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Pauvreté rurale en amérique latine :
Tendances récentes et nouveaux enjeux

Alberto Valdés
Johan A. Mistiaen



Alberto Valdés est consultant et ex-conseiller en agriculture de la Banque mondiale. Johan A. Mistiaen est consultant de la Banque mondiale et suit actuellement un doctorat à l'Université de Maryland.




1. Introduction : genèse, problèmes et objectifs

A l'aube de ce nouveau millénaire, l'atténuation de la pauvreté et la lutte contre la faim dans le monde restent des enjeux majeurs de l'époque actuelle. La prise de conscience de ce problème a, entre autres initiatives, poussé les dirigeants de tous les pays participants au sommet du G-8 à Okinawa en l'an 2000 à établir des Objectifs du développement international (ODI), dont la réduction de moitié du nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté à l'horizon 20151  . La réalisation de ce difficile objectif exigera un effort et un engagement conjoint des pays développés et en développement, des organisations internationales de développement, des organisations non gouvernementales (ONG) et de la communauté universitaire. A la lumière de l'engagement mondial récemment consolidé et reflété dans plusieurs accords fraîchement conclus afin de venir à bout de cette condition humaine inacceptable, ce document consiste en une analyse des tendances récentes et des nouveaux enjeux dans la lutte contre la pauvreté rurale dans la région de l'Amérique latine.

L'atténuation de la pauvreté dans les zones rurales des pays en développement qui, à l'heure actuelle, est profonde et prépondérante (près de trois pauvres sur quatre à l'échelon mondial vivent dans des zones rurales) reste un thème particulièrement discuté. La majeure partie des habitants de ces zones en développement étant pauvres, une compréhension de l'économie du développement rural nous apporterais certainement beaucoup sur les mécanismes-clés de l'économie de la pauvreté rurale. D'autre part, la majeure partie des revenus des pauvres vivant dans les zones rurales proviennent d'activités liées à l'agriculture. Par conséquent, comprendre le rôle économique de l'agriculture nous aiderait à en savoir plus sur l'économie de la pauvreté et du développement rural. Bien que les prévisions indiquent une augmentation rapide du nombre absolu et de la part des pauvres vivant dans les zones urbaines, la plupart des pauvres continueront, dans bien des régions, à vivre dans ces même zones, pendant une grande partie de ce siècle. Dans le contexte de la migration des zones rurales vers les zones urbaines, le fait de pouvoir traiter le problème de la pauvreté rurale constitue effectivement une formidable occasion de prévenir la pauvreté urbaine.

D'une manière générale, les pauvres qui vivent dans les zones rurales présentent plusieurs caractéristiques communes, dont: un faible niveau d'instruction, un nombre relativement élevé d'enfants, un accès relativement limité aux ressources matérielles, à l'infrastructure sociale et matérielle, et une plus grande susceptibilité aux aléas exogènes qui touchent l'ensemble de la communauté (tels que la perte de récoltes en raison de facteurs climatiques et de catastrophes naturelles). Cependant, si la plupart des pauvres des zones rurales présentent de nombreuses caractéristiques communes, les pays, pris individuellement, varient considérablement du point de vue de la condition de leurs économies rurales et de leurs besoins de développement rural. Au sein même des pays, il existe souvent une forte hétérogénéité du patrimoine et des caractéristiques familiales des pauvres. Les expériences passées et les données actuelles nous conduisent à penser qu'il n'existe pas d'approche unique du développement rural et de la réduction de la pauvreté qui puisse être appliquée à toutes les régions et tous les pays.2   Par conséquent, le fait de mettre en place une couverture globale désagrégée des tendances de la pauvreté rurale et d'identifier les problèmes émergents constitue à la fois un tâche d'une grande valeur mais aussi une gageure.

Ce document représente un pas sur la voie d' un objectif plus vaste, et présente une structure analytique conçue pour faciliter une vision comparative globale. L'approche empirique de cet article est basée l'Amérique latine qui est la région pour laquelle il existe actuellement le plus grand nombre d'informations récentes. Ces conclusions empiriques devraient néanmoins être instructives dans un contexte plus global car l'une des caractéristiques de cette région réside dans la coexistence, d'une part, de l'ampleur de la pauvreté rurale et de l'extrême inégalité des revenus au niveau régional et, d'autre part, d'une profonde diversité entre pays en termes de conditions socio-économiques et de pratiques agricoles.

Outre la prédominance de la pauvreté rurale et de l'inégalité du revenu, les caractéristiques communes des pays de la région latino-américaine sont, malgré une dotation relativement abondante en ressources agraires, les suivantes :3

Les principaux objectifs de ce document sont de trois ordres : il contient, dans un premier temps, une analyse de la littérature théorique et empirique sur le développement rural et l'atténuation de la pauvreté rurale. On y met l'accent sur la réflexion prédominante quant à la mesure, aux modèles et aux facteurs déterminants de la pauvreté rurale et certains aspects d'une approche thématique plus approfondie. Le deuxième objectif consiste à évaluer l'incidence de ces conclusions au niveau de la conception des stratégies de développement rural efficaces en termes de réduction de la pauvreté. L'objectif final est de formuler des propositions quant à de futures recherches couvrant les lacunes restantes dans l'appréhension de la pauvreté afin, en dernière analyse, de fournir les signaux susceptibles d'orienter les politiques aux échelons régional, national et international.

La structure de ce document reflète le processus graduel qui caractérise la structure analytique proposée pour formuler des stratégies de réduction de la pauvreté rurale. La section 2 est consacrée à l'examen des tendances récentes en ce qui concerne la mesure et la comparaison de la pauvreté. S'il est vrai que nécessairement la première étape est la mesure, il faut, pour élaborer des politiques efficaces, déterminer ce qui caractérise les pauvres des zones rurales, l'endroit où ils vivent et l'environnement économique dans lequel ils s'insèrent. Les profils de pauvreté décrits dans la section 3 apportent essentiellement une vision générale de la pauvreté moyennant la corrélation entre les mesures de la pauvreté et les indicateurs économiques, géographiques, institutionnels et sociaux. Il est aussi fondamental d'envisager les changements que subissent les caractéristiques de la pauvreté dans le temps ; malheureusement, les données de séries chronologiques requises pour établir ce type de comparaison ne sont disponibles que pour quelques pays. Pour illustrer les connaissances pouvant être dérivées de ces données, nous présentons un matériel empirique très récent relatif à différents pays tels que le Chili, le Nicaragua et le Pérou.

Dans la section 4, l'attention est centrée non plus sur l'analyse descriptive de la pauvreté mais sur l'identification de ses facteurs déterminants. Dans un premier temps, nous nous efforçons de distinguer «la forêt des arbres» en ébauchant un panorama plus général des politiques en matière de réduction de la pauvreté rurale et de l'influence des facteurs macroéconomiques et exogènes (tels que les variations du taux de change). Ce panorama général est suivi d'une analyse des facteurs déterminants de la pauvreté à l'échelon microéconomique, accompagnée d'une étude des approches en matière de production et de revenu et la présentation de preuves empiriques récentes. La section 5 aborde quelques aspects thématiques en matière de pauvreté rurale, dont la fonction de l'emploi rural non agricole (RNA), la dégradation des ressources naturelles et les groupes autochtones. L'analyse des marchés fonciers met l'accent sur les rapports entre les marchés des facteurs de production ruraux et la pauvreté. Les faibles rendements des facteurs et/ou les imperfections du marché des facteurs de production coexistent souvent dans les zones rurales pauvres. La politique gouvernementale peut donc aborder ces deux de fronts, à savoir, respectivement, encourager le progrès technique et/ou améliorer le fonctionnement du marché des facteurs de production et des produits. Finalement, la section 5 contient une réflexion sur les principales recherches émergentes et les enjeux de politique.

2. Tendances en matière de mesure et de comparaison de la pauvreté : qu'est-ce que la pauvreté et qui est pauvre ?

Cette section a pour but d'apporter certains données relatives à la pauvreté en tant que concept et à la façon de la mesurer. La méthodologie appliquée à la quantification de l'ampleur et de la gravité de la pauvreté fait l'objet d'une littérature considérable. Etant donné qu'il existe déjà d'excellentes révisions de cette littérature, l'objectif de cet article consistera non pas à présenter une analyse méthodologique globale, mais plutôt à se centrer sur les progrès récents, les nouvelles preuves empiriques et sur des thèmes pouvant figurer dans l'agenda de recherches futures.5  

Encadré 1 : Pauvreté chronique et pauvreté temporaire

Les personnes qui vivent (ou sont pratiquement) dans la pauvreté, quelle que soit la façon de mesurer cette situation, présentent souvent des variations importantes de leurs revenus ou de leur consommation. Ceci est particulièrement vrai pour les pauvres ou presque pauvres des zones rurales des pays en développement, où des pans considérables de la population dépendent généralement d'un secteur agricole relativement peu technicisé, dont la productivité est fortement sujette aux conditions climatiques exogènes. Suivant l'analogie de Friedman qui fait la distinction entre revenu temporaire et permanent, s'agissant d'étudier un pays ou une région où varient les revenus ruraux provenant de l'agriculture, une manière plus fiable d'évaluer la pauvreté chronique pourrait être l'étude des dépenses familiales ou personnelles (Ray, 1992).

Cette distinction entre la pauvreté temporaire et chronique, particulièrement dans les zones rurales tributaires de l'agriculture, est un domaine à explorer afin de mieux appréhender ce problème. Les politiques visant à atténuer la pauvreté temporaire pourraient s'avérer bien différentes de celles destinées à aborder la pauvreté chronique.

 On peut parler de « pauvreté » dans une société donnée lorsqu'une personne au moins ne possède pas le niveau de bien-être considéré comme un minimum raisonnable selon les standards de cette société. La mesure et la comparaison de la pauvreté constituent la base de l'analyse de celle-ci et de la conception de stratégies visant à l'atténuer. Ravallion (1992) a souligné qu'une des principales raisons pour mesurer la pauvreté n'est pas nécessairement le fait de devoir obtenir un chiffre déterminé correspondant à un endroit ou une date mais plutôt d'établir des comparaisons . Celles-ci peuvent être d'ordre qualitatif ou quantitatif. Les comparaisons quantitatives de la pauvreté mesurent le degré d'évolution de la pauvreté. Elles permettent notamment d'évaluer l'impact passé ou anticipé d'une option particulière par rapport à une politique spécifique en termes d'ampleur de l'incidence sur la pauvreté.

Seuil de pauvreté et mesures de la pauvreté

Le seuil de pauvreté est le point de départ de l'analyse de cette dernière, l'instrument de mesure utilisé pour évaluer le bien-être et déterminer qui est pauvre et qui ne l'est pas. Les individus sont considérés comme pauvres lorsque leur niveau de vie tel qu'il a été mesuré (généralement en fonction du revenu ou de la consommation) est inférieur à un plancher acceptable. Le seuil de pauvreté est essentiellement défini comme la valeur du revenu ou de la consommation nécessaire pour assurer le niveau minimum d'alimentation et d'autres besoins.

Les seuils de pauvreté peuvent être définis de manière absolue ou relative. La pauvreté absolue correspond à la situation d'un individu ou d'un ménage par rapport à un seuil de pauvreté dont la valeur réelle est établie dans le temps. La pauvreté relative correspond à la situation de celui-ci vis-à-vis du revenu moyen du pays. Il est préférable, dans les évaluations de la pauvreté, d'adopter le concept de pauvreté absolue, qui facilite l'analyse comparative. Il n'est pas clair toutefois de convenir s'il est possible d'accorder un sens absolu au terme « niveau minimum acceptable ».

Ceci peut varier entre et au sein des pays en fonction des caractéristiques de la société envisagée. C'est ainsi que, par exemple, si posséder une voiture peut être considéré comme une nécessité absolue pour vivre une vie « pleine » en Iowa, il est peut probable qu'il en aille de même à Rio de Janeiro, voire dans la ville de New York. Au sein d'un même pays, il est également possible que le seuil de pauvreté dans les zones urbaines ne soit pas le même que dans les zones rurales.

La réflexion et la discussion quant au seuil de pauvreté mettent en évidence la nature plutôt arbitraire de celui-ci. Il n'est donc pas surprenant que ce concept fasse l'objet de plusieurs discussions fondamentales. Les différentes méthodologies utilisées pour décrire les seuils de pauvreté absolue et leurs mérites relatifs sont analysés en profondeur dans la littérature (par exemple, Deaton, 1997 et Ravallion, 1992) ; cette section sera donc consacrée à l'étude de certains problèmes spécifiques dans l'agenda de recherche.

Après avoir établi un seuil de pauvreté, la mesure de base pour comptabiliser le nombre de pauvres est le taux d'incidence de la pauvreté qui est défini comme le pourcentage de population dont le niveau de vie mesuré est inférieur au seuil de pauvreté. Si cet indice donne une première impression quant à l'ampleur du problème de la pauvreté, il ne saisit pas les différences entre les pauvres. L'indice d'écart de pauvreté apporte, quant à lui, une bonne indication sur la gravité de la pauvreté (à savoir, la différence existant entre le seuil de pauvreté et le revenu moyen des pauvres exprimé en tant que pourcentage du seuil de pauvreté). Cependant, ce type de mesure ne tient pas compte de la distribution du revenu entre les pauvres. Elle ne traduirait pas, par exemple, un transfert effectué par un pauvre à un autre vivant dans l'extrême pauvreté.

