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METHODES D'EVALUATION DE LA PECHE RECREATIVE

De nombreux comptes rendus d'expériences, études et rapports nationaux soumis à la Consultation décrivent les différentes méthodes utilisées pour l'évaluation et l'allocation des ressources ichtyologiques.

L'allocation est une notion fréquemment associée à celles de méthodes, de critères et de modèles. Il semble que trop d'études de cas et de principes soient empruntés à d'autres disciplines pour être appliqués aux pêches. Le temps est venu d'établir des théories et des modèles spécifiquement destinés aux problèmes d'attribution des ressources ichtyologiques, bien que l'on ait fait remarquer que les théories et les modèles utilisés dans un continent ne s'appliquent pas nécessairement à un autre. L'évolution de l'attribution optimale des ressources ichtyologiques - depuis les ancêtres de l'homme moderne (époque où la force brutale était le facteur décisif) jusqu'à la Grande Charte, les chartes des 13 premières colonies américaines et les temps modernes - a été décrite. Dès 1950, de nombreux responsables des pêches intérieures - en Amérique en particulier - tenaient compte des aspects économiques et sociaux de la pêche récréative tout autant que des facteurs biologiques et de la pêche commerciale dans leurs plans d'aménagement des ressources. C'est ainsi qu'est né, dans les dernières décennies, le concept de rendement optimal qui s'applique à une large gamme d'utilisations des ressources susceptibles de procurer des bénéfices.

L'un des événements les plus marquants des temps modernes dans le secteur des pêches est l'extension de la juridiction sur les zones de 200 milles. Cette nouvelle situation donne une importance accrue à la répartition des ressources récemment acquises et à la notion de rendement optimal. Aux Etats-Unis, ceci s'est traduit par la promulgation de la Fishery Conservation and Management Act (loi sur l'aménagement et la conservation des pêches) de 1976. Plusieurs conseils régionaux d'aménagement des pêches, créés dans le cadre de cette loi, ont été chargés d'élaborer des plans de gestion de certains stocks de poisson dans les zones d'aménagement et de conservation des pêches de 200 milles. L'aspect révolutionnaire de cette loi est que les plans doivent être établis sur la base de la détermination du rendement optimal. Selon cette loi, le rendement optimal est a) celui qui apporte les avantages globaux les plus importants à la nation, notamment en matière de production alimentaire et de possibilités de loisir et b) celui qui est présenté sur la base du rendement eumétrique de ces pêcheries, modifié par tout facteur pertinent d'ordre économique, social ou écologique. La nouvelle notion d'aménagement en vue du rendement optimal a fait apparaître, en plus des facteurs biologiques, une nouvelle gamme de facteurs économiques, sociaux et écologiques dont il faut tenir compte dans la répartition des ressources. Ce n'est que maintenant que le processus de la prise de décision, qui régit la répartition des ressources ichtyologiques entre utilisateurs professionnels et amateurs, commence à tenir compte de ces considérations. Ceci est vrai également de l'Europe où la prédominance scientifique des biologistes en matière d'aménagement change progressivement à la lumière des contributions des économistes et, plus récemment, d'autres spécialistes des sciences sociales. Les travaux autrefois effectués “en solo” par ces scientifiques ont maintenant laissé la place à des activités d'équipe et à des études et des plans intégrés. On peut citer à ce propos la planinfication des capacités aux Pays-Bas.

Les études des utilisations sont de plus en plus nombreuses, bien que la plupart d'entre elles appliquent des méthodes plutôt simples, et elles sont pratiques. Des études spécifiques de la demande sont également effectuées dans plusieurs pays mais pour que les résultats puissent servir à l'aménagement, il faut, estime-t-on, établir des définitions exactes des disponibilités. Les études relatives à la demande et à l'utilisation doivent être plus fiables et plus sûres. Des erreurs de sondage et de mauvaises techniques d'enquêtes peuvent conduire à de grosses erreurs systématiques de l'estimation des captures, des préférences et de la participation.

Méthodes, concepts et critères économiques

Une étude de différents types de méthodes et de leur utilité pour l'évaluation des pêches a été faite. L'expérience acquise dans l'utilisation indiscriminée en Europe des méthodes nord-américaines a montré que différentes méthodes et concepts doivent être associés et adaptés à des buts spécifiques et à la situation locale.

