Forum global sur la sécurité alimentaire et la nutrition (Forum FSN)

Almouzar Mohaly Maïga

Mali

En 2004, le Gouvernement de la République du Mali a mis au point une Politique Nationale de Développement de l’Elevage (PNDE), dont deux des axes stratégiques sont « l’Amélioration de l’alimentation des animaux » et « la Gestion rationnelle des ressources naturelles ». Or en Afrique, et plus spécifiquement dans la zone sahélienne, l’alimentation des animaux (les herbivores) repose prioritairement sur les pâturages naturels, et dans une moindre mesure, sur les cultures fourragères. L’exploitation de ces pâturages naturels commande la mobilité des animaux.

La disponibilité des pâturages naturels est sous la dépendance  du régime pluviométrique,  caractérisé lui-même par :

-       une décroissance régulière des précipitations et de  la saison pluvieuse  du Sud vers le Nord ;

-       une distribution irrégulière des précipitations dans l’espace ;

-       une forte variabilité interannuelle.

Au Sahel, la disponibilité des pâturages  se caractérise par une instabilité constante de l’offre de fourrages liée au caractère aléatoire des pluies dans le temps et l’espace. Pendant les dernières décennies, la moyenne pluviométrique a baissé de 100-200 mm par rapport à  la période d’avant la sécheresse de 1972-1973, pour chaque zone climatique du pays. Toutefois la qualité du fourrage demeure relativement bonne comparativement à la zone sud  et cela même pendant la saison sèche. Dans le système pastoral associé aux cultures pluviales, l’avancée du front agricole et la sédentarisation de certaines fractions nomades constituent une menace sérieuse pour la pratique de la transhumance.

Dans le Delta Central du Niger où dominent  les pâturages aquatiques  dont l’espèce la plus intéressante au plan pastoral est le bourgou, la disponibilité des pâturages est surtout déterminée par le comportement de la crue du fleuve Niger, beaucoup plus que la pluviométrie enregistrée in situ. Ainsi la crue, par son amplitude et sa durée, conditionne fortement le disponible fourrager. Ici la qualité du fourrage est aussi bonne et l’eau est essentiellement le facteur régulateur des systèmes de production. Avec la succession des  périodes de faible inondation, on assiste à un envahissement des bourgoutières par les champs de cultures.

 L’instabilité constante dans l’offre de pâturages, associée au fait que le delta pendant  l’inondation  (qui dure 3  à 4 mois), est inaccessible au bétail, oblige les animaux à la mobilité. Celle-ci apparaît comme  une nécessité  absolue pour l’exploitation judicieuse des ressources pastorales dans  les zones arides  et semi-arides. Dans  ce type de milieu où les ressources sont variables dans le temps et dans l’espace, une telle stratégie  est considérée comme rationnelle par la plupart des spécialistes de la gestion  des parcours.

Contrairement aux régions du Nord, les zones soudanienne et pré-guinéenne ont une production en biomasse abondante et relativement stable, à cause de la bonne pluviométrie. La contrainte essentielle réside  au niveau de la mauvaise qualité de la biomasse disponible en saison sèche. La teneur en azote du fourrage est tellement basse qu’il assure à peine la couverture des besoins d’entretien des animaux.  Cette situation s’explique par la dilution de l’azote que les plantes utilisent pour la production de biomasse.

Les zones Sud du pays sont confrontées à un accroissement des superficies emblavées à cause probablement de la culture du coton  et à un afflux massif des troupeaux transhumants. Par exemple, la région de Sikasso  occupe la 2eme place en termes d’effectif du bétail après celle de Mopti.  Trois catégories de bétail se côtoient dans la région : les troupeaux sédentaires, les troupeaux «transhumants sédentarisés » et les troupeaux transhumants en transit. On assiste chaque année à une  réduction des aires de parcours et l’obstruction de passages des animaux occasionnant de nombreux conflits entre agriculteurs et éleveurs. La problématique  du développement de l’élevage dans ces régions ne peut être réglée que dans le cadre du développement concomitant  de l’agriculture et de l’élevage.

 A cet égard, le Schéma d’Aménagement du Territoire  est un outil  précieux  de planification et de gestion de l’espace prenant en  compte l’ensemble des activités rurales, dans le cadre d’une définition consensuelle de la vocation des terres. 

