, des communications, de la formation du personnel, de la sécurité… on doit envisager de modifier les taux prêteurs de façon que la marge entre ceux-ci et les taux servis sur les dépôts suffise à couvrir tous les frais et à assurer un bénéfice.

L'épargne obligatoire et l'épargne volontaire sont incompatibles

L'épargne obligatoire [pour ouvrir droit à des prêts] et la mobilisation de l'épargne volontaire relèvent de deux philosophies totalement différentes. La première part du principe qu'il faut apprendre aux pauvres à économiser et à suivre une certaine discipline financière. La deuxième suppose que les pauvres épargnent déjà, et qu'ils ont besoin d'institutions et de services adaptés à leurs besoins. Il se peut que les clients des institutions de microfinancement répugnent à placer une épargne volontaire dans des comptes d'épargne obligatoire, voire même dans d'autres comptes auprès d'une même institution. Ils savent qu'ils ne pourront pas retirer leur épargne obligatoire tant qu'ils n'auront pas remboursé leurs prêts … et ils craignent qu'il leur soit de facto également difficile d'avoir accès à leur épargne volontaire.

… L'expérience avec la mobilisation de l'épargne nous a enseigné que c'est le personnel qu'il faut former, et non pas les clients!

Les instruments doivent être conçus et tarifés simultanément

Toute institution qui tient à être pleinement autonome doit … établir entre les taux prêteurs et les taux servis aux épargnants une marge qui lui permette de réaliser des bénéfices … elle doit procéder par tâtonnements pour trouver les bons taux … un instrument d'épargne caractérisé par sa facilité et sa rapidité d'accès (liquidité) et qui est très demandé peut engendrer un travail considérable. Un tel instrument coûte cher à l'institution, à plus forte raison si elle détient un grand nombre de très petits comptes … Lorsqu'on fixe les taux d'intérêts servis sur les dépôts, on doit prendre en compte les frais de personnel et les autres coûts non financiers. Cependant, ces frais sont difficiles à déterminer d'avance et on doit procéder à des essais pilotes pour s'en faire une idée exacte.

L'introduction de l'épargne volontaire exige également des changements dans les services de prêt. Par exemple, si l'institution n'accordait auparavant que des prêts collectifs, elle doit envisager d'introduire les prêts individuels dans son portefeuille….

lorsqu'une institution ajoute des services de dépôt, elle doit relever le montant maximal des prêts…. Les plus gros épargnants peuvent et veulent souvent faire de plus gros emprunts. Ceux qui sont forcés de s'adresser ailleurs à cause des plafonds de prêt, mais ne remplissent pas encore les conditions des banques commerciales, sont en situation difficile. Si, par contre, une institution de microfinancement aide un emprunteur à long terme à obtenir des prêts plus importants et le recommande aux autres banques quand il remplit les conditions voulues, elle conserve la fidélité du client et, au moins en partie, son épargne. La Banque Dagang Bali garde ses bons emprunteurs en leur offrant des prêts toujours plus élevés à mesure que leurs entreprises prospèrent. À terme, certains peuvent obtenir ailleurs des conditions d'emprunt plus favorables, mais ils continuent généralement à déposer leur épargne à la banque Dagang Bali.

Les instruments de dépôt doivent être adaptés à la demande locale

… [les] services d'épargne [doivent répondre] aux exigences locales de sécurité, commodité d'accès et choix d'instruments combinant différemment liquidité et rendement. Dans le cas de la BRI, le réseau de banques qui avait mobilisé 17 millions de dollars au cours de ses dix premières années d'exploitation (1973–83), en a mobilisé 3 milliards entre 1984 et 1996 … Des instruments de dépôt ont donc été formulés spécialement pour répondre à l'éventail de la demande locale.

Le besoin de formation des ressources humaines est substantiel

Il est plus difficile de gérer un intermédiaire financier qu'un établissement de crédit, d'autant que la taille de l'organisation augmente souvent à un rythme rapide. Il devient urgent de donner une formation aux agents et aux cadres. Les banques commerciales qui se lancent sur le marché de la microfinance doivent résister énergiquement à la tentation d'y transposer les instruments, les marges, la formation et les attitudes du secteur bancaire dont elles viennent. Le personnel doit également apprendre à traiter les clients pauvres avec respect, leçon qui passe difficilement dans certaines banques.

De nouvelles stratégies de marketing sont à élaborer

… le compte d'épargne le plus liquide [de la BRI] (dénommé SIMPEDES), caractérisé à la fois par des intérêts et des loteries, a remporté un succès immédiat, car la BRI avait effectué des recherches approfondies pour savoir ce que les clients recherchaient dans un instrument liquide, et pourquoi. Les renseignements obtenus ont servi tant à mettre au point l'instrument qu'à moduler les messages publicitaires. De plus, la BRI a réalisé une étude de marché pour déterminer les lots les plus prisés du public, le type de livret bancaire voulu et le genre de publicité le plus efficace. Les résultats ont été excellents….

L'échelonnement des opérations doit être judicieusement calculé

Les étapes suivantes intéressent de nombreuses institutions de microcrédit qui prévoient d'instituer l'épargne volontaire.