Les travaux des économistes dans ce domaine se sont attirés des commentaires critiques en dépit de la complexité, reconnue depuis longtemps, de certains des problèmes fondamentaux. Parmi ces derniers, l'un des principaux, est la définition d'une base plus solide à partir de laquelle les gestionnaires pourraient prendre en compte les aspects économiques en l'absence de quotations commerciales, notamment en Amérique du Nord. De nombreux problèmes de théorie et de définition restent également sans solution. Enfin, jusqu'à ces dernières années, on n'avait accordé qu'une faible priorité à la promotion, longtemps attendue, de la pêche récréative comme domaine nécessitant des recherches économiques sérieuses et continues. On considérait qu'il était nécessaire d'adopter une approche plus large, moins dépendante de l'emplacement et de parvenir à une décision et à une clarification plus nettes des valeurs en jeu. Dans le même ordre d'idées, il faudrait mieux intégrer toutes ces mesures et ces valeurs économiques dans les grands travaux de micro-économie et de macro-économie, et spécifiquement dans les comptes nationaux. On a mentionné qu'aux Etats-Unis l'analyse économique de la pêche récréative a pris une importance croissante dans les années soixante-dix. Les économistes ont consacré un certain temps à mettre au point des outils conceptuels qui ont été appliqués dans différents contextes: les Grands lacs, la côte Pacifique (saumon) et l'Atlantique (poisson-gibier). Plusieurs problèmes graves doivent être résolus. En premier lieu, les économistes doivent s'efforcer de communiquer les points forts et les points faibles de leurs résultats aux autres personnes participant à l'aménagement des pêches. L'application de ces résultats dans des conditions locales très différentes devrait aider. En second lieu, on a besoin de cas pratiques d'analyse économique de la répartition des produits de la pêche entre la pêche commerciale et la pêche récréative. L'utilisation optimale des ressources définie comme celle qui fournit le maximum de bénéfices nets sera beaucoup plus convaincante lorsque nous serons capables de montrer comment elle doit être appliquée dans différents contextes locaux. En troisième lieu, économistes et biologistes doivent analyser de concert les problèmes et admettre qu'aucun de ces derniers ne peut être résolu en ne faisant appel qu'à une seule discipline. Si les économistes, les biologistes et autres scientifiques ont intérêt à comprendre et à utiliser mutuellement leurs travaux, les méthodes économiques seront mieux à même de contribuer à une meilleure utilisation des ressources ichtyologiques.

Méthodes, concepts et critères sociaux

La longue expérience des Pays-Bas dans ce domaine est particulièrement utile à cet égard. On a vigoureusement critiqué les études socio-économiques par trop simples qui assimilent la consommation à la demande, et le manque ou la non-prise en compte des données concernant les motivations, le degré de satisfaction, la demande potentielle, les obstacles et les aspects qualitatifs. Aux Pays-Bas, la notion de planification des capacités repose sur une structure conceptuelle du paysage faisant intervenir des facteurs liés entre eux, moyens d'hébergement infrastructures, structures socio-économiques et culturelles. Par exemple, les concepts écologiques et culturels que l'on fait intervenir à propos de la capacité tiennent compte du point de vue du gestionnaire aussi bien que de celui du pêcheur sportif, utilisateur des facilités. L'étude des comportements est essentielle pour clarifier la signification de l'espace nécessaire aux activités et la classification des utilisateurs par types.

L'objectif de la planification des capacités est d'atteindre un bon équilibre de l'offre et de la demande. Ceci est particulièrement utile dans des situations où plusieurs types d'utilisations des terres et des eaux, notamment la pêche récréative, entrent en concurrence. La planification des capacités peut permettre d'arriver à une planification globale complète où l'ensemble de la situation est connu.

Une autre méthode, celle de la recherche en vue de l'action, tirée de la psychologie sociale, pourrait trouver ici un excellent domaine d'application. Elle est encore inexplorée et pourrait apporter de nouveaux éléments tant aux perspectives théoriques que pratiques. En premier lieu, cette méthode aurait l'avantage de nous permettre de compléter les connaissances que la recherche socio-économique classique nous a permis de rassembler, et qui malheureusement restent incomplètes. En second lieu, elle servirait à éduquer le public en mettant ces connaissances à sa disposition et en lui fournissant le moyen de les appliquer. A l'heure actuelle, il s'agit de mieux comprendre les motifs et les demandes potentielles des pêcheurs à la ligne et de déterminer la meilleure utilisation des ressources ichtyologiques de façon à régler les conflits entre différentes utilisations récréatives des ressources en eau ou entre les utilisations récréatives et les autres. De même il faut éduquer le public, l'amener à mieux prendre conscience de la situation et, particulièrement, accroître les capacités d'action des associations de pêcheurs à la ligne. Ainsi, devonsnous nous orienter vers des méthodes scientifiques de travail sur le terrain. De même que l'on conseille aux responsables de ne pas travailler seulement pour les gens mais avec les gens, les scientifiques pourraient recueillir des données non seulement sur les groupes d'utilisateurs mais avec eux, en les faisant ainsi participer au processus.

