Page PrécédenteTable des MatièresPage Suivante


Institutions, reformes et performances de l'agriculture

Pranab Bardhan
Université de Californie, Berkeley
Californie, Etats Unis


1. Introduction : institutions et changement économique

Durant les années de l'après-guerre, le sous-développement était généralement attribué à des défaillances dans la dotation de facteurs, en particulier à un manque de capital (tant physique qu'humain) et de devises étrangères pour l'acquisition de biens intermédiaires et d'équipements essentiels. Au cours des vingt dernières années, on a observé une prise de conscience croissante du fait que les voies de sortie de la pauvreté sont souvent parsemées d'embûches institutionnelles, qui vont bien au-delà de simples défaillances dans la dotation de facteurs et dont la résolution exige bien plus que de simples apports d'aide étrangère, ou même d'augmentation de l'épargne interne. Ces institutions peuvent être des structures légales, des pratiques commerciales courantes, des droits de propriété, des contrats explicites ou implicites, et des systèmes de gouvernance. Celles-ci déterminent le cadre dans lequel s'utilisent et se développent les facteurs de production. Dans ce document, sont abordés en premier lieu les aspects généraux du changement institutionnel (ou l'absence de celui-ci) dans les pays en développement. Dans les deux premiers chapitres, les obstacles institutionnels qui freinent le développement sont examinés de façon critique, à la lumière de la littérature récente en matière d'économie institutionnelle. Dans les deux chapitres suivants, certaines de ces idées sont appliquées à quelques réformes spécifiques entreprises récemment dans le domaine agricole dont les progrès, ainsi que les problèmes rencontrés, sont évalués. Dans la dernière section, le thème de la séquence pertinente en matière de réformes est analysé, et le document conclut par des observations concernant certaines lacunes au niveau de nos connaissances et des priorités de recherche.

Dans la littérature existant en matière de développement, deux tendances récentes se dégagent dans le domaine de l'économie institutionnelle. La première est liée à la théorie de l'information imparfaite: la logique sous-jacente dans tout arrangement ou contrat institutionnel (formel ou informel) s'explique en termes de comportement stratégique guidé par l'information asymétrique dont disposent les différentes parties concernées. Cette théorie a inspiré la création de nombreux domaines clé et de nouvelles institutions agraires, fondamentales dans les pays pauvres, dont la mise en place obéit à la volonté de compenser le manque de crédits, de marchés à terme d'instruments financiers et d'assurances dans un contexte de risques omniprésents, d'asymétrie de l'information et de risque moral. Les premiers textes portent sur le métayage, puis sur l'interaction existant dans les transactions en matière de travail, de crédit, de commercialisation et de location de terre ; sur les relations du travail, le rationnement du crédit, la responsabilité civile conjointe dans les mécanismes de prestation collective de prêts, etc. On peut trouver des exemples, ainsi qu'une description générale de ces modèles, dans les documents publiés par Bardhan (1989), Nabli et Nugent (1989) et Hoff, Braverman et Stiglitz (1993).

La seconde école, principalement associée à North (1981, 1990) et Greif (1992, 1997), se centre sur l'analyse historique comparative de divers processus de développement (essentiellement en Europe Occidentale et en Amérique du Nord). North a fait référence à l'inévitable compensation réciproque au sein du processus historique de croissance se produisant entre, d'une part, les économies d'échelle et la spécialisation, et d'autre part, les coûts de transaction. Par exemple, dans une petite communauté rurale fermée et personnalisée, les coûts de transaction sont faibles, tandis que les coûts de production sont élevés, étant donné que la spécialisation et la division du travail se voient fortement limités par les dimensions d'un marché défini par le processus d'échanges personnalisés, qui sont typiques d'une petite communauté. Par contre, dans une économie complexe de grande échelle, la multiplication des relations d'interdépendance entraîne un processus d'échanges impersonnels permettant tous types de comportements opportunistes et les coûts de transaction peuvent être élevés. Greif a étudié l'institutions de punitions collectives auto-exécutives pour délits commis dans le commerce en terres lointaines durant la dernière période médiévale. De même, il a analysé les fondements institutionnels du développement du commerce dans une étude comparative des commerçants du Maghreb et de Gênes. Au-delà de la communauté villageoise personnalisée, les institutions que crée une société (ou ne parvient pas à créer) afin de réaliser des opérations commerciales à grande échelle, du commerce à l'étranger, des marchés de crédit et autres marchés intertemporels et interespaces dans lesquels les transactions ne sont pas auto-imposées, constituent un indicateur significatif de la capacité de développement de cette société.

Au fil du temps, des structures institutionnelles (légales et issues de corporations) complexes ont été mises sur pied dans les sociétés occidentales, afin de limiter les participants, atténuer l'incertitude de l'interaction sociale, et, en règle générale, d'empêcher que les transactions ne deviennent trop coûteuses, permettant de cette façon des gains plus importants de productivité, ainsi que des améliorations technologiques. Des exemples de ces institutions sont les droits de propriété clairement définis et appliqués de façon effective, les contrats et les garanties formels, les marques enregistrées, la responsabilité civile limitée, les lois de faillite, les grandes sociétés dotées de structures de gouvernance tendant à contrôler les problèmes d'ordre institutionnel, et ce que Williamson a dénommé (1985) l'opportunisme ex post. Dans les pays les moins avancés, certaines de ces structures institutionnelles sont absentes, ou bien lorsqu'elles existent, celles-ci sont faibles ou mal organisées ou mises en place. Dans ces pays, l'Etat est trop faible pour agir comme garant de ces droits et institutions, et/ou trop abusif dans ses propres exigences, constituant alors une menace pour ceux-ci.

L'un des aspects encore non résolus de façon appropriée en matière d'économie institutionnelle est la raison pour laquelle les institutions disfonctionnelles, dans le contexte du sous-développement, persistent parfois depuis longtemps. Contrairement aux adeptes de l'école des droits de propriété, qui ont souvent exprimé une présomption naïve en ce qui concerne la persistance de l'institution "la plus appropriée", les deux tendances mentionnées au début de cette étude en matière d'économie institutionnelle choisissent clairement de ne pas attribuer à ces institutions des propriétés optimales comme résultat de l'équilibre de Nash. North (1990), Bardhan (1989) et d'autres auteurs ont souligné le rôle de mécanismes qui se renforçent mutuellement afin d'expliquer la persistance d'institutions socialement situées en-deça du niveau optimum lorsque des processus dépendant du type l'évolution se développent. En suivant une idée formulée dans la littérature sur l'histoire du changement technologique, on observe qu'il existe un intérêt croissant à adopter un modèle institutionnel spécifique, puisque plus un modèle est adopté, plus il paraît attrayant ou avantageux à suivre pour d'autres, en raison des externalités d'infrastructure et de réseau, des conséquences au niveau de l'apprentissage et de la coordination, et des attentes en matière d'adaptation. Ainsi, un modèle adopté en première instance par certains en fonction de leurs intérêts peut parfaitement "bloquer" la totalité du système pour un bon moment et entraver, par la suite, l'émergence d'institutions potentiellement plus effectives.

Dans ce processus, dépendant du type de développement emprunté, North en particulier, a souligné dans quelle mesure l'interaction entre les "modèles mentaux" ou les normes sociales suivies par les membres d'une société, et la structure des incitations fournies par les institutions encadrent ce changement progressif. Dans ce domaine, on peut citer un exemple mentionné dans l'étude comparative de Guinnane (1994) sur les coopératives de crédit agricole en Allemagne et en Irlande. Les coopératives de crédit agricole Raiffeisen, très prospères dans l'Allemagne rurale du XIXème siècle, ont servi de modèle à l'incorporation d'organisations similaires créées en Irlande en 1894. Cependant, alors qu'elles avaient été appliquées sans problèmes dans l'Allemagne rurale, elles n'ont pas eu le même succès dans ce dernier pays, ne donnant pas de résultats satisfaisants dans les campagnes irlandaises, en raison de la norme sociale et culturelle de contrôle mutuel et de punition collective entre les membres d'une même coopérative.

Le processus dépendant du type de développement se voit également compliqué par les cas fréquents de répercussions historiques imprévues. Il y a plus d'un siècle, Menger (1883) faisait une distinction entre les institutions "pragmatiques" et les institutions "organiques". Les premières proviennent directement d'un modèle contractuel conscient, de même que dans les modèles institutionnels de la théorie de l'information imparfaite ou du coût de transaction, tandis que les secondes, tout comme dans la théorie de Menger sur l'origine de l'argent, ne répondent, comparativement, à aucune création et évoluent progressivement, comme résultat non planifié et imprévisible de la poursuite des intérêts individuels. Elster (1989) a fait référence aux cas intermédiaires dans lesquels une institution peut, à l'origine, avoir surgi de façon non planifiée, mais à mesure que les agents prennent conscience de la fonction remplie pour eux par cette institution, ils tentent dès lors, consciemment, de la conserver.

