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CHAPITRE 7
POLITIQUES DE FINANCEMENT AGRICOLE ET RURAL (Cont.)

7.3 CLÉS D'UNE INTERMÉDIATION FINANCIÈRE DURABLE ET EFFICACE

Compte tenu des résultats largement décevants des programmes de crédit agricole au cours des dernières décennies, les objectifs de durabilité institutionnelle et d'efficacité sont devenus d'une importance prédominante pour les institutions financières rurales. Des institutions de crédit non durables et non autonomes profiteront peu aux ménages ruraux à long terme. L'efficacité opérationnelle d'une institution contribue à sa durabilité et lui permet également de toucher un plus grand nombre de clients.

Les programmes d'épargne forcée, qui contraignent les clients emprunteurs à «déposer» un pourcentage donné du prêt consenti auprès de l'institution prêteuse, sont pratiqués par plusieurs institutions de microfinancement depuis plusieurs années. Dans de nombreux cas, ils ont permis aux clients de mieux parvenir à économiser régulièrement. Les faits suggèrent fortement que, si les services appropriés existent, les pauvres épargnent volontairement en grande quantité. Les programmes d'épargne volontaire sont cruciaux pour deux raisons: ils constituent potentiellement la source la plus importante et la plus immédiatement disponible de financement des programmes de microcrédit et il s'agit d'un service financier dont les pauvres ont grand besoin et qu'ils réclament. (Extrait de: Rachel Rock, Introduction, dans Rachel Rock et María Otero, éd., From Margin to Mainstream: The Regulation and Supervision of Microfinance, Monograph Series № 11, Acción International, janvier 1997, p. 7)

Plusieurs types de stratégies institutionnelles contribuent à la durabilité des intermédiaires financiers ruraux. Au niveau de l'institution elle-même, les principaux déterminants de la durabilité sont les suivants, sachant que certains sont en interrelation:

a) Mobilisation de l'épargne. Les avantages d'une stratégie de mobilisation de l'épargne ont déjà été évoqués. L'idée de base est qu'une institution qui ne génère pas ses propres sources de fonds prêtables risque de s'apercevoir tôt ou tard que les sources extérieures ne sont pas fiables. Par ailleurs, comme noté ci-dessus, le fait que les emprunteurs sachent que les fonds de leur propre communauté sont exposés au risque renforce probablement leur disposition à rembourser. Les fonds des gouvernements et des donateurs sont souvent considérés pratiquement comme des dons par leurs bénéficiaires. Au départ, la plupart des institutions de microfinancement ne sont pas capables de gérer des comptes d'épargne, mais développer cette capacité est indispensable à leur pérennité50.

b) Rôle minime des subventions. Les dons ou les prêts sur réescompte à faible taux d'intérêts émis par les gouvernements et les organismes donateurs se substituent souvent à la mobilisation de l'épargne par les institutions financières. Mais même lorsque ce type de fonds externes vient compléter l'épargne, l'expérience a montré de manière convaincante que plus ils sont importants, moins l'institution est durable. L'une des raisons en est que l'accès à des sources de fonds bon marché affaiblit la volonté de l'institution de parvenir à l'efficacité opérationnelle. En outre, comme expliqué ci-dessus, le recours à ce type de fonds risque de provoquer un comportement de remboursement plus médiocre, et d'inciter l'institution à proposer pour ses prêts des taux d'intérêts inférieurs au marché, politique qui engendre d'autres pièges.

Faisant référence aux institutions financières rurales spécialisées dans les petits emprunteurs, une note du GCAP indique:
L'expérience, un peu partout dans le monde, montre que les microentrepreneurs n'ont pas besoin de subventions et que les établissements de microcrédit ne peuvent pas se permettre de subventionner les emprunts. Les microentrepreneurs préfèrent avoir un accès rapide et permanent aux services financiers plutôt que de bénéficier de subventions. La plupart des microentrepreneurs considèrent que le «taux d'intérêts du marché» est le taux d'intérêts appliqué par les prêteurs sur gages, ou le taux du marché hors cote, qui est souvent le double du taux d'intérêts pratiqué par les institutions de microcrédit. Les emprunteurs perçoivent les subventions comme des «fonds de charité» de la part des gouvernements et donateurs, ce qui ne les encourage pas à rembourser. D'ailleurs, peu de microentrepreneurs bénéficient des programmes subventionnés, car ces programmes échouent avant d'atteindre un grand nombre de bénéficiaires. Les intermédiaires financiers performants doivent appliquer des taux élevés pour pouvoir couvrir les coûts liés à l'octroi de petits prêts. (Extrait de: Les chaînons manquants: Des services financiers au service du plus grand nombre, Focus, note № 3, Groupe consultatif d'assistance aux plus pauvres, Washington, D.C., octobre 1995, p. 3)

c) Taux d'intérêts aux niveaux du marché. Les arguments contre les taux d'intérêts bonifiés sont tout aussi forts:

  1. En général, cela signifie aussi de faibles taux réels de rémunération des dépôts, ce qui affaiblit la mobilisation de l'épargne, sauf s'ils sont revalorisés par des subventions importantes, qui génèrent leurs propres problèmes.

  2. Ils érodent le capital de l'institution financière et diminuent progressivement sa capacité à servir sa clientèle.

  3. Ils encouragent les prêts aux activités à faible rendement, ce qui rend le programme de crédit moins apte à contribuer à l'augmentation du revenu du secteur.

  4. De faibles taux d'intérêts réels ne servant pas à sélectionner les demandeurs ou les projets, le rationnement du crédit tend à s'effectuer sur la base de critères non-économiques.

  5. Le coût de gestion unitaire des petits prêts étant plus important, sa couverture requiert des taux d'intérêts plus élevés.

  6. Compte tenu des risques inhérents aux prêts à l'agriculture, la pérennité des institutions financières spécialisées dans le crédit à ce secteur nécessite l'intégration d'une prime de risque aux taux d'intérêts.

