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CHAPITRE 7
POLITIQUES DE FINANCEMENT AGRICOLE ET RURAL (Cont.)

7.4.5 Réglementation bancaire du secteur rural

7.4.5.1 Réglementation et supervision prudentielles et non-prudentielles

Fondamentalement, les réglementations bancaires sont conçues pour protéger les actionnaires et, surtout, les déposants. Elles ont également pour but de protéger l'intégrité du système financier dans son ensemble. «Une banque en difficulté peut rapidement contaminer tout le système financier. Les faillites de banques ont des conséquences monétaires et macro-économiques, dérèglent le système des paiements et conduisent à la désintermédiation (qui diminue la mobilisation des ressources et la possibilité de financer les investissements)»81. Le manque d'une réglementation bancaire adéquate est un point faible commun à l'ensemble du monde en développement:

Les autorités de supervision bancaires de nombreux pays en développement… se soucient relativement peu des aspects prudentiels de la surveillance financière. Ainsi, dans de nombreux pays, elles ne procèdent pas à une évaluation indépendante de la qualité des actifs et se préoccupent peu des procédures comptables et des contrôles de gestion. Avec l'instabilité macro-économique et l'absence de législation adéquate, il s'agit là d'une des principales causes d'insolvabilité des banques82.

Christen et Rosenberg ont clairement expliqué la distinction fondamentale entre réglementations et contrôles prudentiels et non-prudentiels:

Nous qualifions certaines exigences de non-prudentielles, non parce qu'elles sont d'importance mineure, mais parce qu'elles ne demandent pas à l'autorité financière de se porter garante de la bonne santé de l'institution «réglementée» ou d'en assumer la responsabilité. En voici quelques exemples:

En fonction de ses composantes, une réglementation non prudentielle peut être indolore ou extrêmement lourde. Mais elle n'oblige pas le gouvernement à prendre position sur la bonne santé financière d'une institution. En cas de dysfonctionnement, elle ne le contraint pas à rendre des comptes, explicitement ou implicitement, en sa qualité d'assureur des pertes subies par les déposants. Certains types de réglementation non prudentielle n'ont même pas à émaner des autorités de supervision des institutions financières83.

7.4.5.2 Réglementation visant à prévenir les crises et à limiter les dommages

Michael Fiebig a proposé une classification fort utile de la réglementation en deux catégories: réglementations prévoyantes (visant à éviter les crises), subdivisées en exigences à l'entrée des institutions financières et exigences permanentes, et réglementation protectrice (visant à traiter les crises une fois survenues)84. Il explique en quoi les problèmes de réglementation pour l'agriculture diffèrent de ceux des autres secteurs. Sa description est riche en observations et en enseignements pour les institutions financières présentes dans le secteur agricole, ou désireuses de s'y implanter, et pas seulement pour les autorités de contrôle. Comme plusieurs des conclusions présentées à la fin du présent chapitre s'appuient sur son analyse, celle-ci est amplement citée ci-dessous.

Fiebig décrit en ces termes les principales réglementations constituant chaque catégorie [souligné par nous]:

a) Réglementations prévoyantes - Obligations à l'entrée

Besoins minimum en capital: … afin que le capital disponible soit capable d'absorber les chocs financiers. Les besoins en capital doivent également empêcher l'institution de se retrouver captive des mauvais payeurs… [Ils] constituent un engagement des ressources propres des propriétaires, susceptibles d'être perdues en cas de créances douteuses. … Les besoins minimum en capital varient beaucoup selon les pays. … Dans le monde, le plus faible capital d'entrée demandé aux institutions qui ciblent les opérations de microfinancement s'étage entre 25 000 et 250 000 $EU. C'est en Afrique et en Asie du Sud-Est que l'on trouve en plus grand nombre les établissements les plus petits et les exigences les plus faibles à l'entrée. … À cet égard, il faut trouver l'équilibre entre, d'une part, la nécessité de disposer de propriétaires forts avec un capital important, ainsi que d'un filet de sécurité pour … l'institution, et, d'autre part, ne pas restreindre les opportunités d'entrée. Dans le contexte du financement agricole, il est important de se rappeler qu'une approche innovante du crédit, qui repousse les limites de l'intermédiation financière formelle traditionnelle, nécessite une base de fonds propres solide. Il est peu probable que des exigences très faibles en capital d'entrée mettent en place des institutions assez fortes pour supporter les chocs extérieurs et les ralentissements économiques. Des barrières très faibles à l'entrée présentent également le risque de surcharger l'institution de supervision avec des myriades de petites institutions.

Par exemple, il existe en Indonésie aujourd'hui 2 420 Banques de crédit populaire (Bank Perkreditan Rakyat, BPR), dont beaucoup ont du mal à soutenir la concurrence des banques commerciales dans leurs zones cibles rurales, périurbaines et urbaines. Cette situation a entraîné le chiffre important de 37% de prêts improductifs dans leur portefeuille de crédit. Pour décourager la création de nouvelles BPR, les besoins minimum en capital sont récemment passés de 7 100 à 71 000 $EU.

Propriété: …. [ces exigences] visent à encourager les propriétaires forts. Elles doivent veiller à ce qu'ils agissent tous dans l'intérêt de l'institution (compatibilité de mission) et, deuxièmement, à ce que les membres des organes directeurs fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour être tenus au courant des activités et des performances de l'institution (règlement interne)…

Les bons propriétaires ne se contentent pas d'apporter un bon arrière-plan financier, ils possèdent aussi une vision stratégique claire pour l'institution. Des propriétaires peu soucieux des performances financières, ou une majorité de propriétaires portés à sacrifier la durabilité à l'action sociale, peuvent s'avérer dangereux.

Structure de direction et type institutionnel: De nombreuses autorités de contrôle demandent que l'intermédiaire financier formel soit une société par actions, afin que ses propriétaires, dont le capital personnel est en jeu, soient incités à le surveiller activement….

Études de faisabilité: Pour évaluer l'adéquation des nouveaux entrants sur le marché financier formel, on exige généralement une étude de faisabilité approfondie. Des informations institutionnelles détaillées et un projet d'entreprise exhaustif en font partie…

b) Réglementations prévoyantes - Obligations permanentes

Ratio capital/actif et classification du portefeuille de prêts: … instrument clé de la réglementation bancaire dans le monde… l'actif doit être suffisamment soutenu par les fonds propres de l'institution financière pour être capable d'amortir les risques de pertes. Les risques qu'il est possible d'évaluer, tels que la baisse de valeur des éléments d'actif d'un portefeuille de prêt, doivent être couverts par des provisions pour pertes sur crédits spécifiques et générales. Les exigences en capital visent à faire face aux évènements imprévisibles de l'environnement économique ou concurrentiel….

La définition du capital devient difficile dans le cas d'une forte participation des donateurs. Est-il souhaitable de comptabiliser les apports des donateurs comme du capital? L'une des raisons d'être du ratio capital/actif est de faire en sorte que l'institution financière dispose de suffisamment de capital pour amortir les risques susceptibles de peser sur l'actif de son bilan. Mais une forte participation au capital assure aussi que les propriétaires qui y ont investi exercent un contrôle fort sur l'entreprise. Cependant, les donateurs sont des propriétaires plutôt indulgents, qui, en règle générale, ne possèdent pas d'informations de première main ou ne traitent pas de manière adéquate et au moment opportun celles qu'ils reçoivent. Par conséquent, il faut évaluer les subventions des donateurs à un ratio plus faible que les autres sources de capital. La même chose s'applique aux fonds propres fournis par les pouvoirs publics, directement ou par le biais de garanties de l'État.

…le montant des fonds propres des banques de développement agricole est souvent très exagéré ou trompeur, puisque nombre d'entre elles ne comptabilisent pas convenablement les provisions pour perte sur crédits.

La forme institutionnelle des coopératives d'épargne et de crédit dresse des obstacles spécifiques au calcul du capital. Les parts des membres pouvant être reprises par eux, le retrait de leurs parts par un grand nombre d'entre eux constitue une menace potentielle pour les fonds propres. Par conséquent, le Conseil mondial des coopératives d'épargne et de crédit (World Council of Credit Unions, WOCCU) recommande que seul le capital institutionnel soit pris en compte lors du calcul de l'adéquation du capital…

Les institutions financières dont le portefeuille de prêts est concentré sur le secteur agricole peuvent rapidement accumuler des arriérés les années de mauvaises récoltes… si les producteurs agricoles se concentrent sur les mêmes gammes de produits, ou si les rendements des différents produits varient de façon concommittante, les arriérés risquent de s'accompagner d'une diminution de la base de dépôts. Dans ce cas, l'institution financière doit impérativement avoir au départ une forte position en capital pour pouvoir absorber le déficit de liquidités…

Mais alors comment ajuster le ratio capital/actif aux conditions du financement agricole dans les pays en développement? Pour ces pays, on a proposé un ratio d'adéquation du capital supérieur à 8%, afin d'amortir les risques spécifiques de systèmes financiers étroits et volatiles, ainsi que le danger, pour les prestataires de microfinancement en particulier, d'une détérioration rapide des portefeuilles de crédit à court terme…

[Il existe] trois possibilités d'ajustement du ratio capital/actif aux environnements à hauts risques… Premièrement, on peut augmenter le ratio global. Deuxièmement, on peut ajuster la pondération du risque pour les actifs qui présentent le plus de risques. Troisièmement, on peut ajuster la définition du capital.