Malgré les contraintes évoquées ci-dessus, les régions sud du Mali offrent de meilleures perspectives pour le développement des activités d'élevage, une fois la gestion de l’espace maîtrisée. En plus, la disponibilité de résidus de récoltes,  de sous-produits agricoles et de sous-produits agro-industriels améliore la ration alimentaire des animaux. Toutefois, les quantités en  sous - produits  agricoles disponibles pour le bétail demeurent  encore insuffisantes quantitativement et qualitativement. A court terme, il y a lieu d’engager des actions  visant à l’amélioration des techniques de ramassage, de stockage et de conservation des sous-produits agricoles. La voie vers laquelle il faudra s’orienter reste l’intensification de l’agriculture par l’apport de fertilisants (N et P) et l’introduction de la culture fourragère dans l’assolement là où les conditions sont favorables. En ce qui concerne les sous-produits agro-industriels,  l’Etat doit encourager et susciter la création et la diversification de nouvelles unités industrielles de fabrication d’aliment bétail afin de renforcer la  production nationale.

Les ressources en eau constituent l’élément fondamental pour le développement socio-économique du Mali, pays à vocation essentiellement agropastorale. Elles sont relativement abondantes, obéissant toutefois à une mauvaise distribution tant sur le plan temporel que spatial. Elles demeurent insuffisamment connues et ne font malheureusement pas l’objet d’un suivi conséquent et régulier, faute de moyens matériels et financiers.

Sur l’immense majorité du territoire national, notamment dans les zones sahéliennes et sahariennes,  les eaux souterraines constituent les principales ressources pérennes. Les limitations majeures à leur exploitation résident dans la productivité ponctuelle des ouvrages de captage et le compartimentage des aquifères fissurés ainsi que dans les coûts élevés d’accès à l’eau et d’exhaure dans plusieurs secteurs d’aquifères généralisés à piézométrie déprimée. La qualité chimique des eaux n’est un facteur limitant que dans les zones désertiques et localement seulement dans le reste du pays. Les conditions globales de leur exploitation définies par combinaison d’indicateurs d’accessibilité, d’exploitabilité, de pérennité et de qualité sont favorables à très favorables dans la majeure partie des régions ouest et sud où sont localisées les aquifères fissurés de l’Infracambrien tabulaire et du socle ainsi que pour l’aquifère du Continental terminal/quaternaire de la vallée du Niger et celui du Continental intercalaire. Les conditions d’exploitation se dégradent dans la zone sahélienne pour l’aquifère du Cambrien et surtout pour l’Infracambrien plissé du Gourma ainsi que dans le socle de l’Adrar des Iforas.

Les infrastructures réalisées à travers le pays constituées principalement de puits et forages demeurent encore très insuffisantes pour la mobilisation du potentiel en eau exploitable. Elles sont également mal réparties entre les régions et à l’intérieur de celles-ci

Il est démontré par ailleurs que les régions de Kidal, Tombouctou, Mopti et Ségou avec respectivement 59%,  37.2%, 35.6% et 31.7 % de villages et/ou fractions sans point d’eau moderne demeurent les moins équipées du pays. Elles constituent pourtant les zones d’élevage par excellence. Cette inégalité d’équipement en points d’eau des régions est due non seulement à la concentration humaine, mais aussi et surtout est la conséquence d’un manque de concertation des nombreux intervenants et d’une gestion trop sectorielle des ressources en eau.

La répartition et la mise en valeur inégales des ressources peuvent engendrer soit une sous-exploitation de certaines zones pastorales riches en fourrages, mais inaccessibles par manque de points d’eau pérennes, soit un surpâturage à proximité de certaines sources d’eau permanentes, en particulier les abords des fleuves et lacs ou des puits et forages mal gérés.

Les types de points d’eau sont liés à la nature de la ressource en eau disponible. Les sites de retenue d’eau de surface sont dans certaines conditions sujettes à de fortes pertes par infiltration et par évaporation, qui limitent la durée d’utilisation des eaux stockées aux premiers mois de la saison sèche alors que c’est en fin de saison sèche que les besoins en sont les plus élevés. Les plans d’eau de surface sont aussi un risque potentiel pour le développement des maladies hydriques. L’exploitation des eaux souterraines par des forages ne peut se faire que par l’installation de moyens d’exhaure, ce qui implique la mise en place d’un système de maintenance et d’approvisionnement en pièces détachées.

Dans la zone du Sahel Occidental, l’absence de ressources en eaux de surface pérennes et le caractère discontinu des nappes souterraines ont conduit à l’introduction de méthodes géophysiques pour l’implantation des ouvrages de captage. La conséquence a été que souvent les points d’eau ont été réalisés loin des sites de consommation. Le couplage du pompage solaire avec le pompage par groupe électrogène a été la solution adoptée pour pallier les contraintes d’approvisionnement liées à la chute de débit au niveau des stations solaires. Il a toutefois induit une incidence économique importante et la hausse des coûts récurrents.  Or des efforts sont à consentir dans l’animation et la formation des comités de gestion des points d’eau pour une gestion rationnelle et durable des infrastructures. En effet, l’organisation et la formation des éleveurs en associations professionnelles ou villageoises sont encore faibles et insuffisantes pour permettre la prise en charge totale par les éleveurs eux-mêmes de la gestion des nombreux ouvrages réalisés, souvent sans leur participation effective. Cela fait que  nombre d’ouvrages restent inexploités du fait de leur mauvaise réalisation et de la non-appropriation par les éleveurs. L’entretien et l’exploitation rationnelle des ouvrages ne sont pas souvent assurés, faute de formation des usagers.

