Page précédente Table des matières Page suivante


3. L'hybridation entre espèces et races

JONATHAN W. WRIGHT

JONATHAN WRIGHT est professeur de génétique forestière, Forestry Department, Michigan State University, East Lansing, Michigan, Etats-Unis. Les autres membres de l'équipe de rédaction étaient C. Heimburger (Canada), E. W. Jones (Royaume-Uni) et 0. Fugalli (FAO).

Résumé

Le rôle de l'hybridation entre espèces pour l'amélioration des arbres varie suivant l'application des programmes. Chez les espèces des genres Castanea et Populus (autres que les trembles) on lui a donné la priorité absolue à cause de la facilité avec laquelle on peut effectuer les croisements et parce que les hybrides font preuve de qualités que l'on ne peut obtenir par sélection à l'intérieur d'une espèce. Chez certaines espèces de Pinus et Picea, l'hybridation sera utilisée conjointement avec l'expérimentation des provenances et la sélection individuelle des arbres, car la combinaison de ces procédés est plus favorable pour l'avenir que l'emploi d'une seule méthode. Il y a quelques espèces qui ont résisté à tous les essais de croisement ou sont nettement supérieures aux hybrides que l'on a produits ou expérimentés jusqu'ici.

Les hybrides naturels sont fréquents mais ils ne représentent probablement qu'une petite proportion du nombre total des combinaisons qui peuvent être effectuées. Pour un programme sérieux d'hybridation, il faut toujours prendre comme point de départ l'étude des données disponibles sur le croisement naturel. Il se peut quelquefois qu'un sélectionneur ait à se reposer entièrement sur les croisements naturels car les pollinisations contrôlées sont difficiles à faire en quantité suffisante. Mais dans d'autres cas, les pollinisations contrôlées sont réalisées si facilement que les hybridations artificielles importantes sont indiquées.

Une importante introgression naturelle est relativement peu fréquente mais intéressante à observer quand elle se présente. Pour cela il est possible d'obtenir une indication théorique sur la nature de la différenciation génétique et de la sélection naturelle. De même, la grande variabilité génétique dans un essaim hybride peut constituer un point de départ intéressant pour l'établissement de programmes d'amélioration par sélection.

On connaît peu d'hybrides intergénériques, le terme général «hybride» signifiant normalement croisement entre deux espèces. Chez Populus et Castanea, les modalités d'aptitude au croisement sont relativement simples et presque n'importe quelle espèce du même genre peut être croisée avec une autre espèce. Les modalités sont un peu plus complexes chez Picea, dans lequel des espèces semblables morphologiquement et voisines peuvent se croiser avec beaucoup plus de facilité que celles qui sont éloignées géographiquement ou sont dissemblables. A l'autre extrémité se trouve Pinus, qui se fractionne en un grand nombre de groupes de croisements, ces groupes correspondant très bien avec les séries et les sections de la taxonomie. Certains groupes comprennent plusieurs espèces tandis que d'autres contiennent une espèce unique qui est si bien différenciée qu'elle ne se croise avec aucune autre. Les connaissances sur les modalités de l'aptitude au croisement sont intéressantes parce qu'elles permettent au sélectionneur de porter son attention sur les croisements qui présentent les plus grandes chances de réussite.

Les travaux récents sur les agents qui induisent les mutations sur les pollinisations mélangées sont pleins d'avenir et permettent d'étendre le nombre de croisements que l'on peut réussir.

La vigueur hybride (hétérosis) dans la génération F1 se produit de façon relativement fréquente, en particulier quand il s'agit d'espèces exotiques ou quand on expérimente sur les hybrides des habitats altérés par l'homme. L'apparition de la vigueur hybride ne peut normalement pas être prédite à l'avance, mais doit se déterminer de façon empirique en expérimentant des plantations sur un grand nombre de stations.

Jusqu'ici on ne sait pas encore si les résultats supérieurs des croisements sont dus à la dominance, à la super-dominance, ou à l'interaction entre les paires de gènes qui ont eux-mêmes des effets additifs. Il n'est pas nécessaire de le savoir quand on emploie dans la pratique les F1, mais ce fait décidera si la vigueur supérieure peut être fixée ou non dans les générations ultérieures.

