Forum global sur la sécurité alimentaire et la nutrition (Forum FSN)

Le Cameroun est un pays dont l'action gouvernementale a du mal à être synchronisée au sein des différents départements ministériels. Cet état de chose se répercute au niveau du fonctionnement interne des départements ministériels. Les politiques aujourd'hui pour être acceptées se doivent de souscrire au consensus. Le consensus nécessite la prise en compte de tous les acteurs. Cette consultation de la FAO interpelle la politique et la science, de marcher main dans la main, mais surtout d'intégrer un troisième aspect ou élément qu'est l'expérience de terrain pour élaborer de meilleures stratégies et de concevoir de meilleures politiques plus proches de la réalité. Le politique renvoie à l’acteur stratégique ; le scientifique, quant à lui, c’est l’homme de la science, cette science qui renvoie à l’observation, l’expérimentation et à la modélisation ; et enfin un 3e acteur et non des moindres, qu’est le producteur, qui offre son expérience pratique, sa réalité, son vécu.

Ainsi pour répondre à cette consultation lancée par la FAO, on va mener une analyse basée sur les points suivants :

1.       Un environnement défavorable ;

2.       Des rapports asymétriques entre les acteurs ;

3.       Un processus d’élaboration des politiques biaisé ;

4.       Des budgets insuffisants ou quasi-inexistants dédiés à la recherche.

 

1.      Un environnement défavorable (institutions, volonté politique, gouvernance, cadre réglementaire)

Dans l’historique des institutions, le Cameroun est un état indépendant depuis 62 ans, et dont les institutions souveraines datent à partir de cette période. En d’autres termes, les institutions les plus anciennes datent de cette période et les plus récentes n’ont pas plus de 10 ans. Le Cameroun de 1960 à 1990 à évoluer sous le régime du parti unique, de 1990 à nos jours, sous le multipartisme. Ce pays a fait le choix de la démocratie et de se doter de ses institutions de manière progressive. Ce choix s’est-il fait par stratégie ou par calculs politiciens ? ou simplement par réalisme politique ? Dans un autre pan, la configuration politique a créé un déséquilibre de la scène politique où on a un parti superpuissant avec des alliés d’un côté et de l’autre, des partis de l’opposition, même en additionnant leurs scores, ne parviennent pas à inquiéter le parti au pouvoir. Ce déséquilibre de la scène politique a créé une classe administrative hyperpuissante aux ordres de la classe politique dirigeante. Cette classe administrative qui tire son pouvoir du politique, subjugue tous les autres acteurs notamment : le secteur privé, la société civile, les organisations professionnelles, etc.

Pourrait-on penser objectivement que dans un pays comme le Cameroun, il existe réellement une volonté politique ? quand on sait que le Cameroun depuis 1996 et 2004 avait déjà pris le chemin de la décentralisation et qu’on assiste impuissamment au torpillage de ce processus par cette classe administrative. La volonté politique au Cameroun ne sert pas les intérêts collectifs mais les intérêts corporatistes ou d’une classe.

Quant à la gouvernance, il y’a tellement à redire. La répartition des richesses nationales n’est pas encore proportionnellement et équitablement répartie. La dépense publique continue à être déraisonnable, embourgeoisant l’élite administrative, et c’est le peuple qui doit toujours serrer la ceinture. Dans la gestion publique, les fautes et les écarts sont tolérés en toute impunité. On a l’impression qu’il n’y a pas de suivi, qui donnerai lieu à des rapports à mi-parcours permettant de voir l’évolution dans la gestion et le fonctionnement de la structure. Cette habitude a fait avec le temps, le lit de l’opacité et de l’impunité. La transparence dans la gestion reste encore à être améliorée ; l’accès à l’information, à des documents doit suivre une procédure qui parfois n’aboutit pas même si elle est bien motivée. Les lois sont la plupart du temps votées et les textes d’application sont inexistants ou mis en vigueur au moins une décennie plus tard, cela créée un vide juridique qui est entretenu à tort ou à raison par l’administration centrale. Ainsi, lorsqu’on a un cadre réglementaire qui ne rassure pas dans un pays, il est difficile d’être optimiste.

2.      Rapports asymétriques entre les différents acteurs

Les acteurs qui interviennent ou qui sont concernés dans l’élaboration des politiques en matière de sécurité alimentaire sont : le politique, l’administrateur, le scientifique, la société civile, les peuples autochtones, les producteurs, les opérateurs ou investisseurs, etc. Dans ce jeu multi-acteur, il se pose donc un jeu de rôles, parfois ou la plus part du temps, les infractions sont multipliées par les acteurs les plus influents. Généralement, le politique veut s’attribuer tous les mérites, pendant que l’administration veut contrôler l’initiative. Ce contrôle vise tout simplement à imposer sa vision et ses idées.

