Consultation sur les termes de référence de l'étude HLPE « eau et sécurité alimentaire »
Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), dans sa 40ème session, a demandé au HLPE une étude sur la problématique "eau et sécurité alimentaire" en lui demandant de centrer ses analyses sur :
- "Les effets des pratiques de gestion de l'eau sur la sécurité alimentaire, y compris l'utilisation aux fins de la production agricole, de la transformation des aliments et d'autres modes de consommation
- la durabilité des systèmes de gestion de l'eau pour la sécurité alimentaire, incluant des systèmes d'irrigation, à la salinisation des terres agricoles et à la baisse de la qualité des nappes phréatiques.
- L'amélioration des politiques concernant l'eau et la sécurité alimentaire, ainsi que la coordination entre les différents domaines et acteurs à tous les niveaux et sur le long terme."
Les entrées proposées dans les termes de référence sont pertinentes et recoupent plusieurs des préoccupations exprimées lors des précédents travaux au niveau national en France et international :
- Etat des lieux de l'utilisation de l’eau pour la santé, la nutrition et la sécurité alimentaire – tendances mondiales et régionales
- Etat des lieux des pratiques, instances et acteurs participants à la gouvernance de l’eau pour la sécurité alimentaire
- Analyse des effets, de la pertinence et pérennité de ces modes de gestion de l'eau (techniques et institutionnelles) pour la sécurité alimentaire, incluant la question fondamentale de l'équité
- Elaboration de recommandations finales de politiques pour la gestion de l'eau et la sécurité alimentaire
Cette pluri orientation correspond à ce qui avait été retenu pour la réflexion internationale conduite sur cette problématique à l’occasion du 6ème Forum mondial de l’eau.
Toutefois, les remarques et recommandations suivantes peuvent être formulées :
1 – L'état des lieux de l'utilisation de l'eau devrait également mentionner de façon explicite la place de l'hygiène, de l'accès à l'eau potable et à l'assainissement et des pratiques de soins comme un des pré-requis de la sécurité nutritionnelle.
2- L'étude devrait rappeler et documenter le fait que l'eau n'est pas seulement un intrant et un facteur de production : l'orientation proposée pour l'étude considère uniquement l'eau comme un facteur de production.
Plus encore que les rapports de l'homme à la terre, les rapports de l'homme à l'eau sont encore des rapports des hommes entre eux autour de l'appropriation et de l'usage de cette ressource. C’est le seul bien commun qui présente notamment la caractéristique d’être un flux nécessairement partagé d’amont en aval. Au delà d'un intrant fondamental, elle est aussi un élément structurant de l'organisation de territoires ruraux et parfois urbains avec des organisations (irrigants, pasteurs, comités d'usagers, etc..) qui se sont historiquement et depuis des siècles organisées pour gérer, partager et protéger la ressource (et parfois aujourd'hui source de conflits locaux ou transnationaux). Des institutions de gouvernance de la ressource en eau sont souvent très anciennes, qui structurent également des modes d'organisations et de démocratie locale. Au delà d'enjeux techniques et économiques – fondamentaux par ailleurs - les enjeux sur le partage et l'usage futur de l'eau pour la sécurité alimentaire ne peuvent être déconnectés d'une vision historique, sociale et des questions de démocratie et d'équité, qui devraient être abordés et rappelés en amont de cette étude.
3- L'état des lieux sur l'utilisation de l'eau pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle devrait être précisé et intégrer une analyse fine des causalités et conséquences :
- Préciser les tendances par zone géographique, en distinguant notamment des régions disposant de ressources en eau abondantes et encore relativement peu mobilisée et les régions en pénurie structurelle croissante, les « zones sèches ». L’étude devrait s’attacher ainsi à mettre en exergue :
- les ressources disponibles et les tendances observées dans les différentes grandes régions mondiales en distinguant le cas des zones sèches,
- la montée observée et annoncée des problèmes de pénuries d’eau en tenant compte des projections démographiques et des impacts possibles du changement climatique,
- l’importance de la ressource disponible et non mobilisée dans les pays à ressources abondantes.
- Dans le cadre de l’état des lieux des conséquences du manque d’accès et de disponibilité d’eau propre sur la santé des populations, il convient de préciser notamment les liens avérés entre accès durable à l’eau potable et statut nutritionnel.
- S'intéresser à l'évolution des consommations et droits/dotations y référant eu égard à différents usages, incluant le secteur agricole et alimentaire, en différenciant les dotations et consommations de l'agriculture familiale, versus d'autres modalités d'agriculture en développement (agro-industrie, plantations en monocultures – soja, palmier à huile, agrocarburants, etc... ), de même que le secteur industriel manufacturier, dans ses différentes composantes, sans oublier le secteur minier en plein développement dans de nombreux pays.
