Le saucisson de Baranja à la conquête du monde
Un saucisson croate traditionnel s’internationalise grâce aux labels d’indication géographique protégée
Dix ans après l’assistance apportée par la FAO et la BERD, qui a permis à des saucissons traditionnels croates, les Baranjski kulen, d’obtenir le statut d’indication géographique protégée, leurs producteurs, dont Hrvoje Matijević, continuent de récolter les fruits de cette intervention.
©Hrvoje Matijević
Voici près de 120 ans que des agriculteurs du nord-est de l’actuelle Croatie confectionnent des saucissons à partir de viande de porc de qualité supérieure issue du terroir. La chair de ce saucisson est assaisonnée de poudre de paprika, d’ail et de poivre blanc, avant d’être enrobée d’une peau d’origine naturelle. Le produit doit à sa maturation prolongée la saveur fumée et épicée qui le caractérise.
Consommé traditionnellement lors des repas de fête, il figure souvent dans les paniers garnis offerts à ces occasions. Ce saucisson, dont le nom croate est Baranjski kulen, soit « saucisson de la région de Baranja », jouit d’une popularité internationale croissante auprès des amateurs de charcuterie.
Cette réussite est due en grande partie à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), qui ont collaboré avec le gouvernement croate pour aider le Baranjski kulen à obtenir le statut d’indication géographique protégée (IGP) auprès de l’Union européenne (UE) il y a plus de 10 ans.
Aujourd’hui, ce label de qualité permet aux producteurs de mieux se rémunérer pour leur labeur et de conserver la vitalité des traditions culinaires.
Miodrag Komlenić est à la tête de la division charcuterie de la société Belje et membre de l’Association des producteurs de Baranjski kulen, laquelle accompagne ses membres, qu’il s’agisse de producteurs artisanaux ou d’entreprises plus importantes, dans la production, la transformation et la commercialisation de ce saucisson.
L’Association des producteurs de Baranjski kulen a été créée dans le cadre du projet FAO-BERD destiné au développement de ce saucisson et au dépôt de son IGP. Il a fallu pour cela s’organiser en équipe et adopter une perspective commune et des critères stricts pour le produit.
La FAO, la BERD et les autorités croates ont accompagné l’association dans les longues démarches ayant conduit à ce résultat.
Miodrag nous informe que depuis l’obtention de l’IGP, l’association a vu quadrupler le nombre de ses membres et celui-ci continue de croître. La production de saucissons est elle aussi en progression, tout comme les chiffres d’affaires des producteurs.
« L’IGP signifie que seuls peuvent être commercialisés sous ce label les saucissons fabriqués dans le respect d’un ensemble de spécifications rigoureuses, qui ont trait notamment aux modes de production traditionnels », explique Miodrag.
Les labels comme l'IGP reconnaissent le lien entre les qualités uniques d’un produit et son lieu d’origine. Cela est reflété dans l’appellation géographique et protégé en tant que droit de propriété intellectuelle. © Belje
Hrvoje Matijević a quitté son emploi de cadre à Zagreb il y a six ans pour se consacrer à temps plein au développement des activités de sa nouvelle entreprise de production de saucissons.
Un tel virage dans une carrière ne se prend pas sans risque. Mais Hrvoje a choisi de se laisser guider par sa passion pour ce produit, fort de sa volonté de monter sa propre affaire et motivé par les perspectives de gains tangibles, auxquelles s’ajoute celle d’apporter sa contribution au développement de la Croatie rurale.
« En 2017, j’ai gagné davantage en produisant des saucissons que par mon salaire d’employé dans un bureau », rapporte Hrvoje.
Grâce à l’IGP, le consommateur sait que le produit qu’il achète est authentique et de qualité supérieure, et que sa fabrication, dûment contrôlée, « fait entrer des ingrédients du terroir particulièrement prisés, sans ajout de conservateurs et sans compromission sur la qualité ou le goût », ajoute Hrvoje.
Hrvoje commercialise ses saucissons lui-même, principalement, et l’on retrouve aussi ses produits dans des épiceries fines de Zagreb. Cependant, des magasins d’alimentation situés ailleurs en Croatie, ainsi qu’en Autriche et en Allemagne, proposent également ses produits.
Créer du lien entre les personnes, les terroirs et les produits
Les labels attestant l’origine du produit, comme le fait l’IGP, sont porteurs d’avantages multiples.
D’abord, ils sanctionnent le lien entre les qualités particulières d’un produit et son terroir d’origine, tel que l’exprime l’appellation géographique, et protègent le produit par des droits de propriété intellectuelle.
