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1. INTRODUCTION

La nécessité de procéder en Afrique à des études approfondies avant endiguement est désormais une chose bien établie (par exemple, Adeniji et al., 1981). Il n'empêche qu'assez peu d'études de ce type ont jusqu'ici été entreprises et que celles qui l'ont été ne contiennent souvent aucune prévision sur les conditions qui régneront dans le lac. On notera cependant que Thornton a essayé récemment (1980) de prévoir, avec le modèle de Vollenweider (voir 4.3), l'état trophique d'un petit réservoir au Zimbabwe.

Le présent document vise à améliorer les prévisions dans les études avant endiguement, notamment en ce qui concerne le rendement en poisson. On y décrit essentiellement des modèles empiriques qui n'exigent qu'assez peu de données. On espère que les résultats montreront qu'il est possible de faire des prévisions utiles à partir de données simples et faciles à obtenir, ce qui est un gros avantage compte tenu du peu de personnel et de moyens financiers dont on dispose.

Les modèles décrits ci-après ne sont pas toujours fondés sur des données africaines. Ceux qui le sont risquent de souffrir du manque général d'exactitude des informations, notamment en ce qui concerne le rendement de poisson des réservoirs africains. Cela dit, ils devraient néanmoins être utiles et on espère que ce document incitera les chercheurs à les appliquer et à les améliorer.

2. MODELES EMPIRIQUES POUR LES EAUX INTERIEURES DE L'AFRIQUE

Un modèle empirique destiné à une utilisation courante en hydrobiologie doit permettre de prévoir des effets biologiques complexes à partir de paramètres écologiques simples. Rigler (1982) décrit fort bien les avantages de l'approche empirique en limnologie et dans le secteur des pêches.

L'une des premières approches empiriques (Rawson, 1952) a montré qu'il est possible dans certains cas d'évaluer le rendement d'un lac en poisson en fonction de sa profondeur moyenne. Ryder (1965) a été plus loin en introduisant la notion de fertilité, indiquée par la quantité totale de matière dissoute (TDS), et a mis au point l'indice morphoédaphique (IME), aujourd'hui bien connu. Cet indice, affirmé par plusieurs autres auteurs, est désormais un concept empirique bien établi (voir Schlesinger et Regier (1982) pour l'étude la plus récente de cette question, avec une bibliographie détaillée).

D'autres experts ont montré que des facteurs tels que la production primaire (Oglesby, 1977) ou la quantité totale de phosphore (Hanson et Legget, 1982) peuvent être préférables à l'IME prévoir le rendement en poisson. Des travaux récents sur les lacs d'Amérique du nord démontrent que la superficie peut aussi permettre de prévoir le rendement en poisson (Jenkins et Morais, 1971; Youngs et Heimbuch, 1982). L'analyse des données du PBI (LeCren et Lowe-McConnell, 1980) a beaucoup contribué à une meilleure compréhension des écosystémes aquatiques mais elle n'a pas été étendue à l'évaluation du rendement en poisson.

Malgré tous ces travaux, on n'a guère employé jusqu'ici de modèles empiriques pour les eaux africaines, peut-être parce qu'on manque en général de données appropriées. Fryer et Iles (1972) ont montré que le rendement en poisson est lié dans une grande mesure à la profondeur moyenne, Henderson et Welcomme (1974) que l'IME est applicable aux lacs et aux réservoirs africains et à leur rendement en poisson. On manque de données biologiques de base pour prévoir le rendement en poisson, exception faite de la production primaire qui, selon Melak (1976), pourrait permettre des prévisions plus précises que l'IME. Malheureusement, il n'a pas été possible de prévoir la production primaire à partir des données avant endiguement utilisées dans ce document, de sorte que ce concept n'a pas été examiné plus en détail.

On peut se demander dans quelle mesure ces modèles sont applicables aux réservoirs africains, notamment lorsqu'on manque de données. Les statistiques des pêches en particulier risquent d'être imprécises en raison de l'ampleur et de l'hétérogénéité des eaux et des populations de poissons (Willoughby, 1979). Pour cette raison, les modèles décrits ci-après ne sauraient être appliqués sans précautions. Notre but est de montrer que les données réunies avant endiguement peuvent être utilisées plus efficacement que jusqu'à présent, notamment pour prévoir le rendement en poisson. Pour obtenir une évaluation réaliste, le mieux serait sans doute de faire la moyenne de plusieurs prévisions (Marshall, sous presse). On ne peut probablement pas faire plus, compte tenu de l'état actuel des connaissances sur les réservoirs africains, mais il faut espérer que l'intérêt de plus en plus vif pour les techniques de prévision conduira à réunir de meilleures informations.