Pour évaluer la gravité de la pauvreté, il faut pouvoir appliquer un type de mesure qui soit sensible à la distribution. L'hypothèse de base est que la société attribue une plus grande importance au fait d'aider les plus pauvres. Par conséquent, la pondération utilisée doit refléter à quel point les niveaux de vie se trouvent en-deçà du seuil de pauvreté. Une des mesures les plus utilisées pour évaluer le degré de gravité de la pauvreté est l'Indice Foster-Greer-Thorbecke (FGT). Cet indice mesure essentiellement la moyenne des écarts individuels de pauvreté élevés à une puissance reflétant la valorisation attribuée par la société aux différents degrés de pauvreté. Les trois mesures figurant dans le Tableau 1 appartiennent au groupe FGT de mesures de la pauvreté.6  

TABLEAU 1
Tendances de la pauvreté rurale et urbaine au Chili

 

1987

1990

1992

1994

1996

1998

Pauvreté

Compte b Totalc

40,0

33,1

24,2

23,1

19,9

17,0

Totaled

39,0

33,0

28,0

23,0

20,0

--

 

Urbainec

35,2

29,1

20,7

19,3

15,6

13,5

Urbained

38,0

33,0

28,0

23,0

19,0

--

 

Ruralec

63,5

50,6

40,1

42,1

42,5

37,3

Ruraled

45,0

34,0

28,0

26,0

26,0

---

Déficit de pauvretéc

Totale

15,7

12,0

7,8

7,6

6,5

5,7

Urbaine

13,4

10,2

6,5

6,3

4,8

4,5

Rurale

25,3

19,7

13,4

14,2

15,0

12,6

FGTc

Totale

8,2

6,1

3,8

3,8

3,2

2,9

Urbaine

7,0

5,1

3,2

3,2

2,4

2,3

Rurale

13,1

10,5

6,4

6,9

7,4

6,1

Notes:
a) Ces chiffres sont basés sur les informations recueillie par le CASEN.
b) Le seuil de pauvreté a été établi à 37.889 pesos par mois en 1998.
c) De la Banque mondiale (2000b).
d) De de Janvry & Sadoulet (1999) sur la base des calculs de la CEPALC. L'enquête sur les ménages CASEN, sur un échantillon d'environ 40.000 familles, est représentative à l'échelon national et est effectuée tous les deux ans depuis 1985.

S'agissant de preuves empiriques comparatives de la région latino-américaine, le Tableau 1 présente une comparaison entre deux sources de mesures de la pauvreté au Chili : l'analyse effectuée par la CEPALC/MIDEPLAN (utilisée également par de Janvry et Sadoulet, 1999) et une étude récente de la Banque mondiale (2000b). Les mesures de revenu appliquées dans ces deux études présentent plusieurs différences. L'étude de la Banque mondiale (200b) : i) utilise le revenu par adulte équivalent et applique un ajustement en fonction de la taille de la famille (afin de prendre en compte les économies d'échelle en matière de consommation), au lieu du revenu par habitant ; ii) procède à des ajustements en fonction des différences régionales de prix ; iii) n'abaisse pas le seuil de pauvreté pour les familles rurales ; et iv) effectue des ajustements différents pour les valeurs de revenu manquantes. Certains ajustements conduisent à des estimations plus élevées de la pauvreté (sans ajuster le seuil de pauvreté rurale) et d'autres à des estimations plus faibles (ajustement par adulte équivalent). Le revenu comprend tous les revenus principaux et les transferts monétaires (allocations familiales, pensions d'assistance, allocations de chômage, etc.), ainsi que les locations des terres imputées et l'entre aide.7 Cependant, comme la plupart des évaluations de la pauvreté dans les pays latino-américains, la mesure du revenu ne tient pas compte des transferts en nature que le gouvernement effectue en faveur des familles moyennant les services d'éducation, de santé et des programmes de logement subventionnés. Ce dernier aspect pose un problème méthodologique. En effet, l'omission des transferts en nature peut conduire à sous-estimer largement le revenu réel dans certains pays où existe un réseau important de sécurité en faveur des pauvres. C'est ainsi qu'une estimation récente, pour le Chili, des transferts implicites de revenu moyennant des versements en nature pour le premier quintile (valorisé au coût de prestation des services) correspondait à environ 89 p.100 du revenu principal (40 p.100 en 1990), dont approximativement les deux tiers ne sont pas inclus dans les valeurs de revenu utilisées pour calculer l'ampleur de la pauvreté. Par conséquent, il est paradoxal de constater que, bien que plusieurs pays ont choisi d'attaquer la pauvreté essentiellement à l'aide de programmes sociaux, le débat sur le degré de pauvreté de la population reste axé sur des mesures « monétisées » et n'accorde aux programmes sociaux qu'une fonction de second rang. (Voir encadré 2)

Encadré 2 : De l'ajustement des mesures du bien-être pour les transferts en nature

La plupart des gouvernements effectuent aux familles de nombreux transferts en nature sous la forme de programmes d'éducation, de santé et de logement. Toutefois, ces services sociaux ne sont généralement pas inclus dans le calcul du revenu familial ni dans celui du seuil de pauvreté. Le fait d'omettre les transferts en nature moyennant les services sociaux se traduit pas une sous-estimation évidente du revenu réel des pauvres et par une évaluation incomplète du rapport entre la situation de pauvreté et l'ampleur du « déficit » impliqué par cette situation en termes de santé, d'éducation et de logement. Le problème consiste à trouver la façon de convertir ces transferts en nature en termes monétaires. Ce problème subsiste encore en partie et a été récemment soulevé comme thème futur de recherche.

A notre connaissance, le seul pays où, jusqu'à présent, le thème ait été abordé par les chercheurs est le Chili (voir MIDEPLAN, 1996 ; de Gregorio et Cowan, 1996 ; Scholnick, 1996 ; Beyer, 1997 ; Contreras, Bravo et Millan, 2000 ; et Banque mondiale, 1997 et 2000b). Le problème fondamental est la valorisation monétaire du transfert en nature de la part du bénéficiaire, laquelle pourrait ne pas être la même que le coût que représente la prestation du service de la part du gouvernement - la valeur de substitution utilisée pour calculer la valeur aux bénéficiaires. Etant donné que les bénéficiaires de ces transferts n'ont pas la possibilité de les vendre (par exemple, sur un marché secondaire de bons), la valorisation fondée sur le critère du coût appliquée au calcul du revenu pourrait induire à une surestimation de la valeur perçue du transfert. Une deuxième contrainte importante est le manque d'information détaillée à l'échelon familial pour améliorer les mesures de l'accès à la santé et à l'éducation.

La majeure partie de l'action gouvernementale en faveur des pauvres est liée aux dépenses sociales qui sont essentiellement acheminées par le biais de l'éducation, des soins de santé et du logement. D'où l'importance de suivre de près l'évolution des différentes indicateurs de bien-être sur lesquels influent directement les politiques sociales, en plus des indicateurs « monétisés » traditionnels.

Le rapport de la Banque mondiale (2000b) confirme une hausse substantielle du revenu moyen par personne dans tous les déciles durant la période 1987-98, ce qui illustre la forte incidence favorable d'un taux de croissance élevé sur la distribution du revenu au Chili. Conformément aux trois mesures de la pauvreté, on a observé une réduction notable de l'incidence (taux d'incidence) de la profondeur (indice de déficit) et de la gravité (FGT) de la pauvreté (voir Tableau 1). Dans l'ensemble du pays, l'indice du taux d'incidence a diminué de 40 p.100 en 1987 à 17 p.100 en 1998. L'indice de déficit de la pauvreté est passé de 15,7 p.100 en 1987 à 5,7 p.100 en 1998, et le FGT de 8,2 p.100 à 2,9 p.100. En bref, il y a actuellement moins de pauvres et les pauvres sont moins pauvres. L'incidence de la pauvreté rurale en 1996 a pratiquement triplé celle des zones urbaines (42,5 p.100 contre 15,6 p.100). Relevons également la différence en termes d'ampleur de la pauvreté entre les mesures de la CEPALC/MIDEPLAN et l'étude de la Banque mondiale. Par exemple, l'incidence de la pauvreté rurale en 1996 a été évaluée à 26,0 p.100 contre 42,5 p100, différence qui ne peut être uniquement attribuée au fait que l'analyse de la CEPALC/MIDEPLAN prévoit un seuil de pauvreté inférieur dans le cas des familles rurales.

D'autres données correspondant aux cas du Nicaragua et du Pérou (voir Tableau 2) font apparaître une tendance au recul de la pauvreté rurale, comme le suggèrent de Janvry et Sadoulet (1999) pour l'Amérique latine, sur la base de l'information de la CEPALC. Toutefois, malgré cette tendance à la baisse, il est évident que la pauvreté rurale dans la région reste très supérieure à la pauvreté urbaine, situation qui pose un grave problème de bien-être. La situation de l'ensemble de la région s'est-elle améliorée ? Les données recueillies indiquent que cette évolution de la pauvreté a été assez hétérogène entre les différents pays. La relance de l'économie enregistrée dans les années 90 a entraîné un recul notable de la pauvreté rurale dans certains pays, en particulier au Brésil, Chili, Costa Rica, Nicaragua, Guatemala, Panama et Pérou. En revanche, au Mexique et au Venezuela, l'incidence de la pauvreté a augmenté et celle-ci reste constante au Honduras.

TABLEAU 2
Tendances de la pauvreté rurale et urbaine au Nicaragua et au Pérou.

 

Nicaraguaa

Péroub

 

1993

1998

1994

1997

Compte de la pauvretéb

Totale

50,3

47,9

53,5

49,0

Urbaine

31,9

30,5

46,1

40,4

Rurale

76,1

68,5

67,0

64,7

Déficit de pauvreté

Totale

21,8

18,3

18,9

16,0

Urbaine

10,9

9,9

14,4

11,8

Rurale

37,1

28,3

27,1

23,5

FGT

Totale

12,1

9,3

18,8

14,8

Urbaine

5,1

4,5

12,9

9,3

Rurale

21,9

14,9

29,5

24,5

Notes:
a) De la Banque mondiale (2000c), sur la base de la base de données de l'Enquête sur la mesure du niveau de vie au Nicaragua (LSMS) de 1993 et 1998.
b) De Hentschel (1999).

Mesures de l'inégalité

La pauvreté et l'inégalité sont deux concepts tout à fait différents. Les mesures de l'inégalité portent sur la variance et non pas sur la valeur moyenne des distributions du bien-être. En d'autres termes, l'inégalité est une mesure de la dispersion d'une distribution qui, par définition, est insensible à sa moyenne. Il est important de faire cette distinction car les concepts de pauvreté et d'inégalité sont souvent confondus et les idées erronées ne sont pas rares. Par exemple, une réduction de la pauvreté n'implique pas per se une réduction de l'inégalité. Dans certains pays d'Amérique latine, des progrès notables ont été accomplis en termes de réduction de la pauvreté mais ces progrès sont nuls ou très faibles en termes de distribution du revenu telle qu'elle est généralement mesurée.

Tout comme dans le cas des mesures de la pauvreté, il existe un grand nombre de mesures différentes de l'inégalité. La différence fondamentale entre ces dernières est leur sensibilité à la dispersion sur les différentes parties de la distribution. Les principales mesures utilisées sont au nombre de quatre: a) le coefficient de Gini (très sensible aux changements de revenu au centre de la distribution); b) la déviation logarithmique moyenne (très sensible aux revenus situés au centre de la distribution); c) l'indice de Theil (dont la sensibilité est constante dans toute la distribution); et d) le Coefficient de Variation (très sensible aux revenus situés dans les parties supérieure et inférieure de la distribution). Les trois dernières mesures appartiennent à la catégorie de mesures de l'inégalité dénommée Classe d'entropie généralisée (Generalized entropy Class).

Le Tableau 3 illustre ce qui est mentionné ci-dessus. Au Chili, durant toute la période envisagée, la pauvreté rurale a été supérieure à la pauvreté urbaine. L'indice de pauvreté rurale est généralement le double de cette dernière ; la profondeur et la gravité de la pauvreté sont également plus marquées dans les zones rurales (voir Tableau 3). D'autre part, malgré une hausse considérable du revenu moyen dans les zones rurales et urbaines entre 1987 et 1998, l'augmentation des revenus dans les zones urbaines a été proportionnellement plus forte que celle des revenus ruraux, ce qui a contribué à creuser encore davantage l'écart de revenus entre les deux zones. Toutefois, le pourcentage de population chilienne (2 à 3 p100) situé au niveau le plus bas est essentiellement composé de familles urbaines. En appliquant une analyse de décomposition (déviation logarithmique moyenne) pour déterminer quelle part de l'inégalité est due aux différences entre les deux secteurs, Litchfield (voir Banque mondiale, 2000b) conclut que les différences entre les revenus moyens des secteurs ruraux et urbains rendent compte de moins de 8 p.100 de l'inégalité totale.

