Page précédente Table des matières Page suivante


CHAPITRE XI. ÉTUDES DE CAS


Treize études sur la fenaison traditionnelle dans des petites fermes ou dans des systèmes pastoraux sont présentées. Seule l'étude de l'Afrique de l'Ouest traite de l'introduction de la fenaison comme une innovation. Elles couvrent une large gamme de pratiques existantes et servent comme toile de fond aux chapitres précédents. Il y a des études à partir de dix pays en Afrique, Asie de l'Ouest et du Sud et l'Amérique Latine. Certaines parties représentent la contribution de spécialistes nationaux, le reste se fonde sur l'expérience de l'auteur durant ses nombreux voyages pour le compte de la FAO.

Bien que les régions étudiées ne prétendent pas être représentatives de toute la fenaison à petite échelle, certaines conclusions sommaires peuvent néanmoins en être tirées. Neuf des treize études comportent le foin à partir de l'herbe naturelle, mais ce n'est un composant majeur que dans six d'entre elles: Ethiopie, Inde, Mongolie, Népal, Nicaragua et Sahel. Toutes, exceptée la Mongolie, sont situées dans des zones tropicales ou de mousson, où la fenaison est seulement faisable après les pluies, quand la qualité du fourrage est très basse. Le site mongolien a une saison de croissance thermique trop courte pour le fourrage semé, et la qualité de l'herbe à la fenaison est satisfaisante. De nombreux sites pour le foin naturel sont situés sur des terres marginales montagneuses, des problèmes d'accès et de droit de fauche du foin entravent l'amélioration de leur gestion.

Le foin de légumineuse est produit dans sept des cas: Afghanistan, Argentine, les trois sites chinois, Pakistan et Turquie. Dans tous ces cas, c'est la source principale du foin, et dans cinq des sept cas il est irrigué. Tous les sites où une légumineuse est cultivée sont situés dans les régions subtropicales, semi-arides ou à hiver froid et, à part l'Argentine, sont en Asie. La luzerne est la culture de foin la plus répandue, avec le trèfle de Perse (Trifolium resupinatum) important en Afghanistan et au Pakistan, alors que le sainfoin (Onobrychis viciifolia) est mentionné en Turquie. Il n'existe pas de rapports sur l'herbe cultivée pour la conservation dans des petites fermes (bien qu'utilisée dans des grandes fermes dans des climats similaires). Le foin d'avoine n'est important qu'au Pakistan, bien qu'il soit cultivé à grande échelle en Afrique du Nord.

La plupart du fourrage semé l'est à partir de semence locale de faible qualité, récoltée sur la ferme. Une faible qualité de semence et la non-disponiblité de semence de meilleurs cultivars testés localement est fréquemment mentionnée. L'étude de cas dans les régions du Nord du Pakistan démontre comment l'introduction des cultivars de luzerne adaptés peut avoir un grand effet dans une région où les écotypes traditionnels ne conviennent pas au climat local. Egalement au Pakistan, l'introduction de variétés d'avoine à plusieurs coupes a changé la culture d'un fourrage mineur en une culture importante pour le foin et une source de fourrage vert de saison froide.

Le manque d'engrais de fonds conduisant à la diminution des rendements et à une faible persistance de la luzerne est mentionnée à plusieurs occasions. De médiocres techniques de fauchage à la main et de programmation des coupes, surtout pour la luzerne, sont aussi fréquentes. Cependant, la formation dans ce domaine peut être compliquée dans de nombreuses zones parce qu'une grande partie de ce travail est réalisé par les femmes et les enfants. La compétition avec les cultures vivrières pour les rares terres et ressources en eau est une contrainte majeure pour l'expansion de la fenaison, et le besoin d'un meilleur approvisionnement en fourrage en saison de pénurie est mentionné dans toutes les études, la stratégie devra donc viser à accroître les rendements par unité de surface.

La fauche manuelle est générale, habituellement à la faucille, quelques fois à la machette, et rarement à la faux. Seul le cas de l'Altai rapporte l'utilisation de faucheuses. Là, la superficie fourragère par famille est assez grande (4 ha) et la plupart des éleveurs sont en transhumance pendant la récolte. Ailleurs, le foin est souvent coupé, un petite quantité chaque jour, et transporté à la ferme pour le séchage final. Beaucoup de foin naturel, spécialement dans les sites montagneux, provient de terrains où les faucheuses ne peuvent pas être utilisées. La confection de foin en petites bottes est répandue et est rapportée dans sept cas, de nouveau tous en Asie à part l'Argentine. La mise en balle est rare et associée avec de longues distances de transport, elle est généralement organisée par les marchands plutôt que par les producteurs.

La culture de céréales secondaires spécifiquement pour le séchage comme fourrage est rapportée dans quelques régions tropicales et subtropicales avec une saison sèche bien marquée: Inde, Népal, Nicaragua et Pakistan. Les cultures affectées par la sécheresse peuvent aussi être utilisées. Le foin de céréale secondaire est fréquemment cultivé là où l'humidité est inadéquate pour amener une culture de grains à maturité. Les méthodes de récolte manuelle pour le maïs, le mil et le sorgho permettent souvent aux tiges d'être coupées et séchées à un stade beaucoup plus précoce que la récolte mécanisée, et par conséquent produisent un aliment de qualité supérieure.

L'utilisation de la paille et des tiges comme aliment est rapportée dans tous les cas, sauf un (le site mongolien ne peut pas cultiver les céréales), mais le degré de soin porté à la récolte et au stockage varie. Le traitement de la paille n'est pas du tout répandu, et est rapporté seulement en Afghanistan et au Pakistan. Neuf cas rapportent qu'une certaine quantité de foin et de paille est vendue. Quelques fois, comme en Inde, le foin naturel est récolté spécifiquement pour la vente. Le foin d'avoine est actuellement une culture de rente au Pakistan. Dans d'autres cas, le foin est vendu pour avoir une liquidité immédiate et le bétail des paysans doit survivre sur la paille.

Étude de cas 1. FENAISON EN ÉTHIOPIE[2]

PRATIQUES TRADITIONNELLES ET AMÉLIORÉES DES PAYSANS

L'agriculture a toujours été, et reste, la pierre angulaire de l'économie éthiopienne, et le système agraire à petite échelle est la colonne vertébrale du secteur. La production à petite échelle compte pour 96% de la superficie cultivable et 90 - 94 % des céréales, légumineuses et oléagineuses produites. L'agriculture emploie 80 -85% de la population. Environ 60% du revenu agricole provient des cultures, avec l'élevage et les forêts produisant 30% et 7%, respectivement. Selon l'enquête agricole de 1995/96, les céréales couvrent la plus grande partie de la superficie cultivée (84,55%), suivies par les légumineuses (11,13%) et autres (4,32%).

La technologie du secteur de subsistance est surtout traditionnelle et pratiquée en sec, avec des régions très limitées en irrigation. Les céréales produisent 0,8 - 1,0 t/ha pour le teff, 1,2 - 1,4 t/ha pour le blé, 1,1 - 1,5 t/ha pour l'orge et 1,6 - 2,0 t/ha pour le maïs, estimation donnée par l'Autorité Centrale des Statistiques. Les zones écologiques variées permettent la production de plusieurs espèces d'animaux, qui représentent une ressource nationale importante. L'Ethiopie a la population animale la plus importante d'Afrique: 30 millions de têtes de bovins, 23 millions d'ovins, 18 millions de caprins, 7 millions d'équidés, 1 million de dromadaires et 53 millions de volailles. Les bovins jouent le rôle le plus important dans l'économie agricole, suivis par les ovins et caprins.

Les systèmes de production animale en Ethiopie sont déterminés par le climat, les types de cultures, les espèces d'animaux élevés, et leur importance économique pour le producteur. Dans les hauts plateaux, l'élevage est subalterne mais économiquement complémentaire à la production de cultures, principale activité agricole des paysans. Dans cette zone, l'élevage, surtout les bovins, procurent la traction, qui est vitale pour l'apport global de travail à la ferme. L'élevage produit aussi le lait, la viande, l'argent liquide, le fumier et sert comme une protection contre les risques. Dans les plaines semi-arides les bovins, sont également l'espèce la plus importante parce qu'ils produisent le lait pour la subsistance des familles pastorales. Cependant, dans les zones plus arides, les caprins et dromadaires sont les espèces dominantes. Les premiers apportent le lait, la viande et l'argent liquide, alors que les seconds sont gardés par les pasteurs nomades pour le lait, le transport, et, à un degré moindre, la viande.

Les niveaux de productivité sont faibles; les rendements par animal après abattage ou traite sont estimés à 110 kg de viande bovine, 10 kg de viande de mouton et 213 kg de lait de vache. La production d'œufs à partir de volaille indigène est entre 55 et 80, avec un poids moyen d'œuf de 45 g. Les taux de croissance de l'élevage sont très bas et traînent derrière la croissance de la population; il y a donc eu une baisse nette de la consommation de produits animaux par habitant. A présent, les consommations annuelles de lait et de viande par habitant sont estimées à 16 kg et 10 kg respectivement. Cela classe l'Ethiopie comme ayant la consommation la plus faible de lait et de viande, même parmi les pays avoisinants, bien qu'elle ait le troupeau national le plus important.