Dans la zone du Delta Central du Niger, la faible connaissance des conditions hydrogéologiques a été à la base des principales difficultés rencontrées par le projet d’élevage  la région de Mopti dans la mobilisation des ressources en eau. L’Opération Puits qui avait été commise pour la réalisation des puits pastoraux ne disposait ni de ressources financières suffisantes ni de la capacité technique nécessaire pour exécuter les travaux. Des ouvrages ont certes été réalisés tant par le projet que par d’autres programmes de développement des ressources en eau, mais ces infrastructures demeurent insuffisantes pour couvrir les besoins et par ce fait, des pâturages restent encore inexploités, par manque d’eau.

Dans la zone d’intervention du projet de développement de l’élevage dans le Mali Nord-Est, la mise en œuvre du projet a fortement souffert de l’insécurité dans les zones nord du Mali depuis le début des rébellions récurrentes en 1991 et qui s’est soldée par une réduction de l’enveloppe allouée. Le projet n’ayant, en conséquence pu atteindre les objectifs fixés, le Gouvernement et la BAD décidèrent en 1998 de la mise en place d’un projet de développement rural au niveau du cercle d’Ansongo (PRODECA) dans le but d’accroître rapidement la sécurité alimentaire de la région par des aménagements hydro agricoles d’une part et d’autre part de la relance de l’élevage dans les zones pastorales de la 7ème région.

Les régions pastorales du nord se caractérisent en particulier par un sous-équipement en infrastructures et services divers. Les grandes distances et la mauvaise accessibilité qui augmentent les coûts d’approvisionnement et de maintenance en sont les principales causes.

La loi n°1 004 du 27 février 2001, portant charte pastorale en République du Mali [8] définit les principes fondamentaux et les règles générales régissant l’exercice des activités pastorales et traite de l’accès pour le bétail aux points d’eau naturels et aménagés.

Il apparaît, effectivement que, la répartition des points d'eau n’a pas été, dans nombre de cas, conforme à la logique et aux besoins de l’élevage par suite de défaut de concertation entre les différents services techniques gouvernementaux d’une part et les éleveurs d’autre part, mais aussi d’une connaissance insuffisante des pâturages et de leur répartition.

Des projets de développement de l’élevage (PRODESO, ODEM, Mali-Nord-Est etc.) et des projets et programmes d’hydraulique pastorale (ODIK, Liptako Gourma, CEAO etc.) mis en œuvre après la sécheresse des années 1972-1973 ont contribué à doter le pays de nombreux points d’eau pastoraux. Les ressources en eau utilisables induites par ces ouvrages s’élèvent à 37.964 m3/jour, soit l’équivalent des besoins en eau de 1.265 000 UBT.

De ce qui précède, il devient clair que la survie du cheptel en zone sahélienne dépend prioritairement de la mobilité des animaux, qu’il s’agisse de nomadisme ou de transhumance.

La transhumance des animaux revêt plusieurs formes, qui vont du nomadisme local à la transhumance transfrontalière. Toutes ces formes ont pour objectif essentiel l’utilisation optimale des ressources en eau et en pâturages. Le nomadisme est le mouvement circonscrit à une aire géographique déterminée (comme c’est le cas dans le Gourma Malien ou le Ferlo Sénégalais) et déplace toute la famille du pasteur. La petite transhumance concerne le déplacement à l’intérieur d’une même zone agro écologique et peut être un mouvement cyclique Est-Ouest ou Nord-Sud. Ici, les populations peuvent rester fixées au terroir d’attache ou suivre les animaux.  La grande transhumance mène les troupeaux d’une zone agro écologique à une autre, comme du Sahel à la zone à haute pluviométrie, mais à l’intérieur d’un même pays. Ici, c’est généralement les troupeaux seulement qui se déplacent et les bergers ne manquent pas de nouer des alliances fécondes avec les agriculteurs. En effet, ils profitent des résidus de récoltes et fertilisent les champs des paysans grâce aux déjections des animaux. En plus de l’utilisation des ressources fourragères, une des raisons de cette forme de transhumance est la préoccupation des pasteurs d’échapper aux agressions des insectes qui pullulent dans les zones à haute pluviométrie en hivernage. La transhumance transfrontalière est un déplacement des troupeaux (sans les populations) entre plusieurs pays d’une même sous-région. Ici, les bergers ne sont que des commissionnaires, car la gestion de tous les problèmes afférant aux troupeaux et à leur déplacement (notamment la gestion des conflits)  restent du ressort du propriétaire.   

