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9. Accords d'accès dans le cadre des réformes fiscales. Le contexte mozambicain

par

Hermínio Lima Tembe[51]

Introduction

Avec ses coordonnées extrêmes (10o27'N, 26o52'S, 30o12'E et 40o51'O), le Mozambique possède environ 100 000 km2 d'eaux territoriales et 562 000 km2 de zone économique exclusive (ZEE). S'étendant du fleuve Rovuma (frontière septentrionale avec la Tanzanie) à Ponta d'Ouro (frontière méridionale avec l'Afrique du Sud) les côtes du Mozambique s'étendent sur 2 780 km.

Les eaux continentales comprennent principalement le lac Niassa et le lac artificiel de Cahora Bassa, outre un certain nombre de cours et de petites masses d'eau où sont entreprises des activités de pêche et de pisciculture. Le lac Niassa, que le Mozambique partage avec deux autres pays (Tanzanie et Malawi), vient en troisième position parmi les lacs les plus profonds du monde (700 mètres de profondeur), et il est célèbre pour la richesse de sa biodiversité. La surface totale d'eau douce est de 13 000 km2, y compris les 21 pour cent du lac Niassa qui appartiennent au Mozambique.

Traditionnellement, les flottilles de pêche ont exploité les ressources côtières et, dans une mesure moindre, quelques espèces hauturières. Cependant, un nouveau type de pêche a démarré dans les années 90 et s'est développé très rapidement dans les eaux douces du bassin de Cahora Bassa. La pêche au kapenta est aujourd'hui la troisième pour les exportations de poisson.

Les principales ressources halieutiques peuvent se grouper en trois catégories sur la base de leur valeur commerciale:

1. Les crustacés, qui représentent 77 pour cent de la valeur de la production, comprennent les crevettes de hauts fonds, qui est le produit clé, suivi par les crevettes nordiques. En outre on trouve des écrevisses, des crabes et des homards.

2. Les poissons proprement dits, qui représentent 22 pour cent de la valeur de la production, comprennent des espèces démersales de grande et petite tailles mais principalement des espèces pélagiques;

3. Les mollusques, qui absorbent moins d'un pour cent de la valeur de la production, comprennent des espèces comme les calmars, les poulpes, les concombres de mer et les bivalves (Figure 1).

Bien que les flottilles nationales ne soient pas directement engagées dans l'exploitation de la pêche au thon, le Mozambique a octroyé des licences à des flottilles étrangères pratiquant la pêche hauturière sur la base d'accords commerciaux. La contribution économique de cette pêche est représentée par les recettes tirées de l'octroi des licences.


Figure 1: Principales ressources halieutiques groupées en trois catégories en fonction de leur valeur commerciale

Rôle de la pêche dans l'économie

Le secteur de la pêche au Mozambique se subdivise en deux grandes catégories: la pêche commerciale et la pêche artisanale. A la pêche commerciale participe la grande industrie, composée notamment de coentreprises appliquant des techniques de pêche de pointe, et de petites entreprises dominées par des capitaux mozambicains. Leur production est orientée vers l'exportation et leurs activités se concentrent principalement sur les ressources de valeur élevée comme les crevettes, les crevettes nordiques, les calmars et les kapenta d'eau douce. La pêche artisanale est la plus importante dans le contexte du Mozambique. Elle n'offre qu'une faible contribution au marché de l'exportation mais c'est le produit clé pour l'approvisionnement du marché national et elle représente plus de 80 pour cent de la production halieutique totale. En outre, elle procure une multitude d'emplois.

La pêche commerciale a une structure verticale, ce qui veut dire que l'entreprise productrice contrôle toute la chaîne de production, de la capture à la transformation et à la commercialisation. Cet aspect est observable principalement chez les coentreprises où souvent la production est acheminée vers l'entreprise mère du partenaire étranger. Cette situation provoque des conflits commerciaux entre partenaires des coentreprises lorsque le choix libre du marché de l'exportation, qui est fondé sur les meilleures offres, nuit à l'intérêt national. Cependant, on ne peut ignorer l'avantage d'un marché assuré à long terme.

La pêche artisanale a une structure strictement horizontale; chacun se spécialise dans une activité particulière: les pêcheurs iront pêcher, les intermédiaires se chargeront du commerce du poisson, et ainsi de suite. De ce fait, elle prévoit la participation d'un grand nombre de personnes, ce qui a un impact considérable sur la création d'emplois et la distribution de la rente. Les transformateurs de poisson achètent le poisson sous contrat auprès des pêcheurs et le transforment tant pour le marché national que pour l'exportation, ce qui est le meilleur moyen d'ajouter de la valeur au produit de la pêche artisanale.