Le développement du sous-secteur affronte de nombreux obstacles, y compris une nutrition animale inadéquate, une grande fréquence de maladies, un potentiel génétique faible, une conduite d'élevage insuffisante, des services de l'élevage et une infrastructure inadéquats (tels que la commercialisation et les facilités de crédits), des programmes non coordonnés de développement et l'absence de politiques appropriées. Le manque de connaissance au sujet de la conservation des fourrages et de l'amélioration de la faible qualité des aliments est un domaine majeur de souci. Dans les hauts plateaux, la paille de céréales et le foin naturel sont les fourrages les plus importants. Dans les systèmes agraires mixtes (cultures/élevage), la fenaison est traditionnelle. Dans la plupart des hauts plateaux de l'Ethiopie, le fourrage est habituellement stocké en quantité suffisante durant la saison pluvieuse, mais il existe une pénurie extrême en saison sèche. Les besoins hors saison peuvent être satisfaits en conservant l'herbe de la saison humide et les résidus de récolte.

Fenaison - prairie naturelle

La plupart du foin est produit à partir de pâturage naturel et de résidus de récolte. Il est quelquefois, préparé à partir de fourrage cultivé comme l'avoine et la vesce. Dans les hauts plateaux, il y a des bas-fonds, des vertisols non adaptés aux cultures et des terres au sommet des collines - qui constituent des pâturages naturels qui pourraient être utilisés pour le foin. Dans le système traditionnel de gestion, les animaux ne sont pas autorisés à pâturer les bas-fonds, qui sont réservés pour la fenaison. Cette gestion des bas-fonds est la plus commune dans la partie nord du pays. Sur le terrain au sommet de collines, les animaux pâturent pendant une période courte puis la zone est fermée et fauchée en foin. Le foin provenant de ces deux sources est utilisé pendant la période sèche. La plupart du foin dans le pays provient de graminées natives de pâturages naturels, et sa qualité est très basse (voir Tableau 15).

Les graminées les plus importantes utilisées pour faire du foin sont Andropogon spp., Festuca spp., Eragrostis spp., Hyparrhenia spp., Themeda spp., Setaria spp., Brachiaria spp., Pennisetum spp., Cynodon spp., Sporobolus spp. et Phalaris arundinacea. Les légumineuses pérennes les plus communes en mélange avec le pâturage naturel et utilisées pour la fenaison sont Trifolium semipilosum et Trifolium burchellianum. Les paysans récoltent tardivement (novembre à décembre) quand le temps est clair et sec. Dans les régions pastorales, où l'élevage est l'activité dominante, l'alimentation animale est basée sur les parcours libres. Le foin et l'utilisation de résidus de récoltes ne sont pas courants.

Table 15. Qualité du foin récolté à différentes périodes à Debre Libanos, Hauts Plateaux du Centre, Ethiopie

Propriétés du foin de parcours naturels

Période de récolte

octobre

décembre

Rendement moyen en matière sèche (t/ha)

5,1

5,1

Teneur en protéines brutes (%)

9,6

5,8

Rendement en protéines brutes (kg)

600

350

Proportion des légumineuses (%)

11

5,8

Fibre au détergent neutre (%)

61,8

66

Protéines brutes dégradables dans le rumen (PDR/MJEM)(1)

7,5

3,6

Notes: (1) PDR/MJEM = Protéines Dégradables dans le Rumen par Mégajoule d'Energie Métabolisable

Source: Rapport non publié sur les ressources fourragères, 1990. ILCA, Addis-Abeba, Éthiopie.

Les cultures à foin sont fauchées à la faucille ou à la faux (appelée localement falch). Presque tous les agriculteurs ont des faucilles. Les paysans sont accroupis quand ils utilisent la faucille, c'est un travail peu coûteux mais long et laborieux, causant le mal de dos. La faux est utilisée par quelques paysans dans les hauts plateaux. Les paysans manient la faux debout avec les deux mains. Elle fauche rapidement et en sécurité, mais coûte beaucoup plus cher que la faucille. Le foin fauché, à la faucille ou à la faux, est étalé ou laissé par terre pendant 2 - 3 jours pour le séchage au soleil, une méthode bon marché et efficace.

Une fois séché, le foin est collecté et empilé en tas surélevé du sol sur des plates-formes en bois ou en pierres pour éviter le contact avec la terre et la détérioration. Dans quelques régions, le foin est stocké à l'ombre. Les petits éleveurs laitiers péri-urbains stockent le foin et la paille en balles. Le poids moyen de la balle de foin de prairie naturelle ou de résidus de récolte est 15 - 20 kg et 8 - 15 kg, respectivement. Le prix d'une balle varie selon la saison et la distance entre la zone de production et les régions importantes d'élevage. Ainsi, dans les zones péri-urbaines, une balle de foin de prairie naturelle coûte 5 -6 birr pendant la saison de récolte, et augmente à 10 -15 birr pendant la saison sèche. Le prix d'une balle de paille est inférieur de moitié comparé à celui d'une balle de foin.

Le rendement en foin des prairies naturelles varie d'un endroit à l'autre. Les bas-fonds produisent 4 - 5 t/ha de matière sèche, alors que le rendement en sommet de colline est de 2 -2,5 t/ha. La qualité du foin de ces prairies est très basse, surtout à cause de la récolte tardive. Une étude conduite par le Centre international pour l'élevage en Afrique (CIPEA) indique que la récolte précoce améliore la teneur protéique (Tableau 16); Le foin est distribué surtout aux animaux laitiers, aux veaux, aux bœufs, et dans une certaine mesure aux petits ruminants.

Table 16. Analyses de quelques résidus de récolte éthiopiens

Type

MS

MG

Cendres

PB

FDN

Paille d'orge

92,6

2,3

8,4

4,7

71,5

Paille de teff

92,6

1,9

8,4

5,2

72,6

Paille de blé

93,1

1,2

9,0

3,9

79,8

Résidus de fève

91,7

0,8

10,4

7,2

74,3

Résidus de pois

91,9

1,2

6,1

6,7

73,6

Foin de prairie naturelle

92,2

1,5

9,5

6,6

73,8

Abréviations des colonnes: MS = Matière sèche; MG = Matière grasse; PB = Protéines brutes; FDN = Fibre au détergent neutre.

Résidus de récolte

Les résidus de récolte, spécialement les pailles de céréales et les tiges de maïs et de sorgho sont la principale source de fourrages pour l'alimentation durant la longue période sèche en Ethiopie. Selon l'enquête sur les rendements des cultures de 1995, un total de 4,5 millions de tonnes de matière sèche de résidus sont produits. Les résidus de récolte des céréales telles que le teff, le blé, l'orge, le maïs et le sorgho sont disponibles, de même que ceux des légumineuses comme le pois, le haricot et le pois chiche. Les résidus de récolte sont collectés et empilés dans le champ de la même manière que le foin des prairies naturelles.

L'alimentation avec des résidus de récolte est très appréciée dans les systèmes agricoles mixtes des hauts plateaux. Les paysans donnent la plus grande partie de la paille aux bœufs de trait et aux vaches laitières; tout surplus sera distribué aux ovins. Les caprins ne reçoivent habituellement pas de résidus. Les résidus sont donnés sans traitement. Ils sont aussi utilisés pour la construction des maisons et comme combustible.

Fourrages cultivés

Cela est un concept nouveau en Ethiopie. L'attention portée au développement fourrager a augmenté après le Quatrième Projet de développement de l'élevage du ministère de l'agriculture. Le fourrage est utilisé par les programmes de développement laitiers et d'engraissement. La plus grande partie du fourrage est utilisé pour l'affouragement en vert ou la fenaison. Les cultures ordinaires de fourrages en Ethiopie sont avoine/vesce, et herbe de Rhodes. Les arbres fourragers tels que Sesbania, la luzerne arborescente (Chamaecytisus (syn. Cytisus) palmensis), et Leucaena sont cultivés et utilisés pour l'affouragement en vert. Le rendement en matière sèche varie entre 5 - 10 t/ha, avec un taux protéique d'environ 15 -30%. Les semences fourragères sont produites sous contrat par les paysans, et aussi dans les fermes d'élevage et les pépinières du Gouvernement. Les fourrages pour l'affouragement en vert et la fenaison sont produits dans les jardins, semés sous couvert des champs de céréales, dans les zones de conservation du sol et de l'eau, les zones d'exclusion de l'élevage et les zones établies pour le pâturage (par exemple, les régions des petits paysans laitiers). Les fourrages à partir des terres améliorées sont utilisés pour alimenter à peu près la moitié des vaches laitières croisées, les veaux et les jeunes taurillons dans des programmes d'engraissement.