2. Obstacles institutionnels aux bénéfices résultant du commerce

Dans la littérature récente en matière d'économie institutionnelle, le facteur politique apparaît comme le principal obstacle à l'obtention d'éventuels bénéfices commerciaux. Après avoir analysé les derniers siècles d'histoire, North, Weingast1 , ainsi que d'autres auteurs, se sont centrés sur un mécanisme politique particulier d'engagement crédible, qui pourrait expliquer en grande partie la différence entre l'évolution réussie en Europe Occidentale et en Amérique du Nord, face la stagnation existant dans de nombreux endroits du reste du monde, et qui est une obligation que les gouvernants s'imposent à eux-mêmes. Ce mécanisme a principalement impliqué un engagement contraignant de la part des gouvernants de ces régions (par exemple, le renoncement du roi à certaines prérogatives royales, sa décision d'accroître les pouvoirs du Parlement, etc. en 1688 en Angleterre), lesquels se sont engagés de façon crédible à ne pas se montrer abusifs, garantissant les droits de propriété privée et permettant le développement des entreprises privées et des marchés de capitaux. Bien que l'importance de ces mécanismes d'engagement auto-contraignant à travers l'histoire soit indéniable, on peut argumenter que ceux-ci ne sont ni nécessaires, ni suffisants, pour déclencher un développement économique. Ils ne sont pas suffisants, car le processus de développement peut se voir entravé par d'autres facteurs (technologiques, démographiques, écologiques et culturels) dont la solution ne passe pas toujours par la déclaration d'incapacité que les gouvernants s'auto-imposent. Ils ne sont pas non plus nécessaires, comme le suggèrent certains cas de réussite hors de l'occident (le Japon depuis la Restauration Meiji, la Corée et Taiwan depuis 1960, la zone côtière de la Chine depuis 1980, etc.); dans la plupart de ces cas, bien que les gouvernants aient souvent adopté des politiques prudentes (et dans quelques cas aient même acquis une certaine réputation dans ce domaine), ils n'ont pas pour autant renoncé à leurs pouvoirs discrétionnaires. Les principales transactions économiques dans les cas réussis de l'Est de l'Asie ont souvent été davantage basés sur les relations que sur les normes. S'il est vrai que des accusations de népotisme ont circulé pour expliquer la récente crise financière en Asie, l'existence de cas réussis à plus long terme est indéniable, même s'ils impliquent des systèmes basés sur les liens relationnels.

Montinola, Qian et Weingast (1995) ont eu recours à la notion d'engagement volontaire de l'Etat pour mieux comprendre le succès économique spectaculaire des réformes entreprises en Chine au cours des vingt dernières années (bien que les conditions préalables traditionnelles en matière de garantie des droits de propriété privée et de l'état de droit ne s'y soit pas développées). Ils affirment qu'en rendant le pouvoir de réglementation aux autorités locales, le gouvernement central s'est engagé à restreindre ses propres interventions. D'autre part, la concurrence financière entre les gouvernements locaux dans un contexte de mobilité des facteurs a contribué à maintenir élevés les coûts d'opportunité de renflouement des entreprises, en intensifiant leurs restrictions budgétaires et en les maintenant en état d'alerte. Les auteurs décrivent ce processus comme un exemple réussi de "fédéralisme protecteur du marché". Sans vouloir nier l'importance de la concurrence entre les gouvernements locaux et les incitations financières, il nous semble inapproprié d'attribuer le succès de la réforme chinoise à ces facteurs. En premier lieu, on ne sait pas clairement comment les fonctionnaires chinois du parti ont résisté, dans la pratique, aux fortes pressions de renflouement, s'agissant d'une entreprise rurale qui représente la source de subsistance de milliers de personnes à l'échelon local et n'a finalement pas pu affronter la concurrence (comme cela a été le cas d'un grand nombre d'entreprises, tandis que d'autres ont eu un succès spectaculaire). En d'autres termes, il est nécessaire d'expliquer en détail le processus politique ayant conduit à renforcer les restrictions budgétaires. Dans ce domaine également, il faut mentionner que, dans d'autres pays, la concurrence budgétaire et la peur de la fuite des facteurs de production mobiles vers d'autres localités, bien qu'augmentant le coût des renflouements à long terme, n'ont pas empêché les autorités locales dans d'autres pays de maintienir le régime de subventions et transferts compensatoires face à l'existence de puissantes coalitions politiques formées par des propriétaires de facteurs immobiles de production. Par exemple, en Inde, certains gouvernements provinciaux sont, depuis des années, soumis aux groupes de pression agricoles locaux ; les importantes subventions agricoles et une politique de prix dérisoire pour l'eau d'irrigation et l'électricité ont vidé les coffres de l'état, ce qui a eu un impact négatif sur l'investissement public en infrastructure et a, en même temps, découragé l'apport de capital privé. Il est possible que ce problème des groupes de pression des agriculteurs riches ne se soit pas posé en Chine, car la répartition préalable des terres a été bien plus équitable, et dans ce cas, il faudrait attribuer à ce facteur au moins la même importance qu'au fédéralisme protecteur du marché.

En plus de l'implication personnelle des gouvernants, plusieurs autres mécanismes pourraient expliquer la persistance des institutions disfonctionnelles. En premier lieu, il arrive qu'une institution, que personne n'apprécie à titre individuel, peut prévaloir en vertu d'un système de sanctions sociales qui s'entretient de façon réciproque lorsque chaque individu se soumet par peur de perdre sa réputation pour désobéissance.2 Dans de tels contextes, les membres éventuels d'une coalition dissidente peuvent avoir des raisons de craindre que celle-ci ne soit vouée à l'échec, et le fait de défier le système peut se transformer en une prophétie qui s'auto-accomplit. Cependant, malgré son intérêt théorique, cela ne semble pas être un cas fréquent dans les institutions agraires. Dans la plupart des cas, une institution économiquement improductive ou bien une habitude désagréable persistent parce que certaines personnes en tirent profit (ou bien en ont tiré un jour et la persistance est due à l'inertie de l'organisation). Dans les changements institutionnels, il y a presque toujours des gagnants et des perdants, et l'action collective nécessaire pour articuler le mouvement d'un équilibre institutionnel à l'autre pose des problèmes considérables. Ces problèmes d'action collective sont de deux types : le premier est lié au fameux problème du profiteur, en ce qui concerne la façon dont sont partagés les coûts dérivés du changement, et l'autre est lié aux négociations nécessaires dans le cas où les disputes en matière de répartition des bénéfices potentiels de ce changement font courir le risque d'une rupture de la coordination requise.3

Oslon (1965) est la référence classique en ce qui concerne l'analyse du premier type de problème d'action collective : lorsque les pertes des perdants potentiels sont concentrées et transparentes, alors que les bénéfices des gagnants potentiels sont peu clairs4 , il est difficile de provoquer un changement. Dans certains cas, il peut exister au sein du collectif de gagnants potentiels, une certaine incertitude à l'échelon individuel en ce qui concerne les bénéfices : c'est le problème qui se présente lorsqu'il s'agit de réaliser une réforme, selon Fernández et Rodrik (1992), en termes d'un modèle de votant intermédiaire. Il existe également une difficulté inhérente, soulignée par Dixit et Londregan (1995), dans le sens où les gagnants potentiels ne peuvent pas, de façon crédible, s'engager à compenser les perdants ex post.5 Idéalement, l'Etat pourrait émettre des bons à long terme pour ainsi renflouer les perdants et mettre en place un impôt aux gagnants afin de garantir le remboursement. Cependant, dans de nombreux pays en développement, le gouvernement dispose d'une marge de manœuvre très limitée en matière fiscale et jouit d'une crédibilité réduite en ce qui concerne sa capacité de contrôle de l'inflation et du marché des obligations. Il faut également tenir compte de la peur que ressentent les perdants lorsqu'ils renoncent à une institution existante, dans le sens où ils peuvent perdre le locus standi nécessaire pour faire pression sur un futur gouvernement en cas de promesses non tenues (le "retrait" d'un arrangement institutionnel existant, portant ainsi atteinte à leur capacité de pression à terme dans le nouveau régime), raison pour laquelle ils se refusent maintenant à un changement qui pourrait être une amélioration Paréto efficace (dans le sens où les gagnants pourraient compenser les perdants).

