Carline MAINENTI

C2A - Coordination Sud
France

Cette contribution est proposée par la commission Agriculture et alimentation (C2A) de Coordination SUD qui regroupe des ONG françaises de solidarité internationale qui agissent pour la réalisation du droit à l’alimentation et un soutien renforcé à l’agriculture familiale dans les politiques ayant un impact sur la sécurité alimentaire mondiale : ActionAid France, Action contre la Faim, AEFJN, aGter, Artisans du Monde, AVSF, CARI, CCFD-Terre Solidaire, CFSI, CRID, Gret, IECD, Inter Aide, Iram, ISF AgriSTA, MADERA, Oxfam France, Plate-Forme pour le Commerce Equitable, Secours Catholique-Caritas France, SOL, UNMFREO et Inter-réseaux.

La C2A assure la représentation de Coordination SUD auprès des institutions traitant de l’agriculture et de l’alimentation tels que le Groupe interministériel français sur la sécurité alimentaire (GISA) et le Mécanisme de la société civile (MSC) pour le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA).

Cette contribution reprend l’ordre des questions proposées par le HLPE pour le plan du rapport, c’est une synthèse des principales conclusions du rapport publié par la C2A : « Répondre aux défis du 20ème siècle avec l’agroécologie : pourquoi et comment ? » (En pièce jointe)

 

Dans quelle mesure les approches agro-écologiques et autres approches, pratiques et technologies innovantes peuvent-elles améliorer l'efficacité des ressources, réduire au minimum l'empreinte écologique, renforcer la résilience, garantir l'équité et la responsabilité sociales et créer des emplois décents, en particulier pour les jeunes, dans les systèmes agricoles et alimentaires ?

Les organisations de solidarité internationale membre de la Commission Agriculture et Alimentation (C2A) de Coordination Sud, considèrent que l’agroécologie constitue un élément de réponse à la crise dont souffre souvent l’agriculture, aux limites du modèle « productiviste » et aux défis à venir de l’humanité :

La sécurité alimentaire,

L’agroécologie contribue à la sécurité alimentaire des populations paysannes, mais également des sociétés dans leur ensemble. Elle permet en effet bien souvent une importante augmentation du rendement agricole global à l’hectare et une réduction de sa variabilité d’une année sur l’autre, et donc des risques encourus par l’agriculteur. C’est le cas notamment quand l’agroécologie répond à la crise de fertilité des écosystèmes et qu’elle est mise en œuvre dans des conditions agroclimatiques adverses.

Les situations sont plus contrastées lorsque l’agroécologie se substitue à des systèmes issus de la révolution verte. Cependant, même dans ces situations, au terme d’une période de transition, le rendement est généralement au moins équivalent au niveau initial. L’agroécologie permet aussi, du fait de la diversification des productions agricoles, une amélioration de la qualité nutritionnelle de l’alimentation des familles paysannes et des populations locales.

Les revenus et l’emploi,

L’agroécologie contribue à l’accroissement des revenus agricoles, non seulement du fait de son impact sur les rendements, mais également du fait de la diminution des coûts de production (moindre utilisation d’intrants). En utilisant plus de travail, l’agroécologie contribue aussi à générer des emplois. Globalement, la valeur ajoutée et le revenu s’accroissent, même si l’impact sur le revenu de chaque actif agricole est plus limité.

Par ailleurs, l’augmentation et la diversification de la production permettent souvent une amélioration du revenu et de l’autonomie des femmes paysannes. Au niveau du territoire, les effets indirects en matière de revenus et d’emplois sont également fréquents (création de nouvelles filières, stimulation du commerce local, etc.)

La santé et l’environnement

La diminution de l’utilisation des intrants chimiques contribue à supprimer certains risques pour la santé des populations et pour l’environnement. L’agroécologie permet également une moindre utilisation (voire la non-utilisation) des ressources non renouvelables : eau agricole, énergie (plus faible recours aux engrais chimiques, motorisation raisonnée, etc.), phosphore et potassium.

Elle contribue à restaurer la biodiversité et à améliorer la fertilité des sols. La mise en œuvre de pratiques adaptées peut permettre une véritable restauration de terres devenues pratiquement improductives. Elle améliore la résistance aux phénomènes climatiques extrêmes, grâce notamment à la diversité des activités et aux pratiques de protection des sols (arbres, couverture végétale).