  1. Faire mieux connaître au conseil d'administration et à la direction de l'institution les résultats d'autres IMF dans le domaine de la mobilisation de l'épargne volontaire.
  2. Effectuer des études de marché et former le personnel sélectionné pour la phase pilote.
  3. Mener et évaluer un projet pilote (étape cruciale car, tant que l'on n'a pas mesuré le volume de la demande ni les coûts associés aux différents produits, y compris les coûts de personnel, on ne peut fixer les taux d'intérêts que de manière provisoire).
  4. Si nécessaire, d'autres projets pilotes devront être réalisés et évalués…

… la mise en place d'un programme d'épargne volontaire est typique des cas où l'on aurait tort d'agir précipitamment. Une institution qui s'y prend mal perdra la confiance de ses clients et, à terme, sa viabilité141.

7.6.5 Gestion prudentielle des institutions financières rurales

La gestion prudentielle consiste à mettre en place des garde-fous contre le risque inhérent au portefeuille de prêt et à maîtriser les coûts d'intermédiation afin d'assurer la viabilité de l'institution. L'institution financière visant la pérennité doit être consciente du risque covariant relativement élevé associé aux prêts agricoles et prendre des mesures pour s'en protéger. Bien sûr, la sélection avisée des emprunteurs et leur étroite surveillance contribuent à limiter le risque. Mais cela ne suffit pas.

Exiger une capitalisation plus importante des institutions financières rurales attaque de front le problème du risque, même si les montants absolus sont faibles lorsque les institutions sont de petite taille.

… la plupart des pays ne possèdent qu'une expérience relativement brève du microfinancement: en l'absence de données empiriques recueillies pendant des décennies sur les performances des institutions de microfinancement, les autorités peuvent choisir d'aborder prudemment la fixation des ratios de l'effet de levier [pour le capital]. Deuxièmement, parce que les institutions de microfinancement fonctionnent avec des coûts et des taux prêteurs relativement élevés, un même pourcentage de portefeuille non performant les décapitalisera plus rapidement qu'une banque commerciale. Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, plusieurs analystes ont suggéré un ratio capital/actif initial d'environ 20% pour les institutions de microfinancement, à abaisser à mesure que l'institution et le secteur d'activité acquièrent de l'expérience142.

En raison du risque covariant associé à la production et aux revenus agricoles d'une région donnée, on peut également suggérer pour les banques qui servent les exploitations moyennes et importantes un ratio capital/actif supérieur aux 8% définis par la Convention de Bâle mais inférieur aux 20% suggérés, du fait de l'usage plus répandu des garanties tangibles et du moindre coût unitaire des prêts. Cependant, des politiques de cette nature concernant les exigences en capitaux propres demeurent rares.

Un autre outil de la gestion prudentielle est la liquidité. Pour les raisons évoquées ci-dessus, les institutions spécialisées dans le microfinancement et le crédit agricole peuvent conserver des niveaux de liquidité supérieurs à la normale ou faire en sorte de pouvoir accéder facilement à des liquidités supplémentaires, par le biais de fonds centralisés (dans le cas des petites institutions financières) ou de l'accès au marché interbancaire (pour les banques commerciales):

Pour assurer une gestion prudentielle des liquidités, [chacune des quatre institutions de microfinancement analysées143] dispose d'un pool de liquidités interne ou est rattachée à celui d'une institution partenaire… Le prix de transfert interne des liquidités est fixé à un niveau suffisant pour encourager la collecte d'épargne. L'expérience de Bank Rakyat Indonesia et de Banco Caja Social montre qu'un prix de liquidité interne proche du taux interbancaire favorise la mobilisation de l'épargne144.

Là encore, les mêmes remarques s'appliquent, dans une moindre mesure, aux banques commerciales dont le crédit agricole constitue la principale vocation. Les procédures d'audit propres à l'institution peuvent contribuer à la gestion prudentielle. «En l'absence d'une supervision efficace et d'un système crédible d'assurance des dépôts, l'audit interne joue souvent un rôle plus important que le contrôle externe»145.

Il ne faut pas oublier que l'un des garde-fous les plus élémentaires qu'une institution financière rurale puisse mettre en place est la diversification de son portefeuille. Comme mentionné plus haut, une telle stratégie a porté ses fruits pour Bancafé au Honduras, bien que cette institution continue à consacrer au crédit agricole une part plus importante de son portefeuille que d'autres banques commerciales du pays. Cela vaut également pour Banco Ganadero, qui prête relativement davantage aux éleveurs et aux agriculteurs moyens et importants que Bancafé. En règle générale, il n'est pas conseillé de consacrer plus de 40 ou 50% de l'actif total à la production agricole. Cependant, ces chiffres sont nettement plus importants que les 10 à 20% maximum que représente l'agriculture dans le portefeuille de la plupart des banques commerciales.

En matière de coûts de l'intermédiation financière, la maîtrise des rémunérations est essentielle pour les institutions de microfinancement, qui ont un coût élevé du prêt unitaire. Dans leur étude de onze institutions de microfinancement (résumée par Malhotra et Fox dans une note Focus, 1995), Christen et al. soulignent que «… les institutions qui paient des salaires peu élevés sont plus rentables que celles qui offrent davantage [et elles] recrutent leur personnel au niveau local, ce qui leur donne un avantage financier important» (p. 3).

Une manière efficace de maîtriser les coûts est celle appliquée par les opérations des unités desa de la Banque Rakyat Indonesia. Après les réformes de grande envergure de 1983:

Chaque unité est devenue un centre de profit distinct…. Le compte de résultat de l'unité desa indiquait les opérations telles que les paiements d'intérêts sur les excédents de fonds empruntés aux succursales de district pour couvrir les besoins de liquidité, et les intérêts perçus au titre des excédents de liquidité conservés sous formes de dépôts auprès des succursales….