Le manque d'engagement crédible de l'Etat de ne pas intervenir constitue un facteur préoccupant pour les spécialistes de la "nouvelle" économie institutionnelle. Cependant, dans de nombreux pays pauvres, les écueils politiques face aux changements institutionnels favorables peuvent être liés autant ou même davantage aux conflits en matière de répartition et asymétries dans le pouvoir de négociation. Les spécialistes de l'"ancienne" économie institutionnelle, y compris les marxistes, soulignaient généralement la façon dont un arrangement institutionnel déterminé, au service des intérêts d'un certain groupe ou classe sociale puissant, jouait le rôle d'obstacle (ou de "fers", pour reprendre un terme préféré de Marx) persistant empêchant le progrès économique. Les nouveaux économistes institutionnels sous-estiment parfois6 la ténacité des intérêts personnels, ainsi que la capacité différentielle de différents groupes sociaux en termes de mobilisation, d'organisation et de coordination. On peut illustrer le frein que constituent les intérêts personnels par un modèle simple de négociation d'après Nash, dans lequel l'innovation institutionnelle peut déplacer la frontière négociatrice vers l'extérieur (en donnant ainsi à toutes les parties la possibilité de gagner), mais peut également se traduire par une plus grande compensation pour désaccord pour la partie la plus faible (souvent dérivée de meilleures options en termes de perte ou de gain d'influence pouvant découler des changements institutionnels), permettant ainsi que l'autre partie plus forte finisse par perdre dans le nouvel équilibre négociateur (cette possibilité dépendra évidemment de la nature du changement subi par la frontière de négociations et l'ampleur du changement dans les compensations pour désaccord7 . Tout comme l'a souligné Robinson (1995) dans sa théorie des états prédateurs, il pourrait être incohérent, par exemple, qu'un dictateur entreprenne des changements institutionnels garantissant les droits de propriété, l'application des lois et d'autres structures favorables dans le domaine économique, même dans le cas où ils pourraient éventuellement faire croître le puits auquel ce dictateur a le pouvoir d'accéder, si les mécanismes dont il disposait antérieurement pour obtenir des rentes se voyaient lésés ou affaiblis. Il peut ne pas être disposé à se risquer à modifier les institutions en vigueur pour une perspective incertaine d'un plus grand bénéfice.

De manière générale, les économistes calculent habituellement les bénéfices et les pertes d'un changement institutionnel en termes purement économiques, alors que certains changements peuvent être bloqués pour avoir impliqué essentiellement une redistribution de rente politique et certains des acteurs les plus importants pourraient être prêts à renoncer à un gain économique pourvu qu'ils puissent conserver leur pouvoir politique. Un autre aspect important de la rente politique, rarement tenu en compte dans les calculs habituels du bénéfice dérivé d'un changement institutionnel déterminé, est que toutes les parties pourraient être intéressées par une perte ou un bénéfice plus relatif qu'absolu. Dans un rapports de forces, de même que dans un concours ou un tournoi où le prix est tout ou rien, il ne suffit pas qu'un changement institutionnel augmente l'excédent pour toutes les parties intéressées pour que celui-ci soit acceptable. Une partie peut gagner en termes absolus, mais perdre en termes relatifs face à l'autre partie, et par conséquent, se refuser au changement. Si, de façon récurrente, les deux parties doivent continuer à dépenser des ressources afin de chercher (ou de conserver) le pouvoir ou pour améliorer leur position négociatrice dans le futur, et si le bénéfice marginal obtenu de cette dépense pour l'une des parties est fonction croissante de la même dépense de l'autre partie (c'est à dire, si les efforts déployés par les deux parties dans la quête du pouvoir sont des "compléments stratégiques"), on déduit facilement que le bénéfice relatif d'un changement institutionnel peut constituer le facteur décisif de leur acceptation.8

3. Aspects institutionnels de la reforme agraire

L'exemple classique d'institutions inefficaces dont la persistance, produit de conflits de répartition mal résolus, est lié à l'évolution historique des droits de propriété foncière dans les pays en développement. En effet, l'expérience prouve que dans ces pays, les économies d'échelle dans la production agricole sont insignifiantes (sauf dans certaines cultures de plantations) et que la petite exploitation familiale est, souvent, l'unité productive la plus efficace. Cependant, la longue et tortueuse histoire de la réforme agraire dans différents pays indique que nombreux sont les obstacles entravant une redistribution plus efficace des droits de propriété de la terre, établis en fonction d'intérêts créés durant des générations. Pourquoi les grands propriétaires terriens n'acceptent-ils pas volontairement de louer ou vendre leur propriété à de petits agriculteurs et de profiter d'une bonne partie des bénéfices obtenus grâce à cette redistribution plus efficace? Certes, on a observé certains cas de location de la terre, mais les problèmes de supervision, l'insécurité de la propriété et la peur du propriétaire terrien face à la possibilité que le locataire obtienne des droits d'occupation de la terre ont empêché une plus grande efficacité et un meilleur niveau de location. Le marché de la vente de terres a été particulièrement réduit (et dans de nombreux pays pauvres, les ventes vont dans le sens contraire, c'est à dire que les petits agriculteurs en difficulté vendent leurs terres aux propriétaires terriens et aux créanciers). Le faible niveau de l'épargne familiale et les graves imperfections des marchés de crédit déterminent que le prix courant de la terre soit souvent hors de portée du petit agriculteur potentiellement plus efficace. Binswanger, Deininger et Feder (1995) expliquent ce phénomène en considérant la terre comme une garantie de privilège (également accompagnée de tous types de bénéfices fiscaux et d'opportunités de spéculation pour les riches) dont le prix dépasse très souvent la valeur capitalisée du courant des entrées agricoles, y compris du petit agriculteur le plus efficace, rendant les ventes avec hypothèques peu fréquentes (étant donné que la terre hypothéquée ne peut être utilisée comme caution permettant la création du capital d'exploitation pour l'acheteur). Dans de telles circonstances et si les finances publiques (et l'état du marché obligataire) ne peuvent garantir une compensation totale aux propriétaires terriens, toute redistribution volontaire des terres sera impossible.

Les propriétaires terriens s'opposent également aux réformes agraires car les effets de nivellement réduisent leur pouvoir politique et social, ainsi que leur capacité de contrôler et de dominer jusqu'aux transactions non liées à la terre. De grandes propriétés foncières peuvent donner à leur propriétaire une condition sociale ou un pouvoir politique particulier de façon globale9 (de telle sorte que le niveau social ou l'effet politique résultant du fait de posséder 100 hectares est plus grand que le niveau social ou l'effet politique combiné qu'accumulent 50 nouveaux acheteurs possédant chacun 2 hectares). Par conséquent, la rente sociale ou politique d'un grand propriétaire terrien pour la propriété de la terre ne sera pas compensée par le prix d'offre d'un grand nombre de petits acheteurs. Dans ces circonstances, celui-ci ne vendra pas et une concentration des terres restera inefficace (du point de vue de la productivité, et non pas du critère de Pareto).

Naturellement, malgré les bénéfices croissants de la propriété foncière en termes de rente politique, la concentration de terres ne constitue pas l'unique facteur d'équilibre politique ou de stabilité. La nature de la concurrence politique et des formations de coalitions politiques en fonction d'un contexte spécifique et d'un modèle déterminé interviennent également dans une large mesure. Nugent et Robinson (1998) proposent un exemple intéressant de ce phénomène dans le cadre d'une analyse comparative dans les domaines institutionnel et historique. Sur la base d'un contexte colonial et de technologies de productions constants, ces chercheurs comparent les trajectoires de croissance et institutionnelles divergentes, (spécialement au niveau des droits de propriété des petits propriétaires) de deux paires d'ex-colonies espagnoles dans la même région (d'une part le Costa Rica et la Colombie, et d'autre part le Salvador et le Guatemala) produisant la même culture principale (le café). L'économie institutionnelle pourrait être enrichie par la réalisation d'un plus grand nombre d'études historiques comparatives de ce type (au lieu d'un plus grand nombre d'analyses de régression entre pays).