Figure 48. Tiges de sorgho protégées par des épines (près de Jijiga, Ethiopie)

Suggestions pour des interventions

Pour améliorer la quantité et la qualité du foin et des différentes ressources alimentaires, les points suivants doivent être considérés dans les futurs programmes d'intervention:

Étude de cas 2. LA PRODUCTION DE FOIN AU SAHEL ET EN SAVANE EN AFRIQUE DE L'OUEST[3]

L'ÉLEVAGE AU SAHEL

L'élevage dans les pays du Sahel de l'Afrique de l'Ouest est dominé par les bovins, les ovins et les caprins. Traditionnellement on élève également des chevaux, des ânes, des poulets et des pintades. Grâce aux techniques de l'Occident, l'élevage semi-industriel des porcs, des volailles, ainsi que des lapins, a fait son apparition. Nous parlerons ici de l'élevage des espèces suivantes: les bovins, les équidés, les ovins et les caprins. Il y a deux sortes d'éleveurs: ceux qui pratiquent la transhumance qui est un déplacement saisonnier pour résoudre trois problèmes à la fois: nourrir les animaux par la recherche de pâturages, les abreuver sur des sites qui ne nécessitent pas l'exhaure toujours très contraignante, et la possibilité de vendre du lait et des animaux affaiblis, au niveau de marchés importants. Les transhumants ont toujours des troupeaux d'au moins 60 unités. Les éleveurs sédentaires possèdent des troupeaux de l'ordre de 2 à 60 têtes et les gardent dans l'espace villageois toute l'année.

La conduite journalière des animaux, par les transhumants comme par les sédentaires, se déroule comme suit: en saison des pluies, les animaux vont sur les pâturages la nuit et reviennent le matin entre 8 et 9 heures, puis ils sont traits. Ils repartent vers les pâturages pour revenir à la tombée de la nuit. Après la traite du soir, le berger mange et se repose un peu puis, tard dans la nuit, il repart avec les animaux. L'eau pour s'abreuver ne pose pas de problèmes car il y a des petites mares partout et il y a aussi des affleurements de terres salées qui couvrent les besoins des animaux en sels minéraux. Les maladies principales sont provoquées par les tiques, les protozoaires et les parasites internes. La saison des pluies est la période des saillies avec les naissances en mai. Au moment des récoltes des champs de mil (octobre et novembre), le pâturage est déjà appauvri car presque toutes les graminées sont devenues paille ou ont atteint un trop grand degré de lignification. Les points d'eau conservant encore un peu d'eau sont presque partout entourés de champs et, en voulant y accéder, les animaux font des dégâts sur les champs et beaucoup de conflits naissent de cette situation. Certains conflits sont aussi dus à la négligence scandaleuse des bergers qui laissent les animaux dévaster en une nuit toute la récolte d'une année de travail. Après les récoltes, les animaux peuvent accéder aux résidus de celles-ci dans les champs. Depuis quelques temps maintenant, les agriculteurs ramassent et stockent ces résidus pour les donner à leurs animaux en saison sèche ou pour les vendre.

En saison froide, la pénurie alimentaire s'installe. Les herbes sont presque toutes devenues sèches et les arbres ont perdu leurs feuilles. La vie des éleveurs et celle des animaux est vraiment pénible. Les hommes comme les animaux attrapent des refroidissements se prolongeant par des bronchites et des pneumonies aux conséquences parfois fatales.

En saison sèche (mars à mai), la faim, la soif, les maladies et l'inconfort s'abattent sur les animaux et sur les humains. Les animaux maigrissent et deviennent stériles. A cette période, certains sont tellement amaigris que leurs muscles ne leur permettent plus de se relever une fois qu'ils sont couchés. Les éleveurs sont obligés de se mettre à plusieurs pour aider ces animaux à se dresser.

Lorsque la saison des pluies est tardive, les naissances interviennent en avril et mai, c'est-à-dire aux pires moments pour les mères et les petits. Malgré cette situation vécue au Sahel depuis toujours, les éleveurs n'ont pas pensé à introduire la pratique du foin et les outils correspondants pour un grand nombre d'animaux. Pour les chevaux, dont les familles possèdent en moyenne une unité, une sorte de foin, l'Alysicarpus glumaceus et la Rottboellia exaltata, existe traditionnellement. Mais cela s'arrêtait seulement aux besoins des chevaux et pour une couverture de deux ou trois mois.

Le foin - Généralités

Le Sahel et la savane en Afrique de l'Ouest connaissent une saison de pluies qui dure de juin à octobre. Durant ces cinq mois, l'herbe verte est disponible et les animaux qui la consomment sont très productifs génétiquement Mais, dès novembre, l'herbe devient de la paille (sans vie) et les animaux n'ont que cette paille pour s'alimenter jusqu'en juin. Cette période morte est celle qui pénalise la production des animaux et même leur survie. Cela a toujours existé et l'idée de récolter l'herbe verte nutritive, de l'apprêter pour la conserver tout en lui préservant ses vertus nutritives, n'a pas été considérée au Sahel et dans la Savane. Quelques techniciens européens ont bien tenté d'implanter cette idée avant l'indépendance des pays mais leurs tentatives sont restées confinées dans les stations de recherche et les fermes pilotes. Ils n'avaient pas trouvé la manière de transmettre ce message pour qu'il soit bien reçu et mis en pratique. Mais les sécheresses de 1973 et de 1984 ont modifié l'élevage et les mentalités des éleveurs traditionnels. Quelques-uns se sont ouverts aux nouvelles idées, sont devenus plus réceptifs, plus désireux d'enrichir leur pratique de l'élevage. C'est en raison des effets cumulés des sécheresses de 1973 et de 1984 que l'idée de faire du foin est remontée dans les esprits et a été tentée à une grande échelle et directement avec des éleveurs pratiquants. L'idée s'est depuis imposée comme une évidence et une nécessité. Il est devenu évident qu'au moment où l'herbe est la plus nutritive et la plus abondante, il faut en récolter la plus grande quantité possible, la traiter par le séchage direct par le soleil et la stocker là où elle conserve l'essentiel de ses qualités nutritives.

Proposition et utilisation du foin chez les éleveurs

La proposition de produire du foin a été faite aux éleveurs en rapport direct avec l'objectif constant de tout éleveur: avoir du lait tous les jours et un troupeau qui se multiplie bien et qui grandit. Le lait nourrit, soigne, apaise, solidarise, apporte de l'énergie, enrichit et honore. Les naissances sont toujours des moments de joie, d'émerveillement, d'espérance. Le lait comme base et des naissances régulières constituent deux facteurs certains de vie heureuse et d'évolution réussie. Les éleveurs connaissent bien tout cela et lorsqu'on leur a expliqué que le foin engendrait du lait tous les jours toute l'année et des naissances régulières, ils ont accepté de tenter cette opération sans se dérober. Le suivi qui a été mis en place pour les soutenir a permis d'obtenir en deux ans des résultats très convaincants. Bien qu'ayant vite compris l'idée, les éleveurs se sont posé au moins quatre grandes questions:

1. Si tout le monde se met à faucher l'herbe pour en faire du foin, est-ce qu'il restera au bout de quelques années assez de semences pour faire pousser l'herbe?

2. Est-ce que l'on peut faucher pour nourrir cent animaux?

3. Comment faire pour protéger l'herbe des animaux qui broutent et qui piétinent pour pouvoir la faucher avec de bons rendements?

4. Est-ce que l'on pourra vendre du lait si tout le monde en produit toute l'année?

A ces questions, les réponses ci-après ont été données:

Concernant la question 1. Il y a des gisements inépuisables de semences d'herbes dans la terre et des fauches répétées en un lieu n'empêchent pas le même sol de se recouvrir d'abondantes herbes les années suivantes. Le vent d'une part, et le ruissellement des eaux d'autre part, sont des pourvoyeurs réguliers de semences d'herbes. Les animaux, par leurs déjections, approvisionnent les sols en semences d'herbes. Il y a aussi la possibilité de laisser des bandes d'herbes non fauchées pour qu'elles fructifient et déposent leurs fruits. Enfin, si tout cela ne suffit pas, on peut récolter des semences fourragères et les ensemencer à la volée, en poquets ou en raies sur le terrain choisi, immédiatement après la première bonne pluie d'hivernage.

Concernant la question 2. Nourrir cent animaux avec le foin est possible. Il y a quatre facteurs à posséder et cinq à maîtriser: un espace riche et étendu permettant de produire des herbes qui donneraient un bon rendement en foin; un instrument de fauche rapide et performant (pour une centaine d'animaux, dix faucheurs avec leurs faux ou une moto-faucheuse peuvent récolter de quoi suffire à leur alimentation en saison sèche); un instrument de transport rapide et pouvant porter de grands volumes (la charrette hippomobile à quatre roues est tout à fait appropriée). Mais en attendant l'acquisition d'une telle charrette, des enfants en grand nombre et rendus joyeux par des cadeaux (bonbons) peuvent être très efficaces. Une infrastructure de stockage qui met ce foin à l'abri des intempéries (soleil, vents, poussières, pluies) et des prédateurs (animaux, insectes etc.) constitue le dernier facteur.