3. DONNEES NECESSAIRES

Pour les modèles de prévision décrits plus loin, nous avons, compte tenu des problèmes qui se posent en Afrique, choisi des données qui sont en général faciles à obtenir et qui n'exigent pas trop de recherches sur le terrain.

3.1 Données physiques

Des données physiques de base devraient être disponibles pour la plupart des réservoirs dont la construction est prévue; elles sont en effet indispensables aux ingénieurs. Il est d'ordinaire possible d'évaluer les éléments suivants, s'ils ne sont pas déjà connus, à partir de cartes ou de courbes de superficie/volume:

  1. Altitude (en mètres au-dessus du niveau de la mer, à pleine charge)

  2. Latitude (arrondie au demi-degré, nord ou sud)

  3. Morphométrie à pleine charge, notamment :

    Longueur du pourtour du lac, Lo (km)

    Superficie, Ao (km2)

    Profondeur moyenne, z (m)

    Volume, V (m3 × 106)

    Surface du bassin versant, Ac, qui doit inclure les bassins versants des réservoirs en amont.

3.2 Données hydrologiques

Ces données devraient être disponibles avant la construction du réservoir. La connaissance des fluctuations saisonnières de l'affluent est particulièrement importante car les lacs reçoivent la plus grande partie des éléments nutritifs en période de crue, surtout si ces fluctuations sont très fortes.

Autre donnée importante: le temps de rétention hydraulique (Tw) que l'on peut calculer à partir du volume du lac, divisé par le débit sortant (moyenne annuelle). Dans les études avant endiguement, le débit sortant peut être considéré comme plus au moins égal au débit annuel du cours d'eau à l'emplacement du barrage et on peut se servir de cette dernière donnée pour estimer Tw, au cas où celui-ci n'aurait pas déjà été calculé par les ingénieurs. Il faudra peut-être corriger les chiffres pour tenir compte de l'évaporation si le rapport entre la superficie et le volume du lac est important et que le climat est aride.

3.3 Données chimiques

Ces données sont souvent difficiles à obtenir et leur collecte peut demander beaucoup de temps mais l'échantillonnage peut se limiter à quelques éléments tels que le phosphore et l'azote qui ont le plus d'effet sur la productivité des lacs. Si les fluctuations saisonniéres sont particuliérement importantes, l'échantillonnage peut se limiter à la période de crue.

En elles-mêmes, les données chimiques sont souvent assez peu instructives et il faudrait donc essayer d'évaluer la charge en éléments nutritifs; on a en effet montré que les apports et pertes d'éléments nutritifs influent beaucoup sur les caractéristiques chimiques des lacs (par exemple, Vollenweider et Kerekes, 1980). Cette méthode qui a permis de déterminer l'état trophique de lacs européens et nord-américains devrait être applicable en Afrique si l'on dispose des données nécessaires. Jusqu'ici, on n'a guère étudié la charge des réservoirs africains en éléments nutritifs, exception faite de certains réservoirs d'Afrique australe où l'eutrophisation est devenue une grave menace (par exemple, Walmsley et Butty, 1980 ; Thornton et Walmsley, 1982). Si l'on dispose des données chimiques et hydrologiques nécessaires, il est relativement facile de calculer la charge en éléments nutritifs avec l'équation suivante :

 
Lt = Q × c
Q= débit annuel total (m3)
c= concentration moyenne en éléments nutritifs (mg l-1)
Lt= charge

La précision des résultats dépendra de la fréquence de l'échantillonnage, notamment durant les périodes où le débit est très important et où la charge devrait être maximale.

On peut ensuite évaluer le taux de charge à l'aide de l'équation suivante :

 
Ln= taux de charge (g m-2 an-1)
A= superficie du réservoir (m-2)
Lt= charge annuelle (t)

On utilise parfois le volume au lieu de la superficie du réservoir, auquel cas le résultat de l'équation ci-dessus s'exprime en g m-3 an-1.