Dale Adams, l'un des premiers à conseiller l'utilisation des taux d'intérêts du marché pour les prêts à l'agriculture, a résumé les arguments contre la bonification des taux d'intérêts en ces termes:

Les taux d'intérêts jouent un rôle crucial dans les performances des marchés financiers, et les politiques de crédit bon marché constituent une raison majeure des performances médiocres des marchés financiers ruraux dans les pays à faible revenu. Ils n'incitent pas les ménages ruraux à épargner sous forme financière et déforment gravement le mode d'allocation des prêts par les prêteurs51.

d) Bonne gouvernance. L'autonomie est une exigence fondamentale. En son absence, l'institution subit souvent de fortes pressions pour accorder les prêts en fonction de critères politiques. Une analyse du portefeuille de prêts de BANADESA, la banque d'État de développement agricole du Honduras, a révélé que le taux de remboursement des prêts les plus importants, qualifiés de «prêts politiques» par le personnel de la banque, était inférieur à celui des prêts de plus petite taille52. On a également constaté ce schéma dans d'autres pays53. Bonne gouvernance signifie également des dispositions institutionnelles adéquates visant à éviter les conflits d'intérêt lors de la prise de décisions de prêts, et à responsabiliser [dirigeants et personnel]. Pour satisfaire aux normes de la bonne gouvernance, il faut à la fois des structures institutionnelles adéquates et une formation.

e) Compétence de l'encadrement. Le choix judicieux de l'encadrement et la formation des cadres et du personnel d'une institution financière rurale constituent la clé de son efficacité et de sa viabilité. La formation peut s'avérer onéreuse, mais ses avantages en justifient le coût. Une évaluation de la Grameen Bank, par exemple, a commenté: «La formation du personnel comprend six mois de pratique intensive, principalement sur le terrain, et un peu de théorie. Elle est également dispensée aux emprunteurs et aux responsables de centres. La réussite de la Grameen Bank est due, au moins en partie, à son programme de formation intensif…»54.

Une formation adéquate aide le personnel à maintenir de faibles coûts de gestion, facteur déterminant de la durabilité d'une institution financière. Le mode de gestion et le portefeuille de prêts de l'institution doivent être adaptés au milieu rural. Les petits emprunteurs ruraux nécessitent des approches très différentes des grands emprunteurs industriels. Ce sujet fait l'objet de la section 7.6 ci-après.

f) Une conception des services financiers orientée marché55. La plupart des innovations développées pour les institutions financières rurales ces dernières années ont concerné les politiques de prêt et les techniques de mobilisation de l'épargne, principalement à l'intention des institutions de microfinance. Sur ces deux thèmes, de nouvelles approches adaptées au milieu rural ont été testées à grande échelle, et bien qu'il n'y ait pas de formule toute faite qui s'applique à n'importe quel contexte, on dispose désormais de principes généralement applicables et de démarches qui peuvent être ajustées aux circonstances particulières.

Par exemple: «Au début des années 80, en Indonésie, le personnel de la BRI a demandé aux villageois pourquoi ils n'utilisaient pas le… programme d'épargne national géré par Bank Indonesia, la banque centrale… Les réponses ont été quasiment unanimes. D'un bout à l'autre du pays, les gens ont répondu qu'[il] n'autorisait les retraits que deux fois par mois et que cette restriction était inacceptable.»56 Il est désormais reconnu que la création d'instruments d'épargne et d'autres services financiers dans les pays en développement doit s'appuyer sur une évaluation rigoureuse des préférences des clients.

Concernant les exigences de la durabilité institutionnelle, l'étude de quatre ONG financières en Gambie a conclu que la durabilité institutionnelle d'un programme de financement dépend de sa capacité à mobiliser des dépôts par des taux d'intérêts suffisamment attractifs, à couvrir les coûts d'exploitation sans subventions extérieures, à diversifier son portefeuille pour limiter les risques liés à la covariance des revenus des emprunteurs, à s'appuyer sur des comités locaux d'approbation des prêts, à trouver des substituts aux garanties matérielles, et à maintenir un fort taux de recouvrement des prêts57.

Mais une institution financière n'est pas totalement maîtresse de sa viabilité, même si elle met en place les meilleures stratégies institutionnelles. Les politiques nationales qui influent sur la rentabilité de la production agricole et les conditions d'exploitation des institutions financières se répercutent sur ses politiques opérationnelles et son bilan. Les deux principaux déterminants politiques de la viabilité des institutions financières rurales sont les suivants:

a) Le cadre réglementaire national du secteur financier. Divers éléments, tels que les garanties, le contrôle bancaire, les taux d'intérêts et les contrats, nécessitent des réglementations adéquates. Dans certains cas, comme celui des taux d'intérêts, l'absence de réglementation peut s'avérer préférable aux dispositions existantes. Des politiques inadéquates, non seulement n'encouragent pas le développement de l'intermédiation financière rurale, mais souvent au contraire l'inhibent sans le vouloir, qu'il s'agisse des banques commerciales ou des institutions de microfinancement.

b) Le cadre de la politique économique nationale. Les politiques macroéconomiques nuisibles au développement agricole, évoquées aux chapitres 2 et 4, tendent également à restreindre l'accès des producteurs au crédit. En ce domaine, une politique saine commence par le taux de change. Comme le remarquent Yaron et al.:

Les distorsions de taux de change sont particulièrement néfastes pour les marchés financiers ruraux. Fixer le taux de change à un niveau non-conforme aux fondamentaux macro-économiques déforme les signaux de prix provenant de l'étranger, et pousse les marchés financiers à diriger trop de ressources vers des secteurs inefficaces, et trop peu vers des secteurs possédant un avantage comparatif. Les institutions financières rurales, si elles basent leurs décisions de crédit sur des prix relatifs qui feront l'objet ultérieurement d'un réalignement important, compromettent leur liquidité et leur solvabilité58.

Yaron et al. ont identifié huit mécanismes principaux par lesquels les politiques macro-économiques prennent souvent un biais défavorable au secteur rural et au développement de ses institutions financières. S'inspirant en partie du travail de Schiff et Valdés (1992) mentionné au chapitre 4, ils ont observé ce qui suit:

Les performances des marchés financiers et de ceux des marchandises sont étroitement liées. Les marchés financiers concurrentiels étant guidés par les signaux de prix, la distorsion des prix des marchandises entraîne une mauvaise allocation des ressources par les marchés financiers. Pendant des années, la plupart des pays en développement ont soumis leur secteur rural à une lourde taxation. Les huit piliers des politiques privilégiant la ville ont eu un effet dévastateur sur la rentabilité des entreprises agricoles et non agricoles…

Les huit piliers des politiques qui privilégient la ville. Les politiques gouvernementales et leurs priorités d'investissement favorisant les villes sont omniprésentes dans les efforts de développement. En général, cette approche du développement est liée à une volonté d'industrialisation rapide, ainsi qu'aux pressions politiques exercées par une population urbaine prompte à faire entendre sa voix pour faire baisser les prix alimentaires. Ces huit piliers sont les suivants:

  1. Surévaluation des taux de change.
  2. Prix faibles et contrôlés des produits agricoles, sans variations saisonnières.
  3. Forte protection de l'industrie domestique, dont la production des intrants agricoles.
  4. Allocations budgétaires exagérément élevées aux zones urbaines par rapport à l'infrastructure rurale…
  5. Investissement en ressources humaines (santé et éducation) exagérément élevé dans les zones urbaines par rapport aux zones rurales.
  6. Lois anti-usuraires (empêchant les petits prêts, à risque et à coût élevé, qui sont les plus fréquents dans les zones rurales).
  7. Sous-développement des dispositions juridiques et réglementaires en matière de titres fonciers et de garanties pour les biens ruraux typiques (terres, récoltes et instruments aratoires) par rapport aux biens urbains (automobiles, biens durables et maisons).
  8. Taxation excessive des exportations agricoles.