… Les employés des unités, en particulier les chargés de prêts, étaient directement responsables de l'approbation des prêts et de leur recouvrement….il a été décidé de distribuer entre les employés des unités individuelles une prime équivalant à 10% des bénéfices annuels de l'unité…. Les capacités internes de supervision et d'audit ont également été renforcées. Le nombre d'auditeurs/superviseurs internes est passé de un pour six unités desas à un pour quatre. Des règles de supervision simples et claires ont été énoncées dans un manuel d'audit officiel. Mais surtout, les superviseurs, les auditeurs, les chefs et les employés des unités desas ont reçu périodiquement des cours de formation, en l'espace de trois ans, sur les questions de l'établissement des états financiers et des techniques de supervision. Le renforcement de la supervision a permis de dépister et de corriger plus rapidement les problèmes146.

Partant des consignes définies par le Comité de Bâle147, Fiebig (2001) a résumé les normes de gestion prudentielle élémentaires sous la forme d'une série d'approches de base visant à assurer l'efficacité du contrôle interne d'une institution financière rurale [souligné par nous]:

Changements institutionnels importants ayant assuré le succès des unités Desa de la BRI:
  1. Réorganisation majeure de tous les échelons de la direction de la BRI, depuis le siège social jusqu'aux unités bancaires.
  2. Priorité élevée accordée par le siège social à la gestion du système des unités bancaires.
  3. Réorganisation approfondie et formation du personnel dans tout le pays.
  4. Mise en place d'un système de promotion et élaboration de critères de promotion liés aux nouvelles attentes en matière de performances.
  5. Révision fondamentale de la tenue des systèmes comptable, d'audit et de supervision, qui a transformé les unités bancaires en centres de profit indépendants (plutôt qu'en vitrines d'agence) et qui a rendu possible la responsabilisation et une lutte soutenue contre la corruption.
  6. Ouverture de nouvelles unités bancaires et relocalisation d'autres unités dans des régions à forte demande.
  7. Apprentissage des marchés financiers ruraux et insistance sur l'utilisation de ces informations pour éviter les éventuels problèmes de risque moral et d'erreur de sélection.
  8. Améliorations cruciales des installations de communication et d'informatique.
  9. Révision des relations publiques de la BRI.
  10. Mise en place d'un système fonctionnel de motivation du personnel des unités bancaires, récompensant les bonnes performances.
Source: M. S. Robinson (1994), cité dans M. Fiebig (1999).

Culture de supervision et de contrôle de la direction: Le Conseil d'administration doit décider des stratégies globales de l'entreprise, de sa structure organisationnelle, des politiques et des risques majeurs encourus par la banque, et les contrôler. … les Conseils doivent être conscients des [risques] … définir des niveaux de risque acceptables, ainsi que des politiques de gestion des risques…. La direction générale, quant à elle, est le responsable principal de la mise en œuvre des stratégies et des politiques en matière de prêt agricole… Elle doit également élaborer un processus de contrôle valable et mettre en place une structure organisationnelle où soient définies clairement les responsabilités, l'autorité et les exigences en matière de production de rapports des … différents niveaux. Chez les intermédiaires financiers ruraux, la délégation des responsabilités et la définition de politiques de contrôle internes sur site et hors site sont cruciales.

Réformer la réglementation interne des banques de développement a constitué un volet particulièrement ardu de la réforme de ces institutions. Mais dans d'autres types d'institutions également, comme les ONG, par exemple, le changement d'attitude à l'égard d'un renforcement du contrôle interne est souvent problématique. … Si les petites institutions du type ONG peuvent survivre et prospérer sans se focaliser explicitement sur les problèmes réglementaires internes, pour celles de taille moyenne en revanche, la fraude, le manque de supervision de la direction et un faible contrôle par le Conseil peuvent entraîner de graves préjudices.

Conscience et évaluation des risques: Les systèmes d'information de gestion des institutions financières pratiquant le crédit à l'agriculture doivent fournir les données requises pour gérer les risques liés aux client et les risques externes du secteur agricole. La définition des risques et leur évaluation doivent impliquer les agences et les responsables du crédit, et ne pas s'arrêter aux niveau du siège social et des données agrégées.

Activités de contrôle et séparation des tâches: Les systèmes de vérification et recollement entre les différents niveaux de l'institution constituent les activités de contrôle de base. … Les auditeurs internes doivent être indépendants opérationnellement pour exécuter les tâches qui leur sont assignées avec la prudence de rigueur….

Information et communication: … La génération des informations et leur transmission posent un grave problème en milieu rural. … Dans les structures institutionnelles décentralisées, il faut tenir compte de cette difficulté en concevant les systèmes d'information de gestion et les mécanismes de contrôle interne.

Contrôle des activités et correction des déficiences: … Des systèmes d'information de gestion collectant toutes les données relatives aux risques ne servent à rien s'ils ne sont pas utilisés dans le cadre d'une gestion proactive, qui doit aller de la détection des fraudes à une gestion active de la diversification du portefeuille….

Systèmes de motivation: Les mécanismes de contrôle doivent être accompagnés par des incitations positives, en réponse à des résultats satisfaisants, sous la forme de systèmes de motivation et de mesures de rémunération du personnel, doivent venir compléter les mécanismes de contrôle. Les systèmes de motivation du personnel sont essentiels à la bonne santé de l'institution financière… Le comportement des banques étatiques en la matière est particulièrement difficile à changer, car la rémunération y est très rarement basée sur la performance.

