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Chers collègues,

Historiquement connu pour sa pauvreté et ses graves crises alimentaires, le Malawi s’est fait remarquer en 2008 en s’engageant symboliquement à fournir plusieurs centaines de tonnes de maïs au Programme alimentaire mondial et aux pays voisins en crise alimentaire. Depuis le pays est souvent cité dans les débats sur la sécurité alimentaire en Afrique, comme dans le cadrage de ce débat.

A la Fondation FARM, j’ai étudié de près la politique agricole du Malawi et je pense effectivement que l’expérience de ce pays peut être utile pour les pays d’Afrique de l’Ouest. Ma contribution à cette discussion est donc centrée sur les enseignements de l’expérience du Malawi. En particulier, elle s’inspire très largement des analyses développées dans la note de FARM de février 2013, consacrée à la présentation du bilan du programme de subvention aux intrants du Malawi et à sa comparaison avec le programme de transfert d’espèces. Cette note est disponible en anglais et en français sur le site de la fondation :  http://www.fondation-farm.org/spip.php?article853

Pour répondre aux dernières questions de Al Hassan Cissé, dans le cas du Malawi la protection sociale pour la sécurité alimentaire s’appuie sur une multitude de mesures, mais deux volets principaux peuvent être cités en raison de leur ampleur budgétaire :

D’un côté, le programme de subvention des intrants, le FISP (Fertiliser Input Subsidy Program) a été lancé en 2005 suite aux graves crises alimentaires de 2001 et 2004 qui avaient entraîné de coûteuses importations de denrées. Grâce à la distribution annuelle, à 1,5 million de familles (soit environ 50% de la population), d'environ 160 000 tonnes d'engrais destinés à la production de maïs - aliment de base de la population -, le FISP aurait permis au Malawi de passer de la situation d'importateur structurel à celle d'exportateur occasionnel de cette céréale. Ce changement a été remarqué par la communauté internationale, qui le cite souvent comme exemple de succès d'une politique agricole volontariste. Ce programme offrirait, selon ses partisans, des «subventions intelligentes» (smart subsidies), car les bénéficiaires reçoivent des coupons échangeables en magasin contre des intrants, ce qui permet en théorie d'impliquer le secteur privé et de cibler les personnes selon leurs besoins. Pourtant aujourd’hui ce programme est très critiqué. Il n’a pas suffi à faire reculer la pauvreté rurale et n’a pu empêcher le déclenchement d’une nouvelle crise alimentaire, fin 2012. Les critiques les plus fréquentes visent la manière dont il est mise en œuvre (voir la note pour plus de détails). Mais en réalité, il faut reconnaître que le contexte macroéconomique externe a été particulièrement défavorable au pays.

De l’autre, suite au succès du Programme pilote de transferts sociaux en espèces dans la province de Mchinji (2006-2008), le gouvernement s'est lancé dans une phase d'extension à l’échelle nationale de ce dispositif sur la période 2012-2015 dans le but de toucher les 10 % les plus pauvres. Il est important de noter dès à présent, que ce programme social est encore en phase de déploiement. Il n’a donc pas encore pu faire la preuve de son efficacité. Les transferts monétaires qui ont eu des effets démontrés sur la scolarisation des filles, la pauvreté, la sécurité alimentaire et la diversification de l’alimentation des ménages ciblés sont en réalité des projets plus modestes, voire des phases pilotes (comme dans le cas du projet de Mchinji), et concernent donc un nombre réduit de bénéficiaires dans des régions précises. Par exemple, les études d’impact du programme pilote de Mchinji ont montré que certains bénéficiaires investissent dans des activités créatrices de revenus, dont l’agriculture. Cependant, c’est une région centrale proche de la capitale, où les marchés fonctionnent beaucoup mieux que dans d’autres zones plus reculées du pays. Or, comme décrit dans la note, les effets attendus des programmes de transferts monétaires sur la productivité agricole dépendent grandement de la propension à investir des bénéficiaires et du fonctionnement des marchés. Les impacts attendus de l’extension de ce programme à l’échelle nationale sont donc loin d’être clairement établis.

Faire de ces instruments un « programme complet » d’une « politique de protection sociale pour la sécurité alimentaire » en tant que telle est complexe et se heurte à de nombreux défis. Pour rester brève, je n’en citerai que trois :

- La volonté politique

Il a fallu une forte volonté politique de la part du Président Bingu Wa Mutharika pour que le programme de subvention des intrants agricoles soit lancé à grande échelle et maintenu au cours des années (initialement contre l'avis de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International). Cela a été probablement facilité par le choix d’un instrument phare (l’utilisation de coupons pour subventionner un paquet technique), déjà utilisé dans le pays depuis plus d’une dizaine d’années. Cependant en contrepartie, compte tenu de ses fortes implications sociales, ce programme est devenu très sensible politiquement, son coût tendant à augmenter en année pré-électorale, en raison de la mainmise des politiques – tentés d'imprimer un nombre croissant de coupons -. Et malgré le changement de Président, il est peu probable qu’il soit substantiellement réformé avant les élections présidentielles de 2014, malgré la nécessité de le faire.