Dans de nombreux pays, les réformes agraires ne sont pas prioritaires sur le plan des réformes. Même les rares économistes ou responsables de politiques convaincus de l'opportunité des réformes agraires doutent de leur faisabilité, en particulier parce que certaines conditions dans lesquelles les agriculteurs pauvres travaillent, telles que les cycles saisonniers de production, la dispersion spatiale, les risques de covariance et la forte dépendance par rapport aux propriétaires terriens, rendent leur action collective bien plus difficile que celle des travailleurs urbains. Dans ces circonstances, et étant donné la force d'opposition des intérêts en jeu, beaucoup considèrent les perspectives politiques d'une réforme agraire comme peu viables dans la plupart des pays pauvres, et par conséquent, l'éliminent d'office du programme de lutte contre la pauvreté. Cette mesure n'est pas toujours la plus pertinente. Certains aspects de la réforme agraire (tels que l'octroi d'une plus grande sécurité de la propriété) peuvent être moins difficiles à mettre en place que d'autres (tels que les limites maximales de terres). D'autre part, dans la dynamique des processus politiques et des changements de coalition, le degré de faisabilité change souvent et les options qui sont restées ouvertes contribuent au débat politique et peuvent influer sur le processus politique. Certains conseillers en matière de politiques (dans des organismes financiers internationaux) qui considèrent la réforme agraire impossible dans la pratique politique se prononcent en même temps en faveur d'autres politiques qui pourraient présenter le même degré de difficulté politique : par exemple, le ciblage rigoureux des subventions aux produits alimentaires, réduisant ainsi les importantes subventions actuellement accordées à l'influente classe moyenne urbaine. Dans le jeu de la formation de coalitions politiques, une politique radicale devient parfois applicable dans la mesure où celle-ci contribue à consolider des alliances stratégiques, par exemple, parmi certains secteurs des classes urbaines nanties (y compris les employés) et les pauvres des zones rurales.

Evidemment, certaines méthodes employées dans la réforme agraire peuvent être contre-productives, spécialement dans des contextes de manque de terres et d'organisation limitée des agriculteurs pauvres. Des mesures bien intentionnées, telles que la suppression de la propriété, conduisent souvent à ce que celle-ci devienne clandestine ou à l'expulsion en masse des locataires, éliminant ainsi une partie de l'échelle sociale agricole à laquelle les agriculteurs sans terre pouvaient auparavant aspirer pour sortir de la pauvreté. La redistribution des terres sans un apport approprié de crédits, ainsi que de facilités de commercialisation et de services d'extension pourrait aggraver la situation du bénéficiaire des terres, étant donné qu'il se verrait obligé à interrompre les relations avec son ancien employeur, à la fois propriétaire terrien et créancier. Au cours des dernières années, on a observé une tendance croissante aux "réformes agraires appuyées par le marché" (contrairement aux réformes agraires de confiscation), à travers lesquelles les gouvernements appuyaient les transactions volontaires dans le marché des terres, par l'octroi de crédits et de subventions aux petits acheteurs.

4. Reforme des politiques agricoles et rurales : le role des institutions

Les études en matière de réformes accordent une attention particulière à la fixation de prix et à la commercialisation dans les réformes agraires. Durant des années, les prix des matières premières et des produits agricoles dans les pays en développement ont fait l'objet d'une forte régulation. D'autre part, l'industrialisation par substitution des importations dans un environnement de protectionnisme commercial et la surestimation des taux de change se sont souvent traduits par des termes de l'échange interne négatifs pour le secteur agricole. Par exemple, en Inde les agriculteurs nationaux se sont vus, pour la plupart, marginalisés des marchés d'exportation du riz et du blé et en Afrique, les taxes et restrictions appliquées à l'exportation ont provoqué une réduction de la participation des agriculteurs dans les prix frontière pour la commercialisation de leurs produits, en particulier de cultures telles que le café. D'autre part, les restrictions aux importations ont provoqué une augmentation artificielle des prix de certains produits (tels que les graines oléagineuses en Inde, le maïs en Afrique) et ont conduit un grand nombre de terrains cultivés à des utilisations de faible productivité. En ce qui concerne les ressources utilisées, l'eau, l'électricité, le carburant, etc., elles sont, dans la plupart des cas, fortement subventionnées, ce qui conduit inévitablement à du gaspillage dans l'utilisation de ces intrants (épuisant souvent les fragiles systèmes aquifères et provoquant des problèmes d'inondations, salinité, etc.).

De nombreuses restrictions ont été imposées, et continuent de l'être, au niveau du commerce intérieur et du mouvement de produits agricoles entre les régions, sur les acquisitions publiques et à la distribution de céréales, ainsi que de nombreuses exigences en matière de stockage et de canalisation des échanges commerciaux agricoles à travers des organismes contrôlés par l'Etat, para-étatiques et des bureaux de commercialisation. L'objectif était de lutter contre la spéculation dans les prix des aliments, de contrôler les fluctuations excessives de prix, ainsi que les soudaines pénuries, et fournir des produits alimentaires à des prix subventionnés pour les pauvres. Certains de ces organismes ont  été créés, à l'origine, afin de répondre au besoin ressenti par les producteurs de garantir la sécurité alimentaire ou de maintenir les prix en temps de guerre ou de se protéger contre la chute des prix des produits de base. Cependant, comme c'est le souvent le cas avec ces vestiges organisationnels historiques, ceux-ci finissent par devenir la vache à lait politique pour de puissants groupes de pression. Fréquemment, ces organismes publics ont présenté de façon chronique des problèmes d'inefficacité opérationnelle, de paiements et de livraisons peu fiables et de prix de vente bas pour les agriculteurs. Dans le cadre des programmes de stabilisation, les prix proposés par ces organismes étaient souvent trop faibles, même par rapport aux bénéfices de prix plus stables.10 En ce qui concerne les produits d'exportation, les coûts de commercialisation et les impôts ont été considérablement plus élevés pour un même produit lorsque ceux-ci ont été régis par des bureaux de commercialisation et des fonds de stabilisation plutôt qu'au sein d'un système de libre marché, ce qui a provoqué, dans le cas des premiers, une diminution de la participation dans les prix frontière des producteurs11 .

Une distribution d'aliments à des prix subventionnés, dont le coût pour le gouvernement est élevé, est souvent proposée à l'influente classe moyenne urbaine, et non pas aux pauvres dans les zones rurales. Par exemple, en Inde il existe un vaste programme de distribution publique d'aliments par le biais de magasins "au juste prix", qui représente une partie importante des subventions budgétaires du gouvernement. Il s'agit d'un programme très coûteux (on estime que 72% de la subvention aux aliments est destiné au paiement de dépenses générales, stockage, transport, intérêts, etc. dont se charge la très inefficace "Food Corporation of India" qui ne favorise qu'un pourcentage infime de pauvres dans les zones rurales de tout le pays12 . D'après les estimations, à chaque roupie de transfert vers les pauvres en Inde, correspond un coût total d'administration cinq fois plus élevé dans le cadre du système public de distribution d'aliments.

Bien qu'un grand nombre de restrictions persistent, les marchés de produits alimentaires ont été fortement déréglementés au cours des dernières années, et les contrôles de la rotation des cultures se sont, dans une certaine mesure, flexibilisés. Parallèlement à une diminution de la protection industrielle et une dépréciation du taux de change réel, le prix relatif des produits agricoles s'est amélioré. La charge fiscale globale sur l'activité agricole s'est considérablement allégée. L'ouverture des marchés aux commerçants privés a contribué à la réduction des coûts de commercialisation et de distribution, au nivellement des prix entre les différents marchés locaux et à une meilleure intégration des marchés.

Cependant, les réformes de prix et de marché se sont révélées très peu pertinentes pour stimuler la productivité agricole. Dans certains programmes de réforme, les perspectives en matière de réponse des prix de l'offre ont été trop optimistes.13 La production dépend, en grande partie, de l'état de l'infrastructure rurale (routes, transports, irrigation, électricité et télécommunications, services de recherche et d'extension), ainsi que des systèmes de crédit et de livraison des intrants, etc., dont le développement ne passe pas seulement par de meilleurs prix, mais aussi par des changements institutionnels et organisationnels profonds et autonomes.

On a déjà mentionné l'importance (et les difficultés) que présentent les mesures de redistribution des actifs comme les réformes agraires. Les petits agriculteurs peuvent être plus productifs dans de nombreuses cultures et un meilleur accès aux actifs aurait atténué le grave problème de manque de garanties de crédit auquel ils doivent obligatoirement faire face. Les réformes agraires distributives pourraient également constituer un réseau de protection pour les pauvres touchés par les conséquences des réformes du marché en termes de déplacement (perte d'emplois et d'opportunités d'affaires, chômage frictionnel, etc.). La Chine a été la scène de grandes réformes réussies du marché au cours des vingt dernières années et on pourrait affirmer que leurs conséquences déchirantes sur la société ont été en partie atténuées par la distribution de terres profondément égalitaire, réalisée à la suite des réformes agraires et de la décollectivisation de 1978, de telle sorte que même la famille rurale la plus pauvre touchée par les réformes pouvait avoir recours à certaines terres comme dernière ressource. Dans les pays présentant une relative abondance de terres, l'octroi de crédits visant à l'acquisition d'actifs productifs, tels que le bétail, est un facteur particulièrement important. Par exemple, grâce à une vaste base de données d'échantillons collectés dans des ménages ruraux en Zambie, Deininger et Olinto (2000) analysent, en termes économétriques, les facteurs expliquant le rendement relativement médiocre du secteur agricole après la libéralisation, en concluant que le fait de posséder des actifs productifs, tels que des bêtes de trait, est le principal obstacle à une meilleure productivité agricole. Il est essentiel de définir quel rôle joue des organisations publiques et communautaires afin de garantir l'approvisionnement adéquat de facteurs sans prix fixé par le marché mentionnés dans le paragraphe précédent pour déterminer l'évolution future des réformes de marché, y compris de l'évolution de leurs prix.