TABLEAU 3
Tendances de l'inégalité rurale et urbaine au Chili a

 

1987

1990

1992

1994

1996

1998

Gini

Totale

0,5468

0,5322

0,5362

0,5298

0,5409

0,5465

Urbaine

0,5436

0,5207

0,5328

0,5229

0,5319

0,5507

Rurale

0,4521

0,5464

0,4837

0,4816

0,4692

0,4895

Déviation logarithmique moyenne

Totale

0,5266

0,4945

0,4891

0,4846

0,5139

0,5265

Urbaine

0,5241

0,4723

0,4816

0,4714

0,4939

0,5332

Rurale

0,3534

0,5303

0,4019

0,4006

0,3849

0,4237

Indice de Theil

Totale

0,6053

0,5842

0,6151

0,5858

0,6058

0,6264

Urbaine

0,5856

0,5477

0,5975

0,5647

0,5818

0,6323

Rurale

0,4868

0,7459

0,5847

0,5650

0,4986

0,6018

Coefficient de variation

Totale

1,3007

1,3992

1,505

1,5634

1,4123

1,6172

Urbaine

1,1771

1,2368

1,3926

1,4586

1,3215

1,5858

Rurale

1,8291

2,6180

2,1205

2,0709

1,2661

3,4177

Notes:
a) De la Banque mondiale (2000b). L'addition de la valeur attribuée aux transferts en nature conduit à une diminution du coefficient de Gini de 0,54 à 0,50. Voir volume II, chapitre 3, de Contreras et coll.

Comparaisons inter temporelle du bien-être

Pour déterminer si les mesures de pauvreté et/ou inégalité se sont modifiées dans le temps, on peut avoir recours au concept de dominance stochastique, ce qui implique de comparer des distributions cumulatives de bien-être à différents moments. Deux critères différents sont appliqués. La Dominance stochastique du premier degré (DS1) se produit lorsqu'une distribution se situe de manière absolue au-dessus ou en-dessous d' une autre, ce qui indique que, respectivement, la pauvreté a augmenté ou a diminué de façon nette. Lorsque les distributions se croisent, la dominance stochastique du premier degré ne s'applique que lorsque ce(s) croisement(s) ne se produisent pas à un niveau de revenu strictement situé en-deçà du seuil de pauvreté. Pour toutes les autres situations, la comparaison se réduit à déterminer quelle distribution présente la fréquence cumulative la plus élevée. Pour le prouver, on peut avoir recours aux concept de Dominance stochastique du second degré (DS2). Les comparaisons de la pauvreté entre différentes périodes de temps sont d'une importance cruciale, comme le démontre le travail récent sur le Chili (Banque mondiale, 2000b) et le Nicaragua (Banque mondiale, 2000c). Malheureusement, le manque d'information fiable limite considérablement les possibilités de réaliser des études similaires dans d'autres pays.

Quelques avertissements quant aux mesures du bien-être

Il existe une vaste littérature sur les ajustements de la mesure du bien-être. Un aspect à prendre en compte concerne la mesure du bien-être individuel vis-à-vis du bien-être familial. S'il est vrai que cet aspect est lié à l'inégalité intra-familiale (voir Encadré 3), le fait que les familles les plus grandes aient généralement plus d'enfants pose d'autres considérations. D'une manière générale, les familles des zones rurales sont plus grandes et, par conséquent, il semble utile d'aborder brièvement ce sujet. La présence d'enfants implique une certaine correction car leur consommation est moindre que celle des adultes. Cette correction se fait généralement moyennant des ajustements basés sur « l'équivalence adulte », qui considèrent la consommation des enfants comme une fraction de celle d'un adulte représentatif (voir une analyse plus détaillée, par exemple, dans Deaton, 1997, et Ray, 1992). Par conséquent, la mesure du revenu est plus compliquée que ce qu'il pourrait en paraître à première vue. Les définitions des données de revenu doivent tenir compte des revenus principaux, des transferts en argent, des programmes publics (par exemple, allocation familiale, subventions familiales et allocations de chômage), ainsi que les locations, les legs et les envois de fonds imputés. Ces données doivent en outre être corrigées de façon à refléter les différences de prix à l'échelon régional. Toutefois, cette définition ne tient pas compte des transferts en nature réalisés par le gouvernement aux familles par le truchement des programmes d'éducation, de santé et de logement. Le problème des transferts en nature est abordé dans l'Encadré 2 et, comme il ressort clairement de cette analyse, devra faire l'objet de nombreuses recherches.

Encadré 3 : Allocations intra-familiales

Cet aspect présente une importance particulière lorsqu'il s'agit d'étudier une éventuelle inégalité dans l'affectation des dépenses au sein des familles. Les victimes potentielles de ces inégalités sont généralement les femmes, les enfants et les personnes âgées. Jusqu'à présent, l'inégalité intra-familiale n'a pas été mesurée de façon systématique mais son existence a été démontrée. Une étude indique que le fait de ne pas considérer l'hétérogénéité de l'allocation entre les différents membres de la familles peut se traduire par une sous-estimation de 25 p.100 de la pauvreté (Haddad et Kanbur, 1990). Les familles rurales étant généralement plus grandes que les familles urbaines, il s'agit d'un thème qui mérite très certainement d'être étudié de plus près.

3. Élaboration du profil de la pauvreté rurale: quelles sont les caractéristiques des pauvres dans les zones rurales?

La mesure de la pauvreté ne constitue qu'une première phase. Il faut, afin de pouvoir formuler des politiques efficaces, déterminer ce qui caractérise les pauvres des zones rurales, l'endroit où ils vivent et l'environnement dont ils font partie. La caractérisation de la pauvreté est un instrument analytique qui permet d'obtenir une vision générale des pauvres dans leur contexte économique, géographique, institutionnel et social. Cette section a essentiellement pour but d'identifier et d'analyser les caractéristiques essentielles de la pauvreté et de présenter certaines données empiriques récentes sur son profil.

Localisation: qu'entend-on par rural?

Dresser une carte géographique de la pauvreté est une tâche de plus en plus urgente. D'une manière générale, les pays ne sont pas homogènes du point de vue spatial et de simples comparaisons à l'échelon régional ou de type dichotomique entre zones urbaines et rurales ne rendent pas compte de nombreux aspects intéressants. D'autre part, la définition de zone urbaine par rapport à la zone rurale est inévitablement subjective et est normalement basée sur des critères politiques et administratifs propres à chaque pays. Des études récentes indiquent que, pour caractériser la pauvreté, il convient d'aller au-delà des dimensions nationales et de la dichotomie zones urbaines-zones rurales. Par exemple, selon une étude relative au Brésil de Ferreira, Lanjouw et Neri (2000), l'incidence de la pauvreté dans les petites zones urbaines et généralement plus marquée que dans les grandes villes et dans les zones métropolitaines. Ceci est particulièrement significatif dans le contexte du combat contre la pauvreté rurale et il est nettement plus probable que les économies de villes plus petites soient plus intimement liées à l'économie rurale que celles des zones urbaines de plus grande envergure.

Un rapport très récent sur le Brésil (Banque mondiale 2000a) fait apparaître que, contrairement à l'idée générale, la pauvreté au Brésil ne constitue pas un phénomène majoritairement urbain. En fait, bien que la population urbaine soit nettement supérieure, la pauvreté est si généralisée dans les zones rurales du nord-est et du sud-est qu'en chiffres absolus, 43 p.100 de la population vivant dans la pauvreté habite, en fait, dans les zones rurales.8   D'un point de vue régional, la pauvreté rurale se concentre dans le nord-est plus peuplé, où l'estimation préliminaire du taux d'incidence oscille entre 47 p.100 et 51 p.100 (entre 22 p.100 et 26 p.100 dans le sud-est). S'il est vrai que la différence régionale relative entre le nord-est et le sud-est était déjà connue (Banque mondiale, 1995), l'ampleur générale de la pauvreté rurale au Brésil semble avoir été sous-estimée. Grâce à une désagrégation plus fine, au-delà du niveau régional, le récent rapport de la Banque mondiale (2000a) a apporté de nouvelles informations à cet égard.

En premier lieu, du nombre total estimé de pauvres dans le nord-est et dans le sud-est, environ 83,6 p.100 et 90,3 p.100 respectivement réside dans des zones « rurales fermées » éloignées, celles-ci étant définies comme des zones qui ne répondent à aucun critère qui définisse une agglomération rurale (à savoir, très peu de structures ou des structures provisoires, une infrastructure peu développée ou inexistante et une faible densité démographique). En deuxième lieu, les mesures de pauvreté selon le taux d'incidence se situent parmi les plus faibles dans les zones rurales directement adjacentes mais qui ne sont pas officiellement incluses dans le périmètre urbain des municipalités. En fait, dans le nord-est, les mesures de pauvreté selon le taux d'incidence sont plus faibles dans ces localités que dans les zones urbaines.

La forte hétérogénéité de la pauvreté dans un pays aussi grand que le Brésil n'est certes pas un fait surprenant pour la plupart d'entre nous mais cette situation semble également se présenter dans d'autres pays nettement plus petits. C'est ainsi par exemple qu'en Equateur, un pays aux dimensions beaucoup plus réduites, Hentschel et coll.(2000) ont constaté que des communautés rurales présentant les mêmes caractéristiques (par exemple, au niveau de la terre et de la qualité des sols) sont en fait très hétérogènes dans de nombreux domaines (par exemple, leur maîtrise des ressources foncières et leur bien-être). Par conséquent, les recommandations quant aux mesures à adopter pour éliminer la pauvreté devront également s'adapter.

Depuis plusieurs années, il est de plus en plus généralement admis qu'il n'existe pas de pays en développement « typique ». La perspective qui émane de ces études récentes est qu'il n'existe pas non plus de zone rurale ou urbaine « typique » dans les pays en développement. Il faut, dans l'analyse de la pauvreté rurale et la projection de stratégies visant à atténuer la pauvreté, aller au-delà de simples subdivisions et adopter une approche géographique plus désagrégée. Ceci exige également des données plus précises et plus discriminatoire. Bien que le problème subsiste, certains progrès récents ont permis aux chercheurs de tirer le meilleur parti des méthodes actuellement disponibles (voir Encadré 4).

Encadré 4 : Méthodes d'imputation d'enquêtes petites à grandes

L'étude de la pauvreté, en particulier dans les zones rurales, reste fortement restreinte en raison du manque de données adéquates. Hentschel et coll. (2000) offre une excellente vision générale des sources de données aux fins de l'analyse de la pauvreté. Le plus souvent, les séries de données basées sur des tailles d'échantillons et des couvertures adéquates n'apportent aucune information sur des variables qu'il serait souhaitable d'utiliser (par exemple les dépenses). Cette information peut parfois être extraite de petits échantillons d'enquêtes sur les ménages mais ces données ne sont plus représentatives au-delà d'un certain niveau de désagrégation. Un groupe de chercheurs (voir Elbers et coll.,2000) a récemment mis au point une technique d'attribution d'enquêtes petites à grandes échelle qui permet de combiner des séries de données plus détaillées mais plus petites (par exemple, les enquêtes sur les ménages de l'Etude de mesure des niveaux de vie), avec des enquêtes moins détaillées mais plus grandes et plus représentatives (par exemple, des données censitaires). Ceci permet d'extrapoler des données spatiales désagrégées au niveau de la famille avec une plus grande couverture et, ensuite, d'estimer les mesures de pauvreté désagrégées au niveau spatial. Elbers et coll. (2000) démontrent que ce processus de fusion donne lieu à un système de calcul qui peut s'ajouter à toute mesure agrégée de bien-être (par exemple, les mesures de la pauvreté) et que sa fiabilité statistique peut être évaluée. Les récentes études sur l'Equateur (Banque mondiale, 1999) et les résultats préliminaires du Brésil (Banque mondiale 2000a) indiquent que cette approche pourrait permettre d'éviter les problèmes d'information et d'apporter des mesures de la pauvreté plus désagrégées du point de vue géographique. Pour obtenir une vision générale de la méthodologie et une synthèse des résultats empiriques sur plusieurs pays, voir Lanjouw, Mistiaen et Ozier (2000). Une recherche plus approfondie dans ce domaine pourrait nous apporter davantage d'information sur de nombreux pays.

Emploi et sources de revenu

En Amérique latine, l'emploi et le revenus la majeure partie des pauvres en zones rurales reste fortement tributaire du secteur agricole. Toutefois, dans certains pays, les pauvres des zones rurales sont essentiellement des petits agriculteurs, alors que dans d'autres, la principale source de revenu est le revenu du travail. On pourrait dès lors s'attendre à de profondes différences des analyses de l'orientation des politiques spécifiques. Un point faible important de la littérature relative à la pauvreté rurale en Amérique latine est que celle-ci néglige souvent le rôle du marché de l'emploi rural, par le biais de l'emploi et des effets salariaux, en tant que mécanisme capable de transmettre les bénéfices de la croissance agricole. D'une manière générale, les programmes visant la pauvreté rurale ont, pour la plupart, mis l'accent sur le développement de l'agriculture du petit propriétaire, au détriment des possibilités de revenu non-agricole et de la rémunération des travailleurs agricoles sans terre.

De récentes données concernant le Brésil (Banque mondiale, 2000a) indiquent que dans le nord-est et le sud-est du pays (où habitent la plupart des pauvres des zones rurales), le revenu des familles rurales provenant d'activités associées à l'agriculture (revenu des agriculteurs et du travail agricole) représente au moins deux tiers du revenu familial total provenant de diverses sources. En outre, le revenu agricole (revenu correspondant au travail libéral ou salarié ) est plus important que le revenu non agricole. L'importance du secteur agricole est soulignée par le fait que la plupart des pauvres des zones rurales, aussi bien dans le nord-est que dans le sud-est du Brésil (83,6 p.100 et 90,3 p.100 respectivement) habitent des zones rurales éloignées à faible densité, et ceux dont le revenu principal provient du travail agricole ou d'exploitation agricole sont généralement les groupes les plus pauvres.

