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4. FACTEURS LIMNOLOGIQUES

4.1 Régime des crues

La plaine inondable se distingue essentiellement des autres systèmes aquatiques par l'alternance des phases de crue et de sécheresse. L'inondation peut être provoquée par deux agents principaux: i) les précipitations locales, ii) les débordements du fleuve.

Les chutes de pluies locales et les eaux de drainage par ruissellement peuvent inonder les dépressions de la plaine, indépendamment de toute élévation du niveau du fleuve. Ce type d'inondation, signalé par Svensson (1933) pour la Gambie et par Carey (1971) pour le Kafué, est probablement commun à tous les systèmes, à un degré variable. De très grandes superficies peuvent être submergées de cette façon: l'inondation du Chari supérieur (Bar Salamat et Bar Asoum) semble être presque entièrement de ce type (Durand, observ. pers.).

Les débordements du fleuve se produisent lorsqu'une onde lente de crue se propage vers l'aval, passant par dessus les berges et les bourrelets, et submerge la plaine en contrebas (Fig. 5).

Figure 5

Figure 5. Régimes hydrologiques représentatifs de trois plaines inondables d'Afrique:

  1. Le Kafué à (a) Namwala et (b) Kasaka
  2. Le Sénégal à (a) Bakel et (b) Dagana
  3. Le Niger à (a) Koulikoro, (b) Mopti et (c) Diré

Les deux types d'inondation sont tout à fait distincts: l'un résultant du flux de la plaine au fleuve, l'autre du fleuve à la plaine. Dans beaucoup de régions, l'inondation peut se produire à différentes époques de l'année. Dans les grands fleuves, par exemple, l'arrivée de l'onde de crue peut être retardée jusqu'à la saison sèche. Un tel retard est typique du Niger, où, à la hauteur de Malanville (Dahomey), deux crues se produisent, l'une en août-novembre, provoquée par les pluies et les affluents locaux, une seconde en décembremars, due à l'arrivée de la crue d'amont.

Dans les grands fleuves, les crues provenant des divers tributaires ont tendance à s'y répercuter à différentes époques de l'année: d'où un régime complexe de la crue, qui peut même aller jusqu'à la suppression radicale de variations du niveau du fleuve.

Figure 6

Figure 6. Régimes des crues sur quelques grandes plaines inondables d'Afrique

Les régimes typiques des crues affectant quelques unes des grandes plaines inondables, que montre la Fig. 6, indiquent que la phase de hautes eaux du cycle annuel dure environ six mois (la fourchette se situe entre 4,5 et 8 mois). Il est toutefois difficile de donner des chiffres absolus pour la durée de l'inondation sur n'importe quelle plaine inondable, en raison du temps que met l'onde de crue pour couvrir la zone dans toute sa longueur. La Fig. 5 montre le régime hydrologique de trois plaines inondables, où l'onde de crue met un mois pour se propager en aval d'un bout à l'autre de la plaine. Le même phénomène rend difficile l'évaluation absolue des superficies inondées, car le niveau d'eau peut baisser dans une partie su système et s'élever ailleurs: dans des cas extrêmes, comme pour l'Okavango, une partie de la plaine reste sèche, pendant que l'autre est inondée.

La Fig. 7 montre un cycle de submersion typique d'une mare de plaine inondable.

Figure 7

Figure 7. Cycle annuel de submersion d'une mare de plaine inondable typique du fleuve Sénégal (d'après Reizer, 1974). Les légendes sont les mêmes que pour la Fig. 3

Figure 8

Figure 8. Calcul des trois indicateurs hydrologiques (d'après Kapetsky, 1974)

Indicateur 1: C'est l'aire située au dessous de la courbe du niveau à partir duquel la plaine commence à être inondée, jusqu'au moment où elle s'assèche définitivement. Cette aire mesure l'extension et la durée annuelles de l'inondation de la plaine

Indicateur 2: C'est l'aire située au dessus de la courbe de niveau correspondant au moment où la plaine commence à s'assécher jusqu'à celui où elle est de nouveau inondée. Cet indicateur mesure l'extension du milieu aquatique pendant l'assèchement de la plaine et comprend aussi la durée de la phase de sécheresse.