Alors que l’agriculture contribue pour un tiers aux émissions de gaz à effet de serre, l’apport de l’agroécologie à la lutte contre le changement climatique doit enfin être souligné (moindre utilisation de carbone fossile et capture de carbone dans la matière organique des végétaux et du sol).

 

Quelles sont les controverses et incertitudes liées aux technologies et pratiques innovantes? Quels sont les risques associés ? Quels sont les obstacles à l'adoption de l'agroécologie et d'autres approches, technologies et pratiques innovantes et comment les aborder? Quels sont leurs impacts sur la sécurité alimentaire et la nutrition dans leurs quatre dimensions (disponibilité, accès, utilisation et stabilité), ainsi que sur la santé humaine et le bien-être, et sur l'environnement? 

Les pratiques agricoles conditionnent à la fois la production de court terme et l’évolution plus durable de l’écosystème cultivé (fertilité du sol, biodiversité, micro-climat). Depuis la naissance de l’agriculture, diverses révolutions agroécologiques ont visé une amélioration du potentiel productif (la fertilité) de l’écosystème : meilleure intégration des productions végétales et animales, culture de plantes produisant des protéines à partir de l’azote de l’air, etc. Cependant dans de nombreuses régions du monde, l’agriculture souffre d’une crise écologique qui affecte en premier lieu l’agriculture familiale. D’anciens systèmes de gestion de la fertilité comme l’agriculture forestière ont par exemple disparu du fait de la pression démographique sans être remplacés par de nouveaux systèmes.

Par ailleurs les impacts négatifs et les limites de la révolution verte sont multiples : dégradation de la fertilité des écosystèmes (et en particulier des sols), pertes de terres agricoles (érosion, aridification, etc), diminution de la biodiversité, épuisement de ressources non renouvelables, contaminations de l’environnement et des hommes, dégradation des paysages, contribution au changement climatique. Dans les milieux fragiles et où le climat est instable, la révolution verte a donné peu de résultats et les paysans s’y opposent souvent. Ailleurs, après avoir permis une forte augmentation des rendements à l’hectare, la révolution verte semble atteindre ses limites.

 

Quels règlements et normes, quels instruments, processus et mécanismes de gouvernance  faut-il mettre en œuvre créer un environnement favorable au développement et à la réalisation de l'agroécologie et d'autres approches, pratiques et technologies innovantes qui améliorent la sécurité alimentaire et la nutrition?   Quelles sont les incidences des règles commerciales et des droits de propriété intellectuelle sur le développement et la mise en œuvre de telles pratiques et technologies? 

Soutenir l’agriculture familiale : La transition agroécologique devrait concerner l'ensemble des systèmes agricoles au bénéfice des producteurs, des consommateurs et de la société. Mais la généralisation de l’agroécologie suppose un soutien prioritaire à l’agriculture familiale. Celle-ci regroupe en effet l’immense majorité des agriculteurs et elle est à l’origine de près de 70% de la production agricole mondiale. De plus, l’agroécologie repose largement sur un ensemble de connaissances et de savoir-faire locaux accumulés au cours des siècles par l’agriculture familiale.

Enfin, l’agriculture familiale est bien plus à même que l’agriculture capitaliste de mettre en œuvre une agriculture agroécologique. La famille paysanne a fondamentalement intérêt en l’amélioration de l’écosystème cultivé car sa reproduction sociale à long terme en dépend directement. Lorsqu’elle dispose de la main d’œuvre familiale nécessaire, elle n’hésite pas à l’utiliser pour des pratiques de préservation et d’amélioration de l’écosystème, cette utilisation n’impliquant pas de coût supplémentaire. Pour l’entreprise capitaliste, la rentabilité immédiate du capital investi constitue le critère de gestion essentiel. Or les pratiques d’entretien et d’amélioration de l’écosystème sont des pratiques à rentabilité différée. De plus, elles sont coûteuses pour une agriculture qui recoure fondamentalement à du travail salarié.

Aussi, il importe que les politiques agricoles génèrent un environnement stable et favorable à l’agriculture familiale (prix rémunérateurs et stables, accès aux ressources naturelles, soutien aux investissements, investissements publics). Soulignons que si l’agriculture familiale concilie aisément les objectifs de court terme et de long terme (dont la reproduction de l’écosystème) lorsqu’elle connaît une relative prospérité, elle privilégie par contre le court terme –voire sa survie immédiate- dés qu’elle est en situation de crise. La mise en œuvre de pratiques agroécologiques devient alors illusoire, d’autant plus que la transition vers une agriculture écologique peut impliquer des investissements initiaux importants (plantations, terrasses, animaux, etc.).