Le constat en ce qui concerne le Salvador est similaire (Banque mondiale, 1998a). Dans les zones rurales, le revenu familial des plus pauvres est issu à environ 50 p.100 du travail agricole salarié, alors qu'il n est que de 18 p.100 pour les familles à revenus plus élevés. En moyenne, les travailleurs ruraux sans terre employés principalement dans l'agriculture constituent le segment le plus pauvre de la population rurale, alors que les agriculteurs et même les travailleurs sans terre engagés dans des activités non agricoles gagnent plus de deux fois le revenu par habitant des premier.. Ces conclusions autorisent à penser que l'emploi non agricole peut être une solution éventuelle au problème de la pauvreté, thème qui sera abordé plus en détails dans la suite de cet article.

Parmi les revenus autres que ceux du travail au Brésil, les pensions publiques constituent de loin la source principale, représentant 95 p.100 environ des revenus autres que ceux du travail. Le pourcentage moyen du revenu total provenant des pensions publiques est de 15 p.100 dans le sud-est et de 18,1 p.100 dans le nord-est. Par conséquent, les pensions publiques constituent une source majeure de revenus pour la population rurale. Cependant, les quintiles de revenu moyen sont ceux pour lesquels les pensions représentent le pourcentage le plus élevé du revenu total, alors que de manière absolue les familles plus riches reçoivent des pensions plus élevées. Le pourcentage de ménages recevant une pension suit la même tendance, avec un pourcentage plus élevé dans les quintiles médians (Banque mondiale, 2000a).

Caractéristiques démographiques et autres caractéristiques fondamentales des agriculteurs

D'une manière générale, au niveau de toute la région, les pauvres des zones rurales tendent à avoir un niveau inférieur d'instruction, un accès plus restreint aux services (électricité, eau potable, soins de santé, assainissement) et des indicateurs de santé inférieurs à ceux des familles pauvres des zones urbaines. Par exemple, en matière d'éducation, les personnes vivant dans des zones rurales au Brésil, au Honduras et en Equateur ont une durée de scolarisation moyenne qui équivaut environ à la moitié de ceux qui vivent dans les zones urbaines (López et Valdés, 2000). Dans le secteur de l'agriculture, il existe certes de profondes différences au niveau de ces caractéristiques entre agriculteurs (et les travailleurs sans terre), en fonction de la taille et de la situation géographique de la l'exploitation agricole.

Dans une étude sur la pauvreté rurale, López et Valdés (2000, chapitre 1) présentent certaines caractéristiques fondamentales des familles possédant de petites propriétés agricoles dans six pays, sur la base de récentes enquêtes sur les ménages (Colombie, Chili, El Salvador, Honduras, Paraguay et Pérou). Une comparaison entre pays (où sont indiquées les valeurs les plus faibles et les plus élevées) du tercile à plus faibles revenus dans chaque pays fait apparaître les caractéristiques suivantes:

Ces statistiques font état des conditions de vie difficiles que connaît un groupe important de petits agriculteurs et semblent indiquer que les programmes gouvernementaux se sont avérés inefficaces pour les aider. Par exemple, le pourcentage réduit d'agriculteurs ayant accès au crédit ou à l'assistance technique est assez surprenant, en particulier si l'on tient compte des différents programmes gouvernementaux censés être efficaces. En outre, les agriculteurs des groupes à moindres revenus ont un accès au crédit encore plus limité que ceux qui ne sont pas pauvres.

4. Facteurs déterminants de la pauvreté rurale: quelles sont les causes sous-jacentes de la pauvreté rurale?

«Il est généralement plus facile d'identifier les pauvres que faire en sorte que les parties pertinentes de l'économie portent leur attention sur leur situation». T.W. Schultz.

Quatre étapes fondamentales sont requises pour mettre au point une politique efficace de combat contre la pauvreté. La première étape cruciale est la mesure de la pauvreté, mais une politique de lutte contre la pauvreté doit se fonder sur une analyse qui ne contente pas seulement de comptabiliser le nombre de pauvres. Il faut également déterminer où le problème est le plus grave, si la pauvreté augmente ou décroît, et établir un profil de la pauvreté, c'est à dire, identifier les types de pauvreté en utilisant la corrélation entre les caractéristiques principales. Selon plusieurs auteurs, l'absence de mesures et de profils de la pauvreté adéquats contribue à expliquer la faiblesse des politiques de combat contre la pauvreté dans certaines régions.9   Un troisième aspect fondamental dans l'élaboration des politiques, et qui est le thème central de ce chapitre, est l'identification des facteurs déterminants de la pauvreté rurale moyennant l'estimation statistique des relations causales. La dernière étape consiste à évaluer l'efficacité des remèdes proposés, à savoir les solutions permettant de réduire la pauvreté, qui feront l'objet de la section 5.

Le fait de centrer l'attention sur les facteurs déterminants de la pauvreté permet d'évaluer à l'avance les effets éventuels de certaines politiques. L'approche utilisant la fonction de production est l'instrument traditionnel de cette analyse des relations causales. L'approche basée sur la fonction de revenu élaborée plus récemment (à savoir, le revenu en tant que fonction des caractéristiques familiales et de production) constitue un autre type d'étude de cette relation causale. Cette dernière approche n'est appliquée que depuis peu aux études menées dans la région de l'Amérique latine.

Ces deux approches seront analysées dans ce chapitre. L'analyse théorique sera suivi d'une synthèse de conclusions empiriques très récentes concernant certains pays (Brésil, Chili, Colombie, El Salvador, Honduras, Nicaragua, Paraguay et Pérou), grâce à une évaluation, dans les différents pays, des principales conclusions relatives à l'incidence de certains facteurs clés, tels que la taille de l'exploitation agricole, l'éducation, la main d'œuvre salariée et familiale, le capital propre, l'accès au crédit et à l'assistance technique, les titres de propriété, la localisation géographique, la taille de la famille, l'âge/sexe du chef de famille, etc., sur le revenu total par habitant et leur contribution respective à celui-ci.

Dans l'analyse des facteurs déterminants de la pauvreté se pose inévitablement la même question fondamentale: pourquoi les pauvres sont-ils pauvres ? D'après les études de López et Valdés (2000, chapitre I), dans le contexte de la pauvreté rurale en Amérique latine,  »la plus fondamentale des raisons est qu'ils ne possèdent que peu d'actifs (aussi bien humains que matériels, y compris le capital social) et que, en outre, ces actifs ont une faible productivité. Les actifs sont faible à la fois quantitativement et qualitativement (par exemple, la faible scolarisation est souvent accompagnée d'une éducation de mauvaise qualité. La faible productivité des actifs est le résultat d'un mélange de déficiences gouvernementales et de marchés incomplets et imparfaits)».

Cette taxonomie contribue à orienter l'étude des facteurs déterminants de la pauvreté rurale en permettant de distinguer les facteurs qui contribuent ou qui limitent la création des actifs des pauvres (éducation, démographie, terres, etc.) de ceux qui influent sur leur productivité (le cadre d'incitations, les politiques économiques, la croissance économique générale, etc.). La majeure partie de la littérature relative au développement agricole et à la pauvreté en Amérique latine a traditionnellement mis l'accent sur le contrôle des actifs (en particulier, de la terre) en tant que facteur clé pour expliquer la pauvreté rurale. Il est étonnant de constater que « l'effet de la faible productivité des actifs » a été pratiquement passé sous silence dans une région historiquement caractérisée par des politiques déficientes.

Outre ces deux grands déterminants de la pauvreté rurale, deux autres facteurs cruciaux sont également à considérer. En premier lieu, le rôle du facteur géographique qui, curieusement, était, jusqu'il y a peu, largement exclu des analyses de la pauvreté rurale dans la région (voir López et Valdés, 2000). Selon Krugman (1991), la croissance économique entraîne une concentration régionale croissante des activités économiques (en raison de la réduction des frais de transport et des économies d'échelle au niveau de la fabrication et des services), ainsi qu'une pénétration croissante des marchés ruraux. Ce processus déplace progressivement les industries locales (rurales), ce qui se traduit par une baisse des possibilités d'emploi non agricole pour la population rurale. López et Valdés (2000) affirment en revanche qu'une part importante de la population rurale manque de mobilité (en raison du faible degré de formation, de la distribution par âges et même parfois, de caractéristiques ethniques et de barrières linguistiques), alors que les jeunes et les personnes plus instruites sont dans l'obligation d'émigrer à la recherche de secteurs dynamiques. Par conséquent, la pauvreté rurale est, dans une certaine mesure, associée à la dynamique structurelle d'une économie durant le processus de croissance, ce qui se traduit par une concentration géographique de plus en plus marquée des industries les plus dynamiques et de la main d'œuvre qualifiée.

Les dépenses sociales constituent le deuxième facteur déterminant du niveau du bien-être des pauvres. Celles-ci comprennent les subventions du gouvernement en matière d'éducation et de santé (qui renforcent la capacité des pauvres à accumuler un capital humain et, par conséquent, leur capacité future d'obtenir des revenus), ainsi que les transferts en espèce, les pensions, l'allocation chômage et autres composants du réseau de sécurité destiné aux pauvres des zones rurales. Par exemple, l'objectif de programmes sociaux comme PROGRESA au Mexique, FONCODES au Pérou, IRD au Nicaragua et PREVIDENCIA RURAL au Brésil est essentiellement de couvrir les besoins de base, plutôt que de faciliter la création de revenus dans un avenir proche. Le financement destiné à ces programmes sociaux s'est considérablement accru au cours de la dernière décennie et certains semblent produire un impact important sur le revenu familial des pauvres. Par exemple, au Brésil, en 1996, les pensions rurales représentaient à elles seules de 15 à 18,1 p.100 du revenu familial par habitant dans le quintile le plus pauvre (Banque mondiale, 2000a). Au Chili, le transfert implicite de dépenses sociales (en espèce plus la valeur imputée des subventions en éducation, santé et logement) est passé de 49 p.100 en 1990 à 89,1 p.100 en 1998, en tant que pourcentage du revenu familial autonome pour le premier quintile (le plus pauvre) (Banque mondiale, 2000b).

Malgré l'intérêt accru, au cours de ces dernières années, pour définir des profils de pauvreté, il existe peu de travaux empiriques permettant d'identifier les mécanismes qui sont à l'origine de la pauvreté. La raison pour laquelle un si grand nombre de programmes ruraux ont échoué en termes de réduction de la pauvreté rurale réside peut-être dans ce manque de connaissances. Afin de comprendre ce qui déclenche la pauvreté rurale et les causes sur lesquelles il est possible d'intervenir moyennant des réformes de politiques, il est fondamental d'établir une distinction entre le rendement général de l'économie, et, partant de là, l'incidence des politiques économiques générales, et les facteurs déterminants de la pauvreté au niveau micro (par exemple, au niveau des ménages).

Politiques macro-économiques ayant une incidence sur la croissance et la demande de main d'œuvre : sont-elles efficaces pour réduire la pauvreté ?

Bon nombre d'études sur la pauvreté rurale en Amérique latine mettent essentiellement l'accent sur les facteurs micro-économiques, notamment l'accès à la propriété foncière et au crédit, l'incidence de l'éducation et les transferts monétaires. Cependant, la littérature plus généraliste sur la pauvreté reconnaît que l'un des principaux facteurs déterminants de la pauvreté est la croissance économique en soi. La plupart des économistes du développement s'accorderaient aujourd'hui à reconnaître que la réduction soutenue de la pauvreté passe aussi bien par la croissance économique que par l'application de politiques spécifiques de combat contre la pauvreté. En Amérique latine, la croissance est globalement efficace dans la réduction de la pauvreté (Morley, 1995), mais est-elle suffisante pour parvenir jusqu'à ceux qui vivent dans l'extrême pauvreté ? Certains auteurs ont remis en cause l'efficacité de la croissance en-deçà de certains niveaux d'éducation et dans des conditions de profonde inégalité (par exemple, de Janvry et Sadoulet, 2000) . Toutefois, Harberger (1999) a signalé que « la plupart des politiques dont le but est de parvenir à une société plus équitable peuvent s'appliquer aussi bien, voire mieux, dans une économie dynamique que dans un contexte économique de stagnation ». En effet, une croissance plus rapide permettrait également, mais pas nécessairement, à des niveaux plus élevés de dépenses publiques dans les programmes sociaux.

Un autre aspect important dans ce contexte est le fait que, dans certains pays, les revenus du travail ont plus contribué à l'atténuation de la pauvreté que les autres revenus (transferts et rendement du capital propre). Ce constat a été établi pour un nombre réduit de pays pour lesquels les données disponibles ont permis d'analyser la pauvreté dans différentes périodes. Par exemple, depuis la moitié de la décennie 1980 au Chili, le recul notable de la pauvreté a été, dans une large mesure, le résultat d'une croissance économique générale, rapide et soutenue (environ 6,5 p.100 par an durant dix ans et plus), ce qui a favorisé la création d'emplois et ensuite la hausse des salaires réels. En outre, ce phénomène ne correspond pas à l'effet de ruissellement (à savoir qu'il ne s'agit pas d'un cas où les riches s'enrichissent, ce qui dès lors entraîne une amélioration de la situation des pauvres).