Le Mozambique n'a aucune tradition de pisciculture mais cette activité commence à prendre de l'ampleur. Après beaucoup d'années de recherche et de formation dans ce domaine, dans le but de mettre en valeur l'immense potentiel d'élevage de crevettes, la première récolte commerciale de crevette élevées a été enregistrée en 2002. Elle s'est ajoutée aux algues cultivées commercialement, dont la production remonte à de nombreuses années, mais qui ne s'est développée que récemment.

En ce qui concerne 2002, la valeur totale de la production de poisson a dépassé 132 millions de dollars EU, y compris les captures et la pisciculture. Ce chiffre correspond à 112 000 tonnes de captures et 850 tonnes de produits de l'élevage, dont 600 tonnes de crevettes et 250 tonnes d'algues marines. Sur ce montant, 90 000 tonnes de poisson pêché et toute la production d'algues ont été le fait d'artisans pêcheurs.

La valeur des exportations a dépassé les 96,5 millions de dollars EU et 20 250 tonnes de produits de la pêche ont été exportées. La production de la pisciculture a contribué pour plus de 3 millions de dollars EU au total. Les principaux marchés de destination des exportations du Mozambique ont été l'Europe (62%), le marché régional (Afrique du Sud, Zimbabwe et Malawi - 25%) et l'Asie (Japon - 12%) (Figure 2).


Figure 2: Principaux marchés de destination des produits exportés du Mozambique

La structure de ce marché reflète l'intégration verticale de l'industrie de la pêche, où les principales entreprises de production sont des coentreprises travaillant avec des partenaires européens. Il existe aussi des coentreprises dont les partenaires viennent d'Afrique du Sud, du Japon et du Zimbabwe.

Le secteur de la pêche est celui qui a contribué le plus à la balance des paiements depuis l'indépendance en 1975. Les recettes tirées de l'exportation ont varié entre 40 et 50 pour cent pendant de nombreuses années, jusqu'au développement récent des fonderies. Avec une contribution de 28 pour cent aux exportations nationales totales (en 2002), la pêche est encore au sommet de la liste des secteurs de l'exportation. Sa contribution au PIB est de l'ordre de 5 pour cent.

Cadre institutionnel, politique et législation

Le secteur de la pêche a connu un long processus de réformes institutionnelles depuis l'indépendance. L'importance de la pêche pour le développement économique national ayant été reconnue, les efforts portent actuellement sur l'organisation de l'administration des pêches en vue d'assurer la gestion et le développement du secteur; c'est ainsi que différentes structures institutionnelles ont été créées pour réaliser l'objectif susmentionné. Le Ministère des pêches a été institué en 2000, lorsqu'il a été décidé de le séparer de l'agriculture. Depuis lors, une analyse fonctionnelle a été incluse pour améliorer l'efficacité, l'accent portant notamment sur la décentralisation et la création de capacités régionales.

En 1994, le secteur a adopté le plan-cadre des pêches, un outil servant à aider les autorités gouvernementales à identifier les stratégies que l'Etat adoptera pour réaliser les objectifs de développement à moyen et long terme. Le plan-cadre a été formulé dans le contexte des réformes économiques générales mises en œuvre par le gouvernement depuis 1987, et caractérisées par la privatisation croissante de l'économie, le manque de capital, l'absence de devises, un taux élevé de chômage, des difficultés d'approvisionnement en denrées alimentaires et la détérioration de l'infrastructure. En outre, le plan-cadre est un instrument servant à faire connaître aux agents économiques les intentions et les attentes de l'Etat, fournissant par là même une base sur laquelle le secteur privé peut planifier ses opérations et investissements industriels.

En 1966, le pays a adopté la politique halieutique nationale qui contenait les objectifs généraux de développement de l'économie nationale, à savoir assurer la sécurité alimentaire, la croissance économique durable, l'accroissement des recettes nettes en devises, la réduction du taux de chômage et l'atténuation de la pauvreté. Les résultats suivants étaient attendus:

1. amélioration de l'approvisionnement intérieur en aliments à base de poisson pour réduire le déficit alimentaire local;

2. accroissement des recettes en devises par l'exportation accrue de poisson et de produits à valeur ajoutée;

3. amélioration du niveau de vie des communautés de pêcheurs par l'augmentation des emplois et la génération d'une rente économique.

La base juridique de la pêche est fournie par la Loi sur la pêche 3/90 du 26 septembre 1990 et les règlements successifs. La loi établit que les ressources halieutiques appartiennent à l'Etat qui est responsable de la viabilité des activités de pêche et de la gestion de la ressource. Le régime de gestion de la pêche se fonde sur les licences de pêche, l'allocation de total admissible de capture (TAC) et la régulation de l'accès moyennant les périodes de fermeture de la pêche et des restrictions sur la grandeur des mailles des filets pour les pêcheries d'une importance économique. Toutes les activités sont sujettes à des licences, quelle que soit leur valeur économique, à l'exception des activités de pêche de subsistance.