Cette approche a bloqué le développement agricole et rural dans la plupart des pays en développement pendant plusieurs décennies…59

Au bout du compte, comme l'ont souligné plusieurs auteurs, la durabilité d'une institution de microfinancement est indissociable de sa rentabilité sans subventions et au coût existant d'emprunt de fonds prêtables, afin d'éviter qu'elle ne se décapitalise:

L'efficacité financière, c'est-à-dire la capacité à équilibrer ses comptes étant donné ce que coûte la fourniture de crédit, constitue une condition essentielle de la durabilité. Dans une institution durable, le coût pour elle du crédit - coût de ses fonds plus coûts de la gestion et des créances douteuses - doit être égal ou inférieur au prix (c'est-à-dire au taux d'intérêts) facturé aux emprunteurs. [Alternativement], lorsqu'elle utilise des fonds subventionnés, l'institution doit être viable économiquement, au sens où elle équilibre ses comptes au coût d'opportunité des fonds bonifiés60.

7.4 CADRE RÉGLEMENTAIRE DU FINANCEMENT RURAL

7.4.1 Défis réglementaires et institutionnels

Les opérations de crédit sont, par nature, intemporelles et incertaines, puisqu'elles reposent sur une promesse de payer dans l'avenir. Toutes choses égales par ailleurs, plus les prêteurs sont assurés du recouvrement, plus ils peuvent prêter. Le degré de certitude dépend à son tour de l'environnement institutionnel et juridique, par exemple, de la rapidité et du faible coût de l'exécution coercitive des accords contractuels. Il dépend également des techniques de prêt utilisées. L'offre de fonds dépend en partie de la rentabilité du crédit et de l'intermédiation financière. Les profits sont fonction de l'efficacité de l'institution en tant qu'intermédiaire, mais aussi du cadre réglementaire existant, tels que les lois et les réglementations relatives aux taux d'intérêts.

L'une des stratégies primordiales pour promouvoir le développement du financement rural consiste à renforcer le cadre réglementaire afin que les prêteurs et les déposants bénéficient de davantage de sécurité et d'incitations. À l'inverse, des lois et des réglementations mal adaptées peuvent bloquer l'expansion des instruments de dépôts ruraux et des prêts ruraux.

Les exigences de bonne gouvernance et de compétence de l'encadrement requises pour pérenniser les institutions de microfinancement se reflètent dans les risques que celles-ci présentent pour leurs clients, pour les organismes de réglementation et pour elles-mêmes. Réussir à gérer ces risques est le défi que doivent relever les autorités de réglementation et de contrôle. Shari Berenbach et Craig Churchill les ont décrits clairement et différenciés de ceux qui caractérisent les opérations des banques commerciales, en des termes qui font apparaître la variété et la complexité des défis soulevés par la gestion de la microfinance:

Les institutions de microfinancement (IMF) ont en commun avec les autres institutions financières de nombreux aspects de risque. Par exemple, les IMF et les banques commerciales sont vulnérables aux problèmes de liquidité causés par un agencement inadéquat d'échéances, de termes et/ou de devises.

D'autre part, plusieurs risques inhérents aux banques commerciales ne s'appliquent pas directement à la microfinance. Par exemple, les banques commerciales sont vulnérables à la concentration du risque lorsqu'un gros prêt consenti à un seul emprunteur est susceptible de mettre en danger l'actif total de la banque ou lorsque plusieurs prêts sont exposés au risque d'un groupe d'entreprises connexes. Les prêts aux initiés constitue une autre source de problèmes pour les banques commerciales lorsque des directeurs ou des propriétaires utilisent leur pouvoir pour obtenir de gros prêts. Malgré tout, en raison du volume de transactions et des petites sommes impliquées dans chacune d'elles, ces risques ne touchent pas les institutions de microfinancement.

Il existe quatre domaines de risque dans les institutions de microfinancement: propriété et gouvernance, gestion, portefeuille, et nouveauté du métier.

Risque inhérent à la propriété et à la gouvernance… Le risque inhérent à la propriété et à la gouvernance se présente lorsque les propriétaires et les directeurs d'IMF ne possèdent pas les compétences nécessaires pour assurer une surveillance adéquate de l'entreprise. Ceci peut constituer un problème en raison de la nature des institutions et des personnes qui détiennent ou administrent habituellement une IMF…les directeurs d'une organisation à but non lucratif n'ont pas toujours les compétences et l'expérience nécessaires pour gérer une institution financière…. Structures d'organisation et de propriété: Dans certaines institutions de microfinancement, les accords d'organisation et de propriété impliquant les organisations non-gouvernementales ou les institutions publiques qui ont joué un rôle dans l'établissement d'une nouvelle IMF réglementée, ne sont pas toujours clairs. Des scénarios à haut risque peuvent alors se développer. Si une ONG, financée par les fonds publics et sans propriétaire, intervient dans la gestion et détermine les politiques de l'intermédiaire financier réglementé, la mission sociale peut être privilégiée au détriment des objectifs financiers…. Bien que les IMF puissent être capables de réunir les capitaux nécessaires au démarrage grâce à leurs actionnaires fondateurs, ces propriétaires n'ont pas toujours la solidité financière ou la flexibilité permettant de répondre comme ce serait nécessaire à des appels de capitaux supplémentaires.

Risques inhérents à la gestion. Les risques de gestion concernant les portefeuilles de microfinance tiennent aux méthodes de fourniture de services que requiert ce marché…. Systèmes d'exploitation décentralisés: … une structure d'exploitation décentralisée… constitue l'essence des méthodes de service de la microfinance. Ces méthodes d'exploitation décentralisées présente des défis à toute industrie. Une mauvaise infrastructure en matière de transport et de télécommunications peut accentuer ces défis. De plus, les méthodes d'exploitation décentralisées favorisent un environnement vulnérable aux pratiques frauduleuses, si les contrôles internes ne sont pas suffisants. Efficacité de la gestion: Les institutions de microfinancement offrent des services répétitifs, de fort volume mais rapportant peu pour chaque prêt. Si une branche ou unité n'arrive pas au volume d'affaires prévu, les profits peuvent facilement se transformer en pertes…. La qualité de gestion, en termes de service rapide et en temps opportun, est essentielle à la réussite des portefeuilles de microfinance. Informations de gestion: La clé de voûte de la conduite d'une IMF est son système d'information de gestion. Bien que ce soit le cas pour toutes les institutions financières, les méthodes d'exploitation décentralisées, le nombre élevé de prêts à court terme, la rotation rapide du portefeuille et la nécessité d'offrir un service efficace font en sorte que l'information sur le portefeuille doit être exacte et mise à jour régulièrement, sans quoi la gestion sera inefficace… Un médiocre système d'information de gestion peut retarder le suivi des prêts en souffrance et nuire rapidement à la qualité du portefeuille de microfinance.