Un nombre de plus en plus important de données empiriques démontre que, contrairement à la faible progression des salaires réels enregistrée à des taux annuels de croissance générale de 1 à 2 p.100 seulement, une croissance économique générale plus dynamique se traduit par un relèvement plus significatif des revenus des pauvres. Par conséquent, dans la majeure partie de l'Amérique latine, en particulier dans les pays les plus grands (où la participation des travailleurs ruraux au marché du travail et la part prise par l'agriculture dans le PIB sont faibles), une croissance rapide de l'économie en général peut contribuer largement à la réduction de la pauvreté rurale, même si la croissance de l'économie agricole est lente. Le rôle de l'agriculture est probablement plus prépondérant dans le cas des économies plus petites (El Salvador, Guatemala, Paraguay et Jamaïque), où 45 p.100 de la population vit encore dans les zones rurales.

D'un point de vue stratégique global, le rapport entre la croissance agricole et la réduction de la pauvreté devrait être claire et solide dans certaines régions telles que le sud de l'Asie (pour ce qui est de l'Inde, voir Ravallion et Datt, 1996), mais moins dans d'autres.10   Par exemple, en Amérique latine, la solidité de cette relation est moins claire. Ceci est du en partie a une participation moins importante au revenu total de l'agriculture et de son niveau relativement élevé de mécanisation (par exemple, par rapport à l'Inde). Cependant, pour les paysans sans terre et le petits propriétaires ayant une main d'œuvre excédentaire, l'emploi dans l'agriculture commerciale est sans aucun doute leur principale source de revenus (Voir López et Valdés, 2000 et Banque mondiale, 2000a) ; par conséquent, les taux de croissance des secteurs du commerce à forte intensité de main d'œuvre sont importants pour la réduction de la pauvreté rurale.

Dollar et Kraay (2000) ont récemment étudié le rapport entre la croissance, le revenu et d'autres variables sur un échantillon de 80 pays en développement durant une période couvrant quatre décennies. Leur conclusion est qu'en moyenne, les revenus des pauvres ont augmenté parallèlement aux revenus en général, avec une variation relativement faible qui reste aux environs de la moyenne. Ils ont également étudié si des politiques et des institutions spécifiques ont des effets systématiquement différents sur les pauvres. Ils signalent, par exemple, que la libéralisation des échanges commerciaux encourage la croissance dans une mesure importante en termes statistiques sans avoir un effet appréciable sur la distribution. En ce qui concerne l'inflation, l'étude conclut qu'elle se traduit par une baisse proportionnellement plus marquée des revenus des pauvres que des revenus des riches. Ferreira et Lichtfield (1997) font état d'un effet négatif tout aussi important de l'inflation sur la pauvreté et la distribution du revenu au Brésil. L'étude empirique globale de Dollar et Kraay (2000) réfute l'opinion selon laquelle la croissance ne sert que les intérêts des riches ; la croissance n'est pas désavantageuse pour les pauvres. Finalement, leur étude confirme également les résultats obtenus antérieurement par diverses études comparatives, selon lesquelles les pays pauvres qui préfèrent l'isolement vis-à-vis des marchés mondiaux et ne parviennent à établir une plate-forme de croissance restent pauvres. Il serait virtuellement impossible, en Amérique latine, de parvenir à réduire la pauvreté sans une croissance rapide.

Une conclusion empirique importante de de Janvry et Sadoulet (2000) est que la migration rurale-urbaine semble être un facteur important pour expliquer le recul de la pauvreté observé dans la pauvreté rurale durant les années 90 dans la plupart des pays latino-américains. 74 p.100 environ de la réduction de la pauvreté enregistrée dans cette période est attribué à la migration. A notre sens, on peut tirer une leçon importante de cette conclusion, en termes de politiques: il est urgent d'améliorer l'accès à l'éducation ainsi que la qualité de l'enseignement dans les zones rurales. Il a été démontré que le rendement de l'éducation dans la région est plus élevé dans les zones urbaines (voir Psacharapoulos, 1997 ; Banque mondiale, 2000a) ; d'où la nécessité d'améliorer le niveau d'éducation afin de faciliter la migration vers des emplois mieux rémunérés dans les zones urbaines. Toutefois, un autre facteur est également à considérer. La migration rurale-urbaine est non seulement coûteuse pour les émigrants, mais aussi pour les zones urbaines d'accueil, en termes de pression supplémentaire sur l'infrastructure urbaine, les services sociaux et les éléments extérieurs (par exemple, la pollution atmosphérique, le trafic). D. Gale Johnson (1996) a signalé que «  la façon la moins coûteuse de contribuer au processus d'ajustement est souvent de faire de la campagne un pôle d'attraction pour des activités non agricoles qui offrent de nouvelles possibilités d'emploi à ceux qui considèrent que le travail agricole ne constitue plus une façon acceptable d'utiliser leur capital humain » . Beaucoup estiment que l'ajustement consisterait à consacrer une partie de la journée à l'agriculture. D'autres le conçoivent comme une migration vers des villes rurales ou des petits villages. L'augmentation des revenus non agricoles semble constituer, avec l'émigration, un des facteurs clés qui expliquent la réduction de la pauvreté rurale. Les questions relatives à l'emploi non agricole seront analysées plus en détails ci-après.

L'emploi et la croissance agricole sont deux aspects fondamentaux qui ressortent du travail analytique réalisé sur la structure des incitations pour l'Amérique latine. Du point de vue de la réduction de la pauvreté rurale, des thèmes importants sont l'incidence des politiques agricoles en matière de commerce et de prix sur : a) l'emploi agricole (la main d'œuvre salariée et indépendante), b) les prix des biens produits par les pauvres, c) les prix des produits consommés par les pauvres, et d) les résultats totaux de la croissance de la production. Dans la plupart des pays en développement, les pauvres des zones rurales sont agriculteurs (petits propriétaires ou sujets à divers types d'affermage), mais les travailleurs agricoles représentent eux-aussi une part importante des pauvres des zones rurales dans plusieurs pays latino-américains. Les politiques qui affectent directement les prix relatifs à la production et les marchés de facteurs de production impliquent la mise en œuvre de mécanismes agricoles en matière de commerce, d'imposition et de fixation des prix.

Dans l'étude de l'impact des politiques, jusqu'à la moitié des année 80, les économistes spécialisés en agriculture ont traditionnellement centré leur attention sur des programmes sectoriels spécifiques. Dès les début des années 80, les économistes du secteur agricole ont néanmoins commencé à élargir la portée de leurs analyses afin de considérer l'effet des politiques économiques générales dans ce secteur. Une telle approche est basée sur l'hypothèse qui considère que les décisions des agriculteurs en matière d'investissement ne sont pas seulement influencées par les politiques de prix agricoles. La croissance agricole est aussi fortement influencée par l'évolution d'autres secteurs de l'économie, en particulier par les politiques commerciales et macro-économiques des gouvernements concernés. Par exemple, si l'application d'impôts à l'agriculture fait baisser la demande de main d'œuvre rurale, l'emploi et les salaires ruraux réels diminueront, ce qui provoquera une augmentation de la migration vers les villes et une plus forte concurrence pour obtenir un emploi. Ceci se traduira, en conséquence, par une baisse générale des revenus (ou un accroissement du chômage), y compris de ceux issus du secteur urbain informel. Cette interaction est particulièrement importante dans de nombreux pays en développement où l'agriculture constitue le moteur de l'économie (en particulier en termes de participation à l'emploi total) et un secteur fortement commercialisable. Tout changement en matière de protection industrielle, de courants financiers internationaux, de salaires et de taux de change nominaux peut renforcer ou neutraliser ces politiques sectorielles spécifiques, au même titre que les dépenses gouvernementales et les programmes d'investissement. Une croissance sectorielle soutenue passe par un courant de ressources entre secteurs qui, à différentes périodes, s'ajustent aux opportunités relatives. Il importe donc d'avoir une vision de l'ensemble de l'économie afin de comprendre la dynamique de la croissance agricole. Schiff et Valdés (1998) présentent une étude de la théorie et de l'évidence des interactions entre l'agriculture et les politiques économiques générales.

Jusqu'à la moitié des années 80, de nombreuses études ont constaté que les pays qui avaient adopté des stratégies ouvertes vers l'extérieur avaient obtenu de meilleurs résultats que les pays qui avaient tenté de fonder leurs économies sur des stratégies autocentrées, Dans le même temps, plusieurs études commençaient à évaluer les effets, sur l'agriculture, des interventions directes (spécifiques à l'agriculture) et les indirectes (au niveau de l'économie en général) qui ont une influence sur les incitations des prix du secteur agricole. Une étude comparative des politiques de prix agricoles dans les pays en développement réalisée par la Banque mondiale a permis d'analyser ces deux types d'interventions sur les prix agricoles dans 18 pays en développement durant la période comprise entre 1960 et 1985 (Schiff et Valdés, 1992). En moyenne, les interventions totales représentent une imposition de l'agriculture à un taux d'environ 26 p.100, ce qui s'est traduit par une perte moyenne annuelle de croissance du PIB de 1,1 p.100, à savoir 23 p.100 sur une période de 20 ans. En Afrique subsaharienne, le taux d'imposition (implicite) a été nettement plus élevé. Dans le contexte de l'atténuation de la pauvreté rurale, cette étude a conduit aux conclusions suivantes : a) les transferts de revenus de l'agriculture durant cette période avaient été considérables, une moyenne de 45 p.100 du PIB agricole par an ; b) la croissance économique s'est fortement ralentie à la suite de l'imposition agricole ; c) les pertes de revenu à court terme des pauvres des zones rurales avaient été énormes, et d) les pauvres avaient probablement subi des pertes absolument disproportionnées à long terme par rapport aux familles mieux nanties. Ce transfert considérable a certainement réduit énormément l'investissement privé dans le secteur agricole, la croissance agricole et l'emploi rural. Les ménages urbains sont probablement les bénéficiaires des politiques de produits alimentaires bon marché au détriment des familles rurales.

Dans une étude nationale détaillée de l'agriculture et du secteur rural en Colombie, Jaramillo (1998) analyse l'impact économique des réformes des politiques et la médiocre performance économique de l'agriculture dans les années 90 au niveau des revenus des pauvres vivant dans les zones agricoles. Jaramillo signale que la libéralisation des échanges commerciaux, la valorisation de la monnaie et la baisse des prix à la frontière se sont traduites par une baisse considérable des résultats de l'agriculture dans la plupart des activités commercialisables, en particulier dans les cultures faisant concurrence aux importations et, en revanche, une augmentation de ceux des produits intérieurs (non échangeables). Parmi les cultures commercialisables, deux seulement (le riz et le sucre) ont enregistré une meilleure performance résultant de mesures spéciales d'appui. La conclusion de Jaramillo est particulièrement pertinente dans le contexte de la pauvreté rurale : il constate que, malgré une baisse du revenu rural global, le niveau de vie des habitants ruraux les plus pauvres s'est en fait amélioré, la baisse des revenus s'étant concentrée dans les groupes à revenus plus élevés. Ces conclusions autorisent à penser que, dans certaines conditions comme celles de la Colombie, où les agriculteurs du secteur commercial produisent essentiellement des produits échangeable pour l'export et les petits paysans des produits intérieurs, l'évolution de l'agriculture (en particulier, le destin des produits échangeables) ne détermine pas nécessairement le bien-être des petits agriculteurs pauvres, mais peut avoir un effet néfaste sur les pauvres des zones rurales sans terre ou travailleurs agricoles.

Pourquoi le revenu des groupes ruraux les plus pauvres a-t-il augmenté en Colombie ? Jaramillo suggère l'intervention de quatre facteurs fondamentaux. En premier lieu, des marchés de l'emploi étroits à partir de 1992, à la suite de la croissance rapide de l'emploi dans les zones urbaines, une augmentation de la migration rurale-urbaine et, peut-être, un plus grand nombre d'emplois dans les cultures illicites du sud du pays. En deuxième lieu, la plupart des petits agriculteurs produisant des biens non commercialisables destinés au marché national (à la faveur des prix relativement plus élevés en relation avec l'appréciation de la monnaie), ou des travailleurs sans terre cultivant le palmier à huile, le sucre et pratiquant l'élevage, ont vu leur situation s'est améliorée à partir de 1990. En troisième lieu, les familles rurales plus pauvres semblent pouvoir disposer d'un plus grand nombre d'opportunités de diversification du revenu grâce au développement de l'emploi rural non agricole. En quatrième lieu, les pauvres des zones rurales ont pu bénéficier d'une forte hausse des dépenses publiques locales à partir de 1990, à la suite des transferts opérés par le gouvernement central vers des investissements sociaux, conformément aux dispositions de la Constitution de 1991.

La situation de la Colombie, où la production des petits agriculteurs est essentiellement orientée vers le marché intérieur et ne fait pas directement concurrence aux importations, ne peut être généralisée à toute l'Amérique latine. En effet, en République Dominicaine, par exemple, les petits agriculteurs cultivent du riz, des fèves, du sucre, du café et d'autres produitsparticulièrement exportables. De même, dans certaines régions du Mexique et du Chili, le blé, le maïs, le lait et d'autres produits échangeables constituent d'importantes sources de revenu pour les petits exploitants, lesquels sont donc très sensibles aux aléas de la devise et des politiques commerciale et des prix.