Un système de suivi maritime par satellite est en cours de mise au point au niveau national pour améliorer de manière rentable la couverture des opérations des flottilles. Cette initiative est complétée par le projet régional de suivi, contrôle et surveillance de la SADC actuellement en cours.

On tend à renforcer un autre important régime de gestion, notamment pour la petite pêche, à savoir le système de cogestion. Bien que ces systèmes aient été appliqués au Mozambique en tant qu'initiatives isolées avant l'indépendance, à partir de la moitié des années 90 des approches continues et plus cohérentes ont été mises en œuvre en liaison étroite avec certaines organisations internationales (comme le Centre mondial de la pêche).

Désormais, environ 30 conseils communautaires ont été établis dans les trois provinces côtières de Nampula, Zambézia et Maputo et trois comités de cogestion opèrent dans les provinces de Nampula et Inhambane.

Afin de formuler des dispositions légales pour les nouveaux progrès technologiques, et pour répondre à d'autres exigences et obligations établies par le protocole régional et la législation internationale des pêches, la législation nationale de la pêche maritime fait l'objet d'un examen. Le règlement des pêches maritimes, en cours de révision, a également été adapté afin d'établir le cadre juridique des systèmes de cogestion, alors que l'on met actuellement au point le cadre institutionnel respectif en vue de promouvoir des mécanismes assurant la viabilité des organisations communautaires.

L'économie et les politiques fiscales dans le secteur de la pêche

Le plan-cadre de la pêche a établi certains paramètres pour les dépenses périodiques sur la base de l'indice de 2,5 pour cent de la valeur de la production de poisson. Les indicateurs du plan-cadre ont estimé cette valeur à environ 182,2 millions de dollars EU en l'an 2000 et à 209,3 millions en 2005. Néanmoins, la valeur de la production enregistrée pour 2002 était de 132 millions de dollars.

Cependant, au cours des trois dernières années, le budget du secteur public a été limité à 1,5-2,2 millions de dollars EU, soit 1,15-2,0 pour cent. Les recettes générées directement par les activités de pêche, sous forme de licences, droits, taxes, etc., ont atteint le chiffre de 3,8 millions de dollars en 2002 dont 40 pour cent ont été au trésor de l'Etat, en vertu des règlements en vigueur. Les autres 60 pour cent sont restés dans le secteur et ont servi aux dépenses intérieures mais ils n'ont pas suffi à financer les affaires intérieures du secteur.

L'aide financière internationale a permis de mobiliser d'autres fonds à investir dans le développement de la pêche et le soutien institutionnel. Au cours des trois dernières années cette aide s'est accrue passant de 6,8 à 13,5 millions de dollars EU, y compris les subventions et les crédits. De fait, le secteur a été fortement tributaire de l'aide extérieure pour la mise en œuvre du plan stratégique défini dans le plan-cadre de la pêche.

Les recettes halieutiques enregistrées actuellement consistent essentiellement en droits pour les licences. Une taxe pour l'inspection du poisson et l'assurance de la qualité a été imposée depuis 1999 mais elle paraît être étayée par une forte subvention car les montants perçus sont loin de couvrir les coûts du service, y compris l'analyse au laboratoire et la certification du produit.

Par ailleurs, la structure des droits relatifs aux licences de pêche n'est pas adéquate. Elle n'est pas liée à la valeur commerciale des espèces de poisson par type de licence et ne reflète pas le mode de gestion appliqué, à savoir l'imposition de droits plus élevés pour des ressources dont la demande est très forte ou pour l'exploitation de pêcheries à accès limité. A l'heure actuelle, cette question fait l'objet d'un examen et un nouveau régime devrait être mis au point en 2004 après l'approbation des autorités pertinentes.

Le gouvernement a mis en évidence une importante réforme fiscale dans le cadre de son programme de restructuration économique et sociale adopté en 1987. Les impacts remarquables de ces réformes sont également reconnus dans le secteur de la pêche, notamment en ce qui concerne les revenus dégagés des droits de douane sur l'importation de matières premières pour l'industrie des services de la pêche et la pisciculture. Cependant, l'industrie de la pêche subit la contrainte de la taxation du carburant qui fait augmenter le prix de ce dernier bien au-delà des prix internationaux, nuisant ainsi à la compétitivité des produits de la pêche mozambicains sur le marché international. La taxe imposée sur le prix d'importation du carburant est destinée à générer des fonds pour le programme national de développement des routes. L'industrie de la pêche, qui n'utilise pas des routes mais des bateaux, estime qu'elle est surchargée de taxes étrangères à son activité. Il convient de noter que l'industrie de la pêche est le plus grand utilisateur de carburant du Mozambique, représentant par là une immense contribution aux dits fonds.