Dans le présent document, nous nous intéresserons plus particuliérement au phosphore car la plupart des cours d'eau africains drainent des roches géologiquement anciennes qui libérent peu d'éléments nutritifs et, surtout, peu de phosphore (Viner et al., 1981).

Autre paramétre chimique important que nous examinerons ci-après : la conductivité, mesure des ions dissous. Elle est facile à calculer et a servi à déterminer l'IME de cours d'eau africains. Elle tombe d'ordinaire à son niveau le plus bas au moment de la crue maximale (voir Coche, 1974) qui est cependant la période où le lac reçoit la plus grande partie des éléments nutritifs. Si on la mesure durant la saison séche, à un moment où l'écoulement des eaux être quasiment nul, on obtient des chiffres trés élevés qui risquent d'être trompeurs. On n'a guére étudié dans le détail la conductivité des cours d'eau africains et on ne dispose souvent que d'une fourchette de valeurs. Ci-aprés, on utilisera la valeur la plus faible comme mesure de la conductivité (KR).

4. MODELES DE PREVISION - CARACTERISTIQUES GENERALES DU RESERVOIR

Nous décrivons ci-aprés des modéles de prévision qui permettent de se faire une idée générale des caractéristiques des réservoirs. Tous utilisent les données indiquées dans la section précédente ; certains se fondent sur des travaux déjà publiés tandis que d'autres sont inédits. Ils incluent des données concernant des lacs naturels mais, chaque fois que possible, ils s'appuient sur des informations relatives aux réservoirs africains.

4.1 Prévision de la température

Il est clair que la température influe sur les processus biologiques dans les lacs. Schlesinger et Regier (1982) l'ont utlisée, conjointement avec l'IME, pour prévoir le rendement en poisson (voir 5.2.2). La température est fonction de la latitude et de l'altitude et peut être évaluée à partir de données générales sur le climat dans la zone du nouveau lac. Pour l'évaluer plus précisément, nous avons représenté graphiquement (Fig. 1) la relation entre les températures maximales et minimales à la surface de 20 réservoirs africains et le "facteur d'altitude" (AF). AF a été calculé de la manière suivante.

AF = altitude (m) + (latitude × 49)

Selon Lewis (1973), un degré de latitude équivaut en effet à 49 m d'altitude.

On en a tiré les modèles suivants :

Température maximale, Tmax = 34,581 - 0,004 AF(1)
Température minimale, Tmin = 27,553 - 0,005 AF(2)
La température moyenne peut aussi être nécessaire et, dans une étude avant endiguement,
on peut poser que T-m = (Tmax + Tmin)/2(3)

Ce modéle donne des prévisions plutôt meilleures pour la température minimale. La prévision maximale est en effet assez éloignée pour les deux réservoirs avec AF (>3,000). On ne sait pas exactement pourquoi. Bien entendu, ces modèles n'indiquent pas le cycle saisonnier des températures ; on se reportera à ce sujet aux travaux de Straskroba (1980) et Shuter et al., (1983). Clay (1976) a réussi à prévoir la température de l'eau à partir de la température de l'air dans le cas de certains lacs africains mais la méthode n'a pas une application générale. Cela mériterait d'être étudié plus en détail.

4.2 Prévision de la conductivité et de TDS

On peut utiliser, soit la conductivité, soit la quantité totale de matiére dissoute (TDS) pour calculer l'IME et il est donc trés utile de pouvoir prévoir l'un de ces paramètres mais il semble difficile de réussir à le faire avec beaucoup de précision. Ci-aprés, nous proposons deux méthodes.

La première reprend, en la modifiant, l'approche de Schindler (1971) et s'appuie sur des données morphométriques et hydrologiques. On peut s'attendre à ce qu'un réservoir ayant un grand bassin versant (Ac) ait une conductivité élevée (KL) car il reçoit davantage d'ions dissous. On observe une réduction si le volume du lac (V) est important et aussi, comme c'est le cas' dans la plupart des lacs artificiels, si le temps de rétention (Tw) est bref, ce qui fait que beaucoup de substances dissoutes se perdent. Le modéle a été mis au point en rapportant KL à (Ac/V) × Tw dans 31 réservoirs africains (Fig. 2). Il y avait une grande corrélation et l'équation de régression suivante a été utilisée comme modéle de prévision :

KL (μS cm-1) = 44,728 + 4,705 (Ac/V × Tw)(4)

Ce modéle s'applique mal au lac Keinji, peut-être parce qu'il a un bassin versant disproportionné et un temps de rétention extrêmement court. Deux précautions doivent être prises lorsqu'on utilise ce modèle :

  1. il faut exclure les réservoirs eutrophe ou ceux dont les conditions sont modifiées par exemple, comme dans le cas de McIlwaine, par le déversement d'eaux usées (Marshall et Falconer, 1973)

  2. la surface du bassin versant doit inclure les bassins versants des réservoirs situés en amont ; par exemple, le bassin versant de Cahora Bassa inclut celui de Kariba.