- Préciser l'état actuel des processus d'investissements à grande échelle, d'accaparement des terres et des eaux et leur impact sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle, en particulier sur les populations qui en sont des acteurs fondamentaux, mais souvent les plus vulnérables en particulier dans les rapports de force et de pouvoir : les producteurs et productrices familiaux.
- Au delà de l'état des lieux, s'attacher à détecter les causes éventuelles de dégradation de la qualité de l'eau par acteurs : cf. évolution des modes agricoles dans certaines régions du monde, du développement industriel et minier, etc... .
- Concernant la durabilité des systèmes de gestion de l'eau, l'étude ne devrait pas s'arrêter aux seuls éléments cités concernant la durabilité des systèmes irrigués, la dégradation des eaux souterraines ou la salinisation des sols, mais s'intéresser également à :
- la surexploitation inquiétante de nombreuses ressources souterraines et aquifères, parfois liée au développement de systèmes agricoles intensifs en capital et peu durables.
- la dégradation des terres pluviales (érosion, non conservation des eaux et des sols, etc..) alors que nombre de pays font face à un abandon de politiques et d'investissements sur l'agriculture pluviale dans ces zones sèches.
- la perte de terres agricoles potentiellement irrigables ou à fort potentiel en pluvial avec des pratiques améliorées pour la gestion de l'eau, notamment par l'urbanisation agressive et l'étalement urbain.
- Attention finalement à ne pas oublier l'usage de l'eau pour la production alimentaire d'origine animale (par ex : accès à l'eau en zone pastorale, base économique dans plusieurs pays sahéliens ou de montagne), y compris la pêche.
4- L'étude devrait questionner les critères utilisés relatifs à l'efficacité dans la gestion et l'utilisation de l'eau à des fins de sécurité alimentaire et nutritionnelle:
- Attention en effet au choix d'indicateurs qui pourraient justifier de pratiques favorisant les intérêts de quelques secteurs au détriment d'autres. L'eau n'est pas seulement un "facteur" de production et donc une pure ressource technique et économique, mais bel et bien d'abord et avant tout un bien commun. Par ailleurs, les mal nommées "pertes en eau" n'en sont souvent pas, l'eau étant un bien pouvant être par exemple récupéré par des utilisateurs en aval, même lorsqu'il y a supposée "gaspillage".
- Les critères de mesure quantitative ou qualitative de l'efficacité dans l'utilisation de l'eau par différents usagers devraient être critiqués par l'étude et dans tous les cas, aller bien au delà de la simple "empreinte hydrique", mais prendre en compte des critères par ex. sur :
- La protection et le renouvellement de la ressource
- La création directe ou indirecte d'emplois
- La création de valeur ajoutée et sa redistribution à différents acteurs de la société
- L'augmentation des capacités d'adaptation et résilience des populations les plus impactées par le réchauffement climatique
- L'accès à l’eau en qualité et en quantité suffisante pour les populations les plus vulnérables
5- L'étude devrait identifier de manière fine les facteurs limitant ou au contraire facilitant une gestion et gouvernance de la ressource en eau, participative, transparente et équitable
- L'étude proposée devrait certes décrire les différentes catégories d'acteurs qui participent aujourd'hui de la gouvernance de l'eau pour la sécurité alimentaire – de même que ceux qui en sont exclus –, et leurs capacités actuelles ou potentielles à y participer. Mais tous les acteurs mentionnés sont en capacité de jouer un rôle sur la gouvernance de l'eau et tous ont des droits. L'étude devrait analyser de manière fine comment les systèmes politiques et les institutions donnent aujourd'hui leur place respective et légitime à ces différents acteurs pour qu'ils puissent exercer leurs compétences, faire valoir leurs droits et contribuer à l'élaboration de politiques et d'options institutionnelles, dans des relations justes et équitables.
- La mise en oeuvre des principes de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) devra être étudiée. En effet, L'approche de gestion intégrée des ressources en eau contribue à la gestion et à l'aménagement durables et adaptés des ressources en eau, en prenant en compte les divers intérêts sociaux, économiques et environnementaux. L'approche intégrée permet de coordonner la gestion des ressources en eau pour l'ensemble des secteurs et groupes d'intérêt et à différents niveaux. Elle met l'accent sur la participation des acteurs à tous les niveaux dans l'élaboration des textes juridiques, et privilégie la bonne gouvernance et les dispositions institutionnelles et réglementaires efficaces de façon à promouvoir des décisions plus équitables et viables.