La transhumance transfrontalière est un phénomène aussi bien économique que socioculturel dont les Etats sahéliens ne peuvent pas se passer actuellement, car elle est la meilleure façon d’exploiter rationnellement les pâturages naturels. Elle a fait l’objet d’accords au niveau de la CEDEAO et de l’UEMOA, notamment le Règlement 07/2007/CM/UEMOA dont l’article 10 traite du principe de la libre circulation des produits et d'équivalence, à savoir que « les végétaux, produits végétaux, les animaux, produits animaux et les produits alimentaires circulent librement sur le territoire de la Communauté des lors qu'ils sont conformes aux normes de sécurité et de qualité prévus par les textes communautaires en vigueur » et les articles 3 et 4 de I ‘Accord SPS de I'OMC selon le Règlement C/Reg/01/11/10 de la CEDEAO. Le même article 10 précise que « chaque Etat membre accepte sur son territoire tous végétaux,  produits végétaux, animaux, produits animaux et produits alimentaires conformes aux normes techniques et sanitaires adoptées par un autre Etat membre ».  En son article 75, le Règlement prévoit que les « Etats membres mettent en œuvre les procédures et actions nécessaires afin de faciliter la circulation des animaux transhumants et, en particulier, adoptent le certificat international de transhumance (CIT) de la CEDEAO » prévu par la Décision A/DEC.5/10/98 de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement relative à la transhumance.

La transhumance transfrontalière a aussi fait l’objet de protocoles entre Etats voisins (par exemple, protocoles entre Etats du Liptako Gourma, entre le Niger et le Burkina Faso, etc.) et de législations nationales telles que la loi sur la vaine pâture au Bénin et la Charte Pastorale du Mali. Il est précisé dans cette dernière Charte Pastorale que « Dans le cadre de la politique d'intégration régionale, les déplacements des troupeaux maliens aux fins de transhumance internationale dans les pays voisins du Mali sont autorisés, sauf dispositions contraires et sous réserve des mesures qui pourraient être prises par les Etats concernés». Le détail des règlements régionaux (CEDEAO et UEMOA), des protocoles bilatéraux ou multilatéraux (ABN, CILSS et AGL) et des dispositions nationales est donné dans l’étude « La transhumance transfrontalière en Afrique de l’Ouest : proposition de plan d’action » (Lamar DIOP, FAO, 2012).

La feuille de route de la CEDEAO en matière de transhumance transfrontalière  prévoit « que les Etats harmonisent leurs législations sur la question, cela conformément aux dispositions communautaires (CEDEAO et UEMOA) sur la libre circulation des personnes et des biens. Malheureusement, les accords et protocoles sont très peu respectés. Il est généralement délivré un certificat sanitaire pour les animaux en transhumance.  Même lorsque les bergers en  transhumance se munissent de tous les documents requis, ils n’échappent pas aux tracasseries routières de la part des PDG (Police, Douanes et Gendarmerie). Avec la décentralisation, les collectivités territoriales sont plutôt préoccupées par la mobilisation de ressources financières, alors que, théoriquement, elles devraient veiller à la gestion des terroirs et des ressources naturelles de leur ressort. En effet, aujourd’hui, l’éleveur transhumant peut être astreint à payer un droit séjour à chaque collectivité traversée, le taux variant de 500 F CFA par bovin par jour à 5 000 F CFA par bovin par séjour. Par ailleurs, le non-respect du certificat international de transhumance de la CEDEAO apparaît plutôt comme une solution imposée par les conditions. En effet,  la décision A/DEC.5/10/98 prévoit que l’éleveur qui va en  transhumance précise à l’avance, entre autres, son point de départ, son itinéraire et sa  destination. Il est constant que le berger qui mène des troupeaux en transhumance se préoccupe très peu d’itinéraire défini à l’avance. Ses déplacements sont au gré des informations qu’il reçoit sur la disponibilité de bons pâturages et points d’abreuvement, ainsi que l’absence de foyers de maladies et la non obstruction des couloirs de passage par des cultures. La décision de partir en transhumance relève de l‘éleveur propriétaire. Les bergers doivent simplement informer les propriétaires pour obtenir leur approbation avant le départ. Dans ce cas, c‘est le propriétaire d‘animaux qui décide également de l‘itinéraire et des zones d‘accueil, en se fondant sur les axes traditionnels, les rapports sociaux tissés depuis des générations avec les zones de transit et d’accueil, et sur les conseils des structures administratives. Toutefois, le berger transhumant dispose d‘une marge de manœuvre pour adapter le parcours en fonction des informations obtenues au cours du déplacement. A cet effet, les renseignements qu‘il recherche concernent l‘état des pâturages et des points d‘eau, mais aussi les patrouilles forestières, les maladies animales, la localisation de nouvelles zones cultivées et les champs maudits, etc.  Il jouit des droits d’usage pastoraux, c’est-à-dire l'ensemble des droits d'exploitation des ressources naturelles à des fins pastorales, reconnus et protégés juridiquement, et acceptés par tous les Etats signataires d’accords ou de protocoles.  En contrepartie, le pasteur a l’obligation de surveiller et de contrôler ses animaux en déplacement et de protéger les biens d’autrui. Le pasteur en transhumance transfrontalière (ou internationale) est tenu au respect de la législation des pays d'accueil relative notamment, aux aires protégées, aux espaces classés ou mis en défens et à la police sanitaire des animaux.