L'une des raisons (bien que ce ne soit évidemment pas la seule) pour lesquelles ces dernières réformes ont jusqu'à maintenant été lentes et hésitantes dans de nombreux pays en développement, à la grande déception d'un grand nombre de supporter des réformes des institutions internationales de crédit, est que certains des problèmes réels, initialement à l'origine de l'intervention du gouvernement (et du rôle prédominant d'organismes publics inefficaces) n'ont pas été entièrement résolus. Il existe, en particulier, de nombreuses défaillances du marché (spécialement en matière d'octroi de crédits, services d'assurance, information et infrastructure) qui restent sans solution, même si l'Etat tend à s'effacer. Par exemple, il est fréquent de constater dans certains pays africains14 que la productivité agricole a stagné ou a diminué, dans le cadre de programmes d'austérité budgétaire imposés par les organismes financiers internationaux, l'appui de l'Etat aux petits producteurs ayant diminué (en matière de crédits, acquisition de produits finis, subventions aux intrants, etc.) sans que le secteur privé ne soit parvenu à remplir tout à fait cette lacune, en particulier dans les activités destinées à desservir des régions éloignées et des groupes vulnérables.

A mesure que progresse l'intégration du marché, on observe une augmentation concomitante des risques du marché, en termes de besoin de crédit pour investir dans de nouvelles cultures, stockage et transport, ainsi que d'une plus grande coordination entre les différentes branches d'un processus plus spécialisé de production et commercialisation. Les organisations et coopératives agricoles peuvent jouer un rôle important dans les mécanismes de crédit collectif (étant donné que celles-ci peuvent surmonter les problèmes inhérents de mise en oeuvre et d'information qu'affrontent les organismes publics de crédit), dans les activités de commercialisation des facteurs de production et des produits, dans la collecte et diffusion d'information relative au marché ou de connaissances techniques, et dans la consolidation du pouvoir de négociation des petits agriculteurs sur les marchés15 .

Malgré toutes ses limitations, tant en termes de capacité administrative que de vulnérabilité face à des processus peu rentables, l'Etat peut, au moins, jouer un rôle catalyseur dans les étapes initiales en activant le financement agricole et se portant garant des risques (tout en évitant d'un encouragement de la dépendance qui peut y être associé). Il peut prendre l'initiative de créer des bourses d'échange de produits de base, de produire et diffuser l'information, de permettre des contrats de contingence, et de jouer le rôle d'arbitre dans les cas de conflits contractuels. Bien que le processus de déréglementation doive suivre son cours, les pouvoirs normatifs de l'Etat devraient être renforcés dans certains aspects, pour garantir, par exemple, l'atteinte de l'objectif avéré des réformes, à savoir promouvoir la concurrence. Dans le cas contraire, la privatisation implique souvent le remplacement d'un monopole public par un monopole privé. Ceci est particulièrement le cas de certaines cultures d'exportation pour lesquelles les filières privées de commercialisation tendent à être monopolistiques (contrairement à beaucoup de marchés internes de produits alimentaires dans lesquels il existe généralement une plus forte concurrence et des barrières d'entrée réduites). Il est également nécessaire d'accroître la régulation et le contrôle publics dans le cas des impacts sur l'environnement de l'utilisation privée de nouveaux intrants et technologies.

Durant la période postérieure à la réforme, l'investissement public dans l'agriculture a fléchi dans de nombreux pays en développement. Etant donné les complémentarités évidentes existant entre l'investissement public et privé dans ce domaine, il n'est pas surprenant que l'investissement privé ait réagi lentement pour corriger cette déficience. De façon plus spécifique, la diminution de l'investissement public en matière de recherche et développement agricoles a provoqué, dans de nombreux pays, un ralentissement du progrès technologique dans l'agriculture. D'autre part, le fléchissement des investissements dans l'entretien et la réparation des systèmes d'irrigation et de drainage, des chemins ruraux et la prévention de l'érosion du sol a compromis l'efficacité des investissements réalisés antérieurement dans le secteur agricole (des projections récentes de l'IFPRI pour la Chine indiquent que chaque yuan investi dans les prochaines décennies en recherche et irrigation pourrait produire des bénéfices de 3,6 à 4,8 yuan.) La question de l'investissement public revêt une importance accrue dans le cas de la recherche biotechnologique développant des technologies de cultures et d'élevage, ainsi que des cultures autochtones adaptées aux conditions locales (le sorgho en Afrique, le millet en Inde). Ce besoin ne sera probablement pas pris en compte par les compagnies multinationales de biotechnologie opérant sous licence. La réduction des fonds de certains organismes publics internationaux, tels que le CGIAR, jadis à la tête des activités de recherche et développement dans le cadre de la révolution verte, les a empêché de répondre clairement aux besoins spécifiques des agriculteurs pauvres.

En matière d'investissements publics dans l'agriculture, on est passé d'un investissement public lourd de grands barrages (qui très souvent provoquaient de grands déplacements humains, dommages à l'environnement, inondations et salinité, et des opérations arbitraires de contrôle de l'eau, menées par une bureaucratie corrompue et lointaine) à une meilleure gestion locale des systèmes d'irrigation existants et à la réalisation de projets d'irrigation de moindre envergure et soumis à un certain contrôle de la communauté afin d'améliorer l'efficacité des investissements. En comparant le mode de fonctionnement de la bureaucratie liée à l'irrigation par canaux en Corée et en Inde, Wade (1997) a conclu que le système en vigueur dans le premier pays était plus sensible aux besoins des agriculteurs locaux et, par conséquent, plus efficace. L'Inde possède, quant à elle, de grands systèmes de canaux contrôlés par des hiérarchies centralisées à tous les niveaux (opérations et entretien, ainsi que conception et construction). Leurs modalités de fonctionnement (y compris les normes de promotion et transfert des fonctionnaires, créées afin de minimiser l'identification entre les agents de contrôle du système d'irrigation et les agriculteurs locaux, et l'utilisation fréquente de méthodes de gestion et de supervision peu fiables), de même que la source de financement (une grande partie du budget du département d'irrigation est une subvention accordée par le trésor public) sont absolument insensibles au besoin de développer et tirer profit du capital local. En Corée, au contraire, des systèmes de canaux sont régis par des entités responsables qui fonctionnent séparément : les tâches de mise en place et d'entretien de routine (contrairement aux activités de formulation de politiques et de conception technique) relèvent de la responsabilité des associations pour l'amélioration de la campagne (Farmland Improvement Associations), une par zone de captation, qui disposent d'un personnel formé par des agriculteurs locaux travaillant à mi-temps (choisis par les autorités du village), possédant les connaissances pertinentes sur les conditions locales changeantes, dont les salaires et le budget dépendent en grande partie des droits d'utilisation payés par les agriculteurs et dont l'activité se base constamment sur les relations de confiance existant au niveau local.

Les mêmes problèmes, associés à la faible responsabilité face à la population locale, mettent en danger le volume, et surtout la qualité de la prestation des biens et services publics sur le plan local dans de nombreux pays en développement. Dans une étude réalisée par Mclean et coll (1999), un classement a été établi sur la base d'une analyse exhaustive des arrangements institutionnels pour la prise de décisions et la dotation de ressources à travers six grands aspects du développement rural dans dix-neuf pays en développement (éducation primaire rurale, dispensaires ruraux, entretien des chemins ruraux, extension agricole, approvisionnement en eau des zones rurales et gestion forestière). Parmi les dix-neuf cas choisis pour l'échantillon, les résultats en termes de décentralisation se sont révélés particulièrement bas au Nigéria, en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso, au Sénégal, au Bangladesh, en Egypte et en Tanzanie. Fisman et Gatti (1999) prouvent l'existence d'une corrélation négative dans certaines données entre pays entre la participation sous-nationale des dépenses publiques totales et diverses mesures de corruption, contrôlant d'autres facteurs, dont il ressort que la décentralisation peut contribuer à atténuer la corruption. Naturellement, les effets néfastes de l'absence de responsabilité locale en termes de qualité de biens et de services se manifestent sous la forme de pertes et par un mauvais ciblage des objectifs qui sont même moins tangibles que ce que peut révéler les mesures de la corruption.