- L'étude devra prendre en compte le cas particulier des bassins transfrontaliers (eau de surface et souterraine). Quelque 260 bassins fluviaux sont partagés par deux pays ou plus dans le monde. Près de 40 % de la population mondiale vit dans ces bassins.
- Force est de constater que les plus "petits" d'entre-eux (producteurs/trices, communautés, populations autochtones, etc...), acteurs pourtant fondamentaux de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, s'ils en ont les capacités et les droits – souvent historiques – ont été pour beaucoup jusqu'à présent exclus des décisions sur l'eau, voire spoliés de leurs droits.
- Dans ce domaine, s'il est tout à fait fondamental de s'intéresser aux rôles et contributions potentielles des femmes dans la fourniture d'eau et d'aliment – et au-delà de la simple fourniture, dans la gestion et gouvernance de la ressource en eau - , l'étude devrait élargir son "attention spéciale" à trois groupes cibles fondamentaux dans la fourniture d'eau et d'aliments et dont beaucoup souffre de situations de spoliation, d'accès difficile et de non participation à la gouvernance de l'eau notamment les femmes, les familles paysannes et les communautés rurales.
- Outre la catégorisation de ces acteurs, l'étude devrait donc clairement identifier les facteurs limitant ou pouvant favoriser une participation active et équilibrée dans la gouvernance de l'eau, intégrant l’impératif de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Une analyse historique de la "gouvernance" de l'eau dans différentes situations du monde serait par ailleurs pertinente pour éclairer les recommandations futures du HLPE.
- Concernant l'analyse des politiques pour garantir la sécurité alimentaire et de la gestion durable des ressources en eau, l'étude devrait aborder non seulement via un recensement et une analyse des politiques et institutions existantes mais se poser la question de leur pertinence et efficacité pour une répartition juste et équitable de la ressource en eau au regard d'enjeux pluriels :
- d'accès à l'eau potable pour tous
- d'accès à l'eau pour la production alimentaire et la sécurité alimentaire et nutritionnelle, mais également :
- de création d'emplois
- de protection de la ressource et de l'environnement
- En ce sens, l'accès à l'eau des petits producteurs/productrices et le soutien aux agricultures familiales qui par ailleurs peuvent avoir aisément une gestion durable de la ressource en eau, devraient rester des priorités absolues.
6- En matière de gestion de l'eau, au delà de l'extension des zones irriguées, l'étude devrait identifier d'autres voies innovantes qui ont d'ores et déjà montré tout leur potentiel :
- identifier quelles autres voies jusqu'ici peu explorées et peu financées par les Etats et les bailleurs internationaux, seraient en mesure d'optimiser l'usage de l'eau agricole en particulier, sans investissement démesuré : voire notamment toute la petite hydraulique (citernes, aménagement de bas-fonds et petits réservoirs, micro-irrigation, puis pastoraux, etc...) et les gains d'économie et de valorisation de l'eau en agriculture pluviale (pratiques de CES et agroécologiques dont pratique de zaï, labour minimum, semi sous couvert végétal, mulch, etc...)
- s'interroger sur la réutilisation des eaux usées.
- s'interroger sur les approches les mieux adaptées et les plus efficaces pour étendre aujourd'hui les zones irriguées, à partir de nombreuses expériences passées et d'ores et déjà capitalisées : gestion sociale de l'eau, renforcement des organisations d'irrigants, mise en place de centres de services aux usagers, etc.
7- L'étude devrait également recenser les innovations existantes en matière de gestion de l'eau qui est mise au défi par la nécessaire augmentation requise des capacités d'adaptation des populations rurales au changement climatique
- Quelles implications sur les priorités politiques, financières et d'attribution de droits d'eau pour lmliter des vulnérabilités fortes et renforcer la résilience des populations rurales et paysannes ?
- Les TDR soulignent que le rapport "devrait également jeter un regard critique sur le potentiel des innovations technologiques et institutionnelles pour la conservation de l'eau et son utilisation durable dans le contexte du changement climatique", dont il faut ici rappeler que certaines sont par ailleurs des "innovations" déjà existantes mais peu connues et peu valorisées, alors qu'elles ont déjà été historiquement développées (ex : pratiques d'agroécologie historiques, pratiques paysannes de collecte de l'eau, etc…)
Groupe interministériel sur la Sécurité Alimentaire (GISA)Marine Renaudin