Dans le domaine agricole, le document de stratégie du développement du secteur rural (DSDSR) et le plan national de l’investissement agricole sont des documents de référence dans ce domaine. Généralement, le processus d’élaboration de ces documents qui renseignent sur la politique du gouvernement dans ce domaine, commence par une consultation large publique ou par appel d’offre, à la suite, l’administration organise un atelier de restitution lors de laquelle elle invite ou peut inviter les autres acteurs comme les scientifiques, et les petits producteurs, qui ont un rôle consultatif et décisionnaire. Donc, réduit en général à faire des recommandations. Il faut d’ailleurs signaler que les acteurs administratifs s’arrangent à être majoritaires dans ces rencontres et minorer du point de vue de l’effectif, les autres acteurs.

3.      Un processus d’élaboration des politiques biaisé

L’administration pour justifier ses politiques et les consensus obtenus en leurs seins, argue que : au début, elle a établi de larges consultations à la base qui ont impliqué de multiples acteurs parmi lesquels ceux qui sont mis en exergue dans cette consultation (scientifiques, politiques, populations autochtones, petits producteurs). Comment pourrait-on faire prospérer ses opinions lorsqu’on est non seulement minoré au sein des consultations, mais invité également à titre consultatif. Lorsque l’élaboration d’une politique est faussée à la base et que l’on veuille absolument justifier du respect des procédures, cela relève de la mauvaise foi. Pendant que sur une thématique comme la sécurité alimentaire, l’administration ou le Gouvernement sera représenté par tous les sectoriels impliqués dans cette thématique à savoir : les ministères en charge de l’agriculture, l’élevage, l’environnement, le foncier, les finances, l’économie, l’énergie, le commerce, etc. ; les autres acteurs par corporation ne sont malheureusement pas aussi diversement représentés. Dans les pays en développement comme le Cameroun, on continue malheureusement à constater un hiatus entre le politique et le scientifique, qui pense-t-on, le premier n’exploite pas suffisamment les résultats ou les conclusions auxquelles aboutit le second. L’interface politique/science n’est pas encore assez structurée pour la récupération des résultats de la science par le politique. Idem de l’interface politique/peuples autochtones ou petits producteurs, qui eux, apportent une expérience riche de terrain qui devrait être pris en compte dans l’élaboration des politiques. Pour le moment le Gouvernement a créé un ministère en charge de la recherche scientifique et de l’innovation ; au-delà de ce ministère, il existe également des structures sous-tutelles comme l’IRAD/IRD, qui assurent également la recherche poussée dans le secteur agropastoral, notamment dans le secteur des semences. Cette structure par exemple offre des semences améliorées pour optimiser le rendement des producteurs.

4.      Les budgets insuffisants ou quasi-inexistants dédiés à la recherche

La première intension que l’on remarque dans un pays qui accorde une place de choix à la recherche se trouve au niveau des budgets qu’il accorde à la recherche. Voici un historique des budgets alloués au ministère en charge de la recherche scientifique et de l’innovation au Cameroun de 2012 à 2018 :

§  2012 : 8 793 000 000 FCFA :

§  2013 : 11 731 000 000 FCFA ;

§  2014 : 12 260 000 000 FCFA ;

§  2015 : 13 847 000 000 FCFA ;

§  2016 : 12 837 000 000 FCFA ;

§  2017 : 8 584 000 000 FCFA ;

§  2018 : 10 300 000 000 FCFA ;   

Dans nos universités et centres de recherches ou laboratoires, il existe beaucoup d’idées, de productions scientifiques. Le vrai problème est que lorsqu’il faut partir de cette idée pour en faire un produit consommable, utile à la société, il faut investir sur la « recherche pour le développement ». Ainsi, il est très difficile avec les maigres budgets alloués au ministère de la recherche scientifique de financer la recherche au Cameroun, car le fonctionnement de ce ministère se taille la part du lion, et le reste est orienté vers l’investissement. L’IRAD qui aujourd’hui fonctionne en partenariat avec l’IRD probablement à cause des raisons financières, est la structure de référence en matière de recherche/développement dans le domaine agropastoral. Ce partenariat apporte à l’IRAD un concours technique et financier de l’IRD. Au Cameroun, l’IRAD n’est pas la seule structure capable d’apporter de la matière dans le domaine agropastoral, car il y’a aussi la FASA de Dschang qui a d’ailleurs un démembrement au niveau de Yaoundé-Nkolbisson, nommé CRESA et bien d’autres. Toutes ces structures dépendent des budgets de l’Etat, donc n’ont pas la dépendance financière nécessaire pour faire le lobbying afin d’influer sur l’orientation des politiques. L’IRAD/IRD parvient à le faire parce que cette institution bénéficie de concours technique et financier de la France dans le cadre du contrat pour le désendettement et développement (C2D).

Après avoir énuméré les obstacles, on va indiquer quelques pistes qui peuvent permettre le fonctionnement efficace des interfaces politiques/scientifiques ou politiques/petits producteurs/peuples autochtones.

Ø  Développer une capacité d’influence qui peut débuter par une indépendance financière et l’augmentation de ses ressources en dehors de celles qui provient de l’Etat ;

Ø  Bénéficier d’une représentation corporatiste consistante et considérable dans les sphères d’influence au niveau du parlement afin de faire pencher les lois pour leurs causes ;

Ø  Développer des capacités de plaidoyer et de lobbying pour porter haut des revendications et d’influer l’orientation des décisions.