Certaines combinaisons d'hybrides sont pleines de promesses même si elles présentent des caractères intermédiaires en F1 Le genre Castanea en fournit un exemple. Castanea dentata est intéressant à de très nombreux points de vue mais manque de résistance au chancre du châtaignier, Endothia parasitica. Cette résistance peut être obtenue par le croisement avec des espèces asiatiques qui ne présentent pas un type du bois ou un taux de croissance intéressant. Les croisements de retour pendant un certain nombre de générations offrent le moyen d'incorporer la résistance aux maladies et les qualités du bois dans les mêmes arbres.

Quand on conçoit un programme de production d'un cultivar F1 hétérotique, il faut insister sur l'aptitude aux croisements, sur les techniques de production en série, et sur des essais à long terme dans les régions où il sera probablement employé. Le problème est déplacé dans une certaine mesure si le but est une ségrégation dans la dernière génération. Des considérations théoriques venant de la génétique des populations indiquent que le meilleur moyen d'atteindre ce but est de démarrer avec une sélection par famille en F3 Par conséquent, il serait souhaitable de procéder rapidement dans les générations F1 et F2.

Pour obtenir la vigueur hybride ou une ségrégation dans la dernière génération, il n'est pas nécessaire de prendre au départ des espèces distinctes, mais seulement de prendre des races ou des portions de clines différentes à l'intérieur d'une espèce. Les sélectionneurs suédois ont été les plus actifs à ce point de vue, et ont croisé des races indigènes avec des races continentales. Leurs résultats préliminaires indiquent qu'une grande extension de cette hybridation à l'intérieur d'une espèce serait très intéressante.

Chapitre 3

L'hybridation d'espèces est un sujet d'études très intéressant. L'heureux chercheur qui obtient une combinaison inconnue auparavant sent qu'il a apporté sa contribution à la création d'une nouveauté qui, selon toute probabilité, ne se serait pas produite dans la nature. Et il y a beaucoup de chances pour qu'à la nouveauté se joigne l'utilité. Beaucoup de nos plantes cultivées, et des plus importantes, ont une origine hybride, et les nouveaux arbres hybrides sont réellement pleins de promesses.

L'étude complète de l'hybridation dans seulement un genre botanique représente le travail d'une vie entière. Les travaux effectués par les taxonomistes sur les rares croisements naturels existants ou sur l'introgression fourniront des indications sur les croisements qui sont possibles. Par exemple, les hybrides naturels indiquent les possibilités de croisements dans le genre Eucalyptus. Cependant, il faudra compléter ces indications par un solide travail de pollinisation contrôlée pour mettre au point un schéma satisfaisant des aptitudes au croisement, car pour une grande partie des espèces qui se croisent le plus facilement les rencontres ne se produisent pas dans la nature. Il y aura encore un gros travail à faire, après l'étude des aptitudes au croisement, qui montrera que l'on peut croiser entre elles les espèces A et B et peut-être que les hybrides sont pleins de promesses. Comment peut-on faire une production de masse des hybrides, et quelles races ou quels individus en particulier devra-t-on utiliser dans les espèces parentes pour obtenir les meilleurs résultats? Voilà des questions dont la solution pourra nécessiter de nombreuses années de recherches.

Le rôle de l'hybridation varie suivant les régions et suivant les genres. Il existe des groupes comme Castanea chez lesquels les meilleures espèces pour le bois sont défectueuses pour un seul caractère (dans ce cas particulier, la résistance aux maladies), ce que l'on peut obtenir de la meilleure façon possible par le croisement avec une autre espèce. La majorité des hybrides sont intermédiaires entre leurs parents en ce qui concerne leur morphologie et leurs besoins. Ainsi, on peut obtenir facilement des hybrides, mais qui n'aient qu'une faible valeur pour la sylviculture quand on ne dispose pas de grandes surfaces dans les habitats intermédiaires. Quelquefois, les perturbations causées par l'homme ont créé les habitats intermédiaires pour lesquels les arbres intermédiaires sont le mieux adaptés, et montrent la vigueur hybride. Des exemples en sont donnés par Eucalyptus et Aesculus. De même, il arrive qu'une espèce trouve son emploi le plus important à l'extérieur de son aire naturelle et, dans ce cas, des hybrides peuvent apparaître comme mieux adaptés; un exemple en est donné par l'hybride Larix decidua X leptolepis. L'hybridation n'offre que relativement peu d'espoir d'améliorer le Pinus resinosa d'Amérique, qui a résisté à presque tous les essais de croisements avec les autres espèces. Dans le sud-est des Etats-Unis, les pins du Sud ne sont pas en mesure d'être améliorés par l'hybridation interspécifique; ils se reproduisent et poussent rapidement, tandis qu'il n'existe pas d'autres espèces de Pinus qui les dépassent en poids spécifique du bois - une de leurs qualités les plus importantes. De toute façon, il faut expérimenter les hybrides avant de bien connaître leurs potentialités.