Les prêts aux producteurs agricoles entrent en général dans la catégorie à haut risque nécessitant une couverture de capital plus importante… Une autre option envisageable consiste à pondérer le risque d'un portefeuille de prêts en fonction des performances passées en matière de remboursements… Affecter de ce fait aux prêts agricoles une catégorie de risque plus élevée entraînerait une augmentation du coût du crédit agricole, puisque cela diminuerait l'effet de levier financier possible d'une institution financière Si cette approche peut paraître indésirable du point de vue du développement, une autorité de contrôle soucieuse du risque pourra la juger appropriée.

[Cependant] le processus de classification [des prêts] engendre d'autres coûts, qu'il faut évaluer par rapport aux bénéfices de la différenciation. Ces réglementations relèvent en outre des autorités de supervision bancaire et peuvent alourdir leur charge de travail (et donc les coûts) de manière importante.

Gestion des liquidités: Les problèmes de liquidité constituent souvent des signes précurseurs de défaillance de la banque. De nombreuses autorités de contrôle bancaire exigent des institutions qu'elles supervisent divers ratios de liquidité … Les institutions financières qui mobilisent l'épargne et consentent des prêts dans les régions rurales sont confrontées à des problèmes de liquidité très particuliers. Les régions à dominante agricole doivent faire face à des fluctuations saisonnières de trésorerie. … Une large couverture de régions diversifiées et/ou l'accès à un réservoir de liquidités peuvent contribuer à amortir les risques de liquidité. Dans tous les cas, un dispositif sophistiqué de gestion des liquidités doit être en place afin d'inciter la direction générale à prendre les mesures adéquates. En outre, les prêteurs agricoles très exposés aux risques de change du fait du refinancement international devraient être tenus de maintenir des niveaux élevés de liquidités.

Ces facteurs indiquent que les banques possédant des portefeuilles agricoles importants auront peut-être besoin de ratios de liquidités plus élevés. L'accès à des moyens interrégionaux communs de liquidité et à des moyens de refinancement suffisants en cas de contraction des liquidités sont de la plus grande importance pour les organisations de crédit agricole…

Gestion du risque de crédit: Les obligations en matière de documentation et de garantie font partie d'une bonne approche de la gestion du risque… Dans de nombreux cas, sur les marchés financiers ruraux, la garantie peut être avantageusement remplacée ou complétée par la co-signature, les groupements solidaires et/ou le nantissement de garanties bancaires non-traditionnelles telles que les biens meubles… pour bien gérer les méthodes de prêt agricole, il faut une forte qualification gestionnaire, ainsi que des systèmes sophistiqués de gestion des informations.

Si l'on peut penser que la diversification sectorielle constitue l'un des outils de gestion du risque pour les prêteurs agricoles performants… définir des pourcentages fixes [de prêts par secteur] ne semble, ni nécessaire, ni opportun…

Dans de nombreux pays, le prêt interne, ou prêt à des membres du personnel et aux propriétaires d'une institution financière, est soumis à restrictions. Cela permet de limiter les occasions de fraude et de corruption au sein de l'institution financière…

Politiques de provisionnement et effacement de créances: Les obligations de provisionnement ont pour but d'assurer que la valeur réelle d'un portefeuille de prêt apparaisse dans le bilan. Cela implique qu'une partie convenable du montant du prêt et des intérêts restant dus soit effacée en cas de recouvrement improbable… De nombreux pays requièrent, outre le provisionnement de certains prêts, un provisionnement global de 1 à 3% habituellement, supposé correspondre au risque de crédit résiduel, même pour les portefeuilles sains.

En général, le provisionnement des prêts s'appuie sur des facteurs tels que les valeurs de garantie, les cautions, les antécédents de remboursement et le nombre de jours de retard de paiement… Dans le cas du crédit garanti, il peut apparaître plus judicieux de ne provisionner que par rapport au montant du prêt non-couvert par la garantie. Cependant, lorsque le contexte judiciaire est faible, l'impossibilité de la coercition ou la longueur des processus juridiques devant aboutir à la réalisation des garanties diminuent substantiellement la valeur actualisée nette réelle de la garantie. Dans la plupart des pays en développement, la garantie remplit davantage une fonction d'incitation et d'otage qu'un substitut au remboursement du prêt

Pour les prêts agricoles, dont les échéances sont en général à plus long terme que le microcrédit et dont les mensualités sont souvent forfaitaires, le provisionnement en fonction du nombre de jours de retard de paiement … est de toute évidence inapproprié. Par exemple, un prêt sur deux ans consenti à un agriculteur avec remboursement forfaitaire en fin de période nécessite une évaluation avant que le paiement ne soit en retard. De la même manière, le retard de paiement de prêts à la production agricole peut parfaitement être dû à une moisson tardive, un argument que les clients urbains ne peuvent pas avancer. En agriculture, quelques jours de retard n'aggravent pas nécessairement le risque de défaillance. Si le laxisme n'est pas conseillé en matière de crédit agricole, le prêteur doit faire preuve d'une certaine flexibilité pour tenir compte des chocs externes caractéristiques de ce secteur.

Restrictions sur les produits: De nombreux pays restreignent la gamme de produits financiers proposée dans le but de réduire la vulnérabilité des institutions financières. Souvent, lorsqu'il existe un cadre réglementaire spécifique pour les petits intermédiaires financiers, ceux-ci ne peuvent pas mobiliser les dépôts du public dès le début … Concernant les entités qui prêtent à l'agriculture, il faut s'assurer que la diversité de produits financiers ne se traduise pas par une accumulation des risques. … Dans l'exemple bolivien, les Fonds financiers privés (FFP) n'ont pas le droit de proposer de cartes de crédit ou de services de change. … proposer de nouveaux produits nécessite souvent une licence distincte délivrée par l'institution de supervision. Il apparaît prudent de demander des études de faisabilité approfondies et solidement argumentées (avec estimation de la demande) avant la mise en place de nouveaux produits… Cela peut cependant imposer une paperasserie excessive, obstacle à l'innovation.

Bureaux d'information sur le crédit: … Dans le contexte rural, la faiblesse ou l'absence d'un système national d'identification des agents économiques peut gravement compromettre l'efficacité de cet instrument de réglementation. Il est alors facile aux emprunteurs d'utiliser des noms différents pour ne pas être pénalisés par leurs antécédents en matière de remboursement. En outre, si des concurrents non-formels tels que des ONG travaillent dans les mêmes domaines, l'identification des emprunts multiples devient difficile…

Agences: Dans de nombreux pays, l'approbation d'organismes de supervision spécialisés est nécessaire pour ouvrir des agences. Il arrive que leurs horaires d'ouverture soient eux aussi définis. Le but de ces réglementations est de mettre en place des règles du jeu uniformes. Cependant, [elles] peuvent s'avérer contraignantes si l'on exige des agences une ouverture à plein temps, ou en tous cas une installation dans des locaux en dur. Les unités bancaires mobiles et les agences à temps partiel constituent des outils importants pour diminuer les coûts de fonctionnement de l'intermédiation financière rurale

La réglementation restreint parfois l'implantation des agences à certaines zones géographiques. Par exemple, les banques rurales indonésiennes et philippines sont confinées à une municipalité ou à un sous-district. Les banques d'épargne municipales péruviennes ont également vu leurs activités limitées à une seule municipalité…. [Ce type de réglementation] risque de gravement restreindre les possibilités de diversification des portefeuilles, et de renforcer la sensibilité aux chocs externes. La diversification du crédit agricole peut s'avérer difficile dans ces conditions.

Documentation des dossiers de prêts: Dans de nombreux cas, la réglementation externe précise les documents que doit contenir chaque dossier de prêt. Dans le cas du crédit agricole et, d'une manière plus générale, dans celui du crédit rural, comme dans le microfinancement, les documents requis s'avèrent souvent excessifs et/ou non pertinents. Dans ces activités financières particulières, les décisions de prêt prudentes s'appuient beaucoup plus sur une évaluation de la personnalité ou laissent même souvent la plupart des décisions de prêt à des groupement solidaires qui choisissent eux-mêmes. Il s'agit là souvent d'un défi majeur pour la réglementation du microfinancement et du financement rural.

Rapports: Les rapports constituent le fondement de la supervision. Habituellement, les obligations en la matière spécifient les rubriques et les ensembles de données à fournir sur une base quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Les rapports sur les portefeuilles de prêts sont souvent requis prêt par prêt. Pour des institutions dont le portefeuille compte un nombre élevé de petits prêts, cette exigence peut s'avérer une lourde charge, sauf si les activités de prêt sont totalement informatisées et s'il existe une connexion directe avec l'institution de supervision pour la transmission des données électroniques.