En outre, l'obligation statutaire existant aux Etats-Unis d'aménager les pêches en vue d'un rendement optimal facilite la prise en compte de surcroît de facteurs sociaux et écologiques. Mais, en dernière analyse, c'est tout de même la décision politique qui déterminera si la pêche commerciale et la pêche récréative doivent ou non retirer d'une ressource donnée les mêmes avantages.

Besoins de données pour l'aménagement des pêches

De nombreuses communications ont fait ressortir que l'allocation optimale des ressources est étroitement liée à l'existence de données fiables, précises et raisonnablement exactes, non seulement sur les captures, l'offre et la demande mais également sur les aspects socio-économiques et comportementaux. Les auteurs ont souligné l'intérêt d'utiliser les enquêtes nationales dans la mesure où elles peuvent répondre aux besoins des gestionnaires en matière d'informations sur l'aménagement de la pêche récréative. Le “US National Survey of Hunting, Fishing and Wildlife Associated Recreation” a fait l'objet d'une description détaillée. Prévue pour rassembler, en 1981, des données sur les activités de l'année civile 1980, cette enquête donnera naissance à un rapport distinct pour chacun des cinquante Etats et à un rapport qui contiendra les données nationales. Elle a pour but de fournir des données, au niveau de l'Etat, sur le nombre de ceux qui pratiquent la pêche récréative, la chasse et autres activités de plein air et sur les défenses correspondantes. En outre, elle indiquera les caractéristiques démographiques et sociales des pêcheurs amateurs, ainsi que leur lieu de provenance et de destination.

La “US National Marine Recreational Fisheries Statistics Survey” relative à 1979–80 est considérée comme une enquête modèle. Elle a pour objectif d'estimer les prises totales, et par espèce, l'effort de pêche et le nombre de participants à la pêche récréative de poissons de mer. Selon les enquêtes précédentes, ces pêcheurs seraient au nombre de 20 à 25 millions aux Etats-Unis. Elle a également estimé que les captures de la pêche récréative comptent actuellement pour environ 50 pour cent de la récolte totale de poisson alimentaire aux Etats-Unis. Les données fournies par ces enquêtes seront utilisées pour l'aménagement et la planification de programmes par les conseils régionaux d'aménagement des pêches, les organismes gouvernementaux et autres responsables de l'aménagement et de la conservation des ressources ichtyologiques. Il est indispensables de disposer d'estimations correctes de la récolte de la pêche de plaisance pour compléter les statistiques sur la pêche commerciale et établir des plans globaux d'aménagement des pêches.

Une innovation importante en Amérique du nord est la planification conjointe actuellement en cours fondée sur le “National Survey of Hunting and Fishing” des Etats-Unis (1980) et sur la partie du “National Coordinated Survey of Sport Fishing” au Canada (1980) qui concerne la province de l'Ontario. Des réunions préliminaires ont eu lieu pour coordonner le champ des enquêtes et le contenu des questionnaires de sorte que les deux pays pourront élaborer la première base de données compatibles et normalisées en vue de l'aménagement des pêcheries des Grands lacs. L'étude des résultats conjoints permettra à la Commission internationale des pêcheries des Grands lacs d'élaborer une politique coordonnée, pour l'aménagement de la pêche récréative dans les Grands lacs, tant sur la rive canadienne que sur la rive américaine de ces lacs.

En conclusion, les enquêtes nationales peuvent permettre de rassembler quelques-unes des données nécessaires à la planification de programmes des pêches à long terme. L'idée générale que l'on peut se faire en analysant les données nationales, ainsi qu'en étudiant les différences régionales, peut aider à déterminer les tendances des préférences des pêcheurs. Grâce à ces données, on peut à la fois déterminer l'espèce préférée en vue des programmes de stockage et justifier le choix des emplacements adoptés pour les écloseries. Les enquêtes nationales peuvent également servir à évaluer les programmes en cours et, sur la base des tendances futures de l'utilisation, à indiquer des orientations qui permettront de satisfaire les besoins à long terme des utilisations récréatives et de la protection des ressources ichtyologiques.