Risques inhérents au portefeuille. Les caractéristiques des produits et services qui conviennent au micromarché contribuent à un type de risques de portefeuille différent du type habituel pour les institutions de financement commercial. Prêts non garantis: La majorité des microprêts ne sont pas garantis selon les modalités traditionnelles…. Les mécanismes non-traditionnels utilisés en microfinance sont en général aussi efficaces que les garanties traditionnelles, mais les chocs économiques peuvent mettre en danger l'institution si ces mécanismes s'effondrent en temps de crise. Gestion de la délinquance: Certaines IMF ont connu de sérieuses secousses dans le respect des échéances de remboursement des prêts. Même chez les IMF qui ont contenu les taux de défaut de remboursement à un niveau faible pendant longtemps, une dégradation subite de la situation peut toujours survenir… Les coûts d'exploitation sont si élevés par rapport à la taille du portefeuille que les problèmes temporaires de délinquance deviennent plus sérieux, plus rapidement, que dans le système bancaire traditionnel…. Risque de concentration géographique ou par secteur: Contrairement au risque de concentration des banques commerciales, selon lequel un gros prêt consenti à un groupe d'entreprises connexes constitue un risque pour la banque, les IMF courent un risque si de nombreux clients proviennent d'une seule région géographique ou un seul segment de marché, vulnérable à une crise économique commune… Mais il faut noter que ce risque est plus théorique que réel. Il existe très peu d'exemples où le risque de concentration géographique ou par secteur a nui aux portefeuilles de microfinance61.

Risques inhérents à la nouveauté du métier. Plusieurs risques auxquels est confrontée l'industrie de la microfinance proviennent du fait que ses techniques sont relativement récentes et n'ont pas été mises à l'épreuve. Expérience professionnelle adéquate: Il existe peu de professionnels possédant une expérience bancaire, qui soient familiers aussi des méthodes de microfinance… Comme de nombreuses IMF ne peuvent offrir des salaires compétitifs, les IMF éprouveront des difficultés à attirer des gestionnaires talentueux. Gestion de la croissance: La croissance [des IMF] peut être fulgurante aux cours des premières années d'exploitation…. Faire face à de tels taux de croissance oblige la direction à relever plusieurs défis, dont la formation de nouveaux employés, la mise en application de politiques et procédures standard et le maintien d'un portefeuille de qualité. Nouveaux produits, services et méthodes: Bien que cette branche d'activité ait réalisé des progrès considérables dans la conception de produits et services de microfinance appropriés, le marché demeure relativement jeune et vierge. Il est difficile d'évaluer si un nouveau produit, service ou méthode constitue une variante malheureuse d'un produit existant sur le marché, ou l'invention heureuse d'un nouveau service. …. Jeunes institutions: …. on ne sait toujours pas comment elles se comportent en temps de crise. Quelle est la courbe d'apprentissage institutionnel?62

Les sections suivantes abordent plusieurs points dont dépend la capacité à relever ces défis avec succès.

7.4.2 Garantie

La sécurité de la position du prêteur peut être recherchée par la prise de garanties matérielles, ou par d'autres moyens. Dans ce second cas, il faut disposer d'une connaissance plus approfondie de l'emprunteur, ou avoir les moyens de lui imposer des pénalités de retard. Comme il est normalement moins coûteux d'évaluer une garantie matérielle que d'obtenir des informations détaillées sur un emprunteur, la garantie matérielle permet aux prêteurs de proposer des prêts plus importants à des taux d'intérêts plus faibles.63

Le succès du crédit non garanti a tenu également, pour une large part, au développement de garanties sociales. Les institutions de microfinancement ont mis en place une sorte de garantie sociale en encourageant la création de groupes d'emprunteurs dont les membres se garantissent mutuellement. Comme l'a souligné Khandker (citant Besley et Coate, 199564):

… le crédit sur groupe est une condition nécessaire mais non suffisante pour que le groupe rembourse ou fonctionne mieux. Les groupes fonctionnent bien si est mise en place une garantie sociale imposant certaines sanctions disciplinaires à leurs membres. Dans ce système, les critères d'éligibilité peuvent ne pas être appliqués, par exemple, si tout le groupe fait bloc pour y contrevenir. Pour éviter ce problème, tous les programmes de microcrédit s'en remettent à une organisation communautaire plus étendue pour veiller à ce que les groupes en son sein respectent ces critères65.

Une bonne politique gouvernementale peut faciliter à la fois les prêts garantis et ceux non garantis. L'un des obstacles majeurs au développement du crédit garanti dans les régions rurales des pays en développement est l'absence de titres fonciers officiels susceptibles de servir de garantie (voir le chapitre 5). Dans le cadre des transactions financières, les deux attributs essentiels d'un titre foncier sont la confirmation de propriété du bien et l'enregistrement des privilèges qui y sont attachés [au bénéfice de tiers]. Ce dernier point est essentiel pour qu'un prêteur puisse faire valoir ses droits ou établir publiquement son droit de priorité. C'est pourquoi il est important à la fois d'attribuer des titres fonciers aux terres agricoles et de mettre en place un système efficace de registres fonciers.

Du point de vue de la finance rurale, les titres fonciers n'ont de valeur que si le système judiciaire peut régler rapidement les poursuites engagées contre un emprunteur défaillant. Les procédures judiciaires longues, coûteuses ou incertaines diminuent considérablement la valeur de la garantie, et n'incitent donc pas à prêter. À l'inverse, l'existence de procédures permettant de poursuivre rapidement et sans appel les mauvais payeurs, incite les emprunteurs à rembourser les prêts, ce qui réduit les probabilités de défaillance.

Pour l'essentiel, ces remarques sont pertinentes pour des exploitations moyennes ou importantes. Dans beaucoup de pays, mais pas tous, les prêteurs ont du mal à faire saisir les biens des petits exploitants, même lorsque leurs titres de propriétés sont enregistrés66. La loi interdit parfois la saisie des biens inférieurs à une certaine taille. Souvent le système judiciaire, et parfois aussi les prêteurs eux-mêmes, hésite à saisir les agriculteurs à faible revenu. Les partisans du développement financier font valoir que la justice ordonne rarement des saisies, mais que le fait qu'elle en ait le pouvoir améliore néanmoins l'accès au crédit des petits agriculteurs. Il reste probable que cette répugnance à recourir aux saisies va continuer à prévaloir dans de nombreux pays, pour des raisons sociales compréhensibles, mais aussi à cause du coût de la saisie par rapport à la valeur du bien.