Concernant la question 3. Pour que l'herbe ne soit pas endommagée et gênée dans sa croissance par les animaux qui broutent et piétinent, il faut la protéger. Cela est possible avec du grillage, mais celui-ci est trop cher; du bois mort, mais cela dégrade la végétation, le plus avantageux est une haie vive. L'arbuste Ziziphus spina-christi est le plus indiqué. Ses fruits sont délicieux pour les humains et les petits ruminants, ses feuilles sont très recherchées par ces derniers. Ses branches flexibles et épineuses s'entrelacent bien pour constituer une sorte de maille qui arrête les animaux. Sa germination est très facile et sa croissance très rapide, en deux à trois ans, il est déjà assez grand pour constituer une barrière. C'est en plus un arbuste reconnu par le christianisme, l'islam et certaines pratiques culturelles en Afrique comme symbolisant la limite, la barrière.

Concernant la question 4. Si les éleveurs produisent tous du lait et toute l'année, l'écoulement de ce lait se fera par sa transformation dans des laiteries et fromageries régionales. Des consommateurs insatiables de lait et de produits laitiers existent partout dans le monde. Un pays comme le Nigeria peut consommer à lui seul toutes les productions des pays du Sahel, du Sénégal au Tchad. Avec une production régulière et importante de lait, les éleveurs sont dans la meilleure position pour être ni affamés, ni pauvres, ni malades, ni déméritants, et être indépendants.

Propagation de l'idée et de la pratique du foin

Pour que l'idée et la pratique du foin se maintiennent et s'étendent, il faut mettre en place des dispositifs de réalisation, de propagation, de protection et de perfectionnement. Ce sont: 1. l'organisation des pratiquants: ceux-ci s'organisent avec la conscience de se perfectionner et d'augmenter le nombre de pratiquants qui tous renforceront le groupe. L'Association pour la Promotion de l'Élevage au Sahel et en Savane (APESS) en est une illustration. Créée en mai 1989, elle a réussi par son organisation à être présente dans une quinzaine de pays du Sahel et de la Savane en Afrique de l'Ouest en moins de sept ans. Son fondement est justement la production fourragère (foins et cultures fourragères vivaces); 2. les formations: les éleveurs comprennent mieux, s'enrichissent et s'enthousiasment mutuellement lorsqu'ils se retrouvent dans des sessions de formation; 3. l'intérêt des formations est de reconstituer dans l'esprit des éleveurs les pièces qui composent l'élevage, leur ordre logique de viabilité, leurs proportions, la qualité nécessaire pour chaque pièce, les critères de reconnaissance dans la nature de chaque pièce dans sa qualité optimale, et les conditions de son obtention au meilleur compte. Ainsi les éleveurs découvrent les tenants et les aboutissants de l'élevage, qui laisse apparaître la fondamentalité de l'éleveur: sa prédisposition à l'élevage qui s'exprime par son rêve, la qualification qui lui est nécessaire et que lui procure la formation, et les courants porteurs de la concrétisation de son rêve que sont les valeurs culturelles universelles, celles qui l'amènent inéluctablement à se dépasser, donc à progresser.

L'information à la portée des éleveurs

Tout éleveur sahélien est culturellement sensible à la connaissance et à la beauté. En conséquence, si l'information enrobe la connaissance dans la beauté et se présente aux éleveurs à leur porte, ils seront touchés et finiront par réagir. C'est cela que l'APESS a essayé d'atteindre avec sa revue Jawdi Men qui paraît depuis 1993. Les visites entre éleveurs: il y a dans chaque société des personnes (famille) qui reçoivent beaucoup de visiteurs et toute l'année. Elles sont très importantes pour la diffusion. Lorsqu'elles pratiquent une innovation, beaucoup de personnes y prennent part et tentent d'imiter, de reproduire. Ce sont des personnes précieuses pour l'introduction et la propagation des innovations. L'événement est aussi un facteur indispensable à l'imprégnation d'une idée et à sa propagation. Il libère et dilate les émotions des gens qui ainsi deviennent très réceptifs pour absorber et assimiler les messages de l'idée. Par exemple, l'APESS a créé son assemblée générale sous la forme culturelle d'un événement. Grâce â cette assemblée générale, l'APESS et son fondement, le hangar rempli de foin, ont franchi toutes les frontières des pays et de cultures. L'événement, surtout répété régulièrement, marque les gens de façon indélébile.

La pratique du foin: l'acteur, l'éleveur, l'agriculteur

Celui qui produit du foin est une personne qui a de la perspective, qui anticipe, qui a le sens de la continuité et de la régularité, de la constance. Avec ces qualités, une personne peut facilement se développer et développer d'autres personnes. La pratique du foin est un révélateur du caractère des individus et de leur potentiel plus ou moins fort à se développer. Pour être un bon travailleur, il faut connaître pour pouvoir agir, savoir observer pour connaître mieux et davantage, être travailleur pour concrétiser, être calme pour supprimer toute agressivité, être rigoureux, persévérant pour tout surmonter, être appliqué, soigné, fin pour tout qualifier, aimer son travail dans ses différents embranchements pour tout imprégner de bienveillance, s'y plaire et s'y maintenir. C'est à l'occasion des formations que l'éleveur prend conscience et connaissance de cela. Ces formations sont donc nécessaires pour toute entreprise que l'on veut installer ou faire progresser.

Le terrain à foin

Le terrain pour produire du foin doit être choisi avec beaucoup de soin pour amortir et reculer tous les débordements et toutes les pénuries agroclimatiques. Le terrain doit partir au moins du centre d'un bas-fonds de ruissellement des eaux et s'étendre perpendiculairement à ce bas-fonds jusqu'aux parties hautes. Cela a l'avantage de garantir toujours une production sur les parties hautes quand il pleut trop, sur les bas-fonds lorsque les pluies sont insuffisantes et irrégulières. Le deuxième avantage est que les herbes sont diversifiées, celles qui poussent dans les bas-fonds sont différentes de celles qui poussent en hauteur. L'étagement du terrain du bas-fonds vers la crête permet donc d'avoir différentes espèces fourragères. Le troisième avantage est que ces différentes variétés d'herbes sont bonnes à faucher à des périodes différentes, ce qui allonge le temps de fauche en le répartissant sur 30 à 60 jours selon les terrains et les variétés d'herbes qui y poussent.

Le terrain doit être préparé pour donner aux herbes les meilleures conditions pour se développer et aussi pour faciliter et bien rentabiliser la fauche. Il faut donc délimiter et piqueter la parcelle, défricher et dessoucher en ne conservant que les grands arbres (fruitiers ou qui ont une autre utilité) s'ils existent, enlever tous les cailloux, les souches et les troncs d'arbres, clôturer avec les branchages enlevés, en faire un lieu de séjour nocturne des animaux afin qu'ils y déposent leurs déjections qui sont une très bonne fumure; dès la première bonne pluie, épandre à la volée les semences d'herbes qu'on aimerait faucher. Il faut auparavant les avoir ramassées dès la fin de leur fructification.

Les herbes à faucher

Les déclarations des éleveurs, les analyses bromatologiques et les effets des foins sur les animaux qui les ont consommés s'accordent sur les herbes ci-après comme les meilleures:

Il y a des herbes qui sont vivaces et qui se prêtent aux cultures fourragères. Les plus réussies dans la pratique généralisée des cultures fourragères par les membres de l'APESS sont le siratro (Macroptilium atropurpureum) et l'Andropogon gayanus.

Les outils de la fauche et du foin

Le fait que la main-d'œuvre est peu coûteuse (lorsqu'elle existe) invite à utiliser la faux pour la récolte de l'herbe pour les foins. En multipliant les faucheurs, on peut obtenir de très grandes quantités de foin si l'espace fauché est vaste, bien préparé et bien fourni en herbes. Pour rassembler le foin, le râteau est indiqué et pour le charger sur la charrette, la fourche convient tout à fait. Pour le transport du foin des lieux de ramassage aux lieux de stockage, une charrette volumineuse et stable tirée par un cheval est le meilleur instrument. A défaut de cela, le recours à des enfants encouragés par de petits cadeaux peut apporter une solution à la fois économique et éducative. L'aspect fondamental à exiger pour les outils est que ceux-ci obligent à travailler debout et en extension maximale. Pour de grandes entreprises agricoles, la motofaucheuse peut remplacer les faux.

Table 17. Plantes préférées pour le foin au Sahel

Noms scientifiques

En fulfulde

Noms scientifiques

En fulfulde

Panicum laetum

pagguri

Dactyloctenium aegyptium

burgel

Brachiaria ramosa

pagguri

Andropogon gayanus

dayye

Pennisetum pedicellatum

bogodolo

Alysicarpus ovalifolius ou A. glumaceus


Cenchrus biflorus

kebbe

Zornia glochidiata

dengeree

Rottboellia exaltata

nielo

Pennisetum typhoides

gawri

Ipomoea vagrans

layndi

Echinochloa stagnina

bourgou

Les infrastructures de stockage du foin

Plusieurs variétés d'infrastructures sont possibles. L'APESS recommande le hangar étanche double pente ayant 8 m de long, 4 m de large, 3,5 m de hauteur centrale et 1,7 m de hauteur latérale. Les piliers peuvent être en bois ou en briques de terre. Les côtés peuvent être garnis de seccos (nattes) de paille ou de murs en briques de terre. La toiture est recouverte de seccos et de chaumes qui assurent son étanchéité. L'infrastructure doit dans tous les cas se prêter à l'intérieur à des mouvements amples pour ne pas limiter le potentiel de travail de l'éleveur.