7.7 POLITIQUES MACROÉCONOMIQUES EN SOUTIEN À L'INTERMÉDIATION FINANCIÈRE RURALE

7.7.1 Le problème du crédit orienté et subventionné

Il est utile de récapituler et d'élargir les arguments relatifs au crédit orienté [sélectif] et aux taux d'intérêts bonifiés lorsque l'on définit le contexte d'une politique monétaire et bancaire. Fry a émis les observations suivantes:

Les politiques de crédit sélectif produisent invariablement les résultats opposés à ceux escomptés. Les gouvernements continuent à y avoir recours à cause, en grande partie, des pressions politiques exercées justement par ceux qui bénéficient de ces mêmes politiques. Les pays en développement d'Asie qui appliquent les politiques de crédit sélectif avec le plus de vigueur (Bangladesh, Inde et Népal) sont aussi ceux qui enregistrent les plus faibles taux de croissance économique. Les politiques de crédit sélectif… n'ont tout simplement pas réussi à améliorer la mobilisation et l'allocation des ressources nationales148.

Politiques de crédit sélectif et politiques de taux d'intérêts vont de pair. Les défauts des politiques de faibles taux d'intérêts sont exacerbés par les politiques de crédit sélectif qui distinguent et subventionnent … certaines catégories d'emprunteurs. L'inconvénient le plus évident des politiques de crédit sélectif est qu'elles subventionnent davantage le capital que la main d'œuvre…. L'abandon des programmes de crédit dirigé doit constituer l'une des premières étapes de tout programme de développement financier raisonné. Si le gouvernement est trop faible pour prendre cette décision, il le sera sans doute aussi pour mettre en œuvre une politique macroéconomique bien conçue149.

Les programmes de crédit orienté ont créé des difficultés même aux intermédiaires financiers ruraux les plus performants du monde en développement:

La BAAC (Thaïlande) et la BRI (Indonésie) sont toujours chargées d'exécuter les programmes de crédit imposés par l'État, qui donnent des résultats médiocres. Leurs pertes sont, soit épongées par l'État dans le cas de la BAAC, soit compensées par les bénéfices réalisés par les unit desas dans le cas de la BRI. Dans les deux cas, ces transferts représentent une perte de ressources et nuisent à la rentabilité150.

Ces enseignements sont fondamentaux. Néanmoins, on trouvera des arguments en faveur d'exceptions occasionnelles et passagères dans la section ci-dessus consacrée aux «lignes de réescompte», ainsi que plus loin dans la présente section.

7.7.2 Administration des taux des dépôts

Fry défend l'intervention des gouvernements sur les taux d'intérêts, mais pas leur subvention. Son argument est que le secteur bancaire, dans la plupart des pays en développement, n'est pas vraiment concurrentiel, et que par conséquent la politique peut avoir à imposer une approximation de ce que serait la situation concurrentielle en matière de taux d'intérêts sur les dépôts.

Imposer de faibles taux d'intérêts par décision administrative afin d'encourager l'investissement ne fonctionne pas, parce que cela décourage l'épargne financière, source des fonds investissables. Avec un secteur bancaire cartélisé, l'abolition des plafonds de taux d'intérêts risque fort de ne pas être plus efficace et de ne pas même faire augmenter les taux d'intérêts institutionnels. À la lumière des récentes expériences de taux prêteurs réels excessivement élevés dont l'Argentine, le Chili, le Sri Lanka, la Turquie et l'Uruguay ont donné l'exemple, il semblerait que l'intervention du gouvernement dans la définition des taux d'intérêts institutionnels constitue la meilleure politique de transition en attendant de parvenir à la stabilité des prix, à une surveillance bancaire convenable et à une vraie concurrence au sein du secteur financier. Comme pour la politique monétaire, cependant, une politique de taux d'intérêts administrés devrait se fixer un objectif approprié et ne pas s'enliser dans la poursuite de plusieurs buts incompatibles.

Les objectifs peut-être les plus appropriés d'une politique de taux d'intérêts dans les pays en développement sont la mobilisation et l'allocation efficace des ressources nationales. La mobilisation et l'allocation de l'épargne donnent de bien meilleurs résultats lorsque les taux d'intérêts institutionnels sont définis à leurs niveaux d'équilibre du marché libre. La plupart des systèmes financiers des pays en développement étant oligopolistiques, il est probable que la solution concurrentielle devra être imposée. Si des dispositifs adéquats de contrôle des banques sont en place, il n'est sans doute pas utile de définir des taux prêteurs, auxquels il est trop facile d'échapper par le biais des dépôts compensatoires [obligatoires]. Il serait préférable que les autorités monétaires définissent les taux créditeurs à des niveaux proches de ceux du marché libre concurrentiel. Plus précisément, on pourrait demander aux banques de proposer des dépôts indexés à 6 ou 12 mois avec un rendement réel modeste (peut-être 3%).

Pour stimuler, plutôt que simuler, une solution de taux d'intérêts concurrentiel, le gouvernement peut émettre des bons du trésor et des obligations au rendement attractif. En général, dans les pays en développement les valeurs mobilières gouvernementales ne sont détenues que par les institutions financières pour assurer leurs ratios de liquidité obligatoires… Le rendement des valeurs mobilières gouvernementales est si faible qu'il n'existe pas de détenteurs volontaires. Une structure de taux d'intérêts appropriée, cependant, vaut de la même manière pour le gouvernement et pour le secteur privé. De fait, si le gouvernement ne souhaite pas se soumettre à ce type de concurrence, le développement financier est voué à l'échec151.