Facteurs déterminants de la pauvreté à l'échelon micro : une approche quantitative

Bien que les profils de pauvreté permettent une caractérisation assez précise des pauvres dans les zones rurales, ils n'apportent pas de données nécessaires à une compréhension quantitative des facteurs déterminants de la pauvreté rurale. En premier lieu, il faut, pour identifier les facteurs déterminants de la pauvreté rurale, connaître les principales sources de revenu, y compris les sources agricoles et non-agricoles (dont celles ne provenant pas de l'emploi) pour tous les membres de la famille. En ce qui concerne le revenu agricole, il faut établir un relevé détaillé des revenus et des coûts des activités agricoles, ainsi que de la valeur des biens produits et consommés par la famille. En deuxième lieu, les familles ayant des caractéristiques sociales et économiques très différentes, il est fondamental que les données recueillies apportent des caractérisations quantitatives et qualitatives, telles que les caractéristiques de l'exploitation agricole (par exemple, taille, localisation géographique et infrastructure) ; l'accès au marché des facteurs de production (par exemple, terre et crédit) ; les caractéristiques démographiques (par exemple, l'âge, le niveau d'instruction et la taille de la famille), et l'infrastructure publique (par exemple, les voies d'accès, l'électricité et l'adduction d'eau). L'information relative à ces caractéristiques n'est pas seulement essentielle pour déterminer dans quelle mesure celles-ci influent sur les revenus ruraux, mais aussi permet d'établir des distinction entre les différents groupes (par exemple, petits et moyens agriculteurs, travailleurs agricoles sans terre et travailleurs ruraux non agricoles) pour lesquels peut varier l'importance des différents facteurs déterminants.

Traditionnellement, l'analyse des facteurs déterminants de la pauvreté rurale en Amérique latine a été essentiellement qualitative. Les quelques approches quantitatives ont essentiellement été centrées sur les effets d'un facteur spécifique, tel que l'accès à la terre ou au crédit. Les approches méthodologiques ne pouvaient analyser les éventuelles interactions entre les différents facteurs en termes quantitatifs et ne pouvaient déterminer l'impact relatif (ou les élasticités partielles) des changements intervenus dans certains facteurs en fonction du niveau des autres. Certaines approches analytiques récentes prévoient l'estimation des fonctions de revenu à l'aide de différentes techniques économétriques telles que la méthode simple des moindres carrés ordinaires, les variables instrumentales et les modèles de Tobit. Ces fonctions de revenu estimé, outre le fait d'identifier les facteurs déterminants statistiquement importants de la pauvreté, permettent ensuite d'évaluer les effets partiels sur le revenu de plusieurs facteurs déterminants et l'incidence de l'interaction potentielle entre ces derniers.

López et Valdés (2000) présentent une application de la fonction de revenu pour plusieurs pays latino-américains. Par exemple, le revenu familial d'un agriculteur peut être défini par la formule suivante :

Y = w.L0 + Z + p.f(L-L0,x, T) - q.x,

Y est le revenu familial (valeur nette ajoutée par habitant de toutes les sources de tous les membres de la famille ; w.L0 représente le revenu du travail de l'emploi non agricole (w est le barème salarial du revenu non agricole ; L0 est le nombre d'heures non agricoles travaillées par les membres de la famille; Z est le revenu non agricole ne provenant pas du travail; p est le prix de la production agricole; L représente le total d'heures travaillées par les membres de la famille (ainsi, L-L0 représente le travail agricole); x correspond aux intrants achetés; T correspond à la terre; q est le prix des intrants achetés, et f(.) est la fonction de production agricole. On peut obtenir l'effet marginal net de la terre ou d'autres facteurs (travail et intrants achetés) grâce à une dérivation standard. Sous une forme logarithmique, il est possible d'obtenir les « élasticités » partielles pour chaque facteur, à savoir l'effet de pourcentage net des changements intervenus au niveau de la terre, du travail et du capital sur le revenu familial.

Un des avantages de cette approche est qu'il est possible de faire la distinction entre les impacts de second, ordre pouvant avoir une importance cruciale, des changements intervenus au niveau des facteurs déterminants, et la redistribution familiale du travail entre les activités agricoles et non-agricoles. Prenons l'exemple de l'effet d'une augmentation de la surface cultivée sur le revenu familial net par rapport à son effet sur la valeur agricole de production. L'impact sur le revenu familial pourrait capter l'effet de second ordre d'une réduction du revenu provenant d'un travail non agricole associé à l'expansion de la surface de la propriété foncière et, par conséquent, l'élasticité de l'expansion de la propriété pour le revenu familial serait inférieure à celle correspondant au revenu agricole. De même, on peut, dans l'évaluation de l'impact de cette expansion, établir une distinction entre son effet positif direct sur le revenu agricole, qui serait le reflet de l'impact sur la production, et son impact de second ordre potentiellement négatif qui implique une redistribution de la main d'œuvre de façon à l'exclure de l'emploi non agricole. López (2000) donne un exemple concret de ce processus dans une étude sur la pauvreté chez les petits agriculteurs au Chili. Bien que reconnaissant l'effet positif et important du programme d'extension (subventionné) du gouvernement sur la production des petites exploitations agricoles, le fait de participer à ce programme n'a pas eu un effet significatif en termes d'augmentation du revenu familial total net des petits agriculteurs, en raison d'une diminution du revenu non agricole. En d'autres termes, l'approche de la fonction du revenu familial rural est suffisamment flexible pour s'adapter face à des restrictions de liquidité potentiellement contraignantes et à diverses « imperfections » du marché du travail (par exemple, des différences importantes entre les revenus du travail agricole et non-agricole à la marge ).

L'étude de López et Thomas (2000) sur le Paraguay illustre la façon dont l'utilisation de l'analyse de données d'échantillon, par opposition à l'analyse transversale, permet de mieux quantifier les facteurs déterminants du revenu familial. Un échantillon de 286 agriculteurs présentant des caractéristiques socio-économiques très variées a fait l'objet de deux séries d'enquêtes, tout d'abord en 1991 et ensuite en 1994, afin de collecter un panel de données. Ce type d'approche porte sur l'effet exercé sur le revenu par les transformations dans le temps de la terre cultivée ou de la propriété de celle-ci pour les mêmes ménages ou les mêmes individus, contrôlant de la sorte le facteur de capacité de gestion. Les études transversales permettent généralement d'établir une corrélation vaste et significative entre la quantité de terres cultivées et le revenu, étant donné le rapport probable entre la quantité de terres et la capacité de gestion de l'agriculteur, une telle corrélation risque de surestimer l'effet causal de la terre sur le revenu. López et Thomas (2000) estiment une fonction de revenu, dans laquelle le revenu familial total net est exprimé selon la formule suivante :

Y = Yf + W0.L0 + N

W0 est la part de salaire non agricole; L0 est le niveau de travail non agricole; N est le revenu ne provenant pas du travail et non agricole. Yf est le revenu agricole net défini comme fonction des prix de la production et des facteurs de production, tels que la dotations en facteurs du ménage (instruction, âge, taille de la famille et ratio de dépendance), terrain propre et loué, un vecteur d'intrants achetés variables, le patrimoine en capital de la famille, la localisation et l'infrastructure à laquelle le ménage peut accéder (routes, électricité).

A l'aide d'une variante de l'approche de la fonction de revenu, López et Valdés (2000) ont appliqué, dans leur étude de la pauvreté rurale en Colombie, une régression par les moindres carrés en deux temps du revenu par habitant des agriculteurs, des travailleurs sans terre employés essentiellement dans le secteur agricole, et des travailleurs sans terre employés dans des activités rurales non agricoles. Outre le fait d'estimer les effets du revenu associés aux changements de certains facteurs déterminants, tels que la terre, le capital, les caractéristiques démographiques et la localisation: l'approche économétrique permet de capter l'interdépendance mutuelle, plutôt qu'une causalité unidirectionnelle, entre l'éducation et le revenu, en séparant les effets de l'éducation sur les revenus de l'effet des revenus sur la demande d'éducation. Leur conclusion révèle que, malgré l'effet relativement significatif de l'éducation sur les revenus, l'effet des revenus sur l'éducation est nettement plus important que l'effet du niveau d'éducation des membres qui travaillent sur les revenus. Par conséquent, en Colombie, une politique isolée d'investissement en matière d'offre éducationnelle ne pourrait avoir qu'une incidence modeste sur les revenus. L'encadré 5 contient une synthèse des conclusions d'une étude comparative menée par López et Valdés (2000) sur les facteurs déterminants de la pauvreté rurale dans six études de pays latino-américains.

Encadré 5 : L'approche de la fonction du revenu : quelques résultats comparatifs de six pays latino-américains

Les rendements de l'éducation dans le secteur agricole sont singulièrement faibles dans la plupart des cas. Un accroissement d'un an du niveau moyen de scolarisation se traduit, de façon caractéristique, par une augmentation du revenu annuel par tête de la famille de moins de US$20 par personne. La principale contribution de l'éducation dans les zones rurales semble être de préparer les jeunes à émigrer vers les zones urbaines et les villes.

Le nombre de membres de la famille et le ratio de dépendance ont un effet particulièrement négatif sur le revenu par tête. L'information collectée dans le cas des pays développés indique que la taille de la famille est déterminée par la demande, auquel cas cet effet négatif marqué pourrait n'avoir que peu de répercussions en termes de politique. Toutefois, dans les zones rurales des pays en développement, la dimension de la famille devrait présenter une composante exogène importante et, partant de là, avoir des conséquences substantielles au niveau des politiques qui n'ont pas, jusqu'à présent, été prises en compte dans les stratégies d'atténuation de la pauvreté rurale.

Les données empiriques présentées dans l'analyse indiquent que la contribution de la propriété au revenu familial total par tête est faible, sauf dans le cas du Salvador et du Paraguay. L'élasticité du revenu par rapport à la propriété au Chili, en Colombie et au Pérou est, dans tous les cas, inférieure à 0,15. En d'autres termes, une augmentation de 10 p.100 de la terre se traduirait par une hausse du revenu de moins de 1,5 p.100. Ceci contraste de façon marquée avec l'élasticité de la production agricole vis-à-vis de la terre, qui oscille entre 0,36 et 0,46. L'étude suggère que les rendements d'échelle sont généralement constants et que le produit marginal de la propriété foncière est plus important parmi les petits agriculteurs. Cependant, dans le cas du Honduras et du Paraguay, pays pour lesquels ils disposaient de données permettant la comparaison de la productivité totale des facteurs, López et Valdés (2000) ont établi qu'il n'y avait de différences significatives, sur le plan de la productivité totale des facteurs entre les petites, moyennes et grandes propriétés. Cette constatation contredit l'opinion généralisée selon laquelle il existerait un rapport en U inversé entre la taille de la propriété foncière et la productivité totale des facteurs (par exemple, Binswanger, Deininger et Feder, 1995).

Un sujet controversé en Amérique latine est le fait de déterminer si la situation des petits exploitants agricoles est meilleure ou pire que celle des travailleurs agricoles sans terre. Etant donné les limitations de la base de données, il n'a été possible d'examiner un sous-groupe de pays et, par conséquent, les données collectées ne sont pas concluantes. Dans le cas d'El Salvador, l'information recueillie démontre que la situation des travailleurs sans terre n'est guère pire que celle des petits agriculteurs, alors que celle correspondant au Pérou indique que les travailleurs sans terre ont des niveaux inférieurs de dépenses et de revenus par tête.

Source : López et Valdés (2000)

Dans l'impossibilité de travailler à l'aide de fonctions du revenu par manque de données, certains auteurs ont estimés les fonctions de recettes des agriculteurs. Une estimation quantitative très originale et pertinente des fonctions de recettes a récemment été appliquée à l'information correspondant au Brésil (Banque mondiale, 2000a, chapitre5). Les recettes agricoles sont définies comme une fonction des terres, du travail, de l'équipement agricole, une variable fictive pour l'assistance technique, les intrants achetés, l'éducation, la dimension de la famille et d'autres variables telles que l'âge des agriculteurs et l'endroit. En utilisant une spécification de forme fonctionnelle flexible; ceci a permis d'obtenir des élasticités qui varient selon la taille et les caractéristiques spécifiques de l'exploitation agricole et, permettre d'analyser, en fonction de la taille de l'exploitation, l'effet quantitatif de plusieurs facteurs sur les revenus.

Une conclusion importante de cette étude sur le Brésil est que plusieurs paramètres associés aux interactions déterminantes sont significatifs sur le plan statistique. Par exemple, la rentabilité marginale des actifs individuels dépend dans une large mesure des niveaux d'autres actifs, du capital humain et des caractéristiques démographiques de la famille. En d'autres termes, des facteurs tels que l'âge, l'éducation et la richesse exercent une forte influence sur le taux de rentabilité de facteurs tels que la taille de l'exploitation agricole et la main d'œuvre. Même si ces interactions sont intuitives en termes économiques, peu d'études ont, jusqu'à présent tenté de mettre au point un calcul explicite de leur ampleur relative. D'autre part, un grand nombre d'élément interactifs impliquant des prix et des actifs sont importants, ce qui autorise à penser que la rentabilité des actifs dépend largement des prix. L'étude conclut, par exemple, qu'une hausse de 10 p.100 des prix d'exportation accroît la valeur marginale de la main d'œuvre d'un pourcentage similaire et que, bien que les revenus agricoles répondent de façon positive et forte à la taille de la propriété dans le cas d'agriculteurs travaillant sur de grandes exploitations, l'incidence sur les petites propriétés est minimale. Autrement dit, sans un apport significatif d'actifs complémentaires tels que le crédit et le capital, le rendement de la terre en soi peut être très réduit.