Périodes de la fauche

Dans la journée, il faudrait commencer très tôt quand la rosée tient et alourdit un peu les herbes. On fauche jusqu'à 11 heures ou midi puis on arrête la fauche et, vers 14 h, on retourne les herbes fauchées de sorte qu'elles soient asséchées de tous les côtés. Vers 16 h, on commence à ramasser les premières herbes fauchées pour les rentrer en grange (hangar APESS). Il ne faut pas les attacher en bottes, car elles pourraient être envahies par les moisissures. Dans l'année, la fauche commence après la période des pluies fines et répétées plusieurs fois par jour. Au Sahel, cette période se situe autour du 15 août en année normale de saison de pluies. Pour ceux qui savent les lire, les étoiles aussi indiquent bien nettement la période convenable. Avec le mûrissement étagé des herbes, la fauche peut se poursuivre jusqu'au 15 octobre soit près de soixante jours après son démarrage.

Pratique de la fauche

Il faut disposer d'une faux, d'une pierre à affûter et d'un récipient contenant de l'eau pour tremper la pierre à affûter. On fixe bien la lame de la faux en vérifiant si l'angle de coupe est optimal. On affûte alors la faux. Avant de faucher, il faut vérifier qu'il n'y ait ni cailloux, ni bois, ni souches d'arbres sur le parcours à faucher. On fauche par un mouvement de rotation du tronc dont le rayon reste constant entre le moment où la lame touche les herbes et celui où le mouvement s'arrête. On prend de petites épaisseurs d'herbes et on avance pas à pas jusqu'à la fin de la parcelle. Cette méthode permet de faucher des bandes régulières et l'herbe peut être ramassée facilement en suivant les bandes plus tard avec la charrette. Lorsqu'on est fatigué, ou lorsque la lame ne coupe plus très bien, il faut s'arrêter et affûter celle-ci.

Rendements

Les rendements dépendent de la nature des herbes (certaines sont moins hautes et moins denses), de la richesse du terrain qui conditionne la biomasse, de l'habileté et de la résistance du faucheur et enfin de la qualité de la faux. Avec tout cela inclus, les mesures de rendement faites donnent la valeur moyenne de 150 à 200 kg de foin par jour par faucheur. Ainsi, un faucheur peut récolter en 4 jours de quoi nourrir en complément une bonne vache pendant la saison sèche, soit de 600 à 800 kg de foin.

Utilisation du foin

Le foin est destiné à nourrir les animaux en saison sèche quand l'herbe est devenue paille morte. Il est logique aussi de le donner aux animaux les plus valorisateurs de ce foin. Avec le lait, le fumier et l'énergie, l'espèce bovine est de loin la plus valorisante, suivie de près par les chevaux. Dans l'espèce bovine, les femelles en lactation sont les plus intéressantes. Elles donnent du lait, beaucoup de fumier, sauvent et font grandir leurs veaux pendant la saison sèche grâce au lait qu'elle donnent chaque jour. Les veaux encore jeunes ainsi que les animaux malades constituent la deuxième priorité d'animaux pouvant bénéficier du foin. Le foin est à servir à ces animaux le matin et le soir pour les vaches en lactation dès que leur production baisse et pour les animaux malades à l'instant même où la maladie s'est manifestée. Quant aux jeunes, ils peuvent recevoir le foin dès qu'ils sont en âge de le consommer. Le meilleur endroit pour distribuer le foin aux animaux est l'aire des champs de cultures. Les animaux y sont à l'aise (espace vaste et propre) et y déposent leurs déjections (bouses et urines) qui fertilisent les champs à peu de frais. Les quantités à servir se déterminent normalement par les animaux eux-mêmes en fonction de leurs besoins. Mais le plus souvent le foin est en quantités limitées et doit être fortement rationné. Les pratiques courantes qui ont donné de bons résultats (en lait, saillies et poids) sont de l'ordre de 3 à 4 kg de foin par jour par vache adulte. Cette quantité correspond à un complément car l'animal va au pâturage et y trouve de la paille et peut aussi parfois recevoir du tourteau ou des graines de coton.

Figure 49. Démonstration de la technologie appropriée au Sahel (Dori, Burkina Faso)

La distribution du foin aux animaux a donné les résultats ci-après (données de l'APESS). Augmentation de la production de lait: de l'ordre de 30 à 60% par rapport à la production sans distribution de foin. Augmentation du volume du fumier qui atteint au moins 50% du volume lors de la saison de pluies. Reprise des saillies des femelles trois semaines après la distribution du foin pour au moins 80% des femelles qui ont reçu le foin. Le foin s'utilise aussi comme produit à vendre. Au Sahel, c'est même le produit végétal le plus recherché et le plus enrichissant. Il devrait être considéré comme un produit de rente par excellence. En Savane aussi, du fait de la lignification importante des herbes, le foin peut revêtir une très grande valeur. Il faudrait par conséquent développer d'importantes actions pour répandre cette pratique dans les régions soudaniennes.

Pratique du foin dans l'espace

On peut mesurer la propagation de la production de foin en Afrique de l'Ouest en se référant à l'expérience de l'APESS. Directement et indirectement, l'APESS, créée en 1989, a réussi en 1997 à faire pratiquer la production du foin dans les pays ci-après: Burkina Faso: toutes les régions du pays; Mali: le Delta (Macina) le Sdno (Bankass-Douciitza); Sénégal: Fleuve, Ferlo; Niger: Tomodi, les Dallol Dogondoutchi, Maradi; Mauritanie: Fleuve; et Cameroun: Adamaoua, le Nord. L'idée et la pratique du foin sont donc bien répandues et bien enracinées. Il reste à leur donner une plus grande ampleur et qualité au niveau des éleveurs pratiquants. C'est là un travail d'information, de formation, de suivi et d'organisation des éleveurs.

Cultures fourragères

L'intérêt des cultures fourragères est de fournir de la verdure en saison sèche. Seules sont donc intéressantes les cultures vivaces. Parmi celles-ci, deux ont donné de très bons résultats: Macroptilium atropurpureum ou siratro qui est une légumineuse importée d'Australie et Andropogon gayanus qui est une graminée locale. Tandis que, en saison sèche, le siratro réussit bien en Savane, on constate quelques difficultés au Sahel où les insectes rendent cette culture difficile. Il se peut donc qu'on ait plus de chance au nord avec Alysicarpus ovalifolius car, en terrain sableux (dunes), ces plantes donnent d'excellents résultats. Pour le siratro, il faut choisir un terrain humide, de préférence dunaire, et en savane dans des bas-fonds où l'eau ne stagne pas; il faut défricher, dessoucher le terrain, semer en début de saison des pluies, de préférence après un labour du terrain, sarcler dès que d'autres herbes s'installent ou quand le sol se durcit, clôturer avec du grillage (trop cher) ou du bois mort pour protéger le siratro et la haie vive à mettre en place. La meilleure plante pour installer une clôture sous forme de haie vive est le Ziziphus spina-christi. Il faut procéder ainsi: récolter les graines mûres dégagées de leur pulpe, les casser pour extraire les vraies graines, en début de saison des pluies, dès la première grande pluie, les semer tout au long du périmètre de la parcelle fourragère, semer après avoir trempé les graines 24 heures dans l'eau, mettre 5 à 10 graines par poquet, entre les poquets; une distance de 50 cm est conseillée; il est avantageux de mettre du fumier au pied des pousses pour accélérer leur croissance en saison des pluies, ainsi elles développeront un réseau important de racines, leur permettant de franchir la sécheresse de saison sèche.

Lorsque les plantes de siratro ont atteint une certaine taille de développement et que les premières feuilles commencent à apparaître, il faut récolter le fourrage en coupant toutes les branches de la plante. Il faut couper à trois doigts de hauteur (environ 3 cm). Il est important de couper toutes les tiges et surtout de le faire avant que la plante ne vieillisse. La plante repousse bien lorsqu'elle a toujours la vigueur de la croissance. A un âge plus avancé, elle est en phase de décroissance et sa force de rejet est bien diminuée. Après la récolte et selon le degré d'humidité de l'air ambiant, il faut la laisser se faner pendant un à deux jours, parfois trois. Puis il faut enrouler les tiges coupées en bottes et les stocker dans le hangar étanche (voir paragraphe concernant le foin). Les repousses de siratro atteignent leur taille adulte quatre à six semaines après une coupe. Cela dépend de la richesse et du degré d'humidité du terrain et aussi de la qualité des travaux faits pour les plantes. Lorsque la parcelle est bien clôturée, on peut faire de quatre à cinq récoltes en saison sèche si le terrain et les travaux exécutés sont bons. Si on arrose en supplément, les plantes repoussent bien mieux encore. Le siratro se donne en sec lorsqu'il est produit en saison de pluies et en vert lorsqu'il est récolté en saison sèche. Il faut donner ce fourrage à volonté aux animaux car ils peuvent rarement dépasser les 2 à 3 kilos. Lorsque le fourrage est vert, l'état de l'animal et ses productions se modifient favorablement en une semaine. Le siratro cultivé sur un bon terrain et ayant bénéficié de travaux soignés peut subsister de trois à cinq ans avant de renouveler le semis. Dans l'année, pour les différentes fauches, il peut donner un rendement de l'ordre de 2 à 10 tonnes de foin.