Accords de pêche

La création d'une base industrielle mozambicaine au sein du secteur de la pêche a représenté un principe directeur depuis l'indépendance, mais il est estimé qu'elle devrait être développée au fil du temps. Pour assurer l'utilisation économique des ressources halieutiques, il a été considéré de permettre aux flottilles étrangères d'opérer sur la base d'accords de pêche. Le premier accord a été signé avec l'Union soviétique (ex-URSS) en 1976, un an à peine après l'indépendance, et avait une période de validité de cinq ans. En 1988, un accord de pêche a été conclu avec la Communauté européenne (CE). Ces accords prévoyaient la coopération en matière d'accès aux droits de pêche, de recherche et de pêche expérimentale, etc., et les avantages directs en faveur du Mozambique comprenaient l'assistance financière pour les programmes de développement de la pêche, la création de capacités institutionnelles, l'assistance technique, la formation et des bourses d'étude pour les mozambicains dans des universités internationales, etc.

L'approbation de la loi sur la pêche en 1990 a changé le contexte politique et institutionnel car il était alors impératif que l'exploitation des stocks de poisson existant dans les eaux territoriales du Mozambique soit réservée aux flottilles nationales. Les coentreprises enregistrées au Mozambique étaient alors présentes et possédaient une capacité suffisante pour pêcher les stocks côtiers disponibles. A l'exception des stocks grands migrateurs de thon que les opérateurs mozambicains ne sont pas enclins traditionnellement à pêcher, et pour lesquels ils n'ont la capacité technologique ni commerciale, l'exploitation de ces stocks côtiers est encore permise à des flottilles étrangères au titre d'accords commerciaux.

Depuis que le gouvernement mozambicain a révoqué les accords de pêche avec l'ex-URSS et la CE en 1992 et 1993 respectivement, un nouvel accord de pêche fait l'objet de négociations avec l'Union européenne. Les négociations ont été complétées récemment et un nouvel accord sera mis en vigueur dès 2004. Au plan régional, le Mozambique a signé des accords de pêche avec la Namibie et l'Afrique du Sud (en cours de révision) et un protocole d'accord avec l'île Maurice.

Enjeux et perspectives

Outre les flottilles pêchant traditionnellement le thon en haute mer, depuis 2002, de nouveaux types de flottilles font escale dans les ports mozambicains pour solliciter des facilités pour la manutention du poisson et des permis d'exportation. Ce sont les flottilles pratiquant la pêche hauturière dans les eaux internationales ou autour de la ZEE des Etats côtiers. Toutefois, cette expérience relativement brève a déjà montré que des liens plus étroits sont nécessaires entre le port national et les autorités de pêche, ainsi qu'une meilleure communication avec la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR), en vue d'assurer le respect des dispositions de la législation internationale concernant les activités de pêche responsable et la durabilité de l'exploitation des ressources hauturières. L'inscription à la CCAMLR fait l'objet d'un intérêt croissant au Mozambique car elle permettrait l'apport de davantage de rentes à l'économie nationale. Mais on ne peut envisager cet objectif que dans le cadre d'un partenariat entre entrepreneurs mozambicains et investisseurs étrangers, étant donné la limitation des compétences technologiques nationales en matière de pêche hauturière.

L'application de la nouvelle technologie de suivi maritime satellitaire et l'organisation de patrouilles de surveillance de la pêche amélioreront la vulnérabilité actuelle du pays à la pêche illégale ou au passage de flottilles de pêche illégales.

Des mesures très sévères ont été prises par le gouvernement sur la base de son engagement à adapter la législation nationale de la pêche aux conventions internationales. La principale législation est en cours de révision ou d'achèvement, ce qui renforcera la position du Mozambique dans les affaires internationales et facilitera l'accès aux principaux marchés d'exportation.

En ce qui concerne les mesures nationales de gestion des pêches, il convient de souligner les importants efforts faits pour réduire la surpêche de la crevette dans les hauts fonds. Ils consistaient dans le retrait d'un certain nombre de licences de pêche et l'extension de la période de fermeture de la pêche de deux à trois mois, décision qui n'a pas été facile à concrétiser du point de vue politique. Cette question a considérablement influencé les négociations de l'accord de pêche avec l'UE car c'était justement la pêche à la crevette que l'Union tenait à inclure dans le programme de coopération mais qui n'aurait jamais obtenu l'approbation du Mozambique.


[51] Directeur de l'économie, Ministère des pêches, Mozambique

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