Certaines enquêtes nationales comportent des limitations: distorsion due à la difficulté qu'ont les gens de se souvenir exactement après un certain temps, difficulté d'obtenir des estimations fiables pour des activités qui ne se pratiquent que rarement, etc. Aussi faut-il effectuer des enquêtes spéciales qui complèteront les enquêtes nationales. Il s'agit alors d'enquêtes particulières concernant une population donnée, une zone donnée, ou une époque donnée, destinées à obtenir des informations de la part de membres d'un sous-groupe de population qui participe à une activité. On pourrait, par exemple, effectuer une enquête spéciale parmi tous les pêcheurs qui exploitent des bateaux affrétés, ou qui pêchent une espèce donnée dans une zone géographique donnée.

Résumé des débats sur la méthodologie

Il est tout à fait souhaitable que les responsables des pêches reconnaissent le rôle essentiel du public dans l'aménagement des pêches: les responsables doivent travailler non seulement pour les personnes intéressées mais également avec elles. Aussi doivent-ils tenir davantage compte de leurs besoins et de leur opinions. La participation des pêcheurs aux enquêtes, au travail de terrain et à l'élaboration de programmes d'aménagement est de plus en plus fréquente. Des spécialistes des sciences sociales ont été instamment invités à se joindre à des équipes travaillant sur le terrain et à participer à l'application d'une méthodologie de plus en plus employée et décrite ci-dessus sous le nom de “recherche en vue de l'action”.

A propos de l'autocritique des économistes, les participants ont suggéré que les biologistes pourraient, avec profit, les imiter: ainsi, la préoccupation excessive de ces derniers pour l'estimation des captures pourrait ne pas avoir, pour les décisions à prendre en matière d'aménagement, l'importance qu'ils lui attribuent. On a en outre fait remarquer que, bien souvent, c'était les décisions les moins importantes, à l'echelon périphérique, qui étaient prises sur la base de considérations techniques alors que les grandes décisions à l'échelon central étaient fondées sur des considérations de politique. Enfin, on a suggéré que les responsables se préoccupent davantage de mieux rattacher leur domaine de compétence avec les objectifs publics plus généraux.

Les économistes ont répondu que lorsqu'il s'agit de dépenser l'argent des contribuables, il est également indispensable d'étudier soigneusement les incidences économiques de ces décisions. Les participants ont enfin exprimé l'espoir que cette consultation marquerait la fin des polémiques entre biologistes et économistes et l'arrivée des spécialistes des sciences sociales. Il semble que l'ère des solistes théoriciens soit révolue.

La prise de décisions, dans le domaine des pêches, est, a-t-on mentionné, une combinaison mystérieuse de science et de politique. Un modèle utilisé au Québec, qui pourrait constituer une solution de rechange, a suscité beaucoup d'intérêt; il s'agit d'un modèle de simulation à neuf facteurs reliant diverses variables halieutiques à l'utilisation par le public de différentes pêcheries d'une région, qui apporte ainsi aux gestionnaires tous le renseignements nécessaires. D'autres ont soutenu que les modèles à facteurs multiples laissent dans l'ombre une partie importante du comportement des pêcheurs: l'influence de la formation ou de l'éducation sur le goût des activités de plein air est un facteur fondamental qui n'est souvent pas pris en compte dans ces modèles.

Une grande partie des débats a porté sur les besoins et la collecte de données. On a souligné qu'il n'y a pas d'action publique efficace sans informations, c'est-à-dire qu'il est indispensable d'avoir des données appropriées. Selon certains participants, on dispose parfois de données abondantes mais les intéressés ne sont pas d'accord sur celles qui sont indispensables.

Plus spécifiquement, ils ont fait remarquer que le nombre important de réponses à-côté de la question reçues lors des enquêtes par correspondance posait un grand problème. Aussi, ont-ils suggéré d'intéresser à l'enquête les associations des pêcheurs ou des personnes très respectées de les derniers.

Même s'ils disposent de données fiables les responsables ne doivent pas se limiter à élaborer des projets; ils doivent également se préoccuper des moyens de les expliquer et de les justifier auprès de l'opinion publique et des décideurs.


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