- La clarté de l’objectif : ciblage et sortie du programme (« graduation »)

Au-delà de la volonté politique de subventionner les intrants agricoles pour augmenter la production de maïs, l’ objectif précis de ce programme manquait initialement de clarté : était-il d’augmenter la production agricole nationale ou d’augmenter la production agricole des ménages les plus pauvres ?

S’adressant initialement aux « ménages pauvres » définis par opposition aux « grandes exploitations agricoles », l’attribution des intrants subventionnés était dans les faits laissée dans une grande mesure à la discrétion des chefs locaux. Cela a occasionné d’importants détournements. Face aux critiques, le gouvernement a progressivement réformé la procédure d’attribution des coupons pour la rendre plus transparente et a précisé les critères de ciblage en faveur des ménages les plus vulnérables. Or, d’après les études existantes, les ménages les plus pauvres utilisent les engrais (même subventionnés) de façon moins optimale, car le prix de l’engrais chimique n’est pas la seule contrainte à l’accroissement de leur production. Le recours limité aux engrais et la faible productivité du maïs, pour cette catégorie d’agriculteurs, s’expliquent aussi par le manque de liquidités et les difficultés d’accès au crédit, l’insuffisance des débouchés et les pertes post-récolte. Ainsi le choix de les cibler a des répercussions sur l’efficacité économique de la subvention aux intrants.

Sur le papier, les critères d’attribution entre les deux programmes (agricole et social) diffèrent : les subventions aux intrants ne s’adressent qu’aux agriculteurs, tandis que les transferts d’espèces ciblent en priorité les personnes dont les capacités de travail sont limitées, par exemple les jeunes orphelins ou les personnes pauvres âgées. Mais de fait, au Malawi, les deux programmes visent en partie les mêmes familles vulnérables, majoritairement rurales et ayant des activités agricoles. La différence en termes de ciblage est encore moins marquée au Malawi que dans d’autres pays, comme le Ghana, où il existe de grandes disparités dans les profils de pauvreté rurale, ou la Tanzanie, où le gouvernement a choisi de réserver les subventions aux engrais aux ménages susceptibles de les utiliser le plus efficacement.

Enfin, aucune stratégie de sortie de ce programme n’est encore à ce jour définie.

- La coordination entre les acteurs et la mise en cohérence des différentes mesures :

La coordination intersectorielle reste un véritable défi car les volets agricoles, éventuellement nutritionnels et sociaux sont mis en œuvre par des institutions distinctes, sous le pilotage de ministères différents, même si ils sont quelquefois financés par les mêmes bailleurs. Par exemple, le FISP est géré par le ministère de l'agriculture et de la sécurité alimentaire du Malawi, et le programme de transfert par le ministère du genre, des enfants et du développement communautaire, avec l’appui de l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance). Or au-delà de la nécessité de devoir créer des instances interministérielles et intersectorielles à tous les niveaux, de les doter de moyens pour fonctionner, et de former les acteurs aux liens entre leurs différents champs d’activité traditionnels, la collaboration est d’autant plus difficile qu’il existe souvent une compétition entre eux pour des budgets restreints.

Idéalement les programmes de soutiens sociaux pour les plus vulnérables et les soutiens productifs pour les agriculteurs pauvres sont complémentaires, car ils ne répondent pas aux mêmes contraintes et donnent des possibilités différentes (comme cela est analysé en détail dans la note). C’est cette double approche qui a été recommandée par le Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE) dans son rapport 4 de 2012. Or la coordination entre les acteurs et la mise en cohérence des différentes mesures semble être un des plus grand défis.

Mathilde Douillet

Chef de projet "politiques et marchés agricoles " à la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde

Dear Colleagues,

Malawi, historically known for its poverty and its serious food crises, made itself known in 2008 by symbolically committing to provide several hundred tons of maize to the World Food Programme and to neighbouring countries with food crises. Since then, the country is often mentioned in debates on food security in Africa, just as in the framing of this debate.

At FARM (Foundation for Agriculture and Rurality), I studied closely the agricultural policy of Malawi and in effect I think that the experience of this country could be useful to West African countries. My contribution to this discussion is therefore based on the lessons learned from the Malawian experience. In particular, my contribution is largely inspired by the analysis developed in the FARM note of February 2013, dedicated to the presentation of the assessment of the program of subsidies to Malawi's inputs and the comparison of this to the cash transfer program.

This note is available in English and French in the Foundation's website: http://www.fondation-farm.org/spip.php?article853

To answer the latest questions of Al Hassan Cissé, in the Malawian case, social protection for food security is supported by a number of measures, but two main components may be mentioned due to the size of their budgets:

On one hand, the Input Subsidy Program, the FISP (Fertiliser Input Subsidy Program) was launched in 2005, following the   serious food crises of 2001 and 2004 which led to costly imports of foodstuffs. Thanks to the annual distribution, to 1.5 million families (about 50% of the population), of about 160,000 tons of fertilizers intended for maize production – the staple diet of the people, - the FISP enabled Malawi to come from the situation of a structural importer to that of an occasional exporter of this cereal. This change has been noticed by the international community, which often cites it as an example of the success of a voluntary agricultural policy.  According to its supporters, this programme offers smart subsidies, because the beneficiaries receive coupons exchangeable in shops for inputs, which makes it possible, in theory, to involve of the private sector and to target people according to their needs. However, today the programm is much criticized. It has not sufficiently pushed back rural poverty and was not able to prevent the outbreak of a new food crisis at the end of 2012. The most common criticisms are directed to the way in which it was implemented (see note for more details). But in reality, it must be recognized that the external macroeconomic context has been specially adverse to the country.