Encourager les investissements et la transition vers l’agroécologie : Souvent, les agriculteurs sont réticents à mettre en œuvre des pratiques agroécologiques. En effet, l’agriculture issue de la révolution verte leur permet parfois de dégager un revenu suffisant ; l’agroécologie peut impliquer de renoncer à certaines subventions (intrants chimiques) et remettre en question l’utilité d’équipements déjà acquis, impliquer de nouveaux investissements, apparaître trop exigeante en travail ou générer dans un premier temps une stagnation ou une perte de rendement. C’est pourquoi il importe que l’Etat encourage les investissements dans l’agroécologie, notamment durant la période de transition. Il doit se préoccuper de l’accessibilité de certains moyens de production (jeunes pousses d’arbres, animaux, etc.) et favoriser leur acquisition, y compris au moyen de subventions ou de crédits spécifiques.

La sécurisation de l’accès à la terre constitue également un élément clé car l’agroécologie implique des investissements dans l’écosystème cultivé qui peuvent difficilement être mis en œuvre si la famille n’est pas certaine d’en tirer des résultats.

Connaissances et savoir-faire : L’agroécologie suppose des connaissances et des savoir-faire spécifiques, souvent préexistants localement. C’est pourquoi il importe de promouvoir les expérimentations paysannes et les échanges d’expériences, le conseil agricole devant jouer un rôle de facilitation, ainsi que d’explication, de mesure et diffusion des résultats. Les réseaux d’échanges de connaissances, du local à l’international, peuvent jouer un rôle important.

Dans le même temps, la recherche agronomique doit travailler beaucoup plus sur des solutions agroécologiques aux problèmes rencontrés par les agriculteurs, en articulation étroite avec les expérimentations paysannes et avec une participation des organisations de producteurs à la définition des objectifs de recherche.

L’enseignement agricole doit, beaucoup plus qu’aujourd’hui, porter sur le fonctionnement des écosystèmes cultivés, les logiques économiques paysannes et valoriser les connaissances et les savoir-faire paysans. L'enseignement de l'agroécologie doit sortir des niches (spécialisation, options, etc.) dans lesquelles il reste trop souvent cantonné.

La valorisation des produits issus de l’agroécologie : L’Etat peut contribuer à la valorisation des produits issus de l’agroécologie en soutenant la création de nouvelles filières, notamment plus localisées, en appuyant des signes de reconnaissance spécifiques, ou au moyen de politiques d’achats publics. Les collectivités locales peuvent avoir un rôle important dans la promotion de marchés paysans, d'achats publics, de participation à des systèmes de garantie participative.

Promotion de la biodiversité cultivée et protection contre les OGM : L’agroécologie repose sur la préservation et la valorisation d’une grande diversité génétique. C’est pourquoi il importe que les législations nationales reconnaissent la possibilité pour les agriculteurs de réutiliser, échanger et vendre les semences. Les Etats doivent également protéger l’agriculture des contaminations par les OGM, en interdisant leur usage.

Des politiques agricoles et de coopération cohérentes : De véritables choix politiques doivent ainsi être réalisés en matière de politique agricole, de façon à privilégier durablement l’agroécologie. Il ne s’agit donc pas seulement de "verdir" quelques composantes d'une politique agricole, mais bien de s’assurer que l’ensemble de celle-ci contribue au développement de l’agroécologie et que les autres politiques publiques soient cohérentes avec cet objectif. Ceci implique une évolution des conceptions de l’agriculture et une résistance aux influences des secteurs et lobbys liés à la diffusion des techniques de la révolution verte.

La coopération internationale a un rôle à jouer, non seulement en termes d’appui aux politiques nationales, mais aussi au niveau international, notamment pour orienter les programmes de recherche et promouvoir les échanges d’expériences entre pays. La mise en place d’une plateforme mondiale d’échanges de pratiques et d’expériences propres à l’agroécologie serait ainsi particulièrement pertinente. Il convient aussi que, face aux puissants lobbys privés, les Etats et les institutions internationales soutiennent effectivement le concept d’agroécologie au côté des organisations de la société civile.