Pour l'Andropogon gayanus, il faut: choisir un terrain sur lequel il existe déjà ou sur lequel on sait qu'il se développe; il faut défricher, dessoucher le terrain, semer par dispersion massive de graines (des épillets) ou par repiquage des éclats de souche, sarcler si possible en enlevant d'autres herbes pouvant être gênantes, installer une clôture étanche et permanente, arroser s'il y en a la possibilité, récolter avant que les tiges ne se lignifient, laisser se faner un à deux jours avant de mettre à l'abri dans le hangar. En saison sèche, on peut récolter les repousses vertes et les donner aux meilleures laitières.

La pratique des cultures fourragères est très difficile et son extension très faible en milieu éleveur sahélien. Le manque d'habitude de cultiver et surtout de constance au travail en saison sèche ne permet pas un grand développement des cultures fourragères en milieu éleveur. Les services techniques de l'agriculture et de l'élevage font quelques essais de cultures fourragères mais surtout avec les plantes annuelles. La plus répandue est le dolique (Lablab purpureus). Les éleveurs sont pour l'instant très prudents à les adopter.

Les résidus de récolte

Ce sont surtout les fanes de haricot, d'arachide et les tiges de mil plus ou moins parvenues à maturité. Une pratique au Sahel consiste à récolter le mil en vert et sur le point de fructifier comme fourrage, car on sait que, en cas de faible pluviométrie, l'entrée des animaux dans les champs ne leur permettrait pas de fructifier jusqu'au bout. La qualité de ces résidus est très variable selon le stade de développement végétatif auquel on les a récoltés. Le plus souvent, ils sont transportés par des charrettes à âne jusqu'à leur lieu de stockage. Les résidus de récolte sont stockés sur les arbres et sur les toits de maisons en terrasse. Une bonne partie est endommagée par les rayons solaires. Les résidus de récolte sont vendus par certains, utilisés pour leurs animaux par d'autres. Les laitières et les animaux à l'engraissement en sont les principaux bénéficiaires.

Vente des fourrages et résidus de récolte

En réalité, le foin, les fanes de haricot et d'arachide, les tiges de mil et la simple paille jaune de brousse sont un important flux commercial entre campagnes et villes, entre agriculteurs et éleveurs. Le marché du bétail est toujours flanqué de son marché de fourrage de toutes sortes de qualités. Les prix sont très variables, liés d'abord à la rareté des fourrages d'une année sur l'autre, d'une saison à l'autre, d'une région à l'autre, et à la qualité du fourrage. Les fourrages encore verts sont les plus demandés et les mieux achetés. Malgré cela, le réflexe d'en produire beaucoup ne s'est pas encore installé dans les esprits. Normalement le fourrage devrait être la première culture de rente interne au Sahel. Mais les éleveurs n'ont pas eu ce réflexe économique et les techniciens ne les ont pas exhortés dans ce sens. Avec la naissance de laiteries dans certaines régions, il est sûr que finalement des personnes avisées vont se consacrer à la production de fourrages en grandes quantités. L'installation d'usines de lait exigeant que celui-ci provienne d'élevages laitiers dont les animaux sont principalement nourris de fourrage amorcera au Sahel une heureuse adaptation de l'élevage.

L'IMPORTANCE DE LA VULGARISATION DU FOIN POUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE DU SAHEL

Le succès et les expériences de l'APESS dans la vulgarisation de la production fourragère ouvrent de nouvelles perspectives et un nouvel espoir pour la région du Sahel. Le Sahel n'est pas une région pauvre, mais une région de potentiel économique en sourdine. Si les habitants du Sahel attendent aujourd'hui la pitié des projets, c'est parce que la politique ainsi que l'administration ont attendu jusqu'ici que ces projets de développement combattent les pénuries et la peur de catastrophes comme les grandes sécheresses. Ainsi s'est cultivée au niveau de la population rurale une attitude fataliste d'attente et de passivité peureuse. C'est là le vrai handicap du développement socio-économique du Sahel. Les difficultés écologiques, climatiques et démographiques qui constituent les problèmes actuels sont, selon quelques experts, les facteurs principaux du blocage du développement seulement au second plan. C'est-à-dire qu'elles sont surmontables si les producteurs et productrices ruraux ont l'audace, la volonté ferme, les connaissances utiles et l'encouragement de la part de la politique et de l'administration pour travailler et faire valoir le potentiel de cette région. Les expériences de l'APESS montrent qu'il est possible de faire quelque chose si l'on applique des stratégies susceptibles d'enthousiasmer les producteurs et productrices ruraux pour une idée et de susciter en eux l'esprit d'ambition. Si elle est impliquée dans une telle stratégie réfléchie et bien organisée, la simple production du foin peut se révéler comme indicateur ou activité initiatrice d'une nouvelle ère de développement.

Étude de cas 3. FOIN DANS LA PROVINCE DE ERZERUM - TURQUIE ORIENTALE[4]

Une récolte de foin est obtenue à partir de l'herbe naturelle ou de la luzerne cultivée le long des rivières et des ruisseaux de montagne, là où l'eau peut être détournée dans les champs non utilisés pour des cultures. Dans certains endroits, le sainfoin (Onobrychis viciifolia) est cultivé sur des champs plus secs. Des récoltes plus faibles de foin peuvent être obtenues sur les pentes sèches des collines non requises pour le pâturage. Le foin sauvage des prairies varie considérablement en qualité: certains sont riches en légumineuses naturelles et graminées fourragères, d'autres sont pauvres, surtout là où un manque de drainage et une stagnation de l'eau conduisent à un envahissement de carex ou laîches (Carex spp.), joncs (Juncus spp.), roseaux (Phragmites spp.) prêles (Equisetum spp.). Un pâturage excessif à la fin du printemps a un effet préjudiciable sur le foin de prairies, de même qu'une charge animale élevée sur les repousses de luzernes et de sainfoin après la dernière coupe d'automne.

La luzerne et le sainfoin ont été cultivés pendant des siècles, probablement durant des millénaires, dans cette partie de la Turquie. Les écotypes indigènes sont encore largement utilisés et ont généralement une grande longévité; il est fréquent qu'ils durent dix à quinze ans; et plus de vingt ans n'est pas rare. Ils sont résistants à la sécheresse et capables de survivre à un pâturage intensif. Il y a eu une pénurie de semence des écotypes locaux dans les années récentes et la seule semence disponible venait des régions occidentales. Le cultivar peut donner un rendement élevé, mais a tendance à être ligneux et de faible longévité (quatre à cinq ans) et moins tolérant à la sécheresse et au pâturage. Le sainfoin est semé sur une terre qui ne peut pas être irriguée, et produit d'habitute une récolte de foin pendant cinq ans avant épuisement. Des champs de sainfoin de dix ans d'âge ont été observés.

Les prairies naturelles fournissent habituellement une seule coupe de foin chaque année, bien que deux soient obtenues dans les régions plus chaudes des vallées du nord. Dans la plupart des provinces, la luzerne donne généralement deux coupes, avec trois ou quatre coupes sur des sites favorables. Le sainfoin donne généralement une seule coupe. Les vesces sont parfois semées en culture pure, mais habituellement en association avec l'orge, et peuvent être coupées pour le foin ou les graines.

Figure 50. Températures et précipitations à Erzerum, Turquie

Les différentes parcelles de prairies à foin, chayir, sont presque invariablement contrôlées par les familles individuelles, tout au moins pour ce qui concerne le droit de faire le foin. Cependant, il y a des périodes de l'année où le chayir est ouvert pour être pâturé par tout le bétail du village et non exclusivement par ceux qui ont les droits pour le foin. Ceci se situe au début du printemps quand le bétail sort pour la première fois, habituellement d'avril à mi-mai. Les dates varient légèrement avec l'endroit et la saison, mais sont généralement respectées par la coutume villageoise et confirmées par les autorités locales. Après cette date, le chayir est déclaré hors jeu pour le bétail à pâturer. En automne, après que la récolte de foin a été transportée, le chayir est de nouveau ouvert au pâturage communal pour les regains.

Les chaumes (aniz) et les jachères (nadiz), sont habituellement traités de manière similaire: tous les chaumes sont généralement ouverts au pâturage communal, bien que les droits de culture eux-mêmes soient invariablement réservés exclusivement aux familles individuelles. La même chose s'applique aussi aux regains de luzerne après la dernière coupe de foin subséquente à la dernière irrigation. La raison de cette coutume est que le bétail est conduit collectivement dans la plupart des villages, bien que les animaux soient logés par leurs propriétaires individuels.