Dans le deuxième modéle, on pose que KL est lié à la conductivité du principal affluent (KR). On manque d'informations sur la conductivité des cours d'eau africains qui, en outre, varie beaucoup. On a retenu le chiffre le plus bas (parce qu'il correspond à la période de crue) et on a cherché la relation entre KL et KR à partir de données relatives à 23 réservoirs africains (Fig. 3). Ce modéle ne concerne que les réservoirs ayant un affluent principal, c'est-à-dire qui reçoivent d'un seul cours d'eau plus de 70 pour cent de leur apport en eau.

On a observé une grande corrélation entre les deux paramètres et établi le modèle suivant :

Log KL = 0,754 + 0,734 Log KR(5)

En général, ce modèle indique que KL sera égal à 1 ou 2 fois KR, hypothèse qui a déjà été utilisée dans certaines études avant endiguement (Tanzanie, 1981 ; Du Toit, 1982).

Certains modèles IME utilisent la quantité totale de matière dissoute (TDS) mais ce paramètre est moins souvent évalué que la conductivité des eaux africaines. Une relation entre ces deux paramètres a été établie pour trois réservoirs du Zimbabwe :

TDS = 24,629 + 0,506 KL(6)

TDS étant la quantité totale de matière dissoute (mg l-1) et KL la conductivité (μS cm-1) (Fig. 4). Cette méthode peut être utile pour convertir la conductivité en TDS mais elle pèche par excès de simplification.

4.3 Etat trophique général

Il est intéressant de connaître l'état trophique d'un nouveau réservoir, notamment si des eaux usées se déversent dans un cours d'eau. Thornton (1980) a essayé de prévoir, avec le modèle de Vollenweider, l'état trophique d'un réservoir que l'on se proposait de construire au Zimbabwe. On a ensuite montré que ce modèle s'appliquait bien au lac Kariba (Marshall, 1984). Le modèle en question (Vollenweider, 1976) met en relation la charge en phosphore (g P m-2 an -1) et la profondeur moyenne divisée par le temps de rétention (z/Tw). Des données étaient disponibles pour plusieurs réservoirs d'Afrique australe (Thornton et Walmsley, 1982); elles ont été utilisées avec ce modèle (Fig. 5). Celui-ci s'appliquait bien aux lacs désignés comme eutrophes ou oligotrophes, moins bien aux lacs mésotrophes, peut-être parce que ce terme est lui-même imprécis. Néanmoins, ce modèle semble utile pour décrire l'état général d'un lac et pourrait avoir une plus grande application à l'avenir.

4.4 Phosphore

Etant donné que le phosphore est un facteur limitant très important, il est hautement souhaitable de pouvoir prévoir sa concentration dans le nouveau réservoir. Thornton et Walmsley (1982) ont montré que c'était possible pour un certain nombre de réservoirs d'Afrique australe à la condition de connaître le taux de charge en phosphore. Ils ont utilisé l'équation de Vollenweider :

 P= L/(z/Tw) (1 + TW)
P= concentration de phosphore (mg l-1)
 L= taux de charge en phosphore (g P m-2 an-1)
 z= profondeur moyenne (m)
 Tw= temps de rétention (années).

En utilisant cette équation, ces chercheurs ont réussi à prévoir la teneur en phosphore avec beaucoup de précision (r = 0,62, n = 43) mais ils ont aussi constaté que le modèle de Dillion et Rigler (1974) était meilleur (r = 0,96, n = 37). Malheureusement, il ne peut pas être utilisé dans une étude avant endiguement car il exige que l'on connaisse les pertes de phosphore, lesquelles ne peuvent pas être évaluées avant la construction du barrage.