La république de Corée, à la fin des années 60, a montré la voie de cette approche par les taux d'intérêts sur dépôts, la conduisant en fait si loin que les marges avaient été délibérément inversées (taux sur les dépôts supérieur au taux d'emprunt), et le gouvernement indemnisait les banques de leurs pertes. Le but était d'habituer les ménages à mettre leur épargne dans les banques, où elle serait plus aisément mobilisable pour l'industrie, plutôt que dans des structures financières informelles ou dans une thésaurisation en nature.

7.7.3 Inflation et taux d'intérêts

Les arguments contre le plafonnement ou la bonification des taux d'intérêts présentés dans l'ensemble de ce chapitre s'appliquent pour l'essentiel aux économies à taux d'inflation faible ou modéré. Cependant, en cas de forte inflation et de mise en œuvre de programmes de stabilisation draconiens, d'autres économistes ont avancé de manière convaincante que le relâchement des contrôles sur les taux d'intérêts doit suivre, et non précéder, le renforcement de la capacité de surveillance des banques et la relative stabilisation des prix. Et ce, pour une raison principale: des taux d'intérêts élevés en période de fortes inflation et volatilité peuvent se traduire, dans des proportions inhabituelles, par un problème d'antisélection, où les emprunteurs moins hasardeux refusent d'emprunter à des taux élevés et où les prêteurs se retrouvent avec une proportion plus importante d'emprunteurs téméraires. Si l'inflation chute, une large part de ces derniers risque de se retrouver en défaut de paiement et de mettre en danger le système bancaire152.

Il est également vrai que la plupart des agriculteurs ne peuvent pas se permettre de payer des taux d'intérêts réels positifs lorsque l'inflation oscille en permanence entre 40 et 60% l'an, comme cela a été le cas pendant une longue période en Turquie. En effet, le maintien d'une politique de taux prêteurs réels positifs en période de forte inflation fait grimper géométriquement le coût total des intrants, intérêts compris, alors que le prix des produits agricoles augmente à un rythme plus lent. En raison des frais de financement qui les grèvent, l'inflation sur le prix des intrants est facturée deux fois au producteur. Voici un exemple extrêmement simplifié du phénomène: a) si l'inflation est de 50% par an et que les taux d'intérêts réels sont maintenus à 12%, le taux d'intérêts nominal sera de 62%; b) si, pour simplifier, tous les intrants sont financés pour l'année, leur coût augmente de 50 + 62 = 112% par an tandis que le prix des récoltes n'augmente que de 50%153. En plus, comme l'a souligné Joâo Sayad, en période de forte inflation il se peut que le prix des intrants augmente plus rapidement que celui de certains extrants, ce qui renforce le risque d'emprunter pour financer la production si les taux d'intérêts réels sont positifs154.

En fait, ces avertissements relatifs aux taux d'intérêts en période de forte inflation et pendant le déroulement des programmes de stabilisation renvoient à la question du moment opportun pour réformer les taux d'intérêts. Dans certains cas, il sera peut-être sage d'en repousser la déréglementation. Mais cela ne remet pas en cause l'affirmation de base: à long terme, contraindre à un niveau artificiellement bas les taux prêteurs bloque l'émergence de systèmes financiers ruraux durables. Au final: «des limites légales imposées aux taux prêteurs, si elles sont appliquées, empêcheront en général la viabilité commerciale du secteur de la microfinance»155, alors que celle-ci représente une part de plus en plus importante du financement agricole.

Pour l'essentiel, les spécialistes de l'agriculture et du secteur rural concentrent leurs analyses des taux d'intérêts sur les taux prêteurs. Dans la période de transition qui suit une forte inflation, une politique s'intéressant aux taux créditeurs peut s'avérer plus efficace, comme l'a indiqué Fry. Son analyse suggère également que, lors des programmes de stabilisation visant à abaisser les taux d'inflation, une politique combinant le ralentissement de la croissance de la masse monétaire avec une augmentation des taux servis sur les dépôts peut également stimuler la croissance réelle. «Les simulations de mon modèle laissent à penser que les politiques de stabilisation qui élèvent le taux d'intérêts sur les dépôts sont meilleures que celles qui ne comptent que sur le contrôle de la masse monétaire nominale. Lorsque la rémunération des dépôts à terme est inférieure à son niveau d'équilibre, l'augmentation des taux créditeurs peut élever le taux de croissance économique du fait de l'accroissement de l'accès au crédit en termes réels, pendant que la croissance monétaire plus lente abaisse le taux d'inflation»156.

7.7.4 Rôle du financement par les donateurs et les gouvernements

Quelles conclusions doivent tirer des observations du présent chapitre les donateurs désireux de contribuer financièrement au développement du financement rural? S'il est clair qu'il convient de financer l'assistance technique et d'encourager la mise en place d'intermédiaires financiers ruraux, faut-il conclure des expériences passées que le financement externe n'a aucun rôle à jouer? Pas nécessairement:

Même une réforme en profondeur réussie du secteur financier n'éliminerait pas le besoin d'efforts particuliers pour créer et soutenir des institutions financières visant des groupes cibles. Il ne semble pas exister de «mécanisme de marché» qui inciterait les institutions financières établies à se lancer dans la fourniture de services financiers aux groupes cibles à faibles revenus dans la foulée d'une réforme du secteur financier… À moyen et long termes, [les banques] auront d'autres options stratégiques… et l'expérience montre qu'elles préfèrent ces autres options et renâclent à servir les segments pauvres de la population, à moins de mesures d'incitation et d'assistance technique spécifiques…157

Le financement externe peut jouer quatre rôles utiles: a) abonder les ressources en fonds prêtables des intermédiaires locaux, de façon limitée par rapport au montant des dépôts mobilisés; b) assurer le financement de démarrage, surtout si l'institution limite ses activités initiales au crédit et n'acquiert qu'ultérieurement la capacité de gérer les dépôts d'épargne; c) mettre en place des incitations très spécifiques pour compenser le coût plus élevé de la fourniture de services financiers aux groupes cibles, telles que des subventions aux succursales en zone rurale des banques commerciales; et d) combler le manque de financement de longue durée.