Pour les terres de pâturage, mer'a, entre le 5 et le 15 mai, selon la localisation et la coutume villageoise, le bétail quitte le chayir pour le mer'a du village, qui est un champ de pâturage ouvert à l'usage communal pour le bétail de tout le village. Pour les villages sans accès aux prairies alpines, il n'y a pas d'autre alternative que de continuer à pâturer le mer'a dans le voisinage immédiat du village pendant l'été. Il y a une tendance à pâturer en s'éloignant du centre quand la saison avance. Dans certains endroits le pâturage s'épuise longtemps avant que les chaumes et les regains ne deviennent disponibles en septembre pour donner un bref répit avant l'hiver. Cependant, dans le district de Horasan, la coutume est de pâturer le périmètre du mer'a au début de la saison; par la suite le bétail pâture graduellement vers l'intérieur, laissant les parties les plus proches du village pour la fin.

Fenaison

Après que le bétail a quitté le chayir, les prés sont irrigués une ou deux fois avant que le foin ne soit fauché. Chaque famille a la responsabilité d'inonder ses propres prés, alors que l'entretien des canaux d'irrigation et des fossés (s'ils existent) est la responsabilité de l'ensemble des usagers. Le chayir est fauché à partir de début juillet, souvent l'herbe est trop mûre pour produire le meilleur foin du point de vue alimentaire, mais les paysans cherchent le volume. A travers presque toute la Province, le foin est encore fauché et mis en balle à la main; par les hommes à la faux dans les champs les plus plats et parfois par les hommes et les femmes à la faucille sur les pentes très escarpées. Il est transporté du champ par des charrettes tirées par des bœufs et des chevaux, ou des tracteurs s'ils sont disponibles. Il y a peu de mécanisation pour la récolte du foin, sauf dans certains endroits dans la vallée centrale où des petites faucheuses automotrices et quelques presse-balles sont utilisées dans de plus grandes unités. Peu de paysans peuvent s'offrir ce genre d'investissement en capital.

Les méthodes traditionnelles sont bien adaptées aux conditions locales: dans l'ensemble le climat est excellent pour la fenaison. Après la fenaison, le foin est laissé tel que, pour environ une journée avant de le râteler en andain. Il est ensuite enroulé en balles rondes étanches cylindriques liées adroitement avec des cordes d'herbes. Les balles de foin sauvage sont généralement plus grosses que celles de luzerne; elles varient entre 25 et 30 kg en poids mais sont de taille telle qu'elles peuvent être chargées sur une charrette par un ouvrier travaillant seul. Le transport et la mise en meule du foin sont laborieux et coïncident souvent avec la récolte des céréales; les balles peuvent être posées par terre dans le champ pendant des semaines jusqu'à ce que les ouvriers aient le temps pour leur transport. La forme cylindrique fournit une certaine protection contre les orages qui sont caractéristiques de la saison. Les balles traditionnelles enroulées sont aussi particulièrement adaptées pour faire un bon foin de luzerne; car des feuilles précieuses peuvent être perdues à partir du foin en vrac. Après que le foin a été transporté, les champs sont habituellement irrigués avant que le bétail soit autorisé à pâturer.

Emplacement des meules

Dans les vallées du centre, on a coutume dans la plupart des villages d'empiler le foin sur le toit ou immédiatement à côté de la maison ou l'étable du propriétaire. Dans les districts du sud, le foin est normalement empilé à cent ou deux cents mètres du village lui-même, en meules dans une même cour communale. Il semble y avoir une bonne raison pour ceci: les villages turcophones des vallées du centre semblent avoir habité comparativement en plus grande harmonie avec leurs voisins que de nombreux villages dans les districts du sud, souvent théâtres d'une histoire d'anarchie et de vendetta. Dans une telle situation le risque d'incendie volontaire a été beaucoup plus grand, non seulement de l'extérieur mais de l'intérieur même de la communauté villageoise. Si un village rival mettait le feu à vos meules au moins votre maison ne brûlerait pas et si votre voisin a envie de brûler votre foin il courra le risque de brûler son propre foin en même temps. La position finale de la cour où se trouve les meules dans ce type de villages est la responsabilité du commandant local de gendarmerie.

Commercialisation du foin

L'une des cultures les plus précieuses dans la province d'Erzerum est le foin. Non seulement comme l'aliment hivernal le plus important, mais comme culture de rente. Cela est vrai aussi bien pour le foin de prairies que pour celui des plantes semées. Certains paysans dans les vallées du centre cultivent le foin comme une culture commerciale, et de nombreux autres villageois vendent le foin s'il est en excès de leurs propres besoins. Certains vendent aussi le foin même s'il n'est pas en excès parce qu'ils ont besoin d'argent liquide ou parce qu'ils sentent que la valeur de l'argent réalisé aussitôt par leur récolte leur est plus utile que le revenu à long terme qu'ils pourraient obtenir en alimentant leur bétail. De nombreux villageois vendent leur foin et sont prêts à maintenir leurs propres animaux, sur une ration à base de paille tout au long de l'hiver. Au meilleur des cas, les bovins en particulier, atteignent lentement leur maturité. Les profits les plus rapides et les plus grands sont réalisés par ceux qui achètent les vieux animaux âgés de trois à quatre ans des villages de montagne pour les engraisser en quelques mois pour l'abattage, plutôt que par ceux qui élèvent les animaux en premier lieu. Les villages ont un besoin d'argent liquide en automne pour acheter des provisions pour les inévitables jours de neige, durant lesquels ils seront bloqués pendant des semaines ou même des mois.

Le gros du foin est acheté par les marchands qui le transportent vers les villes de la mer Noire. Là, il est vendu aux petits paysans qui produisent les noisettes et le thé, mais peu de fourrage. Ces petits paysans sont comparativement prospères, puisqu'ils produisent des cultures à haute valeur; beaucoup ont acheté des bovins Jersey ou croisés Jersey. Bien que les marchands offrent un certain prix différentiel entre les légumineuses et le foin sauvage, il ne semble pas qu'il y ait le même genre de différentiel entre les meilleures et les pires qualités de ces deux catégories principales.

Étude de cas 4. DÉVELOPPEMENT DU FOIN EN CHINE - 1. FOIN IRRIGUÉDANS LA PRÉFECTURE KAZAKH DE L'ALTAI, XINJIANG (Un système complètement transhumant adoptant le foin irrigué pour usage hivernal)[5]

La préfecture Kazakh de l'Altai s'étend entre 44° 59'N et 49° 16'N, et 86° 25'E et 90° 31'E, à des altitudes à partir de 480 m à Fuhai jusqu'à plus de 3 500 m, dans les montagnes. Les sites fourragers sont en dessous de 800 m. Le climat est continental; la précipitation, essentiellement sous forme de neige, varie de 100 mm/an dans les plaines à plus de 600 mm dans les hautes prairies; les vents constituent un problème. Les vagues froides, combinées avec des vents forts et la neige, peuvent causer de fortes pertes de bétail. Dans les montagnes, le climat est beaucoup plus froid et les prairies plus élevées sont accessibles pour moins de trois mois chaque année. L'industrie animale est basée sur la transhumance, la division des périodes de pâturages est présentée au Tableau 18.

Il y a quatre grandes zones de végétation:

i. La zone alpine de neige et rocheuse, de faible utilité pour le pâturage, la ligne de neige est à environ 3 500 m.

ii. La zone de pâturage d'été, qui s'étend au-dessus de 1 300 m et fournit un pâturage riche pendant 75 à 95 jours par an, ce sont les pâturages d'engraissement et, en saison, sont probablement capables de supporter plus de bétail.

iii. Les pâturages de printemps et d'automne, qui sont aussi les routes de transition, ils montrent des signes graves de surpâturage. A cause du manque d'aliment d'hiver, les troupeaux persistent trop longtemps sur ces pâturages en automne et y retournent trop tôt au début du printemps. Les régions irriguées sont dans la frange sud plus sèche de cette zone.

iv. Les pâturages d'hiver dans les plaines, le désert, les prés bas et les marécages, sont totalement inadéquats pour la charge de bétail. L'apport d'aliment d'hiver par la production de foin irrigué a été identifié comme la voie la plus efficace d'amélioration de l'ensemble du système de production en réduisant la pression sur les pâturages de transition et d'hiver. Le pâturage du désert dépend de la chute des neiges: s'il n'y a pas de neige comme source d'abreuvement l'élevage ne peut pas utiliser la zone; les dégels soudains ou la neige trop épaisse peuvent être désastreux.