Dans de telles circonstances, il est possible d'avoir recours à l'antichrèse. Il s'agit d'une autre méthode, encore rarement exploitée, permettant d'utiliser des terres pour garantir des prêts. Avec ce type de nantissement, l'emprunteur convient de céder le contrôle de ses terres, en cas de défaillance, jusqu'à ce que le prêt soit remboursé par les récoltes qu'il en obtient, ou jusqu'au terme d'une période donnée. Pour alléger le fardeau que cela fait peser sur la famille du petit agriculteur, le créancier accepte parfois de louer les services de sa famille pour travailler la terre pendant cette période. Dans de nombreux pays en développement, cette méthode serait préférable à une solution où l'emprunteur risquerait de perdre ses terres. On trouve des exemples de cette approche au Bangladesh67. La section 5.9 du chapitre 5 aborde ce sujet plus en détail. Pour utiliser l'antichrèse, il faut que la législation le permette, ce qui n'est pas encore le cas dans la plupart des pays en développement.

Les prêteurs peuvent également prendre d'autres types de garantie que les terres ou pratiquer le crédit non garanti. Les récoltes et le bétail constituent l'autre forme prépondérante de garantie. Le nantissement de récoltes futures est un instrument fréquemment utilisé, bien que, en raison du risque lié au rendement, il ne présente pas le même degré de sécurité potentielle que les garanties sur la terre. Les transformateurs de produits agricoles et les exportateurs consentent assez fréquemment des prêts aux agriculteurs, moyennant un engagement sur la récolte future. Dans le cas du bétail, les risques sont doubles: le troupeau peut être décimé par la maladie, et l'emprunteur peut vendre les bêtes sans prévenir l'acheteur qu'elles font l'objet d'un privilège de tiers. (En Colombie, un frein considérable aux contrats de commercialisation de quelque durée entre industries agroalimentaires ou chaines de distribution et petits producteurs est la tendance de ceux-ci à casser le contrat si on leur offre ailleurs un meilleur prix). Les récoltes et le bétail constituent donc des formes imparfaites de garantie, mais une institution de crédit peut les utiliser si elle connaît l'emprunteur. Là encore, la législation doit le permettre. Dans certains pays, elle interdit d'utiliser les marchandises ou d'autres biens mobiliers en garantie68.

Les récoltes en stock constituent une autre forme de garantie. De toute évidence, cet instrument ne s'applique qu'aux cultures non périssables, et avant tout aux céréales, mais aussi au coton et au café. Les exploitants qui déposent leur récolte dans un lieu de stockage enregistré reçoivent des certificats de dépôt de céréales ou reçus d'entrepôt, qu'ils peuvent utiliser pour garantir un prêt bancaire. Les agriculteurs ont surtout recours à ce type de prêt pour attendre la remontée saisonnière des prix avant de vendre, puisque ceux-ci atteignent toujours leur point le plus bas au moment de la récolte. Les systèmes de certificats de dépôt de céréales nécessitent eux aussi une législation spécifique. Il faut définir les exigences relatives aux entrepôts agréés, ainsi que des normes de qualité pour les récoltes à stocker et des règles permettant aux banques d'accepter ce type de garantie69. La législation concernée doit être suffisamment large pour couvrir la rotation des stocks et les changements de forme de la marchandise à mesure de sa transformation, comme indiqué dans l'encadré ci-dessous.

Les obstacles juridiques à l'utilisation de garanties mobilières peuvent dresser une formidable barrière à l'expansion du financement agricole. Par exemple:
Peu de pays possèdent les dispositions [juridiques] en matière de continuité du produit qui permettraient de conserver les sûretés à mesure que la garantie subit des transformations. Un prêteur, ayant reçu en nantissement de la laine dans un entrepôt, perdra [sa garantie] quand la laine sera vendue. Les coûts élevés empêchent parfois certaines transactions. En Uruguay, l'enregistrement d'un nantissement coûte 6% du montant de l'instrument, et 3% en Russie. À eux seuls, ces frais d'enregistrement, calculés sur la base d'un taux annuel, excèdent le taux d'intérêts d'un prêt à court terme pour l'entreposage du stock de l'exploitation… En Argentine et en Bolivie, un bien qui n'existe pas encore ne peut faire l'objet d'un prêt. Par conséquent, les agriculteurs ne peuvent pas obtenir de crédit contre les œufs de leurs poules, le lait de leurs vaches ou le vin de leurs vignes. Au Pérou, la rotation du stock contraint à redéfinir le prêt. Ainsi, les extraits de fruits en entrepôt ne peuvent pas servir de garantie, contrairement à la farine de poisson, stockée en conteneurs de tailles spécifiées. Pour des raisons similaires, le blé stocké dans un silo argentin ne peut pas garantir un prêt, mais le sucre en entrepôt le peut. Cette situation est fatale au crédit parce que le prêteur sait que, en cas de défaillance, l'emprunteur pourra prétendre que le contrat qui les lie ne possède pas de validité légale. Ces problèmes juridiques sont sans justification au regard de la politique suivie. (Extrait de Yaron, Benjamin et Piprek, 1997, pages 55 et 57).

Les créances clients et les prêts en portefeuille constituent une autre forme potentiellement viable de garantie. Les fournisseurs d'intrants agricoles et les commerçants ruraux prêtent souvent aux agriculteurs, mais leur capacité de prêt est parfois limitée par la difficulté de garantir leurs emprunts par les créances clients. De la même manière, un prêteur de village pourrait élargir son activité s'il pouvait utiliser comme garantie son portefeuille de prêts, en admettant qu'il existe un marché secondaire pour ce type de document.

Comme l'ont souligné Yaron et al.:

Le commerçant connaît ses clients mieux qu'une banque ne peut le faire, et a donc de meilleures chances de sélectionner les bons risques sans se tromper. Cependant, dans la plupart des pays en développement, le cadre réglementaire pour la garantie des transactions empêche les banques de créer, d'enregistrer et de placer des hypothèques sur créances clients. Cela limite l'accès au crédit des commerçants et étouffe une source potentiellement prometteuse de crédit rural. Ceci vaut également, à quelques variantes mineures près, pour tous les vendeurs de crédit rural et les prêteurs non bancaires (1997, p. 59).