Dans les régions rurales, envoyer un rapport sur l'état du portefeuille ou d'autres données à l'organisme de supervision tous les jours est coûteux, si ce n'est impossible. La pénurie d'infrastructures, c'est-à-dire de routes, de téléphones et d'ordinateurs… peut rendre difficile la production quotidienne de rapports… Il existe différentes manières de traiter ce problème. L'une d'entre elles consisterait à assouplir les exigences centralisées en matière de rapports, avec délégation de la collecte des données à l'institution financière elle-même. Des contrôleurs externes pourraient ensuite vérifier les données consolidées, ainsi que, sur site et de façon aléatoire, les rapports remis aux bureaux régionaux des institutions financières. Les obligations en matière de rapports pourraient également être modulées en fonction de la taille et du type du prêt, avec des rapports plus détaillés sur les prêts importants et les prêts avec élément de bonification…85

c) Réglementation protectrice

Assurance des dépôts: Les programmes d'assurance des dépôts permettent d'honorer les créances des déposants après la faillite de l'institution financière. Le but premier d'une telle réglementation est de protéger les déposants… Un problème majeur des programmes d'assurance des dépôts est leur rôle potentiel d'incitation perverse … certes, la couverture extensive des pertes potentielles crée la confiance, mais elle dissuade de soumettre l'institution financière au contrôle du marché … [Et] si les primes ne sont pas définies en fonction d'une évaluation du risque, les institutions à faible risque subventionnent implicitement celles à haut risque…

Prêteur en dernier ressort: Si une institution financière rencontre de graves problèmes de liquidités, qui ne tiennent pas à un problème fondamental de solvabilité, les prêteurs en dernier ressort entrent en scène. La banque centrale joue implicitement ou explicitement ce rôle. Faire la différence entre institutions financières rencontrant des problèmes de liquidités et institutions insolvables est cependant une tâche difficile, qui, dans le cas d'une organisation de crédit agricole, peut coïncider avec une forte pression politique pour sauver l'institution… Les décideurs doivent peser les motifs de fournir une telle garantie institutionnelle… face au but de la réglementation, assurer une structure de marché concurrentielle, qui implique que l'on ne peut pas soutenir à long terme les institutions inefficaces.

L'argument qu'il faudrait autoriser les petits dépôts d'épargne dans les institutions de microfinancement sans supervision prudentielle a été exprimé avec vigueur comme suit:
À notre avis, l'interdiction des dépôts auprès d'organisations communautaires, simplement parce qu'elles sont trop petites ou trop éloignées pour être convenablement supervisées, est une grave erreur. Kate McKee de l'USAID a souligné que ce type de politique revient souvent à dire aux intéressés que, s'il n'est pas possible de leur fournir des services de dépôt de qualité (c'est-à-dire convenablement supervisés), ils n'en auront pas du tout. Dans les régions rurales principalement, les preneurs de dépôts «non supervisables» risquent d'être les seuls désireux et capables d'agir localement. Les clients savent souvent très bien que ce type d'organisation présente des risques, mais continuent à les utiliser parce que leurs autres possibilités d'épargne sont encore plus risquées - on peut voler l'argent au domicile, le bétail peut mourir de maladie ou s'avérer invendable au moment où l'on a besoin de l'argent, etc. Dans ces cas-là, le service de dépôt non supervisé de la collectivité a de fortes chances d'être l'option la moins risquée pour l'épargnant. Nous ne lui rendrons certainement pas service en éliminant cette option sous prétexte que nous jugeons, de manière paternaliste, qu'elle ne présente pas toutes les garanties de sécurité pour lui. (Extrait de: Christen et Rosenberg, 2000, p. 11[souligné dans l'original])

Le crédit à l'agriculture par les banques commerciales est assujetti, dans tous les pays, aux procédures normales de contrôle de la réglementation bancaire. Pourtant, aussi importantes que soient ces procédures, elles ne conviennent pas toujours au microfinancement ni à la finance rurale, puisque la plupart des prêteurs qui travaillent avec les petits emprunteurs ne sont au départ que des institutions de crédit. «Dans la plupart des pays, 85% des institutions de microfinancement ne sont pas des intermédiaires financiers, autrement dit, elles prêtent mais ne reçoivent pas de dépôts du public. La protection des déposants constituant en général la principale justification de la supervision des établissements financiers par les pouvoirs publics, celle-ci n'a donc pas de réelle raison de s'appliquer aux institutions de microfinancement»86.

Et même, certaines institutions récoltant des dépôts n'ont pas nécessairement besoin d'être placées sous le parapluie du contrôle bancaire institutionnalisé:

De nombreuses ONG n'accordent de prêts que moyennant des dépôts d'épargne. Ce type de dépôt doit être vu davantage comme une composante du coût du prêt que comme une véritable intermédiation financière nécessitant une intervention des pouvoirs publics pour protéger les déposants. De même, la supervision publique n'est probablement ni nécessaire, ni adaptée pour les groupes communautaires qui, dans les villages, accueillent les dépôts volontaires de quelques douzaines de membres, qui se connaissent et contrôlent les décisions de prêt du groupe87.

Quand les intermédiaires financiers commencent à accepter des dépôts volontaires d'épargne, ce qui est tôt ou tard indispensable pour assurer leur pérennité, ils deviennent généralement assujettis à la réglementation et au contrôle. Cependant, on s'est aperçu que les procédures habituelles sont difficiles à appliquer aux institutions de microfinancement, et plusieurs pays se sont mis à élaborer des procédures spécifiques de réglementation et de contrôle, ou ont reporté à plus tard l'application des réglementations prudentielles à ces institutions.

Faisant écho en partie aux observations de Fiebig concernant la réglementation du prêt agricole, Rock et al. définissent en quoi les procédures de supervision devraient différer pour les institutions de microfinancement:

Christen a avancé que les institutions de microfinancement doivent répondre à des normes de qualité plus élevées que les banques commerciales, non seulement en matière de capital et de liquidité, mais aussi en termes d'actifs et de revenus:

[L']argument qu'il faut autoriser aux institutions de microfinancement des normes de fonctionnement inférieures parce qu'elles rendent un service public n'a pas de sens. Lorsque l'on sait qu'un grand nombre d'entre elles cherchent un parapluie réglementaire pour mobiliser l'épargne du groupe de clients à faibles revenus auquel elles consentent des prêts, cette position devient encore plus dangereuse. En fait, nous devrions les soumettre à un examen encore plus rigoureux que les banques commerciales traditionnelles, en particulier si elles envisagent de capturer les dépôts de clients à faibles revenus, qui peuvent difficilement se permettre de perdre leur petite épargne en raison d'une mauvaise gestion de l'institution de microfinancement.

Les revenus, la qualité de l'actif et l'adéquation des liquidités constituent la raison même de définir des normes. Ils représentent les performances financières globales de l'institution et le risque que ses activités font courir aux déposants ou aux investisseurs89.

L'évaluation de la qualité de l'actif des petites institutions financières dépend à son tour de l'examen des paramètres appropriés:

La protection du portefeuille de microcrédit est essentielle à la pérennité de l'intermédiation financière réglementée du secteur de la microentreprise. Les autorités de contrôle sont confrontées à trois grands défis en matière d'évaluation de la qualité de l'actif: tenir compte de la valeur des garanties personnelles, faire face à la concentration d'une multitude de petits prêts à court terme dans certains secteurs et adapter la nature des documents demandés… afin de collecter des informations adéquates sur les clients tout en limitant les coûts de gestion90.

Ces remarques impliquent que les institutions de microfinancement et les banques commerciales ne peuvent pas être régies par des réglementations et des procédures de contrôle similaires. Il est donc souvent conseillé de mettre en place des autorités de contrôle distinctes pour la microfinance sous la forme, soit d'un service spécial de l'autorité de contrôle (superintendance bancaire), soit d'un organisme entièrement séparé dépendant cependant de l'autorité monétaire ultime, la banque centrale. Organisme séparé ou non, il doit avoir le pouvoir d'imposer des sanctions, dont la mise en liquidation des intermédiaires, si nécessaire.

Le moment choisi pour mettre en place un système réglementaire peut être important. Christen et Rosenberg ont avancé que la mise en place prématurée d'une réglementation prudentielle des institutions de microfinancement peut être pire que l'absence de réglementation. D'autres observateurs ont suggéré que les réglementations prudentielles qui autorisent les dépôts à plus grande échelle, élargissent l'accès aux fonds empruntés et mettent en place un contrôle peuvent favoriser le développement d'institutions financières saines. Les préoccupations majeures de Christen et Rosenberg sont les suivantes:

Ces auteurs ont avancé qu'il faut retarder la réglementation des institutions de microfinancement tant que le pays n'a pas démontré qu'il contrôle correctement ses banques commerciales, bien plus importantes pour la santé du système financier national. Tout en acceptant qu'il faudra tôt ou tard en venir à réglementer les petites institutions financières, ils doutent que cela améliore leurs activités, ce qui, selon eux, ne peut être le fait que de leurs dirigeants. Cinq de leurs conclusions de base sont les suivantes:

… nous utilisons le terme «autocontrôle» exclusivement pour nous référer aux dispositions par lesquelles la responsabilité première de la surveillance et de l'application des normes prudentielles revient à un organisme contrôlé par les organisations à superviser - en général une fédération d'IMF contrôlée par ses membres. Voici enfin un point sur lequel l'expérience permet de conclure de manière catégorique. Dans les pays pauvres, l'autocontrôle des intermédiaires financiers a été tentée des douzaines de fois et s'est avérée régulièrement inefficace, même avec une assistance technique importante des donateurs93.