Au-delà de l'impact de la responsabilisation locale en matière de qualité du service dans des services fournis par le secteur public, il est important de souligner qu'une organisation communautaire locale, à condition de compter sur un nombre stable de membres et de structures bien développées afin de transmettre des informations privées et des normes parmi ses membres, est mieux à même de gérer les ressources communes, telles que fôrets, pâturages, pêcheries et les petits travaux d'irrigation superficielle, dont dépendent les agriculteurs pauvres de façon vitale pour leur subsistance quotidienne et également comme assurance, sous la forme de réserve d'aliments et source de fourrage pour les années de mauvaises récoltes. Il existe plusieurs exemples documentés, dans différents endroits du monde, de gestion locale autonome réussie des terres mise en commun à l'échelon de la communauté (voir Ostrom (1990), Tang (1991), Baland et Platteau (1996), et Lam (1998).

Mais il existe également de nombreux cas dans lesquels la coopération dans la gestion des ressources communes dans les pays pauvres a échoué, menant à un régime anarchique d'exploitation frénétique de ces ressources. La diminution des ressources locales communes (destruction de fôrets et pâturages, enlisement et toxicité croissante des rivières et des lagunes, épuisement des réserves aquifères et érosion et désertification des sols) s'est traduit par une plus grande insécurité et un appauvrissement de la vie des agriculteurs pauvres dans de nombreux endroits du monde, dont la mesure ne se reflète pas dans les estimations habituelles de la pauvreté basées sur les dépenses de consommation privée. En réalité, il existe, dans beaucoup de ces pays, une longue tradition de gestion équilibrée des ressources en vertu d'arrangements assez informels à l'échelon de la communauté locale. L'érosion des ressources communes n'a commencé qu'à partir de ces dernières décennies, en raison des grands changements démographiques et institutionnels, souvent accélérés par l'appropriation commerciale ou bureaucratique des ressources communes, supplantant les traditionnels droits historiques des communautés locales sur ces ressources. Rendre le pouvoir à ces communautés pourrait contribuer à la régulation, conservation et l'entretien de ces ressources. Dans certains cas, tels que la protection et régénération des fôrets et le développement de terrains perdus en Inde, il existe maintenant quelques exemples de gestion conjointe réussie entre l'Etat et la communauté locale, cette dernière assumant les plus grandes responsabilités.

Un sérieux problème entravant la plupart des mécanismes décentralisés de gouvernance est lié aux conflits en matière de techniques de commercialisation. Dans les zones touchées par une forte inégalité économique et sociale, le problème de l'accaprement des structures organismes décisionnels locaux de la part des élites locales peut être sérieux, et les groupes les plus pauvres et faibles de la population peuvent se voir gravement exposés à leur volonté et leurs abus. Le gouvernement central peut également se voir accaparé, mais pour de nombreuses raisons, le problème peut être plus grave à l'échelon local. Par exemple, l'organisation de groupes de résistance ou de pression implique certains coûts fixes : par conséquent, les secteurs pauvres peuvent, parfois, être moins organisés à l'échelon local que national, où ils peuvent conjuguer leurs capacités d'organisation. De même, la collusion entre les élites peut s'avérer plus facile à l'échelon local que national. La formulation de politiques sur le plan national peut représenter une plus grande concession mutuelle entre les différentes plateformes politiques des différents partis, l'accaparement à l'échelon national peut faire l'objet d'une plus grande attention de la part des médias, etc. Lorsque les personnes riches et puissantes s'approprient du gouvernement local, il arrive fréquemment que les groupes subordonnés aient recours à des autorités supra-locales afin de solliciter protection et aide. Dans ces circonstances, l'intervention du long bras de l'Etat dans des coins éloignés d'un pays pauvre se produit à la demande d'un groupe déterminé, et pas toujours par imposition arbitraire (comme le suppose habituellement la littérature sur la nouvelle économie institutionnelle ou des choix publics). Naturellement, ces tendances des élites à s'approprier des autorités locales et à les détourner à ses fins par la corruption ne pourront être contrôlé, en dernière instance, que si les mécanismes transparents et démocratiques par lesquels s'assume la responsabilité d'institutions locales se renforcent et que l'expérience acquise par les pauvres en matière d'auto-gestion (par exemple dans les coopératives, syndicats et autres organisations politiques et sociales rurales) s'étend d'une activité à l'autre.

Ce même problème se pose clairement dans les organisations communautaires locales (non gouvernementales) dans la gestion des ressources communes. Par exemple, la fragmentation sociale extrême qui caractérise l'Inde y rend bien plus difficile la coopération en vue de la création d'institutions communautaires que dans des pays socialement homogènes, tels que la Corée, Taiwan ou le Japon. Une conséquence positive de la réforme agraire peu appréciée dans les études économiques traditionnelles, est le fait que cette réforme, en modifiant la structure politique locale du village, renforce la "voix" des pauvres et les conduit à s'investir davantage dans les institutions locales autonomes et dans la gestion des ressources locales communes.

En ce qui concerne la séquence des réformes, il existe un certain consensus dans le sens où: on devrait d'abord essayer les réformes de prix (évolution vers des prix déterminés par le marché) avant de déréguler la commercialisation; et les mesures tendant à promouvoir un secteur privé compétitif devraient être mises en place, bien avant de démanteler le secteur public. Par exemple, pour réduire les coûts élevés de stockage des grands bureaux de commercialisation du secteur public, bien avant de faire une tentative de privatisation, ceux-ci peuvent faire un appel d'offres pour que les commerçants privés fournissent les céréales et d'autres produits à des moments et des endroits déterminés, et, d'une façon générale, encouragent le commerce d'opérations à terme. Afin d'éviter que le monopole public ne devienne un monopole privé, il est important de consolider le cadre réglementaire public avant toute tentative de privatisation. Il faut promouvoir la concurrence entre organismes publics, ainsi qu'entre organismes publics et privés. Dans le processus de la réforme chinoise, la concurrence a été encouragée entre les organismes publics de différentes localités, mais elle s'est réalisée avec une lourde contrainte budgétaire: c'est à dire que la possibilité de renflouement par les autorités supra-locales d'entreprises locales en difficultés dans les zones rurales n'était pas envisagée. Dans les pays dont le revenu dépend fortement des exportations de produits agricoles, l'allègement des restrictions au commerce extérieur en termes de revenu public et de devises devrait se produire uniquement dans les dernières étapes de la réforme, après la libéralisation du commerce interne. L'importation d'intrants agricoles essentiels, tels que les engrais, devrait être rapidement libéralisée (en tout état de cause, dans des pays tels que l'Inde, la subvention aux engrais a davantage contribué au développement d'entreprises nationales d'engrais inefficaces qu'au progrès des agriculteurs).

Les thèmes abordés dans ce document en matière de réforme agraire, réforme du crédit et décentralisation du pouvoir dans la prestation de biens publics et d'infrastructure à l'échelon local doivent, naturellement, être analysés en tenant compte d'une perspective à plus long terme. Il est peu probable qu'un investissement privé en infrastructure se produise tant que les réformes de fixation des prix et des droits d'utilisation des services d'infrastructure n'auront pas été mises en place. Après la réforme en Inde, on a observé un manque d'investissement privé dans la production et la distribution d'électricité, malgré les nombreuses incitations proposées par le gouvernement, la structure tarifaire de l'électricité pour les agriculteurs étant restée très basse en raison de la pression exercée par de puissants groupes agricoles. Le processus de réforme dans ces domaines s'est parfois vu simplifié par des partenariats entre le gouvernement, le secteur privé et les organisations communautaires ou coopératives. La création d'organisations communautaires locales implique des coûts fixes; lorsqu'une organisation commence à fonctionner dans un secteur particulier du développement rural, le coût marginal qu'implique l'extension des fonctions de cette organisation vers d'autres secteurs peut être relativement faible, et il existe également des externalités entre les différents domaines organisationnels. L'Etat peut jouer un rôle catalyseur dans les phases initiales de la création de ces institutions, en couvrant les pertes, en partageant les risques et en fournissant les services techniques et professionnels nécessaires pour développer les capacités à l'échelon local.

La faisabilité de cette séquence de réformes est déterminée par des aspects politiques et économiques. Les différents types de réformes doivent être présentés en blocs de telle sorte que ceux-ci puissent faire l'objet de concessions mutuelles des différents groupes intéressés et permettent de compenser de façon simple les perdants; par exemple, une réduction dans les subventions et les restrictions aux importations peut être compensée d'une certaine manière par des taux de change appropriés. En tout état de cause, le fait de fournir une protection sociale de base aux perdants favorise l'appui politique aux réformes. Si celles-ci se produisent après une crise budgétaire, ceux dont les intérêts créés se voient lésés pourraient être prêts à parvenir à un compromis si les personnes favorisées par la réforme se montrent disposées à partager leurs bénéfices (ou bien si le gouvernement les oblige à les partager). Etant donné que les gagnants potentiels des réformes ont besoin d'un certain temps pour se consolider, les réformateurs devront s'efforcer, à la fois de former de nouveaux groupes d'appui politique et d'administrer les nouvelles politiques.