Toutefois, la vision de la CEDEAO se résume comme suit : « la mobilité doit être affirmée comme un droit fondamental pour les éleveurs transhumants qui doit être garanti par l’Etat et les collectivités ». Cette garantie doit se traduire, entre autres, par des aménagements pastoraux conséquents (tracé des pistes de transhumance, création de gîtes d’étape le long des pistes, c’est-à-dire des aires de stationnement ou de séjour des troupeaux qui jalonnent les pistes de transhumance, renforcement et équipement des postes vétérinaires aux frontières, provision de dépôt de médicaments vétérinaires, construction de parcs de quarantaine, etc.). Toutefois, de tels aménagements coûtent cher et ont besoin d’être sérieusement étudiés. Le Mali a aménagé la piste commerciale du bétail entre Nara et Kati à la fin des années 1970. Les gîtes d’étape ont été rapidement transformés en villages et leurs alentours en terroirs agricoles, car la gestion conséquente n’a pas suivi et il n’a pas été prévu de mesures de rechange, à savoir l’aménagement de points d’eau pour les établissements humains de la zone traversée par la piste commerciale du bétail.  L’étude de la FAO mentionnée ci-dessus, citant DIAKITE (2003), rapporte que « dans la région de Zinder au Niger, le couloir international de transhumance avec ses 500 m de largeur est devenu la plus grande aire de pâturage du département de Kantché. La forte pression démographique (densité de 118 hts/km2) et le problème d‘accès à la terre ont mis à mal le couloir. C‘est ainsi qu‘un quartier entier s‘est développé dans le couloir, de même que trois bois de village, un cimetière et un établissement scolaire... »

 L’empiètement des cultures sur les pistes de passage des animaux transhumants (qu’il s’agisse de pistes pastorales locales, c’est-à-dire les chemins affectés au déplacement des animaux à l'intérieur d'une collectivité déterminée, ou de pistes de transhumance, c’est-à-dire les chemins affectés au déplacement des animaux entre deux ou plusieurs collectivités déterminées) constitue, à n’en point douter, une source de conflits entre éleveurs sahéliens et agriculteurs sédentaires des zones sud. L’absence d’aménagement des aires de pâturages protégées oblige les animaux à chercher leur pitance là où ils peuvent.

 La feuille de route de la CEDEAO mentionnée ci-haut  préconise également « l'adoption d'une charte de gestion des parcours prenant en compte les postes d'entrée, les couloirs de passage, les zones de pâturage, les postes vétérinaires et les points d'eau pastoraux ». Au niveau de l’Union, il est impératif de prendre l’idée en charge et décider de qui fera quoi, comment et quand. En effet, il ne suffira pas seulement d’adopter une Charte théorique où des aménagements théoriques seraient consignés, mais il faut dès le départ songer aux investissements à réaliser et leur répartition entre l’UEMOA, la CEDEAO et leurs partenaires d’une part et, d’autre part, les Etats membres.

C’est après cela seulement que l’on pourra exiger le respect des lois et règlements.

Malgré les effets bénéfiques de la transhumance transfrontalière, force est de reconnaître qu’elle permet difficilement de lutter contre la propagation des maladies, surtout celles dites émergentes ou les maladies animales transfrontalières (TAD). Le cas préoccupant d’une nouvelle forme de babésiose transmise par des tiques « importés » d’Amérique Latine est une parfaite illustration de la situation.

Durant leur déplacement, les animaux disséminent ou sont en contact avec un certain nombre de germes pathogènes, dont les plus redoutés chez les animaux sont les germes de la fièvre aphteuse, de la peste des petits ruminants, de la péripneumonie  contagieuse bovine, les trypanosomiases et les charbons. Des maladies comme la dermatose nodulaire bovine et la variole sont aussi redoutées.