Indicateur 3: C'est l'aire située au dessus de la courbe du niveau de l'eau, seulement à partir du moment où celle-ci atteint son minimum annuel (indiquée par la ligne verticale sur la Fig. 8). Cette aire mesure l'extension et la durée de réduction de milieu aquatique, après l'assèchement total

Indices hydrologiques. En dehors du jaugeage du niveau de l'eau, on utilise plusieurs autres mesures d'intensité de la crue pour évaluer les effets de l'inondation sur la dynamique des poissons dans le système. Chapman et al. (Université de l'Idaho, 1971) et Dudley (1972) ont utilisé un indice de crue (FI) en mesurant l'aire située au dessous de la courbe des niveaux de l'eau pendant la phase de crue du cycle hydrologique. Kapetsky (1974) modifie cet indice pour obtenir trois indicateurs hydrologiques (HI) (Fig. 8).

L'indicateur 3 est identique au facteur de décrue (+) DDF, utilisé par Lagler et al. (Université du Michigan, 1971), lequel est la somme des valeurs du volume d'emmagasinage de la crue des Kafué Flats, de septembre à décembre.

Ces indicateurs sont, toutefois, insensibles aux différences de régime provoquées par des variations de la durée et de la hauteur des crues: autrement dit, une crue de faible hauteur, mais de longue durée, peut donner le même indicateur qu'une autre très puissante, mais brève.

(+) Dans ce document, nous utiliserons le terme “décrue” dans le sens de contraction de la surface et du volume de l'eau, depuis la pointe de la crue jusqu'à l'étiage, que ce retrait s'effectue naturellement ou artificiellement. Cela n'implique pas nécessairement de contrôle du régime par un endiguement artificiel.

4.2 Facteurs physico-chimiques

Du petit nombre de données existantes sur les différents systèmes africains, il semble ressortir que leur comportement hydrologique présente de grandes analogies. En fait, il est en général exact que les variations de l'hydrologie le long de n'importe quel système fluvial sont plus grandes qu'entre des biefs équivalents de différents systèmes. Le Tableau IV donne les valeurs brutes de la conductivité et du pH de plusieurs grands bassins fluviaux d'Afrique.

Oxygène dissous: Les teneurs en oxygène dissous sont généralement plus basses en saison sèche, dans les cours d'eau comme dans les plaines inondables, que pendant la crue (notamment Egborge, 1971; Carey, 1971), bien qu'il y ait des variations locales provoquées par l'action du vent ou par la photosynthèse des plantes aquatiques (Holden et Green, 1960). Des teneurs réduites de l'oxygène dissous dans le fleuve, au début des crues, peuvent être le résultat de l'arrivée d'eaux stagnantes en provenance des marais (Holden et Green, 1960; Tait, 1967; Université de l'Idaho et al., 1971; Scully, 1972). Les plus petites mares des plaines inondables peuvent se désoxygéner complètement pendant la saison sèche (Welcomme, 1971) et Tait (1967a) a décrit des mortalités de poissons imputables, après déstratification par le vent, au mélange des eaux désoxygénées des lagunes.

pH: Le pH est le facteur qui varie le plus entre les différents bassins fluviaux. En général, il est plus bas dans le fleuve en saison de crue et remonte à l'étiage (Tait, 1967; Egborge, 1971). Les modifications dans les mares de la plaine inondable en saison sèche semblent dépendre du sol: ainsi, dans les marais marécageux du type 1 du bassin de la Gambie, l'eau est plus acide que le fleuve (Johnels, 1954); dans le Sénégal, une petite différence a été notée entre les mares et le fleuve (Centre technique forestier tropical, 1972a); dans le Sokoto, l'eau des lagunes tendait à devenir alcaline en raison de la concentration de sels de calcium par évaporation (Holden et Green, 1960). D'assez grandes différences semblent exister entre les fleuves du type guinéen, qui tendent à l'acidité et, dans les cas extrêmes, peuvent avoir un pH qui descend à 4,5 (Berg, 1961), tandis que ceux du type soudanais ont un pH neutre ou alcalin.