Ces produits sont destinés à un marché prêt à payer le prix de la qualité, de l’authenticité et de la tradition, ce qui se traduit par un chiffre d’affaires mondial de près de 80 milliards d’euros par an. Dans une étude de la FAO et de la BERD traitant des labels internationaux d’origine contrôlée, il a été constaté sur un échantillon de produits que le label IGP rehausse de près de 30 pour cent les prix de vente des produits qui en sont porteurs.
Mais Miodrag affirme que des petits producteurs de l’association ont obtenu des prix jusqu’à 50 pour cent supérieurs aux autres pour leurs produits labellisés.
« Ces prix supérieurs s’expliquent en partie par des facteurs conjoncturels propres au marché mais aussi par l’effet de l’IGP », ajoute-t-il. « L’IGP procure au consommateur une estampille officielle, synonyme de confiance, qui facilite la vente ».
Durant le projet, des tournées d’étude ont été organisées en Italie, pays qui gère efficacement des centaines d’IGP, ce qui a fourni aux acteurs de la filière l’occasion d’échanger leurs connaissances et de puiser des idées.
La FAO et la BERD ont également dispensé aux pouvoirs publics des formations et une assistance technique, qui ont permis l’instauration de commissions de certification et la mise en conformité aux normes de qualité et de sécurité sanitaire de l’Union européenne, afin de donner à la filière du Baranjski kulen l’impulsion nécessaire sur les marchés d’exportation.
« Notre objectif est de poursuivre l’expansion de la production, de nous diversifier dans les marchés de détail et d’exporter davantage », confie Hrvoje.
La certification IGP comporte des avantages dont les ramifications vont très au-delà des producteurs. En effet, les produits alimentaires protégés participent à la revitalisation des collectivités locales à travers la création d’emplois, le relèvement des revenus et l’octroi de perspectives nouvelles dans d’autres secteurs, dont l’agrotourisme durable.
L’Association des producteurs de Baranjski kulen travaille aussi avec les acteurs locaux du tourisme et les vignerons, pour donner sa place à Baranja sur la carte du tourisme gastronomique. Le Festival Kulen, qui se tiendra tous les ans au mois de mai depuis son inauguration en 2023 en coopération avec l’office de tourisme local, a pour vocation de mettre en valeur les vins et les produits gastronomiques du terroir, dont le saucisson Baranjski kulen.
L’Association s’est également rapprochée des producteurs de jambon et de vins d’origine protégée de la région d’Istrie, dans l’ouest de la Croatie, en vue de promouvoir leurs produits au niveau mondial.
Une étude de la FAO et de la BERD portant sur neuf labels d’origine contrôlée dans le monde a révélé que les produits échantillonnés atteignaient des prix 30 pour cent supérieurs aux autres. © Belje
Des saucissons mais pas seulement
Outre la certification du Baranjski kulen, la FAO et la BERD ont collaboré avec des producteurs croates à l’obtention d’une appellation d’origine protégée (AOP) pour la Neretvanska mandarina, une mandarine produite dans la vallée de la Neretva. Le label AOP est porteur d’exigences plus strictes encore que celles de l’IGP.
En conséquence, l’UE reconnaît et protège désormais officiellement l’appellation et la réputation des mandarines de la Neretva (Neretvanska mandarina) et des saucissons Baranjski kulen.
Mme Marina Deur, Cheffe du service des affaires européennes au Ministère croate de l’agriculture, raconte comment des produits croates ont été reconnus pour la première fois par un label de l’UE:
«La FAO et la BERD nous ont aidés à mettre en place une structure adaptée au sein du Ministère, ouvrant ainsi la voie à la labélisation d’autres produits, dont le nombre atteint 49 aujourd’hui», précise-t-elle. Parmi ces produits, on remarque un chou d’Ogulin (Ogulinski kiseli kupus / Ogulinsko kiselo zelje), du sel de Pag (Paška sol) ou encore des pommes de terre de Lika (Lički krumpir).
La FAO et la BERD fournissent également une assistance au développement et au dépôt d’IGP durables en Géorgie, au Monténégro, en Serbie et en Türkiye, entre autres pays.
Cet article s’inscrit dans une série destinée à marquer le 60e anniversaire du Centre d’investissement de la FAO, en mettant en exergue des décennies de partenariats, d’initiatives et d’investissements qui ont donné forme aux systèmes agroalimentaires. Découvrez comment le Centre d’investissement de la FAO continue de stimuler les investissements et des solutions de financements au service de l’agriculture, et transforme ainsi des milliers de vies dans le monde entier.