Le  certificat international de transhumance (CIT) de la CEDEAO a le mérite d’exister. Mais sa mise en œuvre demande de la circonspection. En effet, c’est un document de la communauté sous régionale, mais qui, à certains égards, souffre de négligence de la part des Etats membres qui pourtant l’ont souverainement adopté. Les difficultés de son application (comme mentionné ci-haut) du fait du niveau de compréhension des bergers, ne doivent pas constituer une cause de rejet. Au contraire, les causes doivent être répertoriées, analysées, évaluées et des solutions de rechange proposées. Par contre, il est difficilement tolérable que des agents de l’Etat fassent fi des dispositions des règlements communautaires et qu’ils ne soient pas rappelés à l’ordre. Rien n’empêche, à la traversée d’une frontière, d’établir l’itinéraire a posteriori et aider le berger à élaborer un projet d’itinéraire pour la suite du trajet (car il a aussi droit à l’information que devraient lui fournir les services techniques sur la situation dans le pays), projet d’itinéraire qui sera communiqué par les moyens les plus appropriés aux autorités du pays suivant. Ce projet d’itinéraire sera mis à jour à la prochaine étape, ce qui permettra de réussir un suivi du parcours du troupeau transhumant. Ceci appelle d’autres notions relatives au contrôle SPS des animaux, notamment l’identification des animaux et la traçabilité animale. D’après le Code Terrestre, « l’identification des animaux et la traçabilité animale sont des outils de gestion de la santé animale (notamment des zoonoses) et de la sécurité sanitaire des denrées alimentaires. Ces outils peuvent améliorer significativement l’efficacité des activités telles que la réponse aux foyers de maladie ou aux incidents liés à la salubrité des denrées alimentaires, les programmes de vaccination, les méthodes d’élevage, le zonage et la compartimentation, la surveillance, les systèmes de prise en charge précoce et de déclaration rapide des maladies, les contrôle des mouvements d’animaux, les inspections, la certification, l’équité des pratiques commerciales ou l’usage, au niveau de l’exploitation, des médicaments vétérinaires, des aliments pour animaux et des pesticides ». Au moins pour la vaccination, on peut revisiter les pratiques du PC 15 des années 1960 qui consistaient à marquer d’un trèfle à l’oreille tous les animaux vaccinés contre la peste bovine. Sinon, il peut être fait recours au marquage à la neige carbonique avec indication de la région de provenance.

Lorsque l’identification individuelle pratiquée dans les élevages modernes et contrôlés n’est pas possible (comme c’est le cas dans l’élevage traditionnel et/ou transhumant), l’autorité vétérinaire doit fournir des garanties suffisantes en termes de traçabilité. Dans un tel cas, l’identification concernera surtout la zone ou la région d’élevage, l’identité du troupeau (ou de son propriétaire ou du berger qui le conduit en transhumance). On peut cependant envisager l’identification par marquage au Scanner avec puces RFID reliées à un ordinateur portable connecté à la base de données communautaire.

Dans tous les cas, l’identification des animaux et la traçabilité animale, ainsi que les mouvements des animaux, doivent être placés sous la responsabilité de l’autorité vétérinaire du pays. La mise en application d’un système d’identification des animaux reposera, selon le Code terrestre, sur un plan d’action (précisant le calendrier de mise en œuvre et incluant les jalons et indicateurs de performance, les ressources humaines et financières, entre autres) et comportant certaines activités comme suit :

Ø la communication dont les stratégies doivent être adaptées à la cible en prenant en compte des éléments tels que le niveau d’instruction et les langues parlées dans le pays ;

Ø les programmes de formation continue pour assister les services vétérinaires et les autres acteurs concernés dans la phase de mise en œuvre ;

Ø la fourniture d’une assistance technique conséquente et adaptée aux besoins pour faire face aux problèmes pratiques susceptibles de se poser lors de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan d’action du système d’identification des animaux.

Rien de tout cela n’est possible sans une étude préalable de faisabilité sociale, technique et économique. En effet, on devra éviter de faire une vue de l’esprit et déduire quelque chose dont les élevages traditionnels ne tireront aucun avantage immédiat et qui sera difficile de mise en œuvre par les premiers acteurs concernés. Une telle étude prendra en compte certains des éléments proposés par le Code terrestre, à savoir :

Ø les populations animales, espèces, distribution et gestion des troupeaux ;

Ø la structure des exploitations et des établissements industriels, production et localisation ; 

Ø la santé animale,  la santé publique, les questions commerciales, la pratique de l’élevage ; 

Ø  le zonage et la compartimentation ; 

Ø les schémas de mouvement des animaux (transhumance notamment) ;

Ø la gestion de l’information et de la communication,

Ø  la disponibilité des ressources (humaines et financières) ;

Ø les aspects socioculturels (connaissance des problèmes et des perspectives par les acteurs concernés) ;