LES HYBRIDES NATURELS ET L'INTROGRESSION

On cite fréquemment le cas d'hybrides naturels entre espèces appartenant au même genre. De même, on a cité un hybride de genre authentique Cupressus X Chamaecyparis. On est moins convaincu des preuves d'existence de l'hybride présumé Tsuga X Picea.

Il y a de grandes chances pour qu'on obtienne des hybrides naturels si on sème de la graine récoltée sur des spécimens isolés poussant dans un arboretum ou dans un parc. Si une espèce ne présente pas normalement d'autofécondation, la plus grande partie de la graine qu'elle produit peut provenir du croisement avec une autre espèce. D'autre part, la technique de pépinière, si elle est assez poussée, permet de reconnaître les types inhabituels. La plupart des hybrides naturels d'Abies et d'Acer se rencontrent dans ces circonstances. Il en est de même pour une grande partie des hybrides de Picea, Pinus, Populus, et Quercus.

Dans la majorité des cas, l'hybridation naturelle aboutit seulement à la production d'un ou de quelques arbres F1. Le groupe d'hybrides existe l'espace d'une génération, puis disparaît. On ne pourra rencontrer la même combinaison que dans un lieu tout à fait différent: c'est ce qui se passe pour la plupart des hybrides de Quercus américains signalés. C'est vrai aussi pour quelques hybrides de pins intéressants comme Pinus sylvestris X nigra et P. palustris X taeda.

Chez Populus, Pinus et Picea, l'étude des hybrides naturels rencontrés une seule fois a donné l'impulsion aux travaux poussés sur l'hybridation; mais c'est l'étude de milliers d'hybrides artificiels qui nous a fourni le plus de renseignements. D'un autre côté, l'étude des hybrides de Quercus et Asculus rencontrés une seule fois a contribué pour une grande part à nous faire connaître l'hybridation dans ces deux genres, car les hybrides artificiels seraient difficiles à produire en grande quantité.

Les essaims d'hybrides naturels sont assez rares, mais instructifs. Ils apparaissent la plupart du temps dans des habitats «hybrides», et particulièrement dans des zones altérées. Les chênes du sud-est des Etats-Unis fournissent quelques exemples qui ont été bien étudiés (Muller, 1952). Dans le centre et le nord du Texas, Quercus havardii et Q. stellata occupent normalement des sols sableux pour le premier, argileux pour le second. Les hybrides sont communs à la zone de contact entre les deux sols, mais seulement à une courte distance de cette zone. Pour une espèce, la forme «pure» se trouve dans les habitats «purs» typiques de l'espèce.

Dans la même région, Q. mohriana et Q. havardii se rencontrent respectivement sur roche-mère calcaire et sableuse. On trouve des hybrides là où le sol s'est formé sur roche mère mixte calcaire et sable, mais non dans les habitats «purs». En Californie, Quercus X alvordiana est en réalité un groupe d'essaims hybrides entre Q. douglasii et Q. turbinella et ne se rencontre que dans les habitats intermédiaires où les parents sont en contact étroit. Quelques-uns de ces essaims de Q. X alvordiana se sont maintenus pendant des générations successives depuis la fin du Pléistocène.

En Australie, Eucalyptus dalrympleana était un élément de la forêt naturelle dans les sites non altérés par l'homme. Par suite de l'action humaine, beaucoup de ces sites ont été endommagés sévèrement par le feu. Maintenant ces zones sont envahies par des essaims hybrides de E. pauciflora X dives (Pryor, 1957), tandis que dans les conditions naturelles les deux espèces s'excluaient mutuellement à cause de la concurrence. On a découvert récemment dans les habitats perturbés plusieurs autres exemples d'essaims hybrides d'Eucalyptus.

