Page précédente Table des matières Page suivante


10. NOTES TECHNIQUES SUR LA FAISABILITE DE L'ELEVAGE DE CREVETTES MARINES AU NIVEAU COMMERCIAL

par

James M. Winfield
Shrimp Inc.

et

Agronome Léonel Garnier
Directeur du projet d'Aquaculture - MARNDR

1. INTRODUCTION

L'élevage des crevettes marines a connu un succés considérable dans les pays de la Caraîbe et de l'Amérique Latine, depuis une dizaine d'années. Cet élevage de crustacés est caractérisé par l'utilisation de lourds investissements et de techniques sophistiqués entrainant plus de risques que d'autres élevages tels que les poissons, les porcins, la volaille etc. Malgré les risques énormes à consentir, il est important de noter que les potentialités de haute rentabilité sont évidentes vue que les produits sont destinés à un marché de luxe d'exportation.

Plusieurs pays de l'Amérique tels Equateur, Panama, Pérou, Honduras, Brésil, Mexique etc. se sont lancés dans l'élevage des crevettes. On estime la production pour cette région, en 1982, à prés de 30.000 tonnes (Padlan, 1986); cette production devrait passer à 100.000 t en 1986. Les gouvernements de ces pays ont beaucoup contribué au développement de cette activité par la formation de nombreux cadres et l'établissement des infrastructures nécessaires.

L'élevage de crevettes n'est pas pratiqué en Haiti. Des sites convenables ont été identifiés dans la région de Grande Saline, la baie de l'Acul du Nord et le district des Cayes, entre Aquin et lle à Vache (Ehrlich et al, 1985). La construction d'une ferme privée d'une superficie de 400 ha est actuellement en cours dans la région de l'Estère.

Ce document préliminaire peut servir de guide aux investisseurs haitiens qui s'intéressent à l'élevage des crevettes en leur permettant d'analyser la faisabilité de leur projet. Les techniques utilisées dans l'implantation et la gestion de fermes commerciales de crevettes en Amérique ont servi de base pour l'élaboration de ce document.

2. CHOIX DU SITE

Quatre éléments importants doivent être soigneusement étudiés dans le choix du site:

2.1 L'accessibilité

L'accès au site constitue l'une des conditions essentielles pour l'établissement d'une ferme aquicole. Le transport du matériel et des techniciens nécessaires pour la construction et la gestion de la ferme ainsi que la commercialisation des produits en dépendent largement.

2.2 Le terrain

Les fermes à production de crevettes sont généralement situées à proximité de la mer où l'eau saumâtre peut être obtenue. ll faut un terrain de nature argileuse jusqu'à 1 m. de profondeur et contenant moins de 30 % de sable; ce qui est convenable pour la construction des digues et une bonne rétention de l'eau des étangs. Au point de vue topographie il faut un terrain de pente supérieure à 0,3 % et dont l'élévation par rapport à la marée moyenne soit de plus de 45 cm. pour assurer la vidange des étangs. Le niveau et l'étendue des inondations doivent être repertoriés afin d'en protéger les installations. Une analyse chimique du sol est indispensable pour assurer qu'il est indemne de pesticides ou autres produits toxiques.

Parmi les dispositions légales à vérifier, il y a notament les aspects cadastraux pour se renseigner sur les conditions d'acquisition du terrain choisi.

2.3 Qualité de l'eau

Les fermes aquicoles nécessitent un approvisionnement régulier en eau de quantité et qualité adéquates. Les paramètres suivants sont essentiels pour l'élevage des crevettes:

2.3.1 Salinité

L'élevage de crevettes se pratique dans les meilleures conditions en eau saumâtre (5 à 40 ppt) qu'on peut obtenir en Haiti par mélange d'eau douce et de mer. Au dessous de 5 ppt, il y a dans les étangs le développement d'algues bleue vertes qui donnent aux crevettes un mauvais goût et les rend non commercialisables; au dessus de 40 ppt, la croissance des crevettes est ralentie. La coissance des crevettes est beaucoup plus importante, avec une salinité faible mais toujours supérieure à 5 ppt.

2.3.2 Oxygène dissous

Les crevettes sont trés sensibles au manque d'oxygéne dissous (OD) de l'eau. La teneur en OD de l'eau doit être supérieure à 4 mg / 1 (entre 4 et 8 mg / 1) pour une bonne croissance. En dessous de 1.5 mg / 1 on enregistre de nombreux cas de mortalité.

2.3.3 pH

Le pH de l'eau doit être compris entre 6.5 et 7.5 pour rencontrer les exigences des crevettes et plancton (nourriture naturelle)

2.3.4 Caractéristiques physiques

Comme caractéristiques physiques, l'eau doit contenir très peu de matière inorganique en suspension et la température doit être comprise entre 26 et 35 dégres C.

Le développement de fermes de crevettes doit être planifié à l'échelle régionale pour éviter la pollution des eaux par les exploitations agricoles ou industrielles placées en amont.