4.5 Caractéristiques biologiques générales

Westlake (1980) et ses collaborateurs proposent une approche intéressante qui pourrait être très utile. Elle permet, si on connaît la concentration de l'apport en orthophosphate (mg P m-3) et le temps d'échange (le temps de rétention peut être utilisé), de prévoir certaines caractéristiques biologiques (Fig. 6), à savoir la pénétration des macrophytes (Fig. 6a), la concentration du phytoplancton (Fig. 6b) et la biomasse du zooplancton (Fig. 6c). L'auteur, tout en reconnaissant que ce modèle est simpliste, estime qu'il permet de prévoir les changements biologiques d'ordre général qui peuvent se produire avec l'eutrophisation. C'est une chose qu'il estdifficile de vérifier dans la plupart des lacs africains car on manque de données appropriées mais on espère que cette approche se révélera finalement utile.

5. COMMENT PREVOIR LE RENDEMENT EN POISSON

Dans toute étude avant endiguement, il faut s'efforcer de prévoir le rendement futur du réservoir en poisson. Nous décrivons ci-après différents modèles de prévision des rendements maximaux et minimaux. La moyenne des résultats devrait permettre de parvenir à une évaluation assez fiable.

5.1 Rendement et morphométrie

Il serait souhaitable de pouvoir prévoir les rendements à partir de données morphométriques simples et faciles à obtenir. Youngs et Heimbuch (1982) ont montré que la superficie des lacs est déjà une bonne indication de leur rendement en poisson et leur méthode a été utilisée pour les 17 plans d'eau fortement exploités, recensés par Henderson et Welcomme (1974) (Fig. 7). A partir de là, on peut construire un modèle pour prévoir le rendement total selon la superficie du lac :

Loge Y = 3,57 + 0,76 Loge Ao(7)

Y étant le rendement total (en tonnes).

Pour les lacs africains, la corrélation (r = 0,858) n'est pas aussi étroite que celle trouvée par Youngs et Heimbuch pour les lacs nord-américains (r = 0,969) mais cela tient peut être à l'imprécision des données dans le premier cas. Les pertes sont voisines (0,76 pour les lacs africains et 0,83 pour les lacs américains) mais le rendement est au moins d'un ordre de grandeur plus élevé dans les eaux africaines tropicales que dans les eaux américaines tempérées. Ce phénomène avait déjà été noté avec l'IME (Henderson et Welcomme, 1974) et étendu à d'autres zones climatiques (cf. Schlesinger et Regier, 1982). Le modèle inclut à la fois des lacs naturels et des réservoirs mais il semble bien que les premiers sont moins productifs (voir 5.2), ce dont on doit tenir compte lorsque l'on utilise le modèle.

La deuxième approche suppose des données morphométriques relativement plus détaillées. Les deux concepts à la base de ce modèle sont que les réservoirs dendritiques sont plus productifs que les réservoirs non dendritiques et que les réservoirs peu profonds sont plus productifs que les réservoirs profonds. Pour déterminer dans quelle mesure un lac est dendritique, on calcule le rapport entre la longueur du pourtour (Lo) et la circonférence d'un cercle ayant la même superficie (Ao) que le lac :

On a ensuite mis en relation le rendement en poisson et DL/z pour 7 réservoirs africains (Fig. 8). Il y avait une bonne corrélation pour les 5 plus grands et le modèle suivant peut être utilisé :

Y (kg ha-1) = 19,996 + 32,038 (DL/z)(8)

Deux lacs - McIlwaine et Mwadingusha - ne s'ajustent pas à ce modèle. Le premier est enrichi par des eaux usées (Marshall et Falconer, 1973) tandis que le second a une très faible profondeur (z = c. 2,5 m). On est conduit à penser que le bassin versant et le climat auront beaucoup plus d'influence sur les petits lacs. Pour le moment, il ne faudrait donc utiliser ce modèle (11) que pour les très grands lacs (plus de 1 000 km2). Il faut espérer que l'on pourra finalement réunir des données suffisantes pour savoir ce qu'il en est des petits lacs.

5.2 Indice morpho-édaphique

C'est l'un des modèles empiriques les plus simples et les plus couramment utilisés pour évaluer le rendement en poisson. On le calcule en divisant la quantité totale de matière dissoute (TDS) ou la conductivité par la profondeur moyenne (z). En Afrique, on utilise plus fréquemment la conductivité mais, comme nous l'avons déjà souligné, celle-ci est difficile à évaluer avec précision avant endiguement. Dans les paragraphes qui suivent, tous les rendements sont exprimés en kg ha-1 an-1.