Le cas de la Chine indique également qu'il est souhaitable de commencer par légitimer les changements de facto en marge du système, qui sont déjà en cours, avant d'amorcer de manière formelle les réformes. Lors de la décollectivisation (et l'introduction du système de responsabilité des ménages) de 1978, les dirigeants chinois se sont seulement limités à formaliser un processus que certains agriculteurs étaient déjà en train de mettre en place de leur propre initiative. Celle-ci a commencé par plusieurs ménages d'un village du district de Fengyang, dans la province d'Anhui. Puis, cette pratique s'est étendue à d'autres districts de la province, et a bénéficié de l'appui des autorités provinciales avant d'être pris en charge par le gouvernement central. Pour 1984, cette réforme était arrivée au niveau de presque tous les ménages chinois. Dans une autre mesure, la décentralisation a également permis aux gouvernants chinois de mettre à l'essai de nouvelles modalités de réformes du marché, d'abord dans certaines zones côtières localisées, bien avant que les effets de la démonstration du succès de la réforme ne s'étendent à d'autres régions. Cela a permis de préparer le terrain pour procéder à la réforme dans d'autres zones du pays et leur a permis de vaincre plus facilement les oppositions.

Finalment, il est très important, durant la période de transition, de garantir un environnement politique cohérent et stable afin de maintenir une certaine continuité des réformes, même lente. Des changements fréquents d'orientation et révocation de politiques, indépendamment de leur justification du point de vue politique ou tactique, peuvent porter préjudice à la crédibilité des réformes et accroître la résistance politique des groupes dont les intérêts se voient touchés et qui espèrent finalement un retour au statu quo antérieur.

5. Vers un programme de recherche : domaines rioritaires pour de futures recherches 

  1. Bien que la plupart des analyses contenues dans la littérature (et dans cet article) soient liées aux caractéristiques générales du changement institutionnel, l'étape suivante devra aborder de façon intensive les détails institutionnels dans un contexte spécifique en matière de systèmes de droits de propriété, structures de gouvernance, réseaux sociaux et relations du travail qui fonctionnent en synergie avec les normes communautaires et les contraintes technologiques et écologiques. Il faudra, pour ce faire, mener des études de cas de type comparatif et historique, à l'échelle microéconomique, sur le contexte institutionnel dans lequel différents pays (et régions) ont obtenu des succès de type différent dans la mise en place des réformes agraires.
  2. Les aspects liés à l'égalité des sexes dans les réformes agraires ne sont généralement abordés que de façon symbolique. Des études de cas exhaustives sont nécessaires, spécialement en Afrique (où les femmes ont une participation très active dans la production et la commercialisation d'aliments), sur la façon dont la mondialisation influe sur la structure des relations homme-femme dans la production et l'utilisation des ressources environnementales.
  3. Il reste encore de nombreux thèmes à traiter dans la littérature, tant théorique qu'empirique, sur les droits de propriété intellectuelle. A mesure qu'augmente l'importance de la recherche biotechnologique pour l'agriculture, et que s'aggravent les problèmes liés à la fixation de prix protégés par des licences et la pertinence de la technologie développée du point de vue commercial dans l'environnement agro-climatique et économique des pays pauvres, un plus grand nombre d'études empiriques fondées sur des données théoriques sur les divers avantages et inconvénients qu'implique chaque cas est nécessaire.
  4. Un autre aspect en rapport avec ce sujet réside dans l'étude d'une réponse institutionnelle appropriée pour divers biens publics internationaux de grande importance pour le secteur agricole des pays pauvres. Dans le cas de nouvelles semences, de la sélection génétique, du contrôle phytosanitaire ou des techniques de gestion des nutriments pour le matériel végétal, qui sont particulièrement importants pour des millions d'agriculteurs pauvres dans le monde, il faudrait, par exemple, promouvoir la création d'institutions de coopération entre compagnies multinationales impliquées dans la recherche, organismes internationaux et institutions donatrices (garantissant un seuil de demande minimum et payant pour l'accès aux résultats brevetés de la recherche), et organisations agricoles bénéficiaires dans les pays pauvres (en coordinant l'utilisation et en contrôlant la piraterie). Ceci peut être similaire à la perspective actuelle de la coopération internationale en matière de recherche de vaccins contre la malaria, ainsi que d'autres maladies tropicales, qui est actuellement envisagée.
  5. Cet article a mis l'accent sur l'importance des conflits de distribution qui compromettent les changements institutionnels favorables aux gains de productivité et la gestion des gouvernements locaux et des ressources de propriété commune. Bien qu'il s'agisse d'une idée plausible, sa pertinence doit être déterminée empiriquement dans des contextes culturels et historiques spécifiques, en contrôlant d'autres facteurs économiques, sociaux et physiques. L'interaction entre l'inégalité et les arrangements institutionnels est assez complexe et a, été peu étudiée jusqu'à présent16
  6. Face à la crise d'approvisionnement en eau qui menace dans de nombreux endroits du monde, il est urgent de créer des mécanismes institutionnels innovateurs en matière d'utilisation de l'eau, afin d'aider à la conservation de cette ressource (avec des signaux de prix appropriés), sans pour autant porter atteinte aux petits usagers (comme le font de nombreux marchés de l'eau émergents), en rendant le pouvoir aux associations d'usagers de l'eau et en appliquant des tarifs perçus par des organismes publics d'irrigation responsables face aux habitants locaux. Il est également important d'étudier les raisons pour lesquelles ces associations d'usagers fonctionnent assez bien dans certaines régions, et dans d'autres non. La recherche dans ce domaine, en particulier en économie, est encore embryonnaire, de même que la gestion d'autres ressources de propriété collective (forêts, pêcheries et pâturages) et la coordination d'activités (contrôle intégré phytosanitaire, développement de bassins hydrographiques et conservation des sols).

Bibliographie

Akerlof, G.A. 1984. An economic theorist's book of tales. Cambridge, UK: Cambridge University Press.

Baland, J.M. &- Platteau, J.P. 1996. Halting degradation of natural resources: is there a role for rural communities. FAO, Rome.

Baland, J.M. & Robinson, J.A. 1998. Land and power Document de travail University of Southern California , Los Angeles, USA..

Bardhan, P. (ed.). 1989. The economic theory of agrarian institutions, Oxford, U K: Clarendon Press.

Bardhan, P., Ghatak, M. & Karaivanov, A. 2000. Inequality, and collective action problems. University of California, Berkeley, USA. Document de travail, mars.

Benabou, R. 1996. Inequality and growth. NBER Macroeconomics Annual.

Binswanger, H. 1989. How agricultural producers respond to prices and government investments. Annual Bank Conference on Development Economics, Banque mondiale, Washington DC.

Binswanger, H.P., Deininger, K. & Feder, G. 1995. Power, distortions, revolt and reform in agricultural land relations. ln J.R. Behrman & T.N. Srinivasan (eds.), Handbook of development economics III. Amsterdam: Elsevier.

Brenner, R. 1976. Agrarian class structure and economic development in preindustrial Europe. Past and Present, février.

Carruthers, B.G. 1990. Politics, popery, and property: a comment on North and Weingast. Journal of Economic History, septembre.

Chhibber, A. 1989. The aggregate supply response in agricultural: a survey. In S.Commander (ed.). Structural adjustment and agriculture: theory; and practice in Africa and Latin America, Londres: Overseas Development Institute.

Clark, G. 1995. The political foundations of modern economic growth: England, 1540-1800. Journal of interdisciplinary History, Spring.

Deininger. K. & Ofinto, P. 2000. Why liberalization alone has not improved agricultural productivity in Zambia: the role of asset ownership and working capital constraints. Washington DC: Document de travail, Banque mondiale.

Dixit, A. & Londregan, J. 1995. Redistributive politics and economic efficiency. A American Political Science Review.

Elster, J. 1989. The cement of society: a study of social order. New York, USA: Cambridge University Press,

Fisman, R. & Gatti, R. 1999. Decentralization and corruption: evidence across countries. Document de travail de la Banque mondiale, Washington DC.

Fernandez, R. & Rodrik, D. 199 1. Resistance to reform: status quo bias in the presence of individual-specific uncertainty. American Economic Review, décembre.

Greif, A. 1992. Institutions and international trade: lessons from the commercial revolution, American Economic Review, mai.