Ø la législation en vigueur et les besoins à long terme ;

Ø les options technologiques disponibles :

Ø le(s) système(s) d'identification existant(s) ;

Ø les bénéfices attendus des systèmes d'identification des animaux et de la traçabilité animale et l’identité des bénéficiaires 

Quant au système de traçabilité des animaux, il est une condition préalable à l’évaluation de l’intégrité d’un compartiment d’élevage, étant donné que « tous les animaux qui se trouve dans un compartiment doivent être identifiés et enregistrés individuellement de manière à ce que leur parcours et leurs déplacements puissent être documentés et contrôlés ». Il va de soi que ce genre de traçabilité ne sied pas tout à fait à l’élevage extensif non contrôlé. Au-delà du concept, il convient de préciser que la traçabilité permet de remonter la filière d’une maladie animale, d’une zoonose, ou d’un organisme nuisible ou même d’adopter les mesures idoines pour endiguer une crise zoosanitaire. Il est important de savoir de quel élevage situé en un lieu donné  provient la carcasse de l’animal abattu à Port Bouët et qui présente des symptômes de charbon. Un bon système de traçabilité réduirait aussi substantiellement les conflits résultant de vols ou de disparitions animaux, que ce soit in situ ou en transhumance.

Malgré la difficulté apparente de la traçabilité des animaux dans les conditions actuelles, il appartient aux cadres du sous-secteur élevage de l’UEMOA de réfléchir à l’adaptation qui pourrait en être faite dans le cadre des contrôles SPS. Une première étape pourrait concerner les élevages péri urbains à caractère industriel et commercial. Déjà dans ces élevages les animaux sont identifiés et suivis de la naissance à leur sortie de la ferme. Il est tenu des fiches individuelles de performance. Malheureusement la chaîne est interrompue dès que les animaux quittent leur ferme.

A L’heure actuelle, le Règlement 07/2007/CM/UEMOA est muet sur la notion de traçabilité. C’est pourquoi il peut paraître nécessaire d’entreprendre une étude pour cerner les contours de la question dans le cadre de l’Union (et pourquoi pas, de la CEDEAO) et les possibilités de sa mise en œuvre.

L’éventualité d’éclosion de foyers de maladies rend indispensable de prévoir des systèmes de quarantaine renforcée pour les animaux en déplacement.  La quarantaine est définie dans le glossaire du Règlement 07/2007/CM/UEMOA en tant que le « confinement officiel d’articles règlementés, pour observation et recherche ou pour inspection, analyses et/ou traitements ultérieurs ». Telle que formulée, la quarantaine ne semble pas prendre en compte les animaux vivants. L’article 68, alinéa 3 précise que les « animaux non accompagnés du certificat sanitaire à l’importation seront refoulés ou mis en quarantaine aux frais de leurs propriétaires. Au terme de la quarantaine, les animaux sont soumis aux examens vétérinaires et aux interventions nécessaires, notamment aux soins et vaccinations, aux frais de leurs propriétaires, en conformité avec le programme de surveillance ». Ces différentes dispositions ne font aucune référence à l’organisation de la quarantaine, tandis que sa durée est laissée à l’initiative des Etats (c’est dire qu’elle peut varier d’un Etat à l’autre). Tant le Règlement 07/2007/CM/UEMOA que le Règlement C/REG.21/11/10 de la CEDEAO ne précise les moyens de fonctionnement dont doivent être dotées les stations de quarantaine. Or, la quarantaine doit être organisée et menée de façon à disposer d’un gîte d’étape avec des facilités de prélèvement et d’analyse rapide de sang ou de fèces.  C’est un domaine où la Commission de l’UEMOA devrait prendre des initiatives volontaristes en amenant les Etats membres à accepter et/ou continuer des actions conjointes à leurs frontières communes en matière d’organisation et de gestion de la quarantaine. En effet, le Code terrestre dispose qu’en cas de survenue de foyers de portée limitée dans un pays ou une zone antérieurement indemne d’une maladie, l’établissement d’une zone de quarantaine doit reposer sur une riposte rapide en veillant, entre autres, aux points suivants :

Ø «toute circulation d’animaux et de marchandises doit être interdite dès qu’une suspicion de la maladie en question a été déclarée ;

Ø il convient d'appliquer une politique d’abattage sanitaire ou toute autre stratégie de contrôle efficace pour éradiquer la maladie ;

Ø il convient de mettre en place des mesures pour prévenir la propagation de l'infection à partir de la zone de confinement vers le reste du pays ou de la zone, entre autres, une surveillance permanente dans la zone de confinement.

Ø la zone de confinement doit être gérée de manière à pouvoir démontrer que les marchandises destinées aux échanges internationaux proviennent d’un secteur extérieur à la zone de confinement ».