Heywood Fleisig ajoute:

Lorsque les commerçants et les prêteurs non-bancaires sont à même de refinancer le crédit qu'ils proposent, l'offre de ce type de crédit augmente et son coût diminue. Mais le développement d'un financement de cette nature requiert une législation sur les transactions garanties qui autorise l'enregistrement public commode et bon marché des sûretés sur les créances clients ou les actes mobiliers, ainsi que le transfert bon marché de ces comptes en cas de défaillance de l'emprunteur (le commerçant ou le prêteur non-bancaire). Faute de quoi, ces commerçants et prêteurs non-bancaires ne parviendront pas à collecter suffisamment d'argent pour financer les prêts qu'ils auraient pu consentir avec profit70.

Dans la plupart des pays en développement, il faut assouplir les règles régissant les garanties afin d'encourager les sources privées à intervenir davantage dans le crédit à l'agriculture. La formulation d'une nouvelle législation en ce domaine est néanmoins une tâche délicate qu'il convient d'aborder avec prudence en raison des difficultés qu'elle risque de soulever concernant les droits respectifs des prêteurs et des emprunteurs. De toute évidence, il est possible d'attacher des privilèges aux actifs mobiliers afin de se garantir contre les défaillances. Mais du fait de leur nature même d'actifs mobiles, la législation facilitant leur usage à cette fin permet souvent aux créanciers de les saisir rapidement. On peut avancer que cela est nécessaire pour protéger les intérêts des créanciers et indispensable à l'existence de prêts garantis par des actifs mobiliers. Cependant, cela signifie aussi que, en cas de défaut de paiement, éventuellement temporaire, les agriculteurs risquent de perdre des actifs essentiels pour gagner leur vie ou assurer le bien-être de leur famille, tels que bétail, céréales stockées, outils agricoles et tracteurs. Le problème est compliqué par le fait que les agriculteurs pauvres des zones isolées risquent de ne pas bien comprendre les implications d'un contrat de prêt garanti par les actifs mobiliers et que, en toute probabilité, ils ne sauront pas utiliser le système judiciaire pour demander réparation le cas échéant.

Une solution possible consisterait à créer des tribunaux ruraux spécialisés aptes à statuer rapidement sur les litiges financiers, à un coût minime ou nul pour les parties à faible revenu. Quelle que soit l'approche adoptée, une législation légalisant les garanties mobilières pourrait contribuer fortement au développement du financement agricole.

L'assurance subventionnée des récoltes s'est avérée décevante et financièrement insoutenable dans toutes les régions du monde en développement où elle a été tentée. Luz María Bassoco, Celso Cartas et l'auteur ont effectué une évaluation quantitative des effets du programme mexicain d'assurance récolte, avec les conclusions suivantes:

Il est clair que l'assurance récolte se traduit par une importante perte sociale nette… Par rapport à l'absence d'assurance, le programme d'assurance récolte, même non-subventionné, se solderait par un déficit net de bien-être social, en raison de son caractère obligatoire et de ses coûts de gestion globaux, qui sont supérieurs à la valeur des avantages procurés en termes de réduction des risques71.

D'autres problèmes avec l'assurance récolte sont d'une part le risque moral - lorsque les agriculteurs ne prennent pas de précautions raisonnables pour éviter les pertes de récolte parce qu'ils savent que l'assureur compensera le rendement - et d'autre part la difficulté d'établir sur une base objective l'estimation du degré de sinistre de la récolte.

Une assurance récolte privée non subventionnée a été mise en place dans quelques pays en développement, tels que le Mexique et le Honduras. À ce jour, elle s'est avérée rentable pour les compagnies d'assurance concernées, ce qui est un signe de durabilité. Cependant, elle ne joue qu'en cas de pertes catastrophiques liées à la sécheresse, aux ouragans, aux pluies torrentielles, aux très basses températures, aux averses de grêle et à d'autres phénomènes naturels extrêmes. Un agriculteur qui aurait perdu, par exemple, 30% de sa récolte à cause de la sécheresse ou de l'irrégularité des précipitations, ne serait pas dédommagé par ce type d'assurance. La mise en place de polices plus ciblées est gênée par l'asymétrie d'information: les agriculteurs connaissent mieux que les compagnies d'assurance l'historique de leurs rendements.

La garantie gouvernementale des prêts a fonctionné encore plus mal que l'assurance récolte subventionnée. Cette approche soulève deux problèmes principaux: le risque moral (les prêteurs consentent des prêts qu'ils auraient jugés trop risqués sans cette garantie) et les faiblesses opérationnelles. Au Honduras, il s'est ainsi avéré que les garanties accordées par le National Agrarian Institute, par exemple, sur des prêts consentis à des bénéficiaires de la réforme agraire par la Banque nationale de développement agricole, n'ont jamais été payées à cette banque en raison du nombre élevé de défauts de paiement72. Ce phénomène a fortement contribué à la décapitalisation de la banque. Par conséquent, l'une des dispositions de la Loi de modernisation agricole du Honduras de 1992 a interdit ce type de garanties.

7.4.3 Relations contractuelles

Comme mentionné plus haut, les deux facteurs les plus incitatifs au développement du financement privé dans les zones rurales sont un système judiciaire assurant l'exécution claire et rapide des contrats et un cadre de garantie approprié. Bien évidemment, la force des relations contractuelles constitue une préoccupation fondamentale, dont les implications s'étendent à de multiples secteurs de l'économie autres que les transactions financières. Son rôle est clairement illustré par deux obstacles fréquents au développement des exportations agricoles non-traditionnelles, à savoir le non-respect occasionnel des dispositions contractuelles de la part de certains transitaires, et le manque de recours juridique financièrement abordable pour les producteurs, surtout les plus petits d'entre eux.

Outre le fait de garantir la fiabilité des contrats, il est également important d'assurer que les exigences relatives à leur établissement n'excluent pas, sans le vouloir, un grand nombre de pauvres. Par exemple, de nombreuses lois requièrent que les contrats fassent l'objet d'un consentement informé – la partie contractante doit les lire et les signer pour marquer son accord, ce qui exclut les analphabètes. Dans ce cas, il faudrait que les dispositions légales prévoient que le contrat puisse être lu au signataire par des témoins, agissant en tant que co-signataires, et que la signature puisse être une empreinte digitale.

7.4.4 Réglementation des taux d'intérêts

Les lois interdisant les taux d'intérêts élevés - lois anti-usuraires - remontent également à l'époque biblique. Le Coran va même plus loin en interdisant tout taux d'intérêts. Les banques islamiques ont trouvé des substituts aux intérêts, mais les lois anti-usuraires perdurent dans de nombreux pays non islamiques. Au-delà de leurs bonnes intentions, elles ont pour effet de diminuer l'offre de crédit privé lorsque le portefeuille présente un risque relativement élevé, comme c'est le cas pour l'agriculture. Une stratégie plus efficace consiste à élaborer un cadre réglementaire propice au crédit, et non l'inverse, afin que les taux d'intérêts déclinent sous le coup du jeu de l'offre et de la demande.