Greif, B. 1997. Microtheory and recent developments in the study of economic institutions through economic history. In D. M. Kreps & K.F. Wallis. Advances in economic theory, Cambridge University Press, vol. 11.

Guinanne,T. 1994. A failed institutional transplant: Raiffeisen's credit

cooperatives in Ireland, 1894-1914. Explorations in Economic History.

Hoff, K., Braverman, A. & Stiglitz, J.E. (cds.). 1993. The economics of rural organizations: theory, practice, and policy. New York, USA: Oxford University Press.

Lam, W.F. 1998. Governing irrigation systems in Nepal: institutions, infrastructure, and collective action. ICS Press, Oakland.

McLean, K., Kerr, G. & Williams, M. 1998. Decentralization and rural development: characterizing efforts of 19 countries. Document de travail de la Banque mondiale, Washington DC.

Menger, C. 1963. Problems of economics and sociology,, 1883, traduit par F. J. Nock, University of Inequality and Growth', inédit, 1995.Illinois Press, Urbaine.

Montinola, G., Qian, Y. & Weingast, B. 1995. Federalism, Chinese style: the political basis for economic success in China. World Politics.

Nabli, M. and Nugent, J.B. (eds.). 1989. The new institutional economics and development. Amsterdam: Elsevier.

North, D.C. 198 1. Structure and change in economic history. New York, USA: Norton.

North, D.C. 1990. Institutions, institutional change and economic performance. New York, USA: Cambridge University Press.

North, D.C. & Weingast, B. 1989. The evolution of institutions governing public choice in 171 Century England. Journal of economic History .

Nugent, J.B. & Robinson. J. 1998. Are endowments fate? On the political economy of comparative institutional development. University of Southern California, Département d'économie, document de travail, Los Angeles, USA.

Olson, M. 1965. The logic of collective action: public goods and the theory of groups. Cambridge, Mass., USA: Harvard University Press.

Ostrom, E. 1990. Governing the commons: the evolution of institutions for

collective action. New York, USA: Cambridge University Press.

Rabin-n, M. 1998. Psychology and economics. Journal of Economic Literature.

Rajan, R.R. & Zingales, L. 1999. The tyranny of the inefficient : an enquiry into the adverse consequences of power struggles. University of Chicago, Graduate School of Business, Document de travail, janvier.

Robinson, J. A. 1995. Theories of `bad policy'. University of Southern California, Document de travail, Los Angeles, USA.

Schreiber, G. & Varangis, P. 1999. Cocoa marketing and pricing in West Africa. Document de travail de la Banque mondiale, Washington DC.

Tang, S.Y. Institutional arrangements and management of common-pool resources. Public Administration Review.

Townsend, R.F. 1999. Agricultural Incentives in Sub-Saharan Africa: Policy Challenges», Document technique de la Banque mondiale No. 444, Washington DC, 1999.

Wade, R. 1997. How infrastructure agencies motivate staff- canal irrigation in India and the Republic of Korea. In A. Mody (ed.). Infrastructure strategies in East Asia. Economic Development Institute, Banque mondiale, Washington DC.

Williamson, 0. 1985. The economic institutions of capitalism. New York, USA: Free Press.

Young, H.P. 1998. Individual strategy and social structure: an evolutionary theory of institutions. Princeton, USA: Princeton University Press.


1 Voir North et Weingast (1989). Voir Carruthers (1990) et Clark (1995), qui formulent des critiques empiriques à l'argument dans le cas de l'histoire de l'Angleterre.

2 Voir Akerlof (1984), qui a réalisé une analyse statique célèbre de ce cas, et Young (1998), qui a présenté un modèle plus élaboré, basé sur des jeux stochastiques dynamiques qui expliquent l'évolution des coutumes ou conventions locales.

3 Bien que la plupart des économistes identifient le problème de l'action collective avec le problème de l'opportunisme, certains philosophes politiques, tels qu'Elster (1989) et économistes comportementalistes travaillant avec des règles d'ultimatum, tels que Rabin (1998) ont mis l'accent sur le problème de négociation découlant de l'inégalité en matière de bénéfices.

4 Comme nous le rappelle Machiavel dans Le Prince, (1513), ch. VI, "le réformateur a pour ennemis tous ceux favorisés par le régime précédent et ne trouve que de timides défenseurs parmi ceux qui pourraient se trouver favorisés par le nouveau ".

5 Naturellement, certaines sociétés peuvent, dans des situations récurrentes, élaborer des normes appropriées afin de compenser les perdants, mais la préservation de cette norme en elle-même pourrait requérir une action collective.

6 North (1990) constitue une exception à cette tradition. Il souligne les processus de changement contrastés et basés sur un modèle du pouvoir de négociation du gouvernant face à celle du gouverné, dans différents pays, en particulier dans le contexte de la crise budgétaire de l'Etat. Dans une étude précédente portant sur la transition du féodalisme en Europe, Brenner (1976) a une vision diamétralement opposée à l'analyse historique de la transition en termes de démographie ou de conditions du marché : il réalise une étude minutieuse d'expériences contrastées de transition dans différents endroits d'Europe (en Europe occidentale et orientale, et en Angleterre et en France en Europe occidentale) en termes de changements dans le pouvoir de négociation de différents groupes sociaux ou dans les résultats de conflits sociaux. Brenner démontre qu'une grande partie dépend de la cohésion des propriétaires terriens et agriculteurs comme groupes d'opposition et de leur capacité à empêcher l'intromission dans leurs droits respectifs et à former des coalitions avec d'autres groupes de la société.

7 Cela est vrai y compris en faisant abstraction du cas habituel des obstacles qui se produisent dans les négociations basées sur une information incomplète, avec une éventuelle tergiversation du "type" de participants négociateurs.

8 Voir Rajan et Zingales (1999) qui proposent un modèle de ce type de quête du pouvoir expliquant les raisons pour lesquelles les deux parties peuvent ne pas accepter certaines transactions bien que celles-ci présentent des avantages mutuels évidents, y compris lorsqu'il s'agit de simples contrats exécutoires et de transferts annexes de ressources fongibles pour leur exécution.

9 Dans une étude intéressante, Baland et Robinson (1998) ont formalisé les principaux avantages en bénéfices politiques dérivés de la propriété foncière d'après un modèle de vote utilisant la valeur de Shapley qui détermine les rentes politiques obtenues par chaque propriétaire terrien en fonction du nombre de travailleurs dont il contrôle le vote ; étant donné qu'un seul agriculteur ne pèse pas grand chose face à un propriétaire terrien, dans un contexte large, son vote unique n'est jamais significatif en termes électoraux. Baland et Robinson indiquent que la même analyse s'applique en prenant le cas, non plus du vote, mais du problème de l'action collective d'un grand nombre de petits agriculteurs en vue de l'obtention de bénéfices politiques.

10 Par exemple, dans une évaluation des bénéfices de la stabilisation du prix de six cultures pour le producteur en Afrique, entre 1975 et 1997, Townsend (1999) indique ce qui suit : "Durant la période analysée, les bénéfices résultant de la stabilité des prix, proposés par divers mécanismes de stabilisation, bien que plus bas, ne semblent pas avoir dépassé les bénéfices découlant de prix variables, mais plus élevés ".

11 Par exemple, en 1995, le coût de commercialisation et de contribution du cacao comme pourcentage du prix à l'exportation au Ghana (en vertu du système de bureau de commercialisation) et en Côte d'Ivoire (en vertu du système du fonds de stabilisation, la Caisse de stabilisation) était deux fois plus élevé que celui de l'Indonésie et cinq fois plus élevé qu'en Malaisie, pays où règne principalement un système de libre marché. Voir Schreiber et Varangis (1999).

12 Dans de nombreux états, (y compris parmi les plus pauvres), on a constaté que plus de 95% de la population n'obtient pas sa consommation de céréales du système public de distribution.

13 Dans les pays pauvres, avec une carence en infrastructure, Chhibber (1989) estime une élasticité du prix de l'offre à long terme de l'ordre de 0,3 à 0,5 et Binswanger (1989) estime une élasticité à court terme de 0,06.

14 D'après des estimations de Townsend(1999), l'indice Malmquist de productivité agricole a enregistré une croissance négative durant la période 1980-1996 au Bostwana, en Tanzanie, au Rwanda, à Madagascar, au Cameroun, au Burkina Faso, au Mali, au Soudan et au Sénégal.

15 Le secteur du coton au Mali est un cas intéressant dans lequel l'union de producteurs de coton a convenu une association avantageuse avec la compagnie multinationale du coton et l'état.

16 Voir, par exemple, Benabou (1996) et Bardhanm Ghatak et Kaivanov (2000).


Page PrécédenteTable des MatièresPage Suivante