Le premier rôle peut prendre la forme de contributions au fonds de l'institution faîtière d'un système de mini-banques. Dans ce cas cependant, il est important de limiter le montant du prêt aux affiliés et de le lier à la mobilisation des dépôts par leurs soins. L'expérience a montré qu'un plafond strict de cette nature est important pour ne pas compromettre la volonté de remboursement des prêts et l'effort de recouvrement. Sans quoi, le soutien extérieur donne le sentiment que le financement des donateurs est un don qui n'a pas à être remboursé, ce qui affaiblit la discipline financière de la clientèle comme des institutions.

Nancy Barry a plaidé pour un soutien financier limité, en particulier pendant la période de début d'activité:

Pour permettre aux intermédiaires financiers d'accéder aux importants volumes de microfinancement requis pour assurer la durabilité de ces institutions, il faudra subventionner les premières opérations. Les ONG et les autres intermédiaires financiers spécialisés, qui ne sont pas en mesure de pratiquer une péréquation sur leur crédit aux microentreprises en même temps qu'elles développent leur volume de prêts, auront besoin sous une forme ou l'autre de subventions institutionnelles pendant une période de cinq à sept ans. Les institutions spécialisées qui satisfont aux normes de performances ont besoin de capitalisation et de fonds à long terme et à bas prix, de préférence remboursables dans la monnaie locale, en attendant que leur volume d'affaires atteigne des niveaux assurant leur pérennité158.

Le raisonnement de base derrière cette observation est que l'institution de microfinancement supporte des coûts administratifs unitaires très élevés aux premiers stades de son activité, du fait de l'absence d'économies d'échelle et du coût de l'apprentissage, et que, sans subventions, elle devra appliquer des taux d'intérêts si élevés qu'ils risquent de décourager les clients potentiels (ou d'entraîner une anti-sélection). De la même manière, il serait important de lier ce type de financement au respect d'objectifs annuels de performances, et de rendre très clair dès le départ que ce financement est destiné à se tarir.

Le capital d'amorçage s'avérera peut-être plus efficace s'il est accordé à une institution de second degré ou à un fonds central, qui supervise et soutient un réseau de coopératives de crédit ou de mini-banques. En outre, comme déjà dit, on peut justifier des subventions pour encourager dans des régions éloignées l'ouverture de succursales des institutions financières rurales et des banques commerciales, afin de contrebalancer les coûts administratifs unitaires plus élevés dus à la petite échelle de leur fonctionnement159. Dans ce cas, il convient de définir à l'avance les règles de financement, afin que l'assistance soit effectivement liée à des coûts administratifs inévitablement plus élevés et non pas qu'elle serve, par exemple, à compenser une approche laxiste du recouvrement des prêts. Un autre domaine dans lequel le financement externe est à même de jouer un rôle crucial est la formation des cadres et des dirigeants des institutions financières rurales, y compris des voyages d'étude pour découvrir les expériences réussies dans d'autres pays.

L'argument en faveur du soutien sélectif des pouvoirs publics a été présenté dans les termes suivants:

L'intervention des pouvoirs publics dans le financement rural … devrait reposer sur le principe de la suppression, à un coût proportionné, des causes de dysfonctionnement du marché. Au final, elles devraient faciliter le bon fonctionnement des forces du marché. Il pourrait s'agir de subventions pour la génération d'informations et le développement des institutions et des capacités, de la fourniture d'un capital d'amorçage permettant d'améliorer la capitalisation des nouveaux intermédiaires financiers ruraux, de la fourniture aux intermédiaires financiers ruraux d'un accès à des facilités de refinancement, en particulier pour les prêts à terme. Cependant, les subventions devraient toujours être transparentes et temporaires, et inciter au renforcement du rôle des opérateurs privés sur les marchés financiers ruraux160.

En outre:

… dans certains domaines, l'intervention des pouvoirs publics pourrait encore se justifier pour fournir des ressources à long terme. Tout d'abord, dans les périodes de transition vers la mise en place de marchés des capitaux efficaces ou les périodes d'instabilité politique et économique, la participation des pouvoirs publics est nécessaire. Elle peut prendre la forme de lignes de crédit à long terme, de quotas de prêts ou d'injections de capitaux complémentaires dans les institutions financières rurales. Cependant, il faut souligner que, comme l'a montré l'expérience passée du financement public à court terme, la mobilisation privée et volontaire des sources de financement appropriées ne doit être, ni découragée, ni sapée161.

Stiglitz a formulé de manière nuancée l'argument conceptuel favorable à une ingérence plus large du gouvernement à cause des imperfections du marché:

Il existe bien un rôle pour l'État sur les marchés financiers; ce rôle est motivé par les dysfonctionnements envahissants des marchés. Dans la plupart des économies en rapide développement de l'Asie de l'est, le gouvernement a joué un rôle actif: il a créé et réglementé des institutions financières et dirigé le crédit de manière à renforcer à la fois la stabilité de l'économie et la solvabilité des institutions financières et les perspectives de croissance. Certes, les faiblesses des marchés sont plus importantes dans les pays en développement, mais de nombreux experts diraient qu'il en est de même des faiblesses des gouvernements. Il est important d'élaborer des politiques publiques qui tiennent compte de ces faiblesses162.