La section Pavia du genre Aesculus comprend quatre espèces indigènes dans le centre et le sud-est des Etats-Unis. Dans la forêt originelle, les espèces restaient distinctes. Si des hybrides se formaient, ils étaient isolés ou en très petits groupes. Maintenant, il y a de nombreuses tranchées de routes ou des zones exploitées en coupes rases dans lesquelles les hybrides dépassent les parents. Dans ces habitats intermédiaires, il y a, de temps en temps, des essaims hybrides d'A. glabra X pavia, d'A. glabra X octandra et d'A. octandra X sylvatica. Dans ce dernier, deux cas d'hybridation ont amené une transfusion de gènes considérable d'A. octandra dans les deux autres espèces. Dans une autre combinaison, A. pavia X sylvatica, il y a une transfusion de gènes importante dans les deux sens d'une espèce-parent vers l'autre.

Par introgression, il faut entendre une longue période d'hybridation dont la conséquence est une transfusion de gènes élevée d'une espèce dans une autre. Il est souvent délicat de faire la distinction entre la convergence des espèces par suite d'introgression et la divergence des espèces ou des races. Chez Picea, on soupçonne l'introgression d'être une des causes principales de la grande plasticité des espèces nordiques circumpolaires, encore qu'on n'ait pu le prouver que dans deux cas (Wright, 1955). Picea engelmannii et P. glauca se croisent naturellement à l'intérieur de la Colombie britannique et en Alberta. On trouve dans l'une des espèces des traces nettes de l'autre loin de la zone de contact. La population d'épicéas du nord de la Scandinavie et des régions de l'U.R.S.S. voisines est un mélange de types intermédiaires entre P. abies et P. obovata. On connaît d'autres cas où des espèces à aires de répartition étendues et adjacentes se croisent artificiellement et - on le suppose - se sont croisées naturellement quand le climat permettait un chevauchement des aires naturelles.

D'un autre côté, l'absence de variabilité génétique et l'absence de conditions favorables à l'hybridation sont des caractéristiques récentes des espèces méridionales de Picea très disséminées.

A la suite de l'introduction par l'homme de Populus deltoides d'Amérique du Nord dans le sud de l'Europe, il y a eu une bonne part d'introgression de cette espèce dans P. nigra. Dans beaucoup d'endroits, P. nigra est maintenant rare à l'état pur, et les plants sont constitués en majorité d'hybrides (Schneider, 1959).

La véritable introgression est rare chez les Quercus, malgré le grand nombre d'espèces signalées. Il existe des intermédiaires entre les espèces du nord de l'Europe Quercus robur et Q petraea là où leurs aires chevauchent, et il peut s'agir d'hybrides. Dans le sud-est des Etats-Unis, Quercus drummondii semble dériver par introgression de Q. stellata à qui auraient été infusés des gènes de Q. gambelii. Dans la majorité des autres cas, les espèces ont conservé leur identité propre, même si elles poussaient en mélange avec plusieurs autres sortes de chênes (Palmer, 1948).

Trois facteurs nous aident à expliquer pourquoi, dans certains cas, l'hybridation aboutit seulement à quelques individus intermédiaires isolés et, dans d'autres, à des essaims hybrides ou à l'introgression. D'abord, il peut n'y avoir que peu de conditions favorables pour le croisement. On n'a signalé que quelques hybrides naturels pour le croisement P. strobus (est de l'Amérique) P. griffithii (Himalaya). Ces hybrides apparaissent fréquemment dans le nord de l'Italie où les 2 espèces sont souvent cultivées ensemble dans des jardins et des parcs. On peut facilement réaliser le croisement artificiel et on pourrait s'attendre à l'introgression si les parents avaient la même aire naturelle. Il se peut que la différence d'époque de floraison soit la seule raison qui empêche Acer rubrum et A. saccharinum de devenir une espèce unique. On n'a pas signalé d'hybrides naturels, bien que les deux espèces poussent ensemble et poissent se croiser avec facilité.