Les effets de ce qui a été dénommé le « bouquet » de services en matière de rentabilité de l'éducation et des services sociaux, tout comme les termes interactifs dans l'étude sur le Brésil, sont particulièrement notables dans une étude de la pauvreté au Pérou (Banque mondiale, 1998b). Le problème des politiques est que l'incidence positive supplémentaire d'un nouveau service s'accroît en fonction du nombre total de services disponibles. La logique sous-jacente est que la prestation conjointe de services, tels que l'eau potable, contribuera d'autant plus à améliorer le bien-être de la famille qu'il est accompagné d'autres services, tels que l'assainissement. Les bénéfices réels ne pourront se matérialiser que si ces services sont offerts conjointement. L'étude sur le Pérou a également fait apparaître que les services d'électrification et d'assainissement accroissent notablement le rendement de l'éducation à la fois dans les zones rurales et urbaines, les enfants pouvant lire et étudier plus longtemps le soir. De même, il a été démontré que des meilleurs routes rurales ont une incidence très positive sur le rendement de l'éducation rurale.

5. Quelques thèmes clés en matière de pauvreté rurale

L'emploi rural non-agricole (RNA) et la pauvreté : analyse des faits et des politiques

L'emploi rural non agricole en Amérique latine est important et ne cesse de se développer. Il représente actuellement plus d'un tiers de l'emploi rural total et 40 p.100 du revenu total des familles rurales (Berdegue et coll.,2000). Chez les petits agriculteurs, la contribution du revenu non agricole au total du revenu familial varie énormément. Au Chili, le pourcentage est de 60 p.100 environ, alors qu'au Paraguay, Honduras, en Colombie et à El Salvador, il fluctue entre 28 et 36 p.100, et ne représente que 6 p.100 environ au Pérou (López et Valdés, 2000).

Klein (1992) a réalisé la première étude systématique de l'emploi rural non-agricole en Amérique latine (pour 18 pays) durant la décennie 1970. Parmi les principaux travaux plus récents dans ce domaine, citons les études de Berdegue et coll. (2000), les études de Lanjouw (2000) sur l'Equateur et El Salvador et l'étude sur le Brésil (Banque mondiale, 2000a). L'utilité des activités rurales non agricoles est aujourd'hui largement reconnue, de même que le fait qu'elles pourraient représenter un facteur clé d'une stratégie de combat contre la pauvreté. Par conséquent, la question qui se pose est vraiment pragmatique. Que faut-il et qui va payer pour rendre les zones rurales plus intéressante pour la création d'emplois ruraux non agricoles ? Les études en question constituent de bons points de départ pour aborder ce problème.

Dans le cas de l'Equateur et d'El Salvador, Lanjouw (2000) indique que la plupart des entreprises rurales sont de petites entreprises familiales (de deux à trois travailleurs chacune). D'une manière générale, le ratio femmes-hommes employés dans le secteur rural non agricole est plus élevé que dans l'agriculture. Le sexe semble constituer un facteur déterminant important en termes d'accès à l'emploi rural non agricole et, en conséquence, les politiques visent à apporter un soutien aux femmes : l'éducation, la prise en charge des enfants et l'accès au financement sont autant de facteurs susceptibles de renforcer la capacité des femmes d'accéder à des emplois mieux rémunérés. Lanjouw (2000) mentionne le cas d'activités rurales non agricoles plus nombreuses là où existe une meilleure infrastructure rurale (par exemple, les chemins, l'électricité et les communications). Il en déduit qu'un niveau plus élevé d'instruction et un meilleur accès à l'infrastructure rurale favorisent notablement la possibilité, pour un ménage, d'administrer une entreprise familiale.

Berdegue et coll. (2000) et Reardon et coll. (2000) ont passé en revue un grand nombre d'études sur les activités rurales non agricoles dans la région, menées depuis 1994. Cette information ne fait apparaître aucune corrélation importante entre les tendances à l'emploi rural non agricole et la croissance générale du PIB agricole. On peut donc penser que les tendances sont plutôt le reflet de modèles spécifiques de changements dans le secteur agricole (par exemple, l'intensification et la diversification) et dans les activités non agricoles du secteur rural (par exemple, l'agro-industrie et le tourisme) (Berdegue et coll., 2000). Une autre conclusion intéressante est qu'un pourcentage important correspond à des emplois ruraux non agricoles de faible qualité et productivité qui, bien que correspondant à accroître le revenu familial et à compenser les fluctuations saisonnières des revenus, ne constituent pas un stimulus réel susceptible de conduire à l'élimination de la pauvreté et à un développement durable.11  

D'une manière générale, plusieurs hypothèses de travail pratique se dégagent de la révision de cette littérature. La première est que les activités rurales non agricoles tendent à se développer là où l'agriculture est plus prospère et où il existe un meilleur accès à l'infrastructure. Le problème consiste à savoir que faire dans le cas des régions agricoles plus pauvres, en particulier lorsque l'infrastructure est insuffisante et où le revenu agricole est faible. Il faut également étudier de plus près l'existence de caractéristiques systématiques (telles que l'éducation) de façon à déterminer quels sont les individus qui participent aux emplois ruraux non agricoles mieux payés vis-à-vis des moins bien payés. Les marchés dynamiques ne sont pas dans les communes (municipios) les plus pauvres. Une deuxième tâche consiste à identifier les marchés potentiellement dynamiques et les mesures à prendre pour établir des passerelles entre les zones productives les plus pauvres et ces marchés. Diverses possibilités ont été envisagées -complexes productifs, travail agricole contractuel et autres- et beaucoup ont été explorées. Elles ne semblent pas faire long feu dans les régions agricoles les plus pauvres, en partie parce qu'il est coûteux d'organiser des petits agriculteurs disséminés dans des zones à faible productivité. Troisièmement, les gouvernements locaux et régionaux peuvent, en collaboration avec le secteur privé, identifier des « biens publics » clés, y compris les investissements, susceptibles de contribuer à renforcer les liens entre l'agro-industrie, l'agriculture, le commerce et les échanges.

Pauvreté rurale, femmes et groupes autochtones en Amérique latine : déficience du gouvernement ou du marché ?

Bien que la forte incidence de la pauvreté chez les peuples autochtones et les femmes soit largement reconnue, aucune étude empirique systématique n'a, jusqu'ici, établi les principaux facteurs déterminants susceptibles d'expliquer cette situation. L'affirmation selon laquelle toutes les personnes pauvres habitant les zones rurales ne sont pas des autochtones mais que pratiquement tous les autochtones sont pauvres contient une grande part de vérité, mais pourquoi ?

Si l'on analyse la littérature existante en matière de critère sexospécifique et de groupes autochtones, Korzeniewics (2000) parvient à des conclusions étonnantes. En premier lieu, il n'existe pas, sur le marché de l'emploi, de preuve de discrimination entre les sexes, déterminée par le marché. La participation des femmes au marché du travail reste faible mais enregistre une hausse notable. En deuxième lieu, les écarts de salaires semblent moins marqués en Amérique latine que dans beaucoup de pays industriels. Il en conclut que « la plupart des désavantages subis par les femmes dans leurs activités rentables sont associés à des déficiences gouvernementales, y compris des normes discriminatoires (telles que les restrictions quant au nombre d'heures autorisé pour un travail féminin, à la participation des femmes à diverses activités et aux titres de propriété), une affectation discriminatoire des terrains publics et un investissement lacunaire en matière de programmes sociaux, tels que la prise en charge des enfants de familles pauvres et des programmes de vulgarisation ciblés sur les femmes (Korzeniewics, 2000). Ces conclusions constituent un bon indicateur des principaux domaines appelant une intervention gouvernementale en faveur des femmes qui travaillent.

Au début des années 90, les latino-américains autochtones représentaient un peu moins de 10 p.100 de la population totale, et se concentraient, pour la plupart, en Méso-Amérique et dans les Andes. Leur diversité culturelle est surprenante ; il existe plus de 400 langues indigènes. En ce qui concerne les femmes, les désavantages des populations autochtones semblent surtout obéir aux déficiences gouvernementales et au manque d'instruction, plutôt qu'à la discrimination induite par le marché. En règle générale, les individus autochtones des zones rurales travaillent de façon indépendante, ont un faible niveau d'instruction, n'ont pas accès aux services sociaux et vivent souvent dans des zones marginales. Les données recueillies au Pérou suggèrent que, malgré les profondes différences salariales, la plupart des différences existant vis-à-vis de la population non autochtone sont liées aux faibles niveaux d'instruction des peuples autochtones et à la mauvaise qualité de cette éducation (López et della Maggiora, 2000).

Les mouvements autochtones de base, sous la direction d'une nouvelle génération de représentants persuasifs, conduisent de plus en plus souvent à une présence plus active des peuples autochtones dans l'arène politique, ce qui peut donner lieu à de profonds changements dans le cadre juridique et dans la formulation des politiques dans leurs pays (Partridge, Uquillas et Johns, 1998). Une stratégie sociale dynamique s'impose afin d'atténuer la pauvreté des groupes autochtones dans les zones rurales. Notamment par le biais de programmes d'assistance sociale conçus pour des conditions culturelles spécifiques, la participation des populations autochtones devient effective au niveau de leur conception et mise en œuvre. Une éducation de meilleure qualité, des programmes de base en matière de soins et de nutrition, des titres de propriété, un marché plus efficace et un meilleur accès à l'infrastructure (par exemple, l'électricité, l'irrigation et le réseau routier), sont autant d'objectifs prioritaire d'un programme de réduction de la pauvreté parmi les populations autochtones de la région.

Pauvreté rurale et dégradation des ressources naturelle en Amérique latine

La plupart des pauvres des zones rurales cultivent des terres particulièrement vulnérables à l'érosion. La pauvreté rurale est étroitement liée à l'érosion des sols. Sans en être la cause principale, la pauvreté rurale conduit fréquemment à une dégradation des ressources. Dans leur étude du cercle vicieux qui frappe les agriculteurs les plus pauvres, López et Valdés (2000, chapitre 1) tirent les conclusions suivantes : « A mesure qu'augmente la population, en particulier dans les zones où existent peu de possibilités d'emploi non agricole, se produit un processus d'intensification des cultures. Cette intensification dans un contexte de fragilité des sols (dans les tropiques, une part importante de la surface cultivée se trouve à flanc de collines) conduit généralement à une dégradation rapide des sols, à moins que de lourds investissements soient consentis pour les protéger ». Néanmoins, la pauvreté compromet la capacité d'assumer la gestion de la dégradation des sols car elle limite la possibilité d'économiser pour investir dans la protection des terres cultivées. Cette situation est encore aggravée par le manque d'accès au crédit, par les longues périodes de latence de la plupart des investissements destinés à préserver les sols, et par les déficiences en matière de politiques, notamment lorsqu'elles contribuent à créer un climat d'incertitude quant à la propriété des terres et lorsqu'elles limitent l'accès à la terre pour les pauvres des zones rurales (Barbier, 2000). Il s'agit, certes, d'une vision générale incomplète du rapport entre la pauvreté rurale et la dégradation des ressources ; les études sur les problèmes environnementaux se multiplient en Amérique latine, en raison notamment de la prise de conscience et de la préoccupation croissante des gouvernements et de l'opinion publique quant à certains problèmes tels que les forêts autochtones et la gestion des eaux. Cependant, les études spécifiques sur les agriculteurs les plus pauvres dans le contexte d'écosystèmes fragiles reste un domaine de recherche encore peu développé en Amérique latine.

Les terres

Historiquement, de nombreux économistes en Amérique latine estimaient que la nature chronique de la pauvreté dans le secteur agricole de la région était la conséquence directe des régimes de propriété foncière. Selon cette perspective, les structures dominantes du marché foncier avaient fait obstacle à l'accès à la terre de la part des pauvres des zones rurales. Cette vision a évolué suite à la prise en compte de divers facteurs. D'une part, plusieurs pays ont mené des réformes agraires de grande envergure sans que la situation des bénéficiaires de ces réformes s'en soit pour autant améliorée. Le Mexique est le premier pays, il y a de nombreuses années, à avoir mené à bien ce type de réformes massives, suivi d'autres pays comme la Bolivie, Cuba, Nicaragua, El Salvador, le Pérou et le Chili, alors que la Colombie, le Venezuela et le Brésil ont mis en oeuvre des réformes agraires de moindre envergure. D'autre part, étant donné que dans le contexte de politiques essentiellement orientées vers le marché et de l'ouverture commerciale, dans lequel l'investissement privé est le moteur de la croissance agricole, les expropriations de terres et des biens liés à celles-ci peuvent, en l'absence d'une compensation totale, entraîner une forte baisse de l'investissement privé et, par conséquent, compromettre l'ensemble des réformes économiques. Il va de soi que des réformes agraires massives assorties d'un remboursement intégral des terres seraient extrêmement coûteuses pour les gouvernements et ne pourraient être couvertes par les ressources publiques disponibles. Binswanger et Elguin (1989) ont effectué une évaluation objective et documentée de cette stratégie : ils affirment que les stratégies appliquées dans le passé pour améliorer l'accès des pauvres à la propriété terrienne moyennant l'expropriation dans le cadre de réformes agraires gérées par le gouvernement se sont avérées coûteuses, polémiques et non-viables dans de nombreux pays.