2.4 Quantité d'eau

Les besoins en eau dépendent de la qualité d'eau à maintenir dans les bassins pour obtenir une bonne production. On estime à 10 % le taux de remplacement journalier de l'eau dans les étangs pour maintenir l'oxygène dissous et la salinité à un niveau optimal. Pour un étang de 1 ha d'une capacité de 8000 m3, Les besoins s'élèvent à 800 m3 / J.

2.5 L'environnement biologique.

Quelques organismes tels les éléments du plancton servent de nourriture naturelle aux crevettes. Leur développement peut être facilité par des applications d'engrais. Toutefois, il existe des animaux (oiseaux, poissons) qui peuvent exercer une action prédatrice sur les crevettes et d'autres une action destructrice sur les installations en creusant des trous dans les digues (crabes).

3. CHOIX DE L'ESPECE

Plusieurs espéces de crevettes sont actuellement cultivées à travers le monde: Panaeus monodon, P. Vannamei P. Japonieus, P. Stylirostris (crevettes de mer), Macrobrachium rosenbergii (eau douce) etc. Les problémes que pose la disponibilité en larves sont en voie d'être résolus, par la maîtrise des techniques de reporduction de quelques espèces cultivées. Les résultats obtenus dans plusieurs fermes commerciales privées ont montré la supériorité de l'espéce P. vannameï pour son taux de croissance élevé et sa résistance aux facteurs environnementaux défavorables.

En Haïti, plusieurs espèces de crevettes ont été indentifiées (eau douce et de mer) mais l'espéce recommandée pour l'élevage aux fins commerciales n'a pas été rencontrée.

3.1 Disponibilité de post larves de P. vannameï

L'introduction du P. vannameï en Haiti et sa reproduction en encloserie doivent être envisagées dans le cadre du développement de cette activité dans le pays. L'alternative à court terme reste l'importation des post larves des Etats Unis ou du Panama à raison de 10 à 25 $ pour 1000 en plus des coûts de transport; le prix dimninue quand le nombre augmente.

Certaines restrictions liées à l'importation doivent être clairement planifiées:

4. AMENAGEMENT

Les activités doivent être bien planifiées pour rendre la ferme fonctionnelle le plus tôt possible.

4.1 Système d'alimentation en eau

L'installation d'un système de pompage en eau douce et en eau saumâtre pour garantir un volume d'eau de 800 m3/ha/j, constitue la première opération. ll faut également la construction d'un réservoir à même d'approvisionner la ferme en cas de problèmes dans le système de pompage. C'est également au niveau du réservoir que l'eau de mer sera mélangée à l'eau douce pour obtenir la salinité désirée. Un employé doit être responsable de l'alimentation en eau de la ferme et rapporter toute défaillance du systéme le plus tôt possible.

4.2. Construction des étangs

Les étangs doivent être construits en tenant compte de l'élevation du terrain pour en assurer la vidange à partir de canaux qui doivent être construits. La surface sous eau sera occupée à 10% par des bassins de stockage d'environ 0.5 ha chacun et à 90% par ceux de production d'environ 5 à 20 ha chacun. Ces étangs seront construits à l'aide de tracteurs bulldozer. ll est trés difficile d'evaluer les coûts de construction des étangs avec tracteurs, vu que ces données acualisées n'existent pas pour Haïti. Les coûts enregistrés dans les pays voisins sont peut être loin de la réalité haitienne. Signalons que les coûts de construction de bassins piscicoles à la Jamaïque s'élèvent à $4.000 / ha pour des bassins de l à 2 ha.

5. L'ELEVAGE

L'efficacité des travailleurs responsables du suivi et de l'alimentation des étangs est le facteur le plus important à considérer pour la réussite de l'entreprise.

5.1 Stockage des post larves

Les post larves importées ou venant de l'écloserie sont mises dans les bassins de stockage à la densité de 2.5 millions / ha. Les post larves sont encore très sensible et le taux de survie pour cette période qui varie de 30 à 60 jours dépasse rarement 50% dans les meilleures conditions. A la fin de cette période, leur poids varie de 0.2 à 1.0 g.

5.2 Transfert des post larves

Les post larves qui se trouvent dans les bassins de stockage doivent être comptées, pesées et transportées dans les bassins de production. ll s'agit d'une opération délicate où il faut réduire le stress dû à la manutention et au manque d'oxygène dissous de l'eau autant que possible.

Les post larves peuvent être transportées dans des caisses appropriées à une densité de 100 lbs / 1100 litres d'eau contenant au moins 6 mg / l d'oxygéne dissous. Un transfert est réussi si juste avant l'ensemencement les post larves réagissent brusquement quand on plonge un objet dans la caisse de transport. Le transfert est généralement mieux réussi quand on utilise des post larves de petite taille (de 0.3 à 0.5 g).

5.3. Ensemencement

Les post larves sont mises dans les étangs de production à une densité de 50.000 à 85.000 / ha. La teneur en oxygène dissous de l'eau doit toujours être supérieure à 4mg / l. Les larves doivent être actives et pouvoir se disperser rapidement.