Ensuite, il se peut que les hybrides soient stériles. Il n'y a encore que peu d'exemples où l'on sache qu'il en est bien ainsi.

Enfin, il y a la nature et l'intensité de la pression de sélection. Supposons que les gènes A et a soient allélomorphes d'un même locus, avec des fréquences respectives p = 0,9 et q = 0,1. Dans le cas de croisement au hasard, les zygotes auront une fréquence relative de (p + q)2 = p2 + 2pq + q2 = 0,81AA + 0,18Aa + 0,01aa. Si la sélection favorise les hétérozygotes pendant une génération, la proportion des arbres Aa augmentera jusqu'à un maximum (maximum théorique = 0,50). Mais si ensuite les conditions de milieu se modifient en sorte que la sélection favorise les hétérozygotes, les individus Aa tendront à disparaître. Après élimination complète des hétérozygotes, le groupe hybride dans lequel les fréquences des génotypes étaient 0,81AA, 0,18Aa et 0,01aa produira des gamètes (c'est-à-dire du pollen et des cellules-œufs) pour lesquels les fréquences des gènes seront 0,988A et 0,012a. Ces gamètes produiront à leur tour une génération d'arbres dans laquelle les fréquences des génotypes seront 0,9757AA, 0,0242Aa et 0,0001aa. Notons que cette sélection défavorable aux hétérozygotes aura réduit d'environ 90 pour cent la fréquence des arbres Aa et d'environ 99,9 la fréquence de l'hétérozygote le moins répandu (soit aa). Autrement dit, il reste très peu de gènes pour former des arbres Aa dans la génération suivante. Si le sens de la sélection devait encore se renverser pour favoriser les arbres Aa, la production d'un essaim hybride serait à entreprendre à nouveau.

Cet exemple mathématique a deux corollaires. D'abord l'existence durable d'un essaim hybride est la preuve certaine que la sélection favorise les hétérozygotes - c'est-à-dire qu'on est en présence d'hétérosis utilisable. Ensuite, l'absence d'essaim hybride ne signifie pas nécessairement qu'on ne peut pas produire d'hybrides utiles. L'homme peut tirer parti d'une vigueur hybride qui se manifeste pendant deux générations sur trois alors que la nature ne le peut pas.

Si un sélectionneur porte son intérêt sur la superdominance1 indiquée par la présence d'un essaim hybride, il devra essayer de produire en série, grâce à des moyens artificiels, des populations F1 ou à la rigueur F2, car c'est dans ces générations que la superdominance sera le plus prononcée. Cependant, s'il n'est pas en mesure de mettre en train un programme de travail aussi important, il ne devra pas employer de moyen terme tel qu'une éclaircie génétique. Grâce à un autre théorème de la génétique des populations, on peut montrer qu'une population hybride de ce type se mettra en équilibre naturel quand la fréquence du gène a sera

s1 et s2 étant les pressions de sélection à l'encontre respectivement des arbres AA et aa. On peut aussi montrer que la population est au maximum de sa production quand elle se trouve à cet équilibre naturel (si on ne peut la maintenir dans un état 100 pour cent hétérozygote en croisant artificiellement les arbres AA et aa). Pour citer un exemple, si les arbres AA, Aa et aa ont des taux d'adaptation respectivement de 0,60, 1,00 et 0,85, la population hybride aura une adaptation moyenne de 0,89 si elle est en équilibre. Une sélection artificielle en vue de favoriser les arbres les meilleurs (qui seraient les hétérozygotes) augmenterait le nombre d'arbres AA improductifs et abaisserait l'adaptation moyenne à 0,862, alors que la pollinisation artificielle - pratiquée pour qu'on soit certain de ne planter que des arbres Aa - amènerait l'adaptation jusqu'à 1.

1 La superdominance a lieu quand l'hétérozygote est supérieur au meilleur homozygote.

Si un sélectionneur porte son intérêt en premier lieu sur la variance génétique additive, un essaim hybride naturel présente un excellent point de départ pour un programme de sélection. Dans le sud du Michigan, il existe un groupe considérable d'hybrides entre P. thunbergii et P. densiflora. Pour plusieurs caractères, la variance génétique additive dans ce groupe est sans doute deux ou trois fois plus forte que celle que l'on pourrait rencontrer dans n'importe quelle population naturelle de l'espèce pure. L'héritabilité et la réponse à la sélection seraient aussi deux ou trois fois plus grandes que dans une population de l'espèce pure.