La crise financière en Asie de l'est a soulevé de nombreuses interrogations quant aux tentatives d'ingérence des gouvernements dans le développement des marchés financiers. Face à l'affirmation qu'il faut intervenir quand les marchés fonctionnent mal, il a été noté de façon générale que «la mesure directe de l'existence d'un dysfonctionnement du marché, et de sa portée, est difficile et rarement pratiquée»163.

Compte tenu des résultats peu convaincants des interventions gouvernementales sur les marchés financiers, la politique aujourd'hui doit encourager les efforts privés de mobilisation de l'épargne et les approches novatrices de l'intermédiation financière, en les faisant bénéficier d'une assistance technique et d'un soutien direct temporaire et relativement modeste.

Il est clair que les injections d'argent dans le système financier rural doivent être limitées en quantité et associées à des programmes de développement des institutions financières conçus avec le plus grand soin. Néanmoins, des interventions publiques à plus grande échelle pourraient viser l'amélioration des conditions à l'origine des carences des marchés financiers ruraux:

Dans ces conditions, une politique publique a-t-elle un rôle à jouer? Greenwald et Stiglitz (1986164) ont récemment montré que les marchés à information imparfaite génèrent des effets de type externalités, sur lesquels l'intervention du gouvernement peut donner ses meilleurs résultats. Dans le contexte des marchés du crédit, l'une des externalités est la baisse du coût des informations due au développement d'autres marchés. L'octroi de titres fonciers et le développement du commerce des marchandises en constituent des exemples. Plus généralement, des dépenses publiques en infrastructure rurale, qui diminuent les risques pour les agriculteurs, ont toutes les chances de diminuer l'asymétrie d'information, d'accroître la concurrence, et donc de réduire les distorsions sur les marchés du crédit rural.

Des institutions qui aident à surmonter les problèmes d'information sur les marchés du crédit rural peuvent aussi générer un autre type d'externalité. La «surveillance mutuelle» en donne un exemple, à petite échelle… Des individus constituent un petit groupe collectivement responsable des dettes de ses membres. Cela incite donc le groupe à se charger de la sélection, de la surveillance et de l'exécution des obligations, toutes tâches qui sinon relèvent du prêteur… Cette innovation institutionnelle présente malgré tout une externalité. La personne qui supporte le coût initial de l'organisation d'une institution de cette nature construit une sorte de capital social, dont tous les membres du groupe pourront profiter. Comme on le sait, ce type d'externalité se traduit par une offre insuffisante du service socialement bénéfique, et il y a donc un rôle pour le gouvernement comme organisateur et catalyseur de la création de ce type d'institutions… on a observé des succès notables lorsque le gouvernement s'est comporté de cette manière165.

La Grameen Bank, dont le gouvernement du Bangladesh détient 25%, a consacré beaucoup d'efforts à l'organisation de ce type de groupes. Des donateurs extérieurs ont joué le rôle d'organisateurs dans d'autres situations également.

Les lignes de réescompte soutenues par des donateurs, évoquées plus haut, constituent dans des cas bien spécifiques l'exception à l'argument de Fry sur ce point. La reforestation et la gestion durable de la forêt, par exemple, trouvent rarement auprès des banques commerciales le financement à long terme dont elles ont besoin, en dépit de la forte rentabilité de ces activités et de leur avantage comparatif au sein du pays.

Vogel et Adams ont savamment réfuté les lignes de réescompte, en indiquant avec justesse qu'il serait plus avisé de mettre l'accent sur le développement d'institutions d'intermédiation financière viables166, mais en pratique les lacunes de l'accès au financement à moyen et long termes sont si critiques que les guichets financiers de second degré continueront à servir pendant le développement des marchés financiers. Comme l'a conseillé Mark Wenner à propos de la Banque interaméricaine de développement:

Pour améliorer l'accès au financement à long terme, la Banque doit préparer des opérations qui… assurent un accès temporaire aux fonds externes par l'intermédiaire de banques de second degré, afin de compenser le manque de sources de financement…167

S'il est clair que ces lignes de réescompte doivent être temporaires, il est tout aussi clair qu'inciter les banques commerciales plutôt conservatrices des pays en développement à explorer de nouveaux domaines de prêt comporterait des externalités. Dans de nombreux pays, des lignes de réescompte pour un projet de reforestation, ou de plantation fruitière, pourraient se justifier pendant cinq à dix ans, le temps que les banques aient acquis suffisamment d'expérience en ce domaine. À l'inverse, elles ne se justifient pas pour des activités bien établies bénéficiant déjà de prêts commerciaux, telles que la production de céréales et de bœuf dans de nombreux pays. Les lignes de réescompte sont trop souvent utilisées à des fins de cette nature.

120 Manohar Sharma, Empowering Women To Achieve Food Security: Microfinance, A 2020 Vision for Food, Agriculture and the Environment, Focus 6, Note de politique 10 ou 12, IFPRI, Washington, D.C., août 2001, p. 1.

121 FAO, SEAGA Macro Manual, projet, FAO, Rome, juillet 2001, module 13.

122 Ibid.

123 Plusieurs de ces possibilités sont des adaptations de solutions proposées par la FAO, 2001.

124 Cette section passe brièvement en revue les problèmes de gestion. Le lecteur intéressé par une étude détaillée de la mise en place et de la gestion des institutions de microfinancement, en particulier, trouvera des références très utiles dans B. Klein et al. (1999), J. Legerwood (1999), et dans Robert Peck Christen, Banking Services for the Poor: Managing for Financial Success, Acción International, Somerset, Mass., et Washington, D.C., février 1997.