Fleisig a posé le problème en ces termes:

De nombreux pays limitent le taux d'intérêts des prêts pour protéger les emprunteurs insuffisamment vigilants des prêteurs sans scrupules. En pratique, cependant, des taux d'intérêts élevés sont souvent justifiés. Une bonne part des coûts associés à un prêt sont des coûts fixes, et ceux-ci représentent un pourcentage plus élevé sur les petits que sur les gros prêts. Les petites exploitations et entreprises demandant plus souvent de petits prêts que les grandes, les prêteurs privés facturent des taux d'intérêts plus élevés aux petits emprunteurs qu'aux gros. D'ordinaire, le prêteur espère récupérer ces coûts plus importants en combinant taux d'intérêts plus élevés et frais de contrat. En outre, le coût de la surveillance de petits prêts non garantis est supérieur à celui de prêts garantis plus importants. Le prêteur qui a consenti un petit prêt non garanti doit régulièrement inspecter les locaux professionnels de l'emprunteur pour s'assurer que l'entreprise est toujours solide. En revanche, le prêteur garanti sait qu'il a le droit de demander la saisie de biens de valeur, même si l'entreprise est en mauvaise posture. Enfin, le risque associé aux petits prêts non garantis peut être plus élevé que celui associé aux prêts importants garantis. Il n'est donc pas surprenant que les prêteurs privés facturent des taux d'intérêts conséquents pour compenser les coûts et les risques plus élevés générés par les petits prêts non garantis73.

Maxwell Fry a souligné que les coûts d'emprunt bruts ne sont pas nécessairement plus élevés sur le marché informel que dans les institutions financières, une fois que tous les facteurs pertinents ont été pris en compte:

En général, les institutions financières indigènes appliquent des taux de crédit explicites plus élevés que les institutions financières modernes. Néanmoins, rien ne permet d'affirmer que le coût brut des emprunts auprès des banques indigènes soit supérieur au coût brut des emprunts auprès de banques modernes. Il ressort d'une étude comparative sans précédent du coût des emprunts réalisée par Zia Ahmed (1982, 135)74 à partir des résultats d'une enquête, qu'au Bangladesh, 84% du crédit sont le fait de prêteurs sur gages indigènes. Il estime que le coût brut de l'emprunt auprès de ce type de prêteurs est en moyenne de 86% l'an, contre 108% en moyenne pour les banques commerciales dans les régions rurales du Bangladesh. L'emprunt bancaire comporte des coûts importants, autres que les intérêts, tels que frais de déplacements et de réception, pots de vin et coût d'opportunité du temps passé à obtenir le prêt75.

Le programme de microfinancement bolivien PRODEM (Fundación para la Promoción y Desarrollo de la Microempresa), qui a donné naissance à BancoSol, la première banque privée au monde ciblant les microentrepreneurs, a facturé des taux d'intérêts annuels supérieurs de plus de vingt points de pourcentage aux taux commerciaux76. L'une des principales raisons de la réussite du système d'unités Desa de la Banque Rakyat Indonesia, «un rare exemple d'institution financière performante qui touche de manière rentable les entrepreneurs pauvres», est une «politique de taux d'intérêts non restrictive… Sans la liberté et la volonté de fixer ses propres taux pour l'épargne et le crédit, le système d'unités Desa n'aurait jamais atteint l'autosuffisance et la rentabilité»77.

Il peut arriver que les taux d'intérêts facturés aux agriculteurs déclinent parallèlement au développement de l'agriculture. Ce phénomène a été observé en Inde:
Dans un district relativement prospère tel que le Burdwan dans l'ouest du Bengale… les taux d'intérêts moyens appliqués aux différentes catégories de ruraux (travailleurs occasionnels, tenanciers et ouvriers agricoles) s'échelonnaient entre 36 et 84% l'an, alors que dans un district relativement plus pauvre tel que le Nadia … ils oscillaient entre 72 et 120% l'an. (Extrait de: Subrata Ghatak, On Interregional Variations in Rural Interest Rates, Journal of Developing Areas, vol. 18, octobre 1983, p. 32; cité dans Hoff et Stiglitz, 1995, pages 279–280)

Des plafonds législatifs ou administratifs appliqués aux taux d'intérêts entravent également la mobilisation de l'épargne par les institutions. Les marges de l'intermédiation financière tendant à être relativement élevées dans les pays en développement, surtout dans les institutions de microfinancement78, il faut fixer une rémunération des dépôts suffisamment importante pour attirer l'épargne. Poussés ainsi vers le haut, les taux prêteurs se heurtent parfois aux plafonds définis par la législation avant d'atteindre des niveaux appropriés. Il en résulte, soit une médiocre mobilisation de l'épargne, soit un taux élevé de défaillance des intermédiaires financiers ruraux.

Deux autres observations vont dans le sens d'une suppression des plafonds sur les taux d'intérêts du crédit agricole: a) en principe, l'emprunt sur le marché informel et non contrôlé coûterait beaucoup plus cher aux agriculteurs que n'importe quel type de prêt institutionnel et b) le rendement du capital à court terme dans l'agriculture - qui est le but de la majorité des prêts - est très élevé. L'auteur a mené une analyse économétrique des prêts consentis à 78 exploitations colombiennes, en distinguant les investissements en capital fixe et le fonds de roulement et en décomposant celui-ci en main d'œuvre et autres intrants. Les résultats indiquent un rendement modéré des investissements en capital fixe (7 à 15%), contre jusqu'à 100% pour le fonds de roulement. Des calculs indépendants, basés sur des budgets de cultures à différents niveaux de technologie de production, ont suggéré que le fonds de roulement requis pour l'achat d'intrants modernes assure en principe, selon la récolte, des rendements de l'ordre de 60 à 80%, ou même parfois plus, mais jamais moins de 42%79.

Ces résultats se comprennent intuitivement, car ils indiquent qu'une fois l'infrastructure de base d'une exploitation en place, l'accès au fonds de roulement nécessaire à l'achat d'intrants opérationnels et au fonctionnement de l'exploitation génère des rendements élevés. Ils expliquent aussi pourquoi les agriculteurs du monde entier sont prêts à emprunter aux taux élevés du marché parallèle pour acheter des semences, des engrais et d'autres intrants de base. Ils soulèvent cependant la question du mode de financement des investissements agricoles à long terme; ce point fait l'objet de la section 7.8 ci-après.

Ainsi, les contraintes sur les taux d'intérêts - des emprunts comme des dépôts - peuvent se révéler préjudiciables aux emprunteurs agricoles. Il en est de même des lois qui empèchent le développement des systèmes de notation des risques de crédit, et des modalités élargies de garantie80.