5.4 Contrôle de la qualité de l'eau

La teneur en oxygène dissous et la salinité doivent être suivies de très près. L'oxygène est contrôle deux fois par jour à 6 hres a.m. et 5 hres p.m. pour s'assurer que la concentration est toujours supérieure à 4 mg / l. Un changement d'eau est obligatoire toutes les fois que le niveau descend au dessous de 4 mg / l.

La salinité optimale pour P. vannameï se situe entre 10 et 20 ppt. Elle doit être contrôlée tous les jours.

5.5 Fertilisation et alimentation

Avec le système semi intensif utilisé actuellement dans les fermes commerciales, des déjections de volaille sont parfois appliquées, tous les deux jours, à raison de 100 lbs / ha. pour activer le développement de la nourriture naturelle. Une ration à base de 20 % de protéines animales et végétales doit être distribuée tous les jours, sous forme de granulés au taux de 3 à 15 % de la biomasse. Tous les huit jours, 25 à 50 P. vannmeï sont prélevés, pesés et la quantité de nourriture ajustée en fonction de la biomasse totale calculée.

5.6 Croissance et production

Avec le système semi intensif utilisé dans les fermes commerciales en Amérique, P. vannmeï accuse un gain moyen de 1 g / semaine jugé satisfaisant. L'annexe A présente l'évolution hebdommadaire du poids moyen de P. vannmeï dans un système commercial. Une évolution du poids moyen en dessous de la moyenne de 1 g/ semaine indique des problèmes au niveau de la rentabilité de l'élevage et conduit à l'arrêt du cycle même avant la durée projetée.

En moyenne, la production varie de 650 à 1000 lbs / ha / cycle. Le taux de conversion alimentaire relatif doit être inférieur à trois et généralement entre deux et trois. La production obtenue est d'autant plus importante que la température de l'eau se rapproche de l'optimum entre 26 et 35 dégres C.

6. COMMERCIALISATION

Les crevettes sont commercialisées après enlévement de la tête, ce qui représente en moyenne 65 % du poids vif. C'est le facteur le plus important à considérer pour une ferme de type commercial; la taille marchande de crevettes que l'on veut obtenir, détermine la densité d'ensemencement et la durée du cycle d'élevage. Les crevettes doivent être commercialisées à la taille qui correspond aux besoins immédiats du marché. L'annexe B présente quelques groupes selon le nombre de crevettes par livre que le marché international demande.

7. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

L'élevage de crevettes représente une activité prometteuse pour Haiti, vue qu'il s'agit d'une activité agricole créatrice d'emplois et susceptible de rapporter des devises. L'espèce proposée pour l'élevage, P. vannmeï, est utilisée dans presque toutes les fermes commerciales de l'Amérique pour son potentiel de croissance élevée et sa résistance aux facteurs environnementaux défavorables. Les problèmes que pose l'importation de post-larves peuvent être résolus par l'établissement d'une écloserie; ceci peut se justifier avec une demande de 100 millions / année soit 400 ha. en production. Une analyse économique n'a pu être présentée dans ce document, vu que les coûts d'investissement et d'opération sont spécifiques à chaque ferme voire à chaque pays.

Pour la réussite de l'entreprise, des précautions particulières doivent être prises quant au choix du site, aux travaux d'aménagement et à la commercialisation. La gestion de l'entreprise doit être confiée à une équipe bien entraînée et motivée autant du côté technique qu'administratif. ll est important de rappeler que beaucoup d'investisseurs dans cette activité ont échoué par manque de connaissance dans les techniques d'implantation, de gestion et de commercialisation des fermes de crevettes.

Aux investisseurs haïtiens qui s'intéressent à l'élevage de crevettes au niveau commercial, nous proposons:

  1. Visiter des fermes commerciales dans les pays voisins (Panama, Honduras, Guatemela, Equateur) et collecter des informations

  2. Identifier le personnel technique nécessaire pour les différentes étapes (Etude de faisabilité, planification, implantation, gestion et commercialisation)

  3. Organiser les différentes étapes au détail près et prévoir un volet pour la formation à tous les niveaux.

Cette note technique ne vise pas l'encouragement ni le découragement des investisseurs haïtiens à l'élevage des crevettes marines. Elle représente une analyse objective des possibilités ainsi que des précautions à prendre pour se lancer dans ce domaine.

REFEFENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1- Ehrlich et al, 1985Country environmental profile
 A field study USAID, p. 75
2- Padlan, P.G.; 1986Pond culture of penaeid shrimps
 Lecture note ARAC, Port Harcourt Nigeria p.15

ANNEXE A

EVOLUTION DU POIDS MOYEN DE P. vannamei
PAR SEMAINE DANS LES FERMES COMMERCIALES UTILISANT UN SYSTEME
SEMI-INTENSIF POUR UNE PERIODE D'ELEVAGE DE 18 SEMAINES

ANNEXE B

Commercialisation de P. vannameï sur le marché international par groupe selon le nombre de queue de crevette par livre.

GroupeNombre de crevettes par livre
-16–20
-21–25
-26–30
-31–35
-36–40
-41–50
-51–60
-61–70
-71–90
-91–>91


Page précédente Début de page Page suivante