Cette époque de réformes agraires massives basées sur des expropriations officielles assorties d'un remboursement partiel ou sans aucune compensation aux propriétaires terriens étant dépassé, les pauvres sans terre, pour qui l'accès à la propriété constituerait une possibilité de sortir de la pauvreté, doivent donc avoir recours au marché foncier. Il est paradoxal de constater que, malgré le grand nombre de recherches sur la réforme agraire en Amérique latine, il existe très peu d'études sur les solutions de remplacement qui faciliterait l'accès à la terre grâce au fermage, au métayage, au contrat-bail à long terme et au travail agricole contractuel. Plus récemment sont apparus des projets pilotes basés sur ce qui a été appelé la « réforme agraire fondée sur le marché » (les ventes volontaires de la part des propriétaires terriens) sont de plus en plus populaires dans certains pays, en particulier dans le nord-est du Brésil, où la valeur des terres est extrêmement faible, et en Colombie, dans le contexte de l'insécurité résultant de l'activité des guérillas (par exemple, les enlèvements et demandes de rançons) dans les zones rurales qui frappe particulièrement les grands propriétaires terriens.

L'accès direct à la propriété peut constituer un facteur crucial pour employer intégralement la main d'œuvre, en particulier lorsque d'autres sources d'emploi et de revenu sont faibles. Carter et Zegarra (2000) se sont penchés sur les données théoriques et empiriques relatives au fonctionnement du marché foncier, à la compétitivité des différents types de producteurs qui y évoluent et aux rapports existants entre la main d'œuvre, la pauvreté et l'accès à la propriété foncière. Ils signalent que « la main d'œuvre sous-utilisée qui caractérise la pauvreté rurale semble apporter aux pauvres un avantage compétitif potentiel sur les marchés fonciers ». Toutefois, ce processus naturel hypothétique de sous-division de la terre qui facilite l'accès des pauvres sans terre (fondé sur l'hypothèse d'une offre de main d'œuvre réduite) ne se retrouve pas dans les faits, probablement à cause de : a) des prix élevés des propriétés foncières (supérieur à la valeur actuelle du rendement agricole), et b) des frais de transaction associés au lotissement agricole, qui renchérissent le coût que représente le nombre accru de petites exploitations.

Un élément important à prendre en considération quant au rapport terre-pauvreté consiste à déterminer si la valeur de la terre en tant que source de revenu familial est supérieure ou inférieure à sa valeur en tant que source de production agricole. Récemment, López et Valdés (2000) ont, pour la première fois, abordé ce thème et sont parvenus à la conclusion que la propriété n'apporte qu'une faible contribution au revenu par tête, cette contribution étant mesurée par l'élasticité du revenu par rapport à la terre, qui est inférieure à 0,20, ce qui contraste nettement avec l'élasticité de la production agricole par rapport à la terre qui, dans l'échantillon des pays latino-américains étudiés, oscillait entre 0,36 et 0,46.

Est ce que la redistribution des terres sera le principal instrument du combat contre la pauvreté rurale en Amérique latine à l'aube du nouveau millénaire? La réponse est probablement négative. De Janvry et Sadoulet (1193) ont signalé que « l'étape des réformes agraires de grande envergure étant virtuellement terminée, il est désormais possible de faire appel à des stratégies moins polémiques ».Celles-ci pourraient consister, notamment, à améliorer les marchés du fermage, à remettre et enregistrer des titres de propriété dans le cas des petits agriculteurs et des occupants illégaux, à offrir des emplois agricoles contractuels et à créer des entreprises mixtes avec les petits propriétaires. Pourquoi existe-t-il une déficience en termes de développement d'institutions qui pourraient contribuer à réduire les coûts opérationnels associés à l'information, au contrôle, à la négociation et à l'exécution des contrats de fermage ? Ce point mérite d'être analysé plus en profondeur. De Janvry et Sadoulet (1993) avancent l'hypothèse selon laquelle cette déficience est, dans une large mesure, le résultat de la faiblesse des droits de propriété, d'une structure juridique obsolète, du manque d'exécution juridique des contrats et des coûts opérationnels élevés sur les marchés foncier et du crédit dus à l'excès de démarches formelles. En l'essence, il s'agit donc d'une déficience du gouvernement plutôt qu'une déficience du marché en soi. Il faut également souligner que, dans certains pays comme le Brésil, la législation du travail et la façon dont elle est appliquée constituent également une forte limitation au développement du marché de fermage, car elle accorde des droits juridiques permettant au locataire de continuer à occuper la propriété agricole louée (Banque mondiale, 2000a).

Finalement, il convient d'apporter une précision quant aux comparaisons de la distribution des terres en Amérique latine. Dans l'interprétation des données censitaires sur la distribution des terres en fonction des dimensions, les comparaisons sont basées sur des unités de terre effectives (c'est-à-dire ajustées en fonction des différences de capacité productive). Jusqu'à présent, les coefficients nécessaires aux ajustements par écarts de productivité entre les différentes régions ne sont disponibles que pour quelques pays, écarts qui sont, hélas, souvent considérables. En termes de terres ayant une capacité productive équivalente, une propriété de 20 hectares dans une région peut équivaloir à une autre propriété de 80 hectares ou plus ailleurs. Bien que le manque de données pertinentes pour apporter les ajustements en fonction des différences de productivité limite considérablement l'analyse de la structure de la propriété par taille dans la majeure partie de l'Amérique latine, les chercheurs et les institutions publient tous de nombreux tableaux de redistribution des terres agricoles sur la base d'unités foncières non ajustées. Il importe de combler cette lacune en matière de données pour pouvoir réaliser une analyse rationnelle de la redistribution des terres et, naturellement, pour mettre sur pied un régime équitable d'impôts fonciers.

Décentralisation et pauvreté rurale : création du capital social

Etant donné la nature hétérogène de la pauvreté rurale et ses attributs (par exemple, les différences quant à l'accès aux biens, les caractéristiques familiales, le contexte institutionnel, les spécificités régionales, etc.), les solutions pour sortir de la pauvreté rurale sont tout aussi variées. Par conséquent, les programmes de développement rural et les stratégies de combat contre la pauvreté rurale devraient être conçus en fonction des exigences spécifiques de façon à pouvoir répondre à ces besoins locaux hétérogènes. A la lumière de ces antécédents, l'échec de plusieurs projets de développement rural depuis les années 70 est sans doute associé, outre le fait qu'ils n'ont pas tenu compte de l'hétérogénéité au niveau de la communauté, à une participation de la communauté et une capacité locale inadéquates, ainsi qu'une centralisation excessive de la prise de décision, qui est la source commune de mauvaise affectation des ressources induite par des facteurs politiques (voir, van Zyl et coll., 2000). Cela implique qu'il faille non seulement considérer l'hétérogénéité des pauvres, mais aussi les encourager réellement à participer de façon active à l'identification de leurs besoins et à s'organiser eux-mêmes pour pouvoir exercer une pression efficace pour que ces besoins soient satisfaits (Lipton et van der Gaag, 1993). En d'autres termes, un objectif central de toute stratégie d'atténuation de la pauvreté rurale devrait consister à encourager les pauvres, au sein des communautés, à créer le capital social « de base » qui leur donne une voix politique collective et leur serve d'assise pour participer à la gestion de leurs propres efforts de développement local.

Les approches adoptées dans le passé, tels que lesdits Projets de développement rural intégré (PDRI), bien que fondées sur le besoin d'opérations plus localisées, ne sont pas parvenues à faire participer les pauvres de manière suffisante ni à créer le capital social local (van Zyl et coll., 2000). L'expérience récente dans un nombre croissant de pays en développement indique que les programmes de développement décentralisés de façon adéquate et assortis d'une démarche parallèle visant à encourager la participation et l'autonomie au niveau de la prise de décision au sein des communautés locales peuvent se traduire par de réelles capacité à obtenir de meilleurs résultats en matière de développement rural.

Ces programmes reformulés en fonction des intérêts communautaires peuvent s'avérer particulièrement efficaces au niveau de la prestation d'une vaste gamme de biens publics en infrastructure. C'est ainsi qu'une récente évaluation globale (van Zyl et coll., 2000) des Projets d'atténuation de la pauvreté rurale, mis en œuvre en collaboration avec la Banque mondiale dans huit états du nord-est du Brésil, a permis de constater qu'ils avaient atteints les objectifs proposés et, dans une large mesure, des buts fixés lors de leur mise en marche, en 1995. Parmi les sous-projets d'infrastructure de biens publics, l'électrification rurale et l'adduction d'eau sont les éléments prédominants du profil des exigences de la communauté, mais le vaste éventail de travaux d'infrastructure sollicités (par exemple, l'amélioration des routes, de petits ponts et des téléphones publics) traduit l'hétérogénéité attendue dans les priorités de développement des différentes communautés. Le succès des sous-projets productifs (à savoir, ceux qui exigeaient un investissement direct en production ou traitement de biens agricoles et non-agricoles) dont la réalisation s'impose généralement après que soient satisfaits les besoins en infrastructure des communautés, dépendait de la complexité du processus de production (parmi les projets simples, se trouvaient des « casas de farinha », de petits systèmes d'irrigation et la mécanisation de l'agriculture) et aussi du degré d'exposition de l'activité aux risques du marché. D'autres entreprises plus complexes, tels que des ateliers d'habillement, de céramique et des briqueteries, ont eu un certain succès mais ont nécessité un appui technique nettement plus important.

6. Vision prospective : nouvelles recherches et enjeux en matière de politiques

Pour conclure, nous avons, sur la base des antécédents exposés plus haut et d'autres études, identifié plusieurs domaines qui, traditionnellement, ont été abordés de façon inadaptée dans la plupart des pays :

Remerciements

Les auteurs souhaitent exprimer leurs remerciements à William Meyers pour ses suggestions préalables et à Kostas Stamoulis pour ses précieux commentaires à la version préliminaire de cette étude.


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1 Des informations supplémentaires sur les accords du Sommet du G-8 à Okinawa en matière de pauvreté mondiale sont disponibles dans le Rapport du G-8 FMI/BMD (juillet 2000) sur Internet : http:/www/worldbank.org/html/extdr/extme/G8_poverty2000.pdf.

2 La Banque mondiale évoque cette même position dans un rapport lucide sur la stratégie sectorielle intitulé « Rural Development : From Vision to Action ».

3 Dans les pays latino-américains, la pauvreté n'est pas seulement profonde et prédominante dans les zones rurales mais elle constitue également, en raison de l'ampleur de l'exode rural vers les périphéries urbaines, une source importante de pauvreté urbaine.

4 Dans leur étude de la pauvreté et de l'économie rurale, Tomich, Kilby et Johnston (1995) se sont centrés sur un sous-groupe particulier de pays en développement, à savoir des pays possédant une main d'œuvre agricole abondante, un faible revenu par habitant et une faible productivité des activités agricoles. Une caractéristique majeure de ces pays est que 50 p.100 ou plus de leur population active travaille dans l'agriculture. Ils ont établi une liste de 58 pays présentant ces caractéristiques, dont trois pays latino-américains seulement, à savoir Haïti, le Honduras et le Guatemala. Dans la plupart des pays de l'Amérique latine, la transformation structurelle a réduit la part de l'agriculture dans la population active à moins d'un tiers.

5 Des révisions globales et intéressantes de cette littérature sont disponibles, notamment, dans : Ravallion (1992), Ray (1992) et Banque mondiale (1993).

6 Voir Ravallion (1992), où est présentée une excellente révision de cette littérature.

7 Pour déterminer le seuil de pauvreté, le coût du panier de la ménagère (du troisième décile) est multiplié par l'inverse du pourcentage de l'alimentation dans les dépenses totales (par exemple, le coefficient d'Engel de 0,5, moyennant la valeur standard au Chili) qui implique un redoublement du seuil d'indigence (pauvreté extrême). Dans le cas de l'indigence, le seuil de pauvreté représente le revenu nécessaire pour couvrir les dépenses en alimentation, en fonction d'un régime alimentaire adéquat selon les normes caloriques définies par la FAO/OMS.

8 Le seuil de pauvreté a été fixé à 65,07 reales en 1996 à Sao Paulo. Voir chapitre 6 de la Banque mondiale (2000a) afin d'avoir plus de détails sur le travail actuellement en cours et les résultats préliminaires.

9 Voir, par exemple, M. Lipton et J. Van der Gaag (1993), qui abordent ce problème dans la plupart des pays d'Afrique, contrairement au cas de l'Inde ou même les mesures rudimentaires ont servi à orienter les politiques de transferts.

10 Dans leur étude sur la croissance et la pauvreté en Inde, Ravallion et Datt (1996) signalent que depuis 1970 environ, la majeure partie des hausses de revenu des pauvres en Inde est attribuée à l'impact direct et indirect de la croissance agricole. Les augmentations de production ont contribué à réduire la pauvreté par le biais d'effets induits au niveau des salaires et d'autres mécanismes plus directs, tels que les effets sur l'emploi et la productivité des cultures elles-mêmes.

11 L'étude de la Banque mondiale (2000a) sur l'emploi rural non agricole dans les zones rurales du Brésil apporte des conclusions similaires.


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