50 Dans ce contexte, les avantages de la mobilisation de l'épargne sont envisagés surtout du point de vue des institutions financières rurales et du secteur rural. Globalement, les preuves quantitatives de la réaction de l'épargne privée aux taux d'intérêts dans les pays en développement ne sont pas claires. Il est cependant possible que cela soit dû au manque de recul, du fait que la libéralisation du secteur financier est récente dans la plupart des pays en développement. Pour un résumé de la situation et une discussion des faits, voir: Paul R. Masson, Tamim Bayoumi et Hossein Samiei, International Evidence on the Determination of Private Saving, The World Bank Economic Review, vol. 12, № 3, septembre 1998, pages 483–501.

51 Dale W. Adams, Are the Arguments for Cheap Agricultural Credit Sound?, dans: D. W. Adams, D. H. Graham et J. D. Von Pischke, 1984, p. 75.

52 Secretaría de Recursos Naturales, Grupo Técnico de Trabajo sobre el Sector Financiero Agrícola, Las Políticas y la Estructura del Sector Financiero Agrícola, Tegucigalpa, Honduras, 1990.

53 Une expérience similaire au Costa Rica est rapportée dans Robert C. Vogel, The Effects of Subsidized Agricultural Credit on Income Distribution in Costa Rica, chapitre 11 dans D. W. Adams, D. H. Graham et J. D. Von Pischke, 1984.

54 J. Yaron, 1992, p. 111.

55 Elisabeth Rhyne et María Otero insistent sur ce principe (1994).

56 Marguerite S. Robinson, 1994, p. 38.

57 Douglas H. Graham, Geetha Nagarajan et Korotoumou Quattara, Financial Liberalization, Bank Restructuring and the Implications for Non-Bank Intermediaries in the Financial Markets of Africa: Lessons from The Gambia, dans: Roger Rose, Carolyn Tanner et Margot A. Bellamy, éd., Issues in Agricultural Competitiveness, Occasional Paper № 7, Association internationale des économistes agronomiques, Dartmouth Publishing Company, 1997, p. 253.

58 J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, pages 47–48.

59 Op. cit., p. 49.

60 S. R. Khandker, 1998, p. 84.

61 Note de l'auteur: la dépression du secteur agricole au Nicaragua en 2001, entraînée par la chute des prix du café, a causé des pertes chez de nombreuses IMF affiliées à la fédération ASOMIF, qui, de ce fait, se sont largement retirées des prêts à l'agriculture.

62 Shari Berenbach et Craig Churchill, Regulation and Supervision of Microfinance Institutions, The Microfinance Network, Occasional Paper №1, Washington D.C. 1997, pages 19–24 [souligné par l'auteur].

63 Yaron, Benjamin et Piprek (1997, p. 54).

64 Timothy Besley et Stephen Coate, Group Lending, Repayment Incentives and Social Collateral, Journal of Development Economics, vol. 46, № 1, 1995, pages 1–18.

65 S. R. Khandker, 1998, p. 31.

66 «La saisie du bien hypothéqué n'est pas rentable pour la Grameen Bank», J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, p. 125.

67 Voir K. A. S. Murshid, Informal Credit Markets in Bangladesh Agriculture: Bane or Boon?, dans: G. H. Peters et B. F. Stanton, éds., Sustainable Agricultural Development: The Role of International Cooperation, Comptes rendus de la 21èmeconférence internationale des économistes agricoles, Dartmouth Publishing Company, 1992, p. 660.

68 (a) J. Yaron, M. P. Benjamin et G. L. Piprek, 1997, p. 55; (b) Heywood Fleisig, The Right to Borrow: Legal and Regulatory Barriers That Limit Access to Credit by Small Farms and Businesses, Viewpoint, note № 44, Banque mondiale, Washington, D.C., avril 1995, p. 3.

69 Il faut parfois de la patience et de la persévérance pour faire appliquer les nouvelles réglementations. L'auteur a fait partie d'une équipe qui a élaboré et mis en œuvre, parmi d'autres réformes de politique, un système de certificats de dépôt pour les céréales au Honduras. Après l'approbation d'une proposition détaillée par le ministre des Ressources naturelles (Agriculture) et la rédaction du décret, il a fallu deux ans et demi pour obtenir les approbations supplémentaires de divers services publics, requises pour l'entrée en vigueur du décret!

70 H. Fleisig, 1995, p. 3.

71 Luz María Bassoco Celso Cartas et Roger D. Norton, Sectoral Analysis of the Benefits of Subsidized Insurance in Mexico, dans: Peter Hazell, Carlos Pomareda et Alberto Valdés, Crop Insurance for Agricultural Development: Issues and Experience, The Johns Hopkins University Press, 1986, pages 141–142.

72 Secretaría de Recursos Naturales, Honduras, 1990.

73 H. Fleisig, 1995, p. 2.

74 Zia U. Ahmed, Transactions Costs in Rural Financial Markets in Bangladesh, thèse de doctorat, University of Virginia, Charlottesville, 1982.

75 M. J. Fry, 1995, p. 348.

76 Amy J. Glosser, The Creation of BancoSol in Bolivia, dans: M. Otero et E. Rhyne, éd., 1994, p. 237.

77 James J. Boomgard et Kenneth J. Angell, Bank Rakyat Indonesia's Unit Desa System: Achievements and Replicability, dans: M. Otero et E. Rhyne, éd., 1994, pages 225–226.

78 Dans le cas de BancoSol, «les coûts de gestion…représentent un pourcentage très important du total des coûts d'exploitation par rapport au reste du secteur. Ils se montent à plus de 80 % du total, contre 20 % environ pour la norme du secteur. L'énorme différence entre ces pourcentages provient des coûts élevés associés au microcrédit. À mesure que le nombre de clients augmentera par rapport au nombre d'employés chargés du crédit, l'efficacité s'améliorera, même si les coûts demeureront toujours élevés» (Amy Glosser, 1994, p. 247).

79 Banque mondiale, Latin America and the Caribbean Regional Office, Projects Department, Colombia: Rural Financial Markets Sector Study, Annex E, rapport № 5860-CO, Washington, D.C., 13 février 1986.

80 Gonzalez-Vega écrit que, en grande part, les lois existantes sur le financement ont été élaborées pour protéger les intérêts des emprunteurs, mais qu'elles ont eu l'effet pervers contraire, en restreignant les taux d'intérêts, les types de garanties, etc. Voir son texte: C. Gonzalez-Vega, El Papel del Estado en la Promoción de Servicios Financieros Rurales, présenté au séminaire international El Reto de América Latina para el Siglo XXI: Servicios Financieros en el Area Rural, La Paz, Bolivie, novembre 1998.


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