LES DIFFÉRENTS MODES D'APTITUDES AU CROISEMENT

Mise à part l'exception de Cupressus X Chamaecyparis mentionné plus haut, on peut ne pas se préoccuper des hybrides intergénériques entre arbres de la zone tempérée et concentrer son attention sur les croisements à l'intérieur des genres. C'est chez Populus, Pinus, Picea, Quercus, Castanea et Larix que les différents modes d'aptitude au croisement sont le mieux connus. On a essayé dans ces groupes assez de croisements pour pouvoir formuler des règles générales qui permettent de prévoir les combinaisons susceptibles de réussir. Pour la plupart des autres genres (y compris les genres tropicaux), les renseignements sont encore plus fragmentaires, et consistent surtout en listes d'hybrides naturels.

La quantité de différenciation génétique à l'intérieur de ce que l'on considère comme un seul genre varie beaucoup. A une extrémité, on trouve Populus. Il y a eu si peu de différenciation génétique que n'importe quelle espèce peut manifestement se croiser avec n'importe quelle autre. Il se peut que Castanea presente un mécanisme semblable - tous les croisements essayés ont réussi. La différenciation génétique est un peu plus prononcée chez Picea. La plupart des espèces peuvent se croiser avec leurs voisines géographiques mais non avec celles provenant d'un lieu éloigné. Il n'y a pas de fossé tranché entre groupes d'aptitudes au croisement distinctes et il est possible, mais on ne l'a pas expérimenté, que n'importe quelle espèce puisse être reliée à n'importe quelle autre en la croisant avec des types intermédiaires. Le genre Eucalyptus présente des modalités semblables, mais les espèces voisines de la même section se croisent avec une facilité relative. Quercus se divise en trois sous-genres (dont 2 connus sous l'angle génétique). On signale un grand nombre d'hybrides entre espèces appartenant au sous-genre du chêne blanc (américain), Lepidobalanus, et il est possible que tous les chênes blancs puissent s'hybrider entre eux. Il en est de même du sous-genre du chêne rouge Erythrobalanus. D'un autre côté, il n'existe pas de preuves convaincantes d'hybridation entre sous-genres de Quercus.

Les pins se trouvent à l'autre extrémité. Le genre Pinus se divise en deux sous-genres et un grand nombre de séries. A trois exceptions près, on a réussi les essais de croisement entre membres de la même série. Le mécanisme chez Acer est semblable à celui existant chez les pins. Sur 50 croisements artificiels essayés, 5 ont réussi. Les réussites se rencontraient toutes à l'intérieur de l'une des 13 sections que l'on a reconnues. Du point de vue génétique, on peut considérer qu'une série ou qu'une section de l'un de ces deux genres présente la même quantité de différenciatiou qu'un genre entier ordinaire. On aurait le droit du point de vue biologique (mais ce serait peu pratique) de considérer ces petits groupes d'espèces comme des genres séparés, comme l'ont fait certains auteurs dans le passé.

La ressemblance morphologique ou physiologique et la répartition géographique sont une bonne indication des aptitudes au croisement à l'intérieur du genre. Les combinaisons les plus faciles à réaliser sont celles entre espèces semblables à aires se chevauchant étroitement. Il arrive souvent que la distance constitue une barrière suffisante pour que ne soit nécessaire aucun autre mode d'isolement. Si l'on détruit cette barrière par une plantation en mélange ou par pollinisation contrôlée, il en résultera des hybrides. D'un autre côté, des espèces qui se trouvent en mélange dans les mêmes peuplements ne se croisent pas normalement. Parfois une différence d'époque de floraison ou d'exigences quant au microsite constitue une barrière d'isolement que l'on peut facilement supprimer par le croisement artificiel. Parfois, la barrière d'isolement a été créée par différenciation génique ou chromosomique. L'irradiation du pollen et l'emploi de mélange de pollen sont de quelque avenir pour surmonter des barrières de ce type. Il est aussi difficile de croiser des espèces dissemblables