TABLEAU IV

Conductivité et pH de quelques bassins fluviaux africains
(le fleuve principal est souligné)

Système fluvialConductivité (K20 ↔ mhos) pH
Fleuve et affluentsMares de la plaine inondée (saison sèche)
Bandama145 6,7–7,6
Chari42–73 6,9–7,7
Congo/Zaïre44–108 5,5–6,5
Oubangi
19,4–56 6,2–6,7
Luapula
150–180  
Lualaba
145–255145–255 
Ruzizi
828  
Lt Scarcies35–55 7,1–7,4
Moa36 6,6
Niger31–70826,7–7,2
Mayo Kebbi
89  
Sokoto
  6,9–8,1
Nil150–500116 
Kagera
93–99  
Sobat
112 7,2
Bugurgu
245–395230–3507,1–7,8
Bahr-el-Ghazal
550 7,8
Semliki
400–910  
Orange159 7,7
Ouémé60150–160 
Prah140  
Rokel40 6,9–7,3
Ruaha108–136 6,9–7,9
Sénégal40–13073–3856,8–7,1
Volta41–124 6,5–7,3
Volta Noire
62 6,4
Volta Rouge
62 6,5
Volta Blanche
119 7,2
Zambèze50–9657–1027,4
Shiré
220–225 7,5–8,8
Kafué
130–32070–280 

Les modifications physiques et chimiques suivent étroitement le cycle des crues

Conductivité: Une tendance générale à une conductivité supérieure en saison sèche a été notée par le Centre technique forestier tropical (1972a) pour le fleuve Sénégal, par Duerre (FAO, 1969) pour la plaine du Barotsé, par Egborge (1971) pour l'Oshun et par Carey (1971) pour le Kafué. Cela ne signifie pas nécessairement que la quantité totale de sels dissous est moindre pendant les crues: Holden et Green (1960) pensent plutôt que le total demeure invariable, mais qu'il est davantage dilué en raison du plus grand volume d'eau dans le système. Des anomalies dans la productivité du lac Tchad (Lamoalle, sous presse), liées au manque de crue dans les Yaérés, pourraient suggérer qu'il y a eu augmentation des ions descendant du Chari, qui, normalement, seraient restés dans la plaine inondable sous forme latente (Daget, observ. pers.). Le rôle des éléments fertilisants dans le système plaine inondable/fleuve reste néanmoins en grande partie à explorer, particulièrement en liaison avec les variations de productivité primaire (voir 4.3). Cependant, Welcomme (sous presse) a trouvé que les facteurs édaphiques, représentés par la conductivité, comptent pour environ 61 pour cent des variations entre les captures théoriques escomptées et les réelles, dans les bassins africains. La conductivité moyenne du système peut donc influencer la productivité par rapport à d'autres.

Courant: Il est d'opinion généralement admise que les eaux d'une plaine inondable sont en grande partie statiques. Cela ne semble cependant pas être le cas, car des courants d'intensité variable circulent à travers les plaines pendant toute la période d'inondation. Ces courants sont probablement caractéristiques des plaines et sont réglés par l'ouverture du bourrelet de berge. Dans certains cours d'eau, par exemple les Yaérés, l'eau qui déborde du Logone est évacuée par un second chenal, l'El Beid. Dans d'autres fleuves, l'eau qui entre en amont dans la plaine inondable émerge de nouveau plusieurs kilomètres en aval. D'évidence, ces différents mécanismes du flux conditionneront le comportement des poissons qui peuplent le système.

4.3 Phytoplancton et autres organismes

Phytoplancton: Blache (1964), à propos du système des Yaérés du Logone, a écrit que la dissolution immédiate des éléments fertilisants d'origines organique et minérale (excréments, végétaux secs, candres, etc.) déposés sur le sol produit une croissance explosive des phyto/zooplanctons. Les spécialistes qui ont travaillé ultérieurement dans d'autres parties de l'Afrique ne partagent pas ce point de vue; ils sont en général d'accord pour estimer que la production maximale de phytoplancton a lieu pendant la saison sèche et que sa concentration est au contraire faible à l'époque des crues (Centre technique forestier tropical, 1972a; Holden et Green, 1960; Talling et Rzóka, 1966). En fait, Egborge (1974) a trouvé que la production de phytoplancton est étroitement liée à la conductivité et à la transparence des eaux, et inversement proportionnelle au niveau et à la rapidité du courant. Il semble que ce soit dans les lagunes, après leur séparation du fleuve, que se situe la production principale de phytoplancton dans un système fleuve plaine inondable (centre technique forestier tropical, 1966, 1972; Holden et Green, 1960). Egborge (1974) a trouvé que toutes les formes de phytoplancton, sauf les diatomées, dominent dans les eaux de laisses de l'Oshun à la saison sèche. Des floraisons occasionnelles de phytoplancton ont été enregistrées dans les cours d'eau pendant la saison séche (Carey, 1971). Il semble donc que la production maximale de phytoplancton survienne dans les lagunes et mares de la plaine inondable en saison séche. Holden et Green ont néanmoins avancé l'hypothèse (1960) que la quantité totale de phytoplancton dans le système change peu et qu'il y a simplement une dilution plus ou moins grande qui en modifie la densité par unité de volume.