5.2.1 Modèles basés sur la conductivité

Henderson et Welcomme (1974) ont été les premiers à établir une relation entre l'IME et le rendement en poisson avec l'équation

Y = 14,3136 IME0,4681(9)

pour 17 lacs et réservoirs exploités intensivement (> 1,5 pêcheur au km2). Ce modèle a ensuite été modifié par Toews et Griffith (1979) qui, en introduisant la superficie du lac (Ao en km2), ont obtenu l'équation suivante :

log Y = 1,4071 + 0,3697 log IME - 0,00004565 Ao(10)

Les réservoirs semblent plus productifs que les lacs naturels (Paugy, 1979; Bernacsek et Lopes, sous presse) et on possède désormais assez de données pour pouvoir étudier cette question plus en détail. On a mis en relation le rendement en poisson et l'IME de 11 réservoirs africains ainsi que des 11 lacs naturels exploités intensivement, recensés par Henderson et Welcomme (1974) (Fig. 9). Les réservoirs étaient plus productifs, sauf lorsque l'IME était très élevé, auquel cas il y avait sans doute à peu près égalité. Pour les études avant endiguement on peut donc utiliser :

Y = 23,281 IME0,447(11)

Un autre modèle IME, qui peut avoir son utilité, a été établi à partir de l'étude de plusieurs réservoirs du Sri Lanka dont le plus grand a 24,3 km2 (Wijeyaratne et Costa, 1981). L'équation

Y = 19,0677 IME0,7950(12)

donne l'évaluation maximale mais vaut peut-être surtout pour les petits réservoirs (< 25 km2). Malheureusement, on salt peu de chose de la production des petits plans d'eau en Afrique. Ils semblent cependant avoir un grand potentiel (Kenmuir, 1981).

5.2.2 Modèles basés sur TDS

Schlesinger et Regier (1982) indiquent trois relations utiles concernant des lacs tropicaux et tempérés, en utilisant comme paramètre la température moyenne (T-m).

log Y = 0,061 T-m + 0,043(13)
log Y = 0,050 T-m + 0,280 log IME + 0,236(14)
log Y = 0,044 T-m + 0,482 log IME25 + 0,021(15)

Dans le modèle (15), l'IME a été calculé pour une profondeur moyenne maximale de 25 m parce que les profondeurs moyennes de plus de 25 m ont peu d'effet sur la production de poisson (Rawson, 1952 ; Oglesby, 1977). Si le lac proposé a une profondeur moyenne inférieure à 25 m, il faudrait utiliser le modèle (14) ; si la profondeur moyenne est supérieure à 25 m, il faudrait la ramener à 25 m et employer l'équation correspondante.

5.3 Rendement et phosphore

Jusqu'ici, on n'a guère essayé d'évaluer le rendement en poisson en fonction des éléments nutritifs qui font le plus défaut dans les lacs africains. Cela est probablement dû au manque de données. On a construit quelques modèles mettant en relation rendement et phosphore (par exemple, Hanson et Leggett, 1982) mais il est improbable qu'ils puissent être utilisés couramment pour le moment. Lee et Jones (1981) ont montré que le rendement en poisson est lié à la charge en phosphore dans une grande diversité de plans d'eau d'Amérique du Nord (Fig. 10). Leur modèle pourrait être utile mais son défaut est que le rendement est exprimé en poids sec et que la conversion en poids humide pour comparer les résultats à d'autres prévisions risque de provoquer des erreurs.

6. CONCLUSIONS

Dans le présent document, nous avons montré que l'on peut faire un certain nombre de prévisions avant endiguement en s'appuyant sur relativement peu de données. Nous espérons que cela incitera les chercheurs à mieux utiliser les données chimiques et physiques dont ils disposent et, bien entendu, à comparer leurs prévisions à la réalité. C'est seulement de la sorte que les modèles pourront être améliorés. Notre but sera alors atteint.

7. REMERCIEMENTS

Je remercie MM. J.M. Kapetsky et T. Petr qui m'ont beaucoup aidé à préparer ce document ainsi que M. G.M. Bernacsek dont les conseils m'ont été très utiles.


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