Tableau 18. Période de pâturage dans l'Altai

Saison

Durée

Printemps

Début avril à fin juin -90 jours environ

Eté

Fin juin à fin septembre -83 jours environ

Automne

Mi-septembre à fin novembre - 71 jours environ

Hiver

Fin novembre à fin mars -121 jours environ

Quoiqu'étant une activité à petite échelle, la fenaison est traditionnelle. Le foin de prairies très limité au long des rivières est coupé à la faux ou avec une faucheuse à traction animale; certaines personnes restent toujours plus tard dans les plaines en été pour faire ce travail. Certaines prairies de montagne sont fauchées par les quelques communautés qui passent l'hiver dans les plus larges vallées de montagne. Le point le plus faible du système de production est l'aliment d'hiver.

Pour améliorer la disponibilité du foin, le Bureau de la production animale a développé 25 000 ha de terres irriguées sur des sols sableux ou caillouteux ne convenant pas aux cultures. Des unités de quatre ha sont conduites par les familles des éleveurs Kazakh; les troupeaux suivent leur transhumance habituelle mais quelqu'un de la famille reste derrière durant l'été pour irriguer les cultures et faire le foin. Les gens installés bénéficient de crédits si bien qu'ils peuvent avoir des maisons permanentes comme quartiers d'hiver. Les services sociaux - y compris les facilités médicales et scolaires - sont aussi disponibles, ce qui n'était pas accessible aux familles n'ayant pas de base hivernale fixe. La rotation est de quatre à six ans de luzerne pour le foin, suivi par une culture nettoyante, puis re-semis en luzerne. L'effet du fourrage sur la culture suivante est très positif (voir Tableau 19). Les kazakhs n'ont pas de tradition de culture: la conduite de l'élevage, à cheval, est le mode de vie pour tous. Le développement du projet a nécessité la formation intensive des bergers, par du personnel technique expérimenté. Il se passera quelques temps avant que les bergers deviennent des agriculteurs et irrigateurs aussi compétents que les gens établis dans la Région.

Le temps pendant la récolte est idéal pour une fenaison rapide, ainsi les méthodes simples donnent de bons résultats. Les régions pilotes de luzerne ont donné d'excellents rendements d'environ 7 t/ha. Le semis dans les fermes a commencé longtemps après les champs pilotes, donc seulement des exemples de rendement sur le court terme sont disponibles. Sur les trois premières années de semis de plein champ, les récoltes de seconde année ont produit en moyenne 4,1, 3,29 et 4,85 t/ha de foin. Seulement deux récoltes sont effectuées par an, et les regains sont pâturés quand le troupeau revient en novembre, une fois que l'herbe est éliminée par le gel. Avec une bonne organisation et une fertilisation adéquate, une troisième coupe pourrait être obtenue et laisser encore une repousse adéquate avant les gels. Ces rendements sont faibles, mais bien au-dessus de la moyenne locale, et pourraient être fortement accrus par une bonne gestion et l'utilisation d'engrais. En dehors de ce projet, sur d'anciens champs, cultivés essentiellement pour la production de semence et non fertilisés, les rendements moyens se sont stabilisés à environ 2 t/ha de foin, ceci doit être bien en dessous du coût réel de l'approvisionnement en eau.

Tableau 19. Effet de la luzerne sur la culture suivante

Culture

Avant (kg/ha)

Après quatre années de luzerne (kg/ha)

Blé

2 250

4 500

Tournesol

1 050

1 800 -2 250

Betterave

22 500

33 750

Figure 51. Confection manuelle du foin en petites meules (Altai, Xinjiang, Chine). Dans ces conditions chaudes et arides l'herbe doit être mise en petites meules rapidement, sinon il y a une importante perte de feuilles

Figure 52. Températures et précipitations à Fuyun, Altai, Xinjiang

Les services de location de machines - avec faucheuses à quatre disques rotatifs, faneurs, ramasseuses presses - fournis par les autorités locales ont été jugés trop coûteux. Le fauchage est maintenant effectué par des entrepreneurs avec un matériel plus léger - faucheuses à deux disques ou à lames à mouvements alternatifs - ou faucheuses à traction animale. Les tracteurs sont personnellement possédés par les paysans locaux et, en plus de travailler leurs propres champs, coupent et fanent sous contrats ((¥ 98/ha en 1994). La hauteur du chaume dans les champs coupés avec les tracteurs est plus régulière que dans les champs fauchés avec les faucheuses à traction animale. Les râteaux mécaniques sont utilisés pour l'andainage. Le foin est mis en andains quelques heures après, mis en petits tas, et transporté environ un jour après la fauche. Le séchage rapide suivi par une mise en meule immédiate donne un bon foin avec peu de perte de feuillage. Le foin sèche très rapidement en climat désertique, et, à Fuhai, il est souvent mis en andain au moment de la fauche avec une faucheuse et un râteau en tandem derrière un tracteur, le foin est ensuite mis en petit tas avec une fourche et plus tard chargé à la main et transporté dans des charrettes à cheval.

Le foin est stocké dans des meules basses non tassées, et à cause de l'aridité du climat, il n'est pas nécessaire de recouvrir de chaume. A part l'extérieur de la meule, qui est rapidement décoloré, le foin reste cassant et vert pendant au moins deux années. Les meules sont faites dans la cour de la ferme ou abrités par des brises-vent en murs de terre pour les protéger des vents très forts qui balayent périodiquement les plaines.

Un écotype local de luzerne, «Beijiang», probablement un hybride entre Medicago sativa et M. falcata (ce dernier se trouve localement à l'état sauvage) est la culture principale, avec Laojiang à larges feuilles en second. Cette base génétique très limitée a causé beaucoup d'ennui, et une large gamme de cultivars tolérants au froid ont été introduits après une recherche bibliographique dans le monde. Leur croissance précoce a été impressionnante comparée aux témoins locaux, mais aucune des introductions n'a survécu au premier hiver. Les conditions d'hiver dans l'Altai sont très dures et il y a peu ou pas de neige dans les zones irriguées pour procurer une protection. La région doit compter sur son propre matériel génétique et le savoir-faire de ses spécialistes pour développer des luzernes à haut rendement et résistantes aux maladies. Le Département des Sciences des Herbages du Collège Agricole du 1er août à Xinjiang a conduit un excellent travail étudiant les ressources génétiques locales des plantes fourragères, et surtout la luzerne. Ils ont croisé et multiplié des luzernes améliorées. Cette culture est très importante pour la production animale et l'entretien de la fertilité à travers la Région Autonome. Ces variétés pourraient être aussi de grand intérêt pour d'autres déserts froids ou zones semi-arides dans les climats continentaux, incluant l'Asie Centrale et les parties les plus élevées de la région de l'Himalaya-Hindu Kush.

Figure 53. Transport par tracteur et mise en meule du foin dans l'Altai. Les petits tracteurs sont devenus populaires pour la fenaison

La stagnation d'eau localisée est un problème dans certains endroits, soit à partir de la montée de la nappe d'eau, souvent due à l'eau provenant d'autres régions irriguées, ou des points humides à cause du manque de nivellement du champ. Il est nécessaire d'améliorer le nivellement, mais ceci n'est ni facile ni rapide à effectuer manuellement sur un sol pierreux, avec une main-d'œuvre limitée et un terrain gelé pendant des mois. Outre à s'attaquer aux racines du problème, on recherche des fourrages tolérants à de telles conditions. Le Lotier commun (Lotus corniculatus) est très prometteur. Une large gamme de cultivars a été testée et certains sont assez productifs et robustes, ayant survécus plusieurs hivers. Dans les quatre ans d'introduction de l'irrigation, plusieurs légumineuses de prairies, caractéristiques des conditions non désertiques, sont apparues spontanément dans des régions de haute fertilité dans des endroits humides, y compris Lotus spp., Trifolium fragiferum, T. pratense et T. repens. Celles-ci se trouvent près des clairières pâturées des forêts voisines et leurs semences ont probablement été véhiculées par les bouses.

La paille provenant des terres cultivées dans la rotation est stockée et distribuée, mais la ration totale d'hiver est fortement dépendante de la luzerne - un exemple rare d'alimentation hivernale probablement excédentaire en protéines. Jusqu'à maintenant, on n'a pas identifié de graminées convenant à la fenaison et la préférence locale va vers le foin de luzerne.

Les changements dans la gestion des systèmes pour augmenter la productivité entraînent une meilleure utilisation de l'aliment disponible et pour minimiser la pression sur les prairies de transition ils comprennent:

L'effet de l'amélioration de l'alimentation hivernale est déjà visible parmi les premiers installés, à la fois dans la taille du troupeau et dans l'état individuel des animaux. Tout surplus d'aliment d'hiver est utilisé pour accroître leur troupeau à travers l'achat d'animaux chez des voisins nécessiteux - ce surplus n'est habituellement pas vendu. Outre l'amélioration de la production animale, ce projet apporte un bénéfice social considérable, parce que les familles transhumantes ont maintenant accès à l'éducation, dans leurs quartiers d'hivers, pendant l'hiver rude et long, et aux facilités médicales, sans perdre le bénéfice du système de transhumance.


[2] D'après les informations fournies par Alemayehu Mengistu.
[3] D'après Boubacar Ly.
[4] D'après Fitzherbert, 1985.
[5] D'après Li-Menglin, Yuang Bo-Hua et Suttie, 1996.

Page précédente Début de page Page suivante