Zooplancton: On a peu de renseignements sur la production de zooplancton, bien qu'on ait noté une nette corrélation entre celle-ci et la conductivité (FAO/ONU, 1969). On a remarqué que la production d'organismes de zooplancton était élevée au moment des basses eaux dans les plus grands lacs des plaines inondables, tandis qu'elle demeure faible dans les fleuves (FAO/ONU, 1970). Le zooplancton suivrait donc, dans ces conditions, les mêmes mécanismes que le phytoplancton.

Autres invertébrés: Les insectes et autres populations d'invertébrés des plaines inondables demeurent relativement mal étudiés. D'après Carey (1967), les plus grosses concentrations de macro-invertébrés ont été trouvées dans les herbes aquatiques des lagunes, quoique en général bien distribuées et abondantes dans les zones inondées. Des observations personnelles nous ont permis de constater qu'une multiplication considérable des macroinvertébrés peut se produire pendant la phase d'inondation: lors de trois crues successives de l'Ouémé, des gastéropodes pulmonés sont apparus en grandes quantités le deuxième mois de l'inondation, qui ont persisté jusqu'à la fin des crues, alors que ces organismes sont en général absents de l'environnement pendant la saison sèche.

Végétation supérieure: La croissance rapide de la végétation phanérogamique au moment de la montée des eaux constitue le trait le plus saillant des plaines inondables. Souvent complètement incendiée pendant la saison séche, cette végétation repeuple immédiatement le terrain dès qu'il est inondé, avec des taux de croissance qui vont de 75 à 100 cm en deux semaines tels que Van Rensburg (FAO/ONU, 1968) les a enregistrés. Les estimations de la production herbacée indiquent un poids moyen de 16 000 kg/ha après cinq mois de submersion. A cette prolifération des graminées est lié le périphyton, notamment des algues filamenteuses, qui apparaît sur la surface de la plupart des végétaux (Carey, 1971: observations personnelles); il semble probable que, pendant les périodes de hautes eaux où il trouve des supports adéquats, le périphyton (ou “Aufwuchs”) remplace le phytoplancton - du moins dans une certaine mesure.

La végétation supérieure des Kafué Flats a été étudiée en détail par Van Rensburg (FAO/ONU, 1968), celle de plusieurs autres vallées de l'Est-africain décrite par Vesey-Fitzgerald (1970). Ces deux auteurs expliquent la composition de la flore par le drainage et le pH des sols. Le cycle des crues commande étroitement la prédominance des espèces et leur croissance. Les principales graminées des plaines inondables sont Oryza barthii, Echinochloa pyramidalis, Leersia sp., avec Cynodon dactylum et Chloris gayana dans les zones les mieux drainées. Sur le bord des plans d'eau permanents poussent Vossia cuspidata, Echinochloa stagnina et Cyperus papyrus. Les bancs de limon portent des peuplements denses de Phragmites sp. et, en terrain alcalin, Scirpus spp. Sur les eaux permanentes des lagunes flottent des masses de Pissia stratiotes; les Nymphae et Trappa sont également communes.

4.4 Résumé

Il semble que, durant la phase de submersion du cycle, les modifications chimiques de l'eau aussi bien que la production planctonique nous renseignent fort peu sur la richesse traditionnelle de la plaine inondable. A vrai dire, ces deux facteurs sembleraient indiquer une plus grande productivité à l'époque des basses eaux. Celle des hautes eaux, toutefois, est le siège d'un intense développement de la végétation supérieure et il est possible que l'utilisation des sels par la croissance végétative soit si rapide que peu d'ions libres pénètrent dans la composante aqueuse du système. La croissance des poissons, comme celle des macro-invertébrés, est aussi rapide; bien que peu d'espèces soient planctonophages, des éléments semblent être localisés dans les détritus organiques et, peut-être, dans la végétation épiphyte. D'une manière générale, on sait peu de choses sur les chaînes alimentaires, ainsi que sur les interrelations énergétiques des organismes vivant dans les plaines inondables. Le sujet devra faire l'objet d'études plus approfondies.


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