On the other hand, following the success of the Pilot Programme for social transfers of cash in the Mchinji province (2006-2009), the government has launched the extension phase of this Programme at national level for the period 2012-2015 with the objective of reaching the poorest 10%.  It is important to notice at this present time that this social programme is still in the implementation phase. Therefore, so far it has not been possible to prove its effectiveness. In reality the cash transfers which  have had a demonstrable effect on girls’ schooling, on poverty, on food security and on food diversification for  targeted households are more modest projects, let us say pilot phases (as in the case of the Mchinji project), and thus involve a small number of beneficiaries in specific regions. For example, impact studies for the Mchinji pilot programme have shown that some beneficiaries invest in activities that create income, such as agriculture. However, this is a central region close to the capital where the markets operate much better than in other more remote areas of the country. Yet, as described in the note, the expected effects of the cash transfer programmes on agricultural productivity depend greatly on the beneficiaries' readiness to invest and on the workings of the markets. The expected impacts of the extension of this program on a national level are far from being clearly established.

To use these instruments to make a “comprehensive program” for “a social protection policy for food security” as such is complex and exposes itself to many challenges.  To remain brief, I will only mention three:

- Political will

A determined political will was needed on the part of President Bingu Wa Mutharika for the program of subsidies for agricultural inputs to be launched on a grand scale and maintained for years (initially against the advice of the World Bank and of the International Monetary Fund). That was probably made easy by the choice of a path-finding instrument (the use of coupons to subsidize a technical package), already in use in the country for over ten years. However on the other hand, bearing in mind its considerable social implications, this program has become very politically sensitive, its costs tending to mount in pre-election years, due to political influence – the temptation to print a larger number of coupons.  And despite the change of President, it is unlikely that the program will be substantially reformed before the presidential elections of 2014, despite the need to do so.

- The clarity of the objective: targets and termination of the program (“graduation”).

Beyond the political will to subsidize agricultural inputs to increase the production of maize, the exact objective of this program was not at first clear: was it to increase national agricultural production or increase agricultural production in the poorest households?

While initially directed to poor households, defined by contrast with “large-scale agricultural exploitation”, the allocation of subsidized inputs was left to a great extent to the discretion of the local chiefs.  This gave rise to significant misappropriations. When faced by criticisms, the government has progresively reformed the coupons allotment procedure to make it transparent and has set out the selection criteria in favor of the most vulnerable households. Yet, according to existing studies, the poorest households do not use the fertilizers (even those subsidized) in the best way, because the price of chemical fertilizers is not the only constraint on increasing their production. For this category of farmers, the limited use of fertilizers and low maize productivity is also explained by the lack of cash and the difficulties of getting credit, insufficiency of jobs prospects and losses after harvest. Thus targetting them in this way has repercussions on the overall economic efficiency of inputs subsidies.

On paper, the allocation criteria between the two programs (agricultural and social) are different: the inputs subsidies are only directed to farmers, while the cash transfers program prioritizes people with limited capacity to work, for example  young orphans or  the aged poor. In reality in Malawi, the two programs are partly directed at the same vulnerable families, mainly rural and having farming activities. The targetting difference is still less marked in Malawi than in other countries, like Ghana, where there is great disparity in the profiles of rural poverty; or Tanzania, where the government has chosen to keep the fertilizer subsidies for those households that will use them more efficiently.

Finally, no exit strategy has yet been defined for this programme.

- Coordination between stakeholders and consistency of different measures taken:

Intersectorial coordination is a real challenge because the agricultural component, essentially nutritional and the social component are implemented by different institutions, under the control of different ministries, even when sometimes they are funded by the same partners. For example, the FISP is handled by the Ministry of Agriculture and Food Security in Malawi, and the transfers programme is handled by the Ministry of Gender, Child Development and Community Development, with the support of UNICEF (United Nations International Children's Emergency Fund) And yet, apart from the need to create inter-ministerial and inter-sectorial liaisons at all levels, to give them the means for functioning and to educate staff about the links between their different fields of traditional activities,  collaboration is often difficult because there is competition between them for restricted budgets.

Ideally social support programs for the most vulnerable and production support for poor farmers are complementary, because they do not face the same constraints and provide different possibilities (as analyzed in detail in the note). It is this double approach that has been recommended by the High Level Panel of Experts for Food Security and Nutrition (HLPE) in their 4th report of 2012. Yet, coordination among stakeholders and bringing consistency to the different measures seems to be one of the greatest challenges.

 

Mathilde Douillet

Project Manager "Agricultural markets and policies" at the Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM)