Le document préparé par le HLPE est globalement satisfaisant : très documenté (nombreuses références), bien structuré, il présente l’état des lieux en abordant les questions de sécurité alimentaire et de nutrition dans le contexte du changement climatique. La distinction entre agriculture pluviale et agriculture irriguée est posée, les interactions entre agriculture et élevage sont abordées, l’agroécologie est mentionnée. Les questions de gouvernance de l’eau (conflits d’usage, politiques, droit à l’eau) sont bien abordées. Le rapport propose des recommandations s’adressant aux diverses parties prenantes.
Dans ces conditions, les remarques du GISA relèvent de l'amélioration :
- il serait utile de mentionner l'importance de lutter contre les pertes et gaspillages de produits agricoles et alimentaires, car cela participe à favoriser une meilleure utilisation des ressources naturelles (terre et eau) ;
- l'organisation sociale de l'eau mériterait d'être davantage considérée dans le rapport. L'eau n'est pas seulement un intrant et un facteur de production, mais un bien commun qui présente la caractéristique d'être un flux partagé entre l'amont et l'aval. Cette solidarité entre l’amont et l’aval, entre les territoires ruraux et les territoires urbains est un élément structurant de l’espace où les organisations sociales jouent un rôle clé. C’est pourquoi tous les aspects liés aux aspects sociaux et sociétaux devraient être encore plus documentés et mis en exergue (multi-usages de l’eau). Le rapport pourrait mentionner l’existence d’associations d’usagers de l’eau ou de propriétaires (associations telles que les ASA en France).
- au-delà du droit à l'eau abordé dans la partie "recommandations", le droit légitime sur l'usage de l'eau pourrait être développé, car la compétition dans les usages de l'eau est réelle et il est crucial que les droits légitimes soient reconnus. Une gouvernance de l’eau efficace passe par une meilleure reconnaissance de l’ensemble du faisceau de droits coutumiers ou réglementaires sur l’eau. Cette approche permettra notamment d’atteindre, comme le recommande le rapport, une meilleure connexion avec les régimes de gouvernance alimentaire et de gouvernance du foncier.
- Sur les questions liées aux investissements dans le secteur de l’eau, le rapport pourrait faire le point sur la législation internationale dans ce domaine.
- sur la gestion de l’eau, le paragraphe p. 27, lignes 25-34 insiste sur la tarification comme outil de gestion de la demande en eau. D’autre approches existent cependant et devraient être citées : connaissance, réglementation (autorisations de prélèvement, suivi volumétrique des prélèvements, imposition de quotas, économies d'eau), accords collectifs, réduction de l'impact environnemental de l'offre avec une démarche de substitution des ressources (stockage de l'eau en période de hautes eaux).
- concernant l’eau pour l’agriculture (p. 28 et suivantes), il faudrait expliquer dès l’introduction de la partie 2.1 quels sont les différents systèmes de « agricultural water management » au lieu de se focaliser sur la dichotomie pluvial/irrigué : le paragraphe d’introduction pourrait expliquer qu’un continuum existe depuis l’agriculture pluviale jusqu’aux systèmes irrigués, en passant par soil moisture / rainwater harvesting / supplemental irrigation (ces systèmes sont bien mentionnés dans la partie 2.4.2, p. 39 et suivantes).
- la partie sur l'agriculture pluviale pourrait être développée pour mettre en avant les bonnes pratiques permettant d'optimiser l'utilisation de l'eau de pluie. Des exemples pourraient faire l’objet d’un encadré : le SRI (système de riziculture intensive) à Madagascar, la technique culturale du zaï dans les pays sahéliens. Les recommandations 6, 7 et 8 devraient tenir compte des gains de productivité que l’on peut attendre de l’agriculture pluviale.
- La qualité de l’eau est essentielle mais la question mériterait d’être développée dans le rapport, qui l’aborde surtout sous l’angle des pollutions d’origine animale et omet l’impact d’autres activités. Les recommandations relatives à la qualité de l’eau ne peuvent être comprises que si elles sont précisées par d’autres arguments dans le rapport.
Concernant spécifiquement la recommandation sur l’application du principe pollueur-payeur, ce principe important peut néanmoins présenter certaines limites en terme d’impact sur la réduction de la pollution ; on constate ainsi en France une certaine inélasticité entre le prix des intrants et leur usage. D’autre part, il peut être pertinent d’utiliser les revenus générés par l’application du principe pollueur-payeur pour financer des pratiques agricoles bénéfiques pour l’environnement (en complément de la restauration des ressources en eau). C’est pourquoi la recommandation (p. 77) pourrait être nuancée ("increase application of the polluter-pays principle, which helps to reduce pollution and provides revenue for promoting environmentally-friendly agricultural practices and rehabilitating polluted water resources").
Dans cette même partie, il pourrait être recommandé de développer l’intérêt des paiements pour services environnementaux.
- p. 32, box 9, ligne 10, l'approche française pour 'formalized groundwater management' pourrait être citée également, aux cotés de la Californie. L’approche française est réglementaire et repose sur la concertation avec les parties prenantes ; les prélèvements font l’objet d’une procédure administrative, un volume prélevable maximal est affecté, les volumes étant contrôlés par l’État ; en cas de déséquilibre sur la ressource, des études sont menées afin d’estimer la réduction nécessaire des prélèvements et une réduction est imposée aux préleveurs en conséquence, après concertation avec toutes les parties prenantes.
- Le paragraphe traitant de la gestion intégrée des ressources en eau (§ 3.2.2) devrait être développé, notamment en ce qui concerne la gestion transfrontalière, en faisant notamment référence aux conventions de New York (1997) et d'Helsinski (1992). Les recommandations devraient par conséquent évoquer la GIRE, notamment la gestion transfrontalière de l'eau.
- La question de la gestion des eaux souterraines n’est pas évoquée. En particulier, le rapport mériterait d’évoquer la surexploitation des aquifères dans certaines régions (comme la rive sud de la Méditerranée).
- au point 3.5, p. 66, ligne 10, la référence au Forum mondial de l’eau est inexacte ; le Conseil mondial de l'eau organise le Forum mondial de l’eau tous les trois ans mais ne l’héberge pas.
- le rôle du secteur privé évoqué en pp. 61 et 66 ne reflète pas la notion de gestion déléguée. L’État peut en effet déléguer une mission de service public au secteur privé sans qu’il y ait appropriation de la ressource. C’est le service (garantir la fourniture aux usagers d’une eau potable pendant la durée du contrat) et non la ressource en eau qui est privatisé. Il serait intéressant de mentionner les travaux de Bernard Barraqué sur le sujet, qui montrent que l’implication du secteur privé dans le domaine de l’eau peut reposer sur des arrangements et des partages de responsabilité très divers et que les problématiques de gouvernance de l’eau dépassent la dichotomie public / privé (voir les références par exemple Urban Water Conflicts: UNESCO-IHP ; Return of drinking water supply in Paris to public control).
- concernant l’efficacité de l’eau, (empreinte eau, eau virtuelle), le rapport gagnerait à faire référence à l’ouvrage de Daniel Zimmer (L’empreinte eau – Les faces cachées d’une ressource vitale, 2013)
- pp. 47 et 48, le paragraphe consacré à l’eau virtuelle souffre d’une approche trop neutre. Les implications des choix politiques (importations de produits agricoles, donc d’eau virtuelle versus maintien d’une activité agricole) ne sont pas évoquées, alors qu’ils relèvent des orientations en termes de souveraineté alimentaire. Ainsi, dans les recommandations, la question du commerce comme option pour assurer la sécurité alimentaire (paragraphe 11) devrait être pondérée en prenant en compte les conséquences des choix politiques sur le niveau d’indépendance alimentaire et les éventuelles conséquences sociales qui pourraient en découler.
- p. 59, en ce qui concerne le stockage de l’eau, on ne précise pas les impacts potentiels des barrages en fonction de leur taille, notamment sur les écosystèmes aquatiques et les populations locales.
- réf. lien accaparement terre et eau : Mehta et al.(2012), Water grabbing ? Focus on the (re)appropriation of finite water resources
Groupe Interministériel français sur la sécurité alimentaire (GISA)