La réglementation peut également affecter l'environnement dans lequel se développent les institutions de microfinancement. Le fait que de nombreuses ONG gèrent des programmes de crédit non-durables, aux taux d'intérêts fortement subventionnés, avec une approche laxiste en matière de recouvrement des prêts constitue une préoccupation fréquente. Cette pratique soustrait des clients potentiels aux IMF saines, et empêche l'apparition chez la clientèle d'une bonne mentalité de gestion du crédit. Cela peut s'avérer particulièrement pernicieux dans les pays ayant connu des banques étatiques de développement fonctionnant elles aussi d'une manière artificielle. Les ONG non-durables risquent d'affaiblir la qualité du portefeuille des institutions durables, lorsque les emprunteurs peuvent utiliser les prêts des premières pour honorer les prêts des secondes. Christen et Rosenberg ne jugent pas cette menace très sérieuse et affirment que «un bon nombre des meilleures IMF existantes aujourd'hui se sont développées rapidement malgré la concurrence d'autres programmes de microcrédit dont les taux d'intérêts et de défauts de paiement étaient insoutenables»94. Cela est peut-être vrai dans de nombreux cas, mais au final, tout dépend du contexte et, dans certains pays (Nicaragua, Honduras, par exemple), le nombre d'ONG de crédit non-durables est suffisamment élevé pour qu'elles exercent au moins un certain effet débilitant sur le marché potentiel des IMF solides. Une amélioration de la réglementation pourrait aussi corriger ce problème, lorsqu'il en est besoin.

En bref, la microfinance appelle son propre système de réglementation et de contrôle, qui doit être strict et vigilant, mais également adapté aux spécificités des institutions qu'il contrôle et surveille. L'élaboration et l'élargissement des systèmes réglementaires risquent de nécessiter de nouvelles spécifications institutionnelles, sans négliger le rôle du secteur privé:

… des structures réglementaires comportant un degré d'arbitraire… risquent d'engendrer la corruption. De ce fait, il convient de confier la surveillance à plusieurs organismes. Même sans corruption, toute surveillance est faillible. Etant donné ce que coûte l'octroi d'une autorisation de fonctionner à des institutions non solvables, les chances que cela advienne peuvent être réduites par le recours à plusieurs autorités de contrôle indépendantes….

En principe, les autorités de surveillance sont chapeautées par des autorités de contrôle. Mais ces dernières sont souvent mal informées. S'il existe plusieurs autorités de surveillance, elles peuvent non seulement surveiller les institutions financières, mais aussi se surveiller entre elles … Au vu des organigrammes opérationnels, les réformateurs qui négligent l'importance essentielle de l'information et du contrôle risquent de suggérer qu'il faut les regrouper pour mettre fin au supposé gaspillage engendré par la duplication. De ce point de vue, de telles réformes risquent d'être fondamentalement mal inspirées.

Les gouvernements peuvent profiter des ressources et des motivations du secteur privé pour élargir la portée de la réglementation et améliorer l'efficacité de la surveillance. La… suggestion que le gouvernement s'attache à réglementer des variables telles que l'actif net ou le capital, qu'il peut observer à relativement faible coût, relève de cette catégorie95.

En dernière analyse, si importante que soit la réglementation financière, il faut être conscient qu'elle ne suffit pas à garantir la bonne santé du système financier. Comme l'a souligné Fiebig:

Il ne faut pas perdre de vue que, si les institutions financières profitent effectivement d'un régime réglementaire externe convenable, rien ne prouve véritablement que l'existence d'une juridiction réglementaire renforce les institutions et les met davantage à l'abri des chocs externes (ou de la fraude interne). Les spécialistes de la réglementation bancaire conviennent généralement que la sécurité, la bonne santé et la rentabilité d'une institution financière dépendent avant tout de sa direction et de ses propriétaires96.

7.5 REMARQUES STRUCTURELLES RELATIVES AUX INSTITUTIONS FINANCIÈRES RURALES

7.5.1 Structures institutionnelles locales

Les institutions financières rurales présentent une grande diversité de structures. La distinction entre institutions pratiquant uniquement le crédit et institutions recevant également des dépôts a déjà été notée. Si, au départ, la plupart des intermédiaires financiers ruraux informels, et en particulier ceux qui bénéficient du soutien d'ONG, se limitent au prêt, il est important de les inciter à se transformer en institutions capables de mobiliser l'épargne, et de les soutenir dans cette voie, afin d'assurer leur pérennité.

Certaines petites institutions financières, dont les plus anciennes, ont vu le jour avec la double capacité de dépôts et de prêts. Diverses cultures dans le monde ont donné naissance à des petits groupes financiers mutualistes auxquels on se réfère de plus en plus souvent sous le terme générique de ROSCA («associations d'épargne et de crédit tournants»). De petite taille, ces groupes comptent entre quelques membres et une soixantaine au maximum, 12 et 24 le plus souvent. Normalement, ils réunissent des personnes qui se côtoient quotidiennement pour d'autres raisons, tels que voisins ou collègues de travail, par exemple. Ils peuvent également s'organiser autour d'associations d'anciens élèves ou d'un autre facteur de cohésion sociale. En général, les membres d'une ROSCA versent une cotisation périodique, le plus souvent mensuelle, à un fonds central et les retraits obéissent à des règles fixes. Il arrive fréquemment que, tous les mois, chaque membre, à tour de rôle, prenne pour lui la totalité du fonds. D'autres dispositions prévoient le prêt d'une partie du fonds. En Corée, ce type d'organisation s'appelle kye, au Mexique, tanda, en Bolivie, pasanaku, en Égypte, gamaiayh, au Mozambique, xitique, au Ghana, susu97. Bien que simples, ces structures ne sont pas pour autant simplistes. Par exemple, en Corée, diverses positions dans le kye correspondent aux prêteurs nets ou aux emprunteurs nets, et le taux d'intérêts implicite (sur dépôts ou crédits) varie en fonction de la position. Selon leurs désirs ou leurs besoins, les Coréens peuvent rechercher un kye, dont la position 9, ou la 2, etc., soit libre. Dans ce pays au moins, la plupart des membres des kye sont des femmes.

Le fonctionnement des ROSCA compte sur la pression des pairs pour faire respecter les règles, et les occasions où il est nécessaire de l'exercer avec vigueur ne sont pas rares. Il est impossible de les reproduire sous leur forme d'origine à plus grande échelle. Cependant, les principes qui les animent se retrouvent dans d'autres types d'organismes de crédit, telles que les coopératives et les mutuelles de crédit, et ils ont été appliqués avec succès dans les techniques de prêt d'institutions comme la Grameen Bank.

Bien que leur structure les empêche d'atteindre une échelle d'exploitation significative, les ROSCA montrent que les sociétés humaines savent élaborer des institutions spécifiques pour répondre au besoin d'un endroit où déposer l'épargne et de crédit à court terme. L'existence d'un système autochtone de relations et d'institutions financières met aussi en lumière qu'il faut adapter les nouvelles institutions financières au contexte local.

Dans une étude de la finance villageoise en Gambie, Nagarajan, Meyer et Graham ont analysé le rôle joué par deux ONG internationales. Ils se sont aperçus que l'une d'entre elles affaiblissait les institutions financières traditionnelles locales (kafos) qui se chargeaient de l'assurance (fonds en prévision des situations de crise), de la mobilisation de l'épargne et des prêts. Ces institutions indigènes s'occupaient également du partage de la main d'œuvre et d'autres activités collectives. Elles pratiquaient les taux d'intérêts du marché. L'une des ONG avait pris soin d'adapter son activité de manière à compléter le rôle du kafos, tandis que l'autre arrivait dans les villages avec un plan préétabli de crédit ciblé et subventionné. Les auteurs ont conclu que:

les prêts ciblés… à des taux d'intérêts subventionnés utilisant des fonds externes semblent exercer une influence néfaste sur les kafos parce qu'ils érodent des garde-fous institutionnels soigneusement élaborés. Par conséquent [cette ONG], qui ne se substitue que partiellement aux activités des kafos, risque fort de réduire le bien-être global des villages parce que les gains réalisés par certains peuvent bien ne pas contrebalancer les pertes des autres98.

7.5.2 Coopératives de crédit

En dehors des petites organisations de prêt soutenues par des donateurs, les coopératives de crédit (mutuelles de crédit) sont le type le plus répandu d'institutions financières locales touchant des groupes plus larges. Leur structure est fondamentalement différente de celle des banques. Elles appartiennent aux déposants-emprunteurs et la plupart d'entre elles ne disposent pas de capital de base. En outre, sauf si elles sont fédérées, elles ne peuvent pas emprunter à d'autres institutions financières pour compenser un manque de liquidités. A contrario, les banques ont des propriétaires qui contribuent au capital par actions et leur structure plus institutionnalisée leur donne accès au marché du crédit interbancaire.

L'un des avantages des coopératives de crédit est leur facilité de création, car elles n'ont pas à se conformer aux obligations de capital minimum ou autres réglementations qui s'appliquent aux banques (l'inconvénient de cette situation est qu'elles ne sont pas assujetties à la réglementation prudentielle, contrairement aux banques). Elles présentent également l'avantage d'un très faible coût de gestion; parfois elles comptent sur le bénévolat de leurs membres. Du fait de l'implication plus importante de leurs membres, les coopératives de crédit tendent à être plus «conviviales» que de nombreuses banques et le coût de leurs services est en général faible. Cependant, les banques ne cessent d'améliorer la qualité de leurs services.

Plus formellement, le succès des coopératives de crédit vient du fait que: a) elles entretiennent une relation à long terme avec leurs membres, ce qui génère chez eux un sentiment d'identification à l'institution et responsabilise celle-ci et b) même dans les coopératives importantes, la surveillance des prêts est effectuée par des pairs, qui appartiennent souvent à la même communauté99.

