Dr Kam Oleh ; Sociologue du développement rural ; Enseignant chercheur
Université Félix Houphouët Boigny, Abidjan
La problématique de la gestion de l’eau : l’expérience de Guiglo dans la Région du Cavally en Côte d’Ivoire
Je souhaiterais partager une expérience qui s’est soldée par un échec dans la question de la gestion de l’eau. Cette contribution rentre fans le cadre des systèmes de gouvernance et de gestion de l'eau capables de mieux intégrer les préoccupations pour la sécurité alimentaire et d'aborder la question des arbitrages entre les utilisations/utilisateurs de l'eau de façon équitable, respectueuse de l'égalité entre les sexes et délibérative. Cette expérience permet de tirer des leçons pour renforcer la justice sociale et de bénéficier des groupes marginalisés. Cette expérience a eu cours en Côte d’Ivoire, dans une localité de l’Ouest du pays. Les populations, surtout les femmes et les petits agriculteurs étaient confrontés à des problèmes de pénurie d’eau pour les activités domestiquées (boire, faire la cuisine), mais aussi pour les activités agricoles (riziculture). Au début de l’année 1994, la région fut confrontée à une importante pénurie d’eau due à une sécheresse prolongée, à l’état désastreux des nappes d’eau souterraines, et au manque de politiques de préservation des sources d’eau
Pour faire face à ce problème, un projet, dénommée projet Bad-Ouest, a été initié par les autorités politiques et gouvernementales avec l’appui financier de la Banque Africaine de Développement (BAD). Dans le cadre du projet, des pompes hydrauliques villageoises ont été mises en place dans les villages. Les résultats de l’étude que nous avons menée montrent que les forages d’eau et les pompes hydrauliques villageoises installées ont été abandonnés par les populations. Elles ont recours à l’eau de puits et marigots pour leurs besoins alimentaires. Cela est source de maladies liées à l’eau. Les comités villageois de gestion de l’eau mis en place n’ont pas fonctionné, les populations ne réparaient pas les pompes abimées. Pourquoi les populations abandonnent-elles l‘eau potable pour se diriger vers l’eau souillée ? cette question de recherche pose la problématique de la gestion de l’eau en milieu rural. L’étude menée montre que cela est du à l’approche utilisée par les initiateurs du projet. En effet, les populations n’ont pas été associées à l’installation des infrastructures hydrauliques qui ont été installées parfois dans les lieux de culte (forêt sacrée) et de rituels (cimetière). Aussi, l’accès à l’eau était payant. Le seau d’eau de 20 l coutait 25 FCFA, prix élevé pour les populations rurales pauvres et surtout les femmes. Les femmes n’étaient pas membres des comités de gestion de l’eau. L’installation des pompes n’a pas servi ni pour les problèmes d’alimentation, ni de pour la riziculture.
Les conclusions qui se dégagent de cette expérience est que le succès des interventions en matière de l’eau en milieu rural doivent tenir compte des réalités socioculturelles des populations, de la participation des populations surtout la place de la femme. Il s’avérait tout aussi urgent et important de travailler en lien avec la communauté pour encourager des changements d’attitude et de perspective au sein de la société rurale dans son ensemble, afin que les communautés puissent assumer des responsabilités plus importantes dans le domaine du contrôle et la gestion des réseaux d’eau. Ce processus de changement, appelé « Démocratisation de la gestion de l’eau », était axé sur les trois enjeux fondamentaux suivants : (i) parvenir à fournir en eau les personnes non alimentées, d’une façon qui garantisse (ii) l’équité (avec pour objectif prioritaire une distribution équitable) et qui soit fondée sur (iii) les principes de la justice sociale. L’approche technocratique du service de l’eau et l’absence d’un sentiment de propriété collective chez les usagers ont entraîné un manque d’implication de la population et des différents acteurs concernés, ainsi qu’une réticence imposée des pratiques durables de consommation de l’eau potable.
Oleh Kam