125 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, pages 25–26 [souligné par nous].

126 Joyita Mukherjee, Quand et comment les institutions de microfinancement doivent-elles commencer à collecter l'épargne?, Focus, note № 8, Groupe consultatif d'assistance aux plus pauvres, Washington, D.C., juin 1997, pages 2–3. [Cette note est le synopsis de: Marguerite S. Robinson, Introducing Savings in Microcredit Institutions: When and How?, Harvard Institute for International Development, 1995 ou 1996.]

127 Robert Peck Christen, What Microenterprise Credit Programs Can Learn from Moneylenders, Discussion Paper série № 4, Acción International, Cambridge, Massachusetts, 1989.

128 Elisabeth Rhyne et María Otero, 1994, p. 20.

129 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, p. 78.

130 Op. cit., p. 72.

131 Banque mondiale, 1989, pages 116–117.

132 Op. cit., p. 117.

133 Albert Kimanthi Mutua, 1994, p. 272.

134 J. J. Boomgard et K. J. Angell, 1994, p. 214.

135 Mohini Malhotra et James Fox, 1995, p. 2.

136 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, p. 78.

137 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, p. 77.

138 M. S. Robinson, 1994, pages 31–32.

139 J. Mukherjee, 1997, p.1.

140 Ibid. [souligné par nous]

141 Op. cit., pages 2–5 [souligné par nous]. Des conclusions semblables sont tirées des quatre études de cas d'institutions financières rurales en Asie et en Amérique latine mentionnées dans l'article de Joyita Mukherjee et Sylvia Wisniwski, Stratégies de mobilisation de l'épargne: leçons tirées de l'expérience de quatre institutions, Focus, note № 13, Groupe consultatif d'assistance aux plus pauvres, Washington, D.C., août 1998, pages 2, 4–6.

142 R. Rock, M. Otero et R. Rosenberg, 1996, p. 2.

143 Bank for Agriculture and Agricultural Cooperatives (BAAC), Thaïlande, Banco Caja Social, Colombie, Bank Rakyat Indonesia et Rural Bank of Panabo, Philippines.

144 J. Mukherjee et S. Wisniwski, 1998, pages 5–6.

145 Op. cit., p. 6.

146 J. Mukherjee, Les activités de microfinancement des banques de développement d'État, Focus, note № 10, Groupe consultatif d'assistance aux plus pauvres, Washington, D.C., décembre 1997, p. 3.

147 Basle Committee on Banking Supervision, Framework for Internal Control Systems in Banking Organizations, Bâle, Suisse, 1998.

148 M. J. Fry, 1995, p. 448.

149 Op. cit., p. 469 [souligné par nous].

150 Joyita Mukherjee et Sylvia Wisniwski, op. cit., 1998, p. 4.

151 Fry, 1995, pages 467–468 [souligné par nous].

152 Voir, par exemple, Delano Villanueva et Abbas Mirakhor, Strategies for Financial Reforms: Interest Rate Policies, Stabilization, and Bank Supervision in Developing Countries, IMF Staff Papers, vol. 37, № 3, septembre 1990, pages 509–536.

153 Une illustration plus détaillée de ce point figure dans l'annexe de Roger D. Norton, Agricultural Issues in Structural Adjustment Programs, FAO Economic and Social Development Paper № 66, Rome, 1991.

154 J. Sayad, Rural Credit and Positive Real Rates of Interest: Brazil's Experience with Rapid Inflation, dans: D. W. Adams, D. H. Graham et J. D. Von Pischke, 1984, pages 146–160.

155 R. Rock, M. Otero et R. Rosenberg, 1996, p. 1.

156 M. J. Fry, 1995, p. 227.

157 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, p. 99, citant J. P. Krahnen et Reinhard Schmidt, Development Finance as Institution Building: A New Approach to Poverty-Oriented Banking, Westview Press, Boulder, Colorado, 1995, p. 8.

158 N. Barry, 1995, p. 3.

159 Cette suggestion a été émise par Yaron, Benjamin et Piprek (1997, p. 39) et appliquée au financement par la Banque mondiale des banques commerciales dans les régions rurales du Nicaragua.

160 E. Coffey, 1998, p. 46 [souligné par nous].

161 Thorsten Giehler, Sources of Funds for Agricultural Lending, Agricultural Finance Revisited № 4, FAO et GTZ, Rome, décembre 1999, pages 76–77 [souligné par nous].

162 J. Stiglitz, 1994, p. 50 [souligné dans l'original].

163 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, p. 38.

164 B. Greenwald et J. Stiglitz, Externalities in Economies with Imperfect Information and Incomplete Markets, Quarterly Journal of Economics, mai 1986, pages 229–264.

165 K. Hoff et J. Stiglitz, 1995, pages 282–283.

166 Robert C. Vogel et Dale W. Adams, Old and New Paradigms in Development Finance: Should Directed Credit Be Resurrected?, CAER II Discussion Paper № 2, Harvard Institute for International Development, Cambridge, Massachusetts, avril 1997.

167 Mark Wenner, Rural Finance Strategy, Sector Strategy and Policy Papers Series, Sustainable Development Department, Banque interaméricaine de développement, Washington, D.C., décembre 2001, p. 20.


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