En pratique, les résultats des coopératives de crédit sont inégaux et leurs performances dans de nombreux pays ont été décevantes et marquées par de nombreux échecs. «Les coopératives de crédit des pays en développement ont montré une forte et gênante tendance à une instabilité du type bulle-qui-éclate. Dans plusieurs pays pauvres, la majorité d'entre elles n'est pas solvable - c'est-à-dire qu'elles sont incapables de rembourser tous les déposants»100. Ledgerwood a fait une observation similaire: «de nombreux systèmes [de coopératives de crédit] ne fonctionnent pas aussi bien que le laisserait espérer la philosophie qui les a inspirées. En même temps, elles constituent des partenaires difficiles pour les institutions étrangères»101. Cette situation est la conséquence directe de leur structure institutionnelle (comme l'a également observé Fiebig dans les commentaires cités ci-dessus):

…les coopératives de crédit n'ont pas obtenu de bons résultats, même dans les pays où elles appartiennent à la structure financière institutionnalisée (c'est-à-dire où elles sont réglementées), parce que leurs règles de gouvernance et leur structure de propriété sont antinomiques avec leur santé financière. Les coopératives de crédit ne pouvant prêter qu'à leurs propriétaires, cela signifie en pratique qu'elles n'ont pas de capital. En cas de faillite, les propriétaires peuvent récupérer leur capital en ne remboursant pas leurs prêts. En l'absence de capital, les intermédiaires financiers ne se préoccupent pas du risque. Par ailleurs, les coopératives de crédit peuvent facilement passer aux mains d'individus qui n'y disposent que d'investissements négligeables. Ces règles de gouvernance et ces droits de propriété sont pervers, parce que les personnes qui dirigent ces organisations ne réclameront en fin de compte que leurs profits et pas leurs pertes (il s'agit d'un cas de domination par les emprunteurs)… On peut citer comme exemples de… pratiques adoptées par les intermédiaires [financiers] dominés par les emprunteurs le recouvrement médiocre des prêts et les faibles taux d'intérêts102.

Dans une étude exhaustive de l'expérience des coopératives de crédit dans le monde en développement, John H. Magill a résumé en ces termes certaines des principales faiblesses et contraintes qui les caractérisent:

Les coopératives de crédit sont souvent de petite taille… [et de ce fait elles] n'ont pas pu assumer le risque associé à l'élaboration ou à la mise en œuvre de programmes spécialisés visant à toucher de nombreuses petites entreprises.

Du fait d'aspects fondamentalement inadaptés des politiques financières et de taux d'intérêts pratiquées par les coopératives de crédit dans la plupart des pays -en particulier de la préséance du crédit sur l'épargne-, les coopératives de crédit ne génèrent pas assez rapidement de capital pour répondre à la demande de leurs membres…

Le fait que la plupart d'entre elles soient des organisations conservatrices et très traditionalistes, qui ne possèdent pas une philosophie moderne privilégiant la croissance et le service, limite leur pénétration sur le segment du prêt aux entreprises…

Les politiques internes des coopératives de crédit et leurs procédures opératoires doivent se moderniser si ces institutions veulent élargir de manière significative leur rôle dans le crédit aux petites entreprises. En particulier, la médiocrité du contrôle des défauts de paiement et des capacités de gestion du portefeuille empêche un grand nombre d'entre elles d'élargir leurs portefeuilles de prêt ou de proposer de nouveaux services. Il faut améliorer la gestion, les systèmes d'exploitation et même les systèmes comptables de base, en particulier dans les petites coopératives de crédit103.

Il suffit de remplacer «entreprise» par «exploitation agricole» dans ce passage pour voir clairement les problèmes que posent les coopératives de crédit pour le financement de l'agriculture, dans leur état de développement actuel.

Le soutien financier du gouvernement aurait tendance à aggraver, plutôt qu'à diminuer, les difficultés des coopératives de crédit:

Dans de nombreux pays en développement, les coopératives fonctionnent sous l'égide d'un service public qui leur apporte des fonds, une assistance technique et des conseils de politique. Le soutien du gouvernement constitue une option attractive pour les dirigeants des coopératives, parce qu'il permet le développement rapide des prêts, mais il n'incite pas les membres à y contribuer par leurs propres fonds. Lorsque l'octroi des prêts suit les directives gouvernementales, les prêteurs rencontrent parfois des difficultés de recouvrement. Ce type de prêts est souvent considéré comme une subvention et donc comme une ressource que l'on peut dépenser dans la consommation…

Par ailleurs, le gouvernement et les coopératives peuvent poursuivre des buts très différents: les gouvernements considèrent souvent les coopératives comme les instruments d'une politique plus large. En Afrique, par exemple, un ministère souhaitait utiliser le système des coopératives de crédit pour acheminer les fonds à faible intérêt de donateurs étrangers à des programmes ciblés. Lorsqu'il a présenté son plan à la coopérative, le directeur a refusé parce qu'il pensait que son institution ne récupérerait jamais les fonds en question. On l'a mis en demeure de revenir sur sa décision ou de démissionner. Le plan a été appliqué, le recouvrement s'est avéré très faible et d'autres programmes de prêts coopératifs en ont pâti…

De la même manière, le soutien de donateurs étrangers peut être à double tranchant. Les coopératives apparaissent comme une filière adéquate pour les fonds de développement, mais elles se retrouvent souvent avec un lourd passif et un mauvais taux de recouvrement…104

Les points faibles types et les points forts potentiels des coopératives de crédit sont illustrés par l'expérience de réforme des coopératives de crédit menée par le Conseil mondial des coopératives d'épargne et de crédit au Guatemala:
Avant 1988… leur principal objectif était la mise à disposition d'un crédit rural bon marché. [Elles] étaient financées par du crédit externe subventionné et par des dépôts de participations obligatoires à intérêt nul de leurs membres. Parce que les prêts étaient consentis à des taux d'intérêts inférieurs au marché, l'épargne se trouvait pénalisée et les emprunts récompensés. Les coopératives de crédit étaient confrontées à de graves problèmes d'exploitation (les systèmes de gestion de l'information étaient sous-développés, les coopératives de crédit possédaient un important volume d'actif non générateur de revenu, le taux de défaillance s'élevait à environ 20% et les réserves pour créances douteuses étaient sous-estimées de plus de 50%. Les réserves de liquidités étaient si faibles (environ 3%) qu'elles ne pouvaient pas toujours honorer les retraits d'espèces de leurs membres…
Entre 1987 et 1994, le Conseil mondial des coopératives d'épargne et de crédit, créé par l'USAID, a mis en œuvre un programme de développement institutionnel pour les coopératives de crédit … En 1994… les dépôts étaient passés de 24% de l'actif… à 55%… Le taux de délinquance était tombé à 8% du portefeuille de prêt… Plusieurs facteurs ont contribué à ce retournement de situation:
  • … recours à un plan de gestion intégrant le développement de l'institution, la stabilisation financière, la mobilisation de l'épargne et la gestion du crédit. Des objectifs financiers fermes ont été fixés et un système de gestion de l'information efficace a été mis en place. Les taux d'intérêts sur les dépôts et les prêts ont été augmentés.
  • … Toutes les parties se sont engagées en signant un accord de participation.
  • … les coopératives de crédit ont bénéficié d'une assistance financière pour aider le processus de stabilisation sous la forme de prêts à un an sans intérêts. Ce capital a été placé dans des investissements à fort rendement au Guatemala et les intérêts acquis ont été distribués aux coopératives de crédit pour compenser l'actif non producteur de revenus.
(Extrait de: Yaron, Benjamin et Piprek, 1997, p. 74)

Néanmoins, des coopératives de crédit dont la conception institutionnelle était adéquate ont obtenu de bons résultats. Dans son étude de l'expérience du Togo, la Banque mondiale a présenté les opportunités offertes par les coopératives de crédit et les approches susceptibles de leur assurer un fonctionnement satisfaisant:

En dépit des difficultés, les coopératives constituent un bon moyen d'élargir l'accès aux services financiers. Leurs coûts sont souvent bas parce qu'elles font appel au bénévolat et qu'elles peuvent réduire le risque grâce à la responsabilité de groupe et aux sanctions appliquées localement. Chaque fois que les gouvernements se sont davantage souciés de la viabilité des coopératives que de leurs objectifs sociaux - et lorsque les restrictions sur les taux d'intérêts étaient relativement modestes - les coopératives se sont multipliées et l'offre de services financiers s'est élargie. Au Togo, par exemple, entre 1977 et 1986 l'épargne dans le système des coopératives de crédit a augmenté de 25% par an et les prêts de 33% par an. Les membres élisent un conseil de direction, qui décide des taux d'intérêts, des dividendes sur les parts et des politiques de prêt. Les coopératives de crédit sont fédérées et gèrent collectivement un fonds centralisé, investissent dans des instruments financiers à faible risque et assurent la médiation des transferts entre les coopératives membres qui disposent de fonds excédentaires et celles qui en manquent… elles ont accès à des marchés financiers plus larges grâce à leur structure fédérée105.

Pour Magill, si le mouvement des coopératives de crédit surmonte les faiblesses qu'il décrit, il pourra jouer un rôle plus important dans le financement du développement:

Les coopératives de crédit du monde en développement, particulièrement dans les pays confrontés à des taux d'inflation élevés, ont commencé à moderniser leurs services d'épargne. Des comptes d'épargne et de dépôts normaux sont proposés en sus des comptes d'épargne en actions traditionnels. Sur ces nouveaux instruments d'épargne, elles paient des intérêts plus proches de ceux du marché … Ces changements vont faire des coopératives de crédit des institutions financières plus viables…

La modernisation des coopératives de crédit doit se concentrer sur l'amélioration de leurs produits financiers:

En résumé, des politiques compensant les faiblesses structurelles des coopératives de crédit en matière de gouvernance et de propriété peuvent en renforcer la viabilité: politique de taux d'intérêts réaliste, mise en place de fédérations de coopératives de crédit avec fonds centralisé, renoncement des gouvernements et des donateurs à acheminer le crédit subventionné par le canal des coopératives. Il est également important d'assujettir les coopératives de crédit à un contrôle adéquat, dont elles sont en général dispensées. Comme indiqué plus haut dans ce chapitre, cela nécessite de séparer les autorités de contrôle de l'entité chargée d'assurer une assistance technique pour leur développement. Les réglementations doivent empêcher les dirigeants de ces institutions d'accéder aux prêts en passant outre au processus normal de dépôt et d'approbation des dossiers. De nombreuses coopératives de crédit n'ont pas survécu aux luttes menées par des individus influents pour accéder à leurs fonds.

7.5.3 Banques rurales

L'expérience internationale de la microfinance fait ressortir le besoin de hisser ces institutions de crédit à des niveaux supérieurs d'autosuffisance - qu'elles deviennent des banques. Mais en attendant, la plupart d'entre elles ne peuvent agir qu'à une échelle limitée avec un portefeuille de petits clients (en termes financiers). Les besoins en crédit de nombreuses exploitations, même de taille moyenne et petite, dépassent en général les plafonds ou les capacités de crédit de la plupart des institutions de microfinancement. À cet égard, des millions d'exploitations agricoles se trouvent dans la même situation qu'un nombre croissant de microentreprises d'autres secteurs, à savoir qu'elles ont atteint une taille trop importante pour devenir clientes de ces institutions, mais insuffisante pour emprunter aux banques commerciales.

Trop importantes pour les institutions de crédit qui ne fournissent que des fonds de roulement à court terme, trop petites pour satisfaire aux critères de montant minimum des prêts ou de garantie requis par les institutions financières structurées, ces entreprises voient leur croissance bloquée par l'absence d'un crédit dont les montants et les conditions correspondent à leurs besoins en expansion. Les microentreprises performantes s'aperçoivent que «du fait de leur réussite, elles présentent un risque trop important pour les secteurs financiers aussi bien informels qu'institutionnalisés. Elles se trouvent dans un no man's land, véritable lacune structurelle où stagnent des entreprises florissantes, dans l'incapacité de générer le revenu et les emplois supplémentaires dont elles possèdent pourtant le potentiel»107.

Dans de nombreux pays, la fermeture progressive des banques de développement agricole d'État a rendu encore plus urgents de répondre aux besoins en crédit des agriculteurs. Le mouvement de la microfinance présente certes une grande utilité pour répondre aux besoins financiers de nombreuses familles rurales, mais il ne suffit pas à financer le développement agricole. Il faut élaborer une réponse plus globale en le complétant par la création de banques privées spécialisées dans le crédit à l'agriculture. Bancafé et Banco del Occidente au Honduras, Banco Ganadero en Colombie en constituent quelques exemples, encore rares. Comme dit plus haut, si aucune banque commerciale ne peut se permettre de se limiter au prêt agricole, du fait des risques trop élevés qu'il présente, en revanche, beaucoup d'entre elles pourraient augmenter la part de l'agriculture dans leur portefeuille.

Pour qu'une banque reste viable tout en orientant ses activités vers la clientèle agricole, il faut qu'elle soit de taille suffisante pour couvrir des zones dispersées géographiquement, afin de réduire le risque covariant. Les autres impératifs sont les suivants108:

Outre l'adoption de meilleures pratiques de prêt pour l'agriculture, il devient clair que le financement agricole a besoin d'un cadre réglementaire adapté, et pas seulement pour le microfinancement, comme le suggèrent les observations de Michael Fiebig citées à la section 7.4 ci-dessus. Ce point est repris dans la conclusion du présent chapitre.

Dans la plupart des cas, il n'est pas réaliste d'espérer convaincre les banques commerciales existantes d'augmenter leur volume de crédit agricole, au lieu de leurs investissements relativement plus sûrs dans des biens urbains et des obligations d'État. L'alternative consiste à créer des banques distinctes spécialisées dans l'agriculture, mais les exigences de capital initial pour créer une banque risquent de décourager même un groupe important d'agriculteurs intéressés. Bancafé et Banco Ganadero sont des institutions gouvernementales transformées en institutions privées. Dans le cas de la seconde, l'achat des actions par des éleveurs colombiens s'est échelonné sur de nombreuses années et a pris la forme d'un prélèvement spécial basé sur les troupeaux de bétail.

Une autre solution consisterait à rechercher des sources externes de financement afin de créer l'institution et de lancer les opérations, comme l'ont fait la plupart des institutions de microfinancement, étant convenu que le capital social serait racheté au fil du temps par des agriculteurs locaux et autres investisseurs privés nationaux. Dans ce cas, le chemin vers l'autosuffisance pourrait être très similaire à celui de ces institutions, à quelques différences près: la clientèle serait de taille diverse, en termes financiers, la taille moyenne des prêts serait plus importante que dans le cas des institutions de microfinancement, et l'accent porterait davantage sur le crédit agricole.

Les institutions de microfinancement rural peuvent aussi élargir leurs activités en passant des alliances avec des banques existantes:

Alternativement, au lieu d'octroyer une licence spéciale aux IMF, celles-ci pourraient profiter de la licence d'une autre institution. Des IMF d'ONG se sont associées à des banques ou à des coopératives de crédit existantes, et se sont servies de leur licence pour élargir les services proposés à la clientèle ciblée par les ONG. L'ONG Freedom from Hunger a conclu des arrangements de ce type avec les coopératives financières ou les banques rurales du Burkina Faso, du Ghana, du Mali, de Madagascar et des Philippines.

… Structurer la relation banque/ONG laisse une grande marge de créativité. On pourrait même envisager des solutions laissant à l'ONG le contrôle du crédit, qu'il s'agisse de la méthode, de la taille et des conditions des prêts et de la sélection des clients109.

7.5.4 Institutions faîtières

Une autre option consiste à mettre en place un réseau de petites institutions financières rurales, reliées entre elles par un fonds centralisé appelé «institution faîtière» ou institution de second degré. Individuellement, ces petites institutions membres, dont le portefeuille est exposé à un risque covariant plus élevé, pourraient en principe être à même de le diluer collectivement. Il en existe des exemples au Costa Rica, où l'institution faîtière s'appelle FINCA (Foundation for International Community Assistance), une organisation des États-Unis d'Amérique à but non lucratif, et en Colombie, avec une petite entité dénommée AGS (Asociación de Grupos Solidarios de Colombia). Les institutions faîtières des programmes de microfinancement peuvent exister indépendamment de la structure des programmes de leurs affiliés locaux. Elles sont considérées comme «des courtiers ou des grossistes intervenant entre les banques et les programmes des ONG»110.

Le concept d'institutions de second degré, tout comme celui d'intermédiation financière en général, a beaucoup évolué ces dernières années. À l'exemple du Fondo Financiero Agropecuario de Colombie, on les considérait autrefois comme des sources de crédit dirigé subventionné. Aujourd'hui, elles ont pour rôle d'aider leurs affiliés à gérer leurs liquidités, de leur assurer l'accès au marché interbancaire et parfois également de leur apporter une assistance technique en gestion financière. Compte tenu du risque covariant élevé auquel les coopératives de crédit rural individuelles ou les mini-banques sont susceptibles d'être exposées, des liens avec une institution de second degré peuvent renforcer leurs chances de durabilité.

Le nouveau rôle des institutions de second degré a été résumé comme suit:

Une institution de second degré est un intermédiaire ou un réseau financier qui fournit des services de soutien financier et institutionnel à des intermédiaires de détail… l'institution de second degré doit être autonome, libre de toute ingérence politique, avoir la capacité de mobiliser du financement, très bien connaître les institutions de détail et être capable de motiver ces dernières tout en appliquant avec rigueur les normes et les critères ouvrant droit à l'assistance111.

Cependant, si une institution faîtière doit exercer un certain contrôle sur ses affiliés et posséder un pouvoir exécutoire, elle ne doit pas tenter d'effectuer de la supervision bancaire per se. Cela la placerait dans la position intenable de juge et partie du système. En fait, c'est la combinaison des rôles de contrôle et d'assistance technique au sein d'une organisation centrale qui est à l'origine de certains des problèmes rencontrés par les coopératives de crédit.

Un autre point crucial concerne la propriété de l'institution faîtière. Les affiliés peuvent en être actionnaires, mais s'ils détiennent collectivement la majorité des parts, il est virtuellement impossible à l'organisation de jouer le rôle de leadership du système qui devrait être le sien. Ce problème a été soulevé au sujet de l'AGS en Colombie:

La structure dirigeante de l'AGS, y compris le conseil d'administration, est aux mains des directeurs généraux des affiliés. Cela a beaucoup fait pour que les services fournis par l'institution répondent aux besoins de ses membres…

Néanmoins, le fait que les dirigeants prennent des décisions susceptibles d'avoir des répercussions directes sur leurs propres organisations a eu un effet négatif sur l'objectivité du processus. Comme celle de nombreuses organisations adhérentes, la structure dirigeante de l'AGS est faible parce que les bénéficiaires des services de l'organisation sont aussi ceux qui la contrôlent. Les directeurs généraux sont à la fois juge et partie. Les décisions de politique dépassent rarement les préoccupations de clocher des membres. Un exemple type en est la forte opposition de certains membres du conseil à augmenter les taux d'intérêts pratiqués par AGS et à facturer ses services. Le développement de l'organisation et sa durabilité à long terme ont été sacrifiés au bénéfice d'argent bon marché et de services gratuits pour ses membres112.

Pour renforcer une bonne gouvernance, ces institutions faîtières de second degré peuvent et devraient appartenir, au moins en partie, à des investisseurs privés, plutôt qu'aux IMF qui leur sont affiliées; il pourrait s'agir de banques commerciales à qui les petits intermédiaires offriraient un moyen économique de pénétrer le milieu rural. Un système ainsi organisé ressemblerait un peu à une banque avec de nombreuses agences rurales. Une différence est qu'un système fédératif peut avoir des bureaux locaux très peu coûteux, à la limite certains bureaux fonctionnant depuis des domiciles particuliers et n'ouvrant que deux jours par semaine. Le rôle potentiel de tels systèmes est de mieux en mieux reconnu:

… parmi les nouvelles stratégies de développement de marchés financiers [ruraux], la plus prometteuse est d'articuler des institutions financières contrôlées par leurs membres avec un secteur bancaire et coopératif libéralisé113.

Soigneusement structurées pour éviter, entre autres, ce problème, les institutions faîtières peuvent utilement renforcer un groupe de petites institutions financières. Cependant, jusqu'à maintenant leurs performances n'ont pas toujours été à la hauteur de leur potentiel. Ledgerwood a résumé celui-ci, ainsi que leurs faiblesses:

Une institution faîtière peut:

L'expérience des institutions faîtières est mitigée. Celles qui se concentrent sur la fourniture de fonds aux IMF de détail, souvent à des taux subventionnés, n'ont pas trouvé chez celles-ci une capacité suffisante d'absorption. Le plus souvent, les IMF ont davantage besoin de construire leur capacité institutionnelle que de trouver des sources de financement supplémentaires. En outre, le fait que les institutions faîtières jouent le rôle de «grossistes en fonds» n'incite pas les IMF de détail à mobiliser les dépôts.

Les institutions faîtières présentent d'autres points faibles potentiels:

Malgré les nombreux inconvénients des institutions faîtières, une fois convenablement structurées et munies d'objectifs clairs et orientés vers le marché, elles peuvent s'avérer valables et aider au développement de la microfinance.

Dans la plupart des cas, les institutions faîtières de microfinance n'apportent pas seulement au marché une meilleure liquidité. En général, elles sont instituées lorsque tout le monde convient que la capacité au niveau du détail laisse fortement à désirer. L'objectif déclaré de l'organisation faîtière est de contribuer à la mise en place de détaillants plus forts, capables de toucher une part beaucoup plus large de la clientèle du microfinancement114.

Pour préciser davantage leur rôle, les institutions faîtières présentent encore une utilité dans les situations suivantes (Von Pischke, 1996)115:

L'institution faîtière semble obtenir de meilleurs résultats lorsqu'il existe déjà une masse critique de bonnes IMF de détail, et qu'elle travaille avec des institutions financières existantes qui «descendent d'un cran» pour répondre aux besoins des clients à faibles revenus116.

7.5.5 Lignes de réescompte et financement obligataire

Les institutions de second degré qui se consacrent exclusivement au prêt de fonds des gouvernements et des donateurs à des intermédiaires financiers de détail s'appellent des lignes de réescompte. Bien qu'elles soient passées de mode depuis quelques années, on y a toujours recours lorsque la faiblesse des systèmes financiers gène considérablement le développement de certains secteurs ou de certaines régions du pays. Par exemple, la Banque mondiale a apporté son soutien à une ligne de réescompte pour encourager les investissements en dehors de la région de Maputo au Mozambique, laquelle concentrait la quasi-totalité des investissements bancaires, ainsi qu'à des lignes de réescompte au Honduras et au Nicaragua, principalement pour l'agriculture. En Estonie, elle a accepté que le gouvernement maintienne une ligne de réescompte pour l'agriculture pendant la transition vers l'économie de marché; au Nicaragua, elle a proposé de diriger les fonds subventionnés vers des banques qui accepteraient d'ouvrir des succursales dans les zones rurales (sans grand succès).

En général, les lignes de réescompte tendent à restreindre l'utilisation des fonds qu'elles procurent à un petit nombre d'activités économiques, telles que l'agriculture et le logement. Leurs détracteurs soulignent que le crédit dirigé risque d'être consacré à des usages sous-optimaux du point de vue économique global et détourné de son objet du fait de la fongibilité des fonds; ainsi, en libérant un peu de ses ressources propres, un prêt consenti à un agriculteur pourrait permettre à sa famille de construire une maison en zone urbaine. En général, les lignes de réescompte sont subventionnées pour deux raisons: 1) pour inciter les intermédiaires financiers à prêter à des fins pour lesquelles ils n'auraient pas accordé de crédit et 2) parce que, souvent, on juge que le secteur ou le groupe cible a besoin de financement subventionné pour se développer. Cependant, la conception d'une ligne de réescompte ne comporte pas forcément l'octroi de subventions à la clientèle cible.

Bien que les critiques adressées aux lignes de réescompte soient fondées, il est indéniable, comme indiqué plus haut, que la disparition des banques agricoles du secteur public a laissé grand nombre d'exploitations moyennes et petites dans un vaste vide financier. Celui-ci ne sera pas rempli tant que les institutions de microfinancement n'auront pas mûri et ne se seront pas développées davantage et/ou tant que de nouveaux types de banques rurales n'auront pas émergés. Dans la plupart des pays en développement, on ne peut compter à court terme sur l'une ou l'autre de ces solutions. Le besoin en fonds réescomptés est plus aigu pour les investissements à long terme, tels que la reforestation, les réseaux d'irrigation privés, les arbres fruitiers et l'accroissement du cheptel. Lorsque les banques commerciales prêtent à l'agriculture, c'est pour l'essentiel du fonds de roulement à court terme. Pour être efficace, la ligne de réescompte doit apporter son soutien aux axes de production présentant clairement un avantage comparatif (souvent ce n'est pas le cas), et ses conditions doivent être suffisamment attractives pour les intermédiaires financiers.

L'incapacité du système financier de détail à absorber davantage de fonds peut constituer un obstacle majeur au fonctionnement efficace des lignes de réescompte. Souvent les banques ont atteint le maximum de leurs capacités de prêt en termes de ratio actif/capital, surtout compte tenu des conditions attractives des titres d'État, et les IMF ne disposent pas d'une capacité suffisante pour prêter davantage. Le problème de fond risque donc de se résumer à l'identification d'un intermédiaire financier adéquat. Les associations de producteurs ont parfois tenté de jouer ce rôle, mais leurs garanties sont souvent de mauvaise qualité, sauf si elles peuvent acheter un cautionnement à une banque, ce qui peut s'avérer coûteux et même, dans certains pays, impossible. C'est pourquoi, en dépit de la logique quasi inexorable du besoin (passager) de lignes de réescompte pour favoriser le développement de secteurs clés de nombreuses économies en développement, ce besoin renvoie souvent de nouveau à la nécessité de renforcer les intermédiaires financiers de détail existants.

Bien qu'il soit rarement sollicité pour le développement agricole, le marché des obligations peut, dans certaines circonstances favorables, représenter une ressource financière. À la fin des années 90, l'El Salvador a réussi à lancer des obligations sur le marché international afin de soutenir un programme de rénovation des plantations de café. Cependant, les conditions de la réussite de ce programme étaient très strictes, à savoir:

Des conditions aussi favorables sont rarement réunies, mais lorsqu'elles le sont, le marché international des obligations représente une ressource financière sous-utilisée pour le soutien au développement agricole.

7.5.6 Problèmes de gouvernance

Au niveau du système dans son ensemble, la bonne gouvernance nécessite, de la part du fonds central auquel sont liés les intermédiaires financiers locaux, des mécanismes adaptés de contrôle financier et d'assistance technique. Au niveau de l'institution locale, la gouvernance consiste à mettre en place la responsabilisation et la transparence des opérations et des relations entre actionnaires, déposants, encadrement et dirigeants. La bonne gouvernance constitue le facteur de réussite peut-être le plus important des institutions financières rurales118.

La bonne gouvernance donne à chaque acteur la liberté nécessaire pour agir dans l'intérêt de l'institution tout en répondant aux autres intérêts légitimes qui y sont investis. Lorsqu'une institution fonctionne bien de cette manière, elle peut relever les défis décrits par Max Clarkson et Michael Deck119:

  1. Comment l'entreprise conserve-t-elle sa vision?
  2. Comment réalise-t-elle l'équilibre entre croissance, risque et rentabilité?
  3. Comment met-elle en place un système de gouvernance dans lequel la direction doit rendre des comptes, sans perdre son indépendance?

Concrètement, la gouvernance met fin aux conflits d'intérêt et crée des relations de confiance entre déposants, cadres, actionnaires et conseil d'administration, confiants que des personnages influents ne pourront abuser de leur relation avec l'institution pour accéder à ses fonds de manière douteuse. Les abus de cette nature, ou de simples allégations en ce sens, ont handicapé de nombreuses coopératives de crédit rural au fil des années.

Il n'existe pas de consignes précises de gouvernance pour les institutions financières rurales. Cependant, pour entraver l'accès aux fonds de la part d'agents ou responsables de l'institution et augmenter la responsabilisation, Clarkson et Deck (1997) énumèrent les responsabilités élémentaires des dirigeants, à savoir:

  1. Fiducie. Le conseil d'administration doit sauvegarder les intérêts de toutes les parties prenantes à l'institution. En ce sens, il joue un rôle de contrôle et d'équilibre pour assurer investisseurs, personnel, clients et autres intéressés majeurs [de l'institution] que les gestionnaires travailleront dans l'intérêt de l'institution.

  2. Stratégie. Le conseil d'administration contribue à la stratégie à long terme de l'organisation en évaluant de manière critique les principaux risques auxquels celle-ci est exposée, et en approuvant les plans présentés par la direction. Le conseil n'élabore pas la stratégie [de l'institution], mais il examine les plans de gestion de sa direction à la lumière de la mission de l'institution, et les approuve en conséquence.

  3. Contrôle. Le conseil d'administration délègue l'autorité opérationnelle à la direction en la personne du Directeur Général. Il supervise la Direction dans sa mise en œuvre du plan stratégique qu'il a approuvé, et évalue les performances des dirigeants par rapport aux objectifs et au calendrier définis dans le plan.

  4. Développement de l'équipe dirigeante. Le conseil d'administration supervise la sélection, l'évaluation et la rémunération de l'équipe de direction générale.

Ces auteurs soulignent également que «il n'est pas nécessaire que les membres du conseil soient des actionnaires. En fait, il peut s'avérer préférable que certains membres soient indépendants…» Par dessus tout, «les membres du conseil ne doivent pas percevoir d'autre gain personnel ou matériel que la rémunération approuvée. Le conseil doit partager des objectifs clairs. Il est important que ses membres n'aient pas de visées politiques susceptibles d'influer sur l'orientation de l'organisation».

Leur étude évoque en outre le point mentionné ci-dessus, à savoir la présence de parties prenantes ayant investi du capital dans l'institution, par comparaison avec le modèle purement coopératif (Clarkson et Deck, 1997, p. 7):

L'une des raisons qui justifient la transformation des ONG en intermédiaires financiers réglementés est que le capital des institutions à but lucratif appartient à des individus qui ne voudront pas que leur capital soit dilapidé. Lorsque l'institution a des actionnaires qui ont quelque chose à perdre, des lignes de responsabilité claires se dessinent entre les propriétaires et les membres du conseil.

Ils terminent en insistant sur le fait que les membres du conseil et les dirigeants devraient participer aux programmes de formation de ce type d'institutions.

81 Banque mondiale, 1989, p. 91.

82 Ibid.

83 Robert Peck Christen et Richard Rosenberg, The Rush To Regulate: Legal Frameworks in Microfinance, Occasional Paper № 4, GCAP, Washington, D.C., mars 2000, p. 9 [souligné dans l'original].

84 Michael Fiebig, Prudential Regulation and Supervision for Agricultural Finance, Agricultural Finance Revisited № 5, FAO et GTZ, Rome, 2001, pages 26–43.

85 L'étude de Fiebig comprend également un commentaire sur les exigences réglementaires en matière des rubriques d'audit interne, de mécanismes d'identification des risques, de qualification du personnel et de changements institutionnels.

86 R. Rock, M. Otero et R. Rosenberg, Réglementation et contrôle des institutions de microfinancement: stabilisation d'un nouveau marché financier, Focus, Note №4, GCAP, Washington, DC, août 1996, p. 1.

87 Op. cit., p. 4.

88 Le cas de BancoSol illustre bien ce point: «Les fonds propres de BancoSol représentent entre 37 et 46 % de son actif total; la moyenne du secteur est de 7 %. Cela signifie que BancoSol est très bien capitalisée, mais aussi qu'elle n'utilise pas au mieux ses fonds propres pour développer son endettement. BancoSol a l'intention de réduire à environ 20 % la part des fonds propres sur l'actif, ce qui demeure très au-dessus de la moyenne du secteur. Cela lui permettra d'accroître, par effet de levier, son endettement, sans prendre pour autant des risques inutiles» (Amy Glosser, 1994, p. 245).

89 Robert Peck Christen, Issues in the Regulation and Supervision of Microfinance, chapitre II dans Rachel Rock et María Otero, From Margin to Mainstream: The Regulation and Supervision of Microfinance, Acción International, Monograph Series № 11, janvier 1997, pages 34 et 35.

90 Rachel Rock, Introduction, chapitre I dans R. Rock et M. Otero, 1997, pages 24 et 26.

91 Christen et Rosenberg, 2000, pages 10, 12 et 15 [souligné dans l'original].

92 Op. cit., p. 23 [souligné dans l'original].

93 Op. cit., p. 20 [souligné dans l'original]. Ces brefs extraits ne rendent pas justice à l'article de Christen et de Rosenberg. Suivant en cela Fiebig (2001), nous en recommandons la lecture à toute personne intéressée par la réglementation des institutions de microfinancement et par les méthodes novatrices de collaboration entre ces institutions et d'autres types d'entités financières. Nous conseillons également Berenbach et Churchill (1997), ainsi que Rock et Otero (1997) et les précieux exemples dans C. Churchill, éd., Regulation and Supervision of Microfinance Institutions: Case Studies, Occasional Paper № 2, The MicroFinance Network, Washington, D.C., 1997.

94 R. P. Christen et R. Rosenberg, 2000, p. 10.

95 Joseph Stiglitz, The Role of the State in Financial Markets, Proceedings of the World Bank Annual Conference on Development Economics, 1993, Banque mondiale, Washington, D.C., 1994, pages 37–38.

96 M. Fiebig, 2001, p. 22 [souligné par nous].

97 Ces noms et ceux utilisés dans d'autres pays se trouvent dans Banque mondiale, 1989, p. 114.

98 G. Nagarajan, R. L. Meyer et D. H. Graham, Institutional Design for Financial Intermediation by NGOSs: Implications for Indigenous Self-Help Village Groups in The Gambia, dans: R. Rose, C. Tanner et M. A. Bellamy, éd., 1997, p. 274.

99 Abhijit Banerjee, Thimothy Besley et Timothy W. Guinnane, Thy Neighbor's Keeper: The Design of a Credit Cooperative with Theory and a Test, miméo, 19 avril 1993, pages 3–4.

100 R. P. Christen et R. Rosenberg, 2000, p. 14.

101 J. Ledgerwood, 1999, p. 103.

102 Banque mondiale, Latin America and the Caribbean Region, Central America Department, Sector Leadership Group, El Salvador Rural Development Study, Yellow Cover Draft, rapport № 1625ES, Washington, D.C., 23 janvier 1997, p. 14.

103 John H. Magill, Credit Unions: A Formal-Sector Alternative for Financing Microenterprise Development, dans: M. Otero et E. Rhyne, éd., 1994, p. 149.

104 Banque mondiale, 1989, pages 117–118.

105 Banque mondiale, 1989, p. 118 [souligné par nous].

106 J. H. Magill, 1994, pages 146 et 152.

107 Hugo Pirela Martínez, The Gray Area in Microenterprise Development, Grassroots Development, vol. 14, № 2, 1990, p. 33, cité dans Larry R. Reed et David R. Befus, Transformation Lending: Helping Microenterprises Become Small Businesses, dans: M. Otero et E. Rhyne, 1994, p. 185.

108 Voir Klein, Meyer, Hannig, Burnett et Fiebig (1999) pour une discussion très utile des pratiques de prêt agricole conseillées.

109 R. P. Christen et R. Rosenberg, 2000, pages 18–19. Des options pour une relation banque/ONG sont abordées plus loin dans le présent chapitre.

110 Elisabeth Rhyne et María Otero, 1994, p. 22.

111 N. Barry, 1995, pages 4–5.

112 Arelis Gómez Alfonso avec Nan Borton et Carlos Castello, The Association of Solidarity Groups of Colombia: Governance and Services, dans: M. Otero et E. Rhyne, éd., 1994, p. 260.

113 M. Zeller, G. Schreider, J. von Braun et F. Heidhues, 1997, p. 4.

114 R. Rosenberg, Commentaire sur le réseau DevFinance, 15 mai 1996, groupe de discussion Internet: [email protected].

115 J. D. Von Pischke, Commentaire sur le réseau DevFinance, 14 mai 1996, groupe de discussion Internet: [email protected].

116 J. Ledgerwood, 1999, pages 106–109.

117 Source: conversation avec Carlos Fuentes du Ministère de l'Agriculture d'El Salvador, 2001.

118 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, p. 7.

119 M. Clarkson et M. Deck, Effective Governance for Microfinance Institutions, dans: Craig Churchill, éd., Establishing a Microfinance Industry, Microfinance Network, Washington, D.C., 1997, p. 6.


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