Etant donné qu’en matière de mesures de protection zoosanitaire, l’UEMOA dispose qu’il appartient à l’Etat concerné d’organiser sur son territoire lesdites mesures, il convient de faire preuve de solidarité au niveau de l’Union, et cela, au-delà des mesures d’harmonisation des pratiques. C’est dire que l’action concertée devient indispensable.

Pour que le poste de quarantaine soit opérationnel et réponde à sa mission, il doit, à l’instar du gîte d’étape,  comporter des infrastructures comme l’aire de circulation, une rampe d’embarquement,  un magasin de stockage de foin ou d’aliment bétail, des mangeoires, des abreuvoirs, un dépôt de médicaments vétérinaires, des ombrières, un bureau du personnel, une toilette, un logement de gardien, une source d’eau potable, un abattoir sanitaire et un mini laboratoire comme indiqué ci-haut. D’autres infrastructures et équipements peuvent être prévus, notamment :

Ø les clôtures ou autres moyens efficaces de séparer physiquement les animaux ;

Ø l’accès des véhicules, y compris les opérations de nettoyage et de désinfection ;

Ø les installations d’isolement pour les animaux introduits ;

Ø les procédures d'introduction du matériel et de l'équipement ;

Ø l’élimination des carcasses, du fumier et des déchets ;

Ø les mesures destinées à prévenir l’exposition à des vecteurs mécaniques ou biologiques vivants tels qu’insectes, rongeurs et oiseaux sauvages ;

C’est ainsi seulement que l’on pourra s’acheminer progressivement vers la constitution de zones indemnes (ou de zones de protection), la zone indemne étant définie comme une zone dans laquelle « l’absence de la maladie considérée a été démontrée par le respect des conditions stipulées dans le Code sanitaire pour les animaux terrestres de l’OIE pour la reconnaissance du statut de zone indemne. A l’intérieur et aux limites de cette zone, un contrôle vétérinaire officiel est effectivement exercé sur les animaux et les produits d’origine animale, ainsi que sur leur transport ou leur circulation ». Au niveau de l’Union, la déclaration de pays ou de zone indemne d'une maladie se fait au niveau national par chaque Etat membre. Les Etats membres informent la Commission de l’UEMOA de cette déclaration et de la soumission d'une demande de certification de zone indemne auprès des instances régionales ou internationales compétentes (L’article 69 du Règlement 07/2007/CM/UEMOA) 

L’article 67 du Règlement C/REG.21/11/10 de la CEDEAO reprend la même formulation qui est moins précise que celle du Code terrestre de l’OIE. En l’absence de la déclinaison des conditions à remplir pour déclarer une zone indemne de maladie, on voit mal comment l’Etat devra procéder. Or, dans les pays du Sahel en particulier, et dans les Etats membres de l’UEMOA en général, très peu d’effort est fourni pour réaliser l’objectif de zones indemnes. En effet, il s’agit d’un problème à plusieurs dimensions :

Ø Aujourd’hui encore, les éleveurs n’ont pas compris (ou négligent) la portée de la vaccination, avec comme résultats que seulement une partie du troupeau est vaccinée. Durant la transhumance, ils font beaucoup plus appel aux pharmacies « par terre » qu’aux médicaments autorisés. Donc une certaine dose de formation et de sensibilisation reste encore nécessaire ;

Ø La mobilité des animaux et l’étendue des parcours ne permettent pas de traiter tous les animaux, a fortiori en même temps. Sans vouloir remettre en cause cette mobilité (dont la transhumance transfrontalière fait partie), il y a lieu de définir les parcours pâturables, par qui et leur période d’utilisation. Cela facilitera la surveillance épidémiologique ;

Ø La dimension politique est que les gouvernants de l’espace UEMOA fassent leur la notion de « zones indemnes » et travaillent à leur réalisation. C’est là, au-delà des slogans et des déclarations sans lendemain, un premier pas pour les techniciens de réaliser leur objectif. D’autres pays en Afrique (en l’occurrence le Botswana) ont réussi le pari : l’UEMOA devrait pouvoir s’inspirer leur expérience.

Quant à la zone de protection, elle peut être établie dans le but de préserver le statut sanitaire d’animaux détenus dans un pays ou une zone qui avoisine des pays ou zones ayant un statut zoosanitaire différent. Les mesures de prévention de l’introduction d’agents pathogènes doivent prévoir la conduite d’opérations de renforcement du contrôle des mouvements des animaux et d’opérations de surveillance (identification des animaux et traçabilité animale, vaccination des animaux sensibles, vaccination ou contrôle des animaux déplacés, amélioration des procédures de nettoyage et de désinfection, mise en place de campagnes de sensibilisation du grand public, des éleveurs, des marchands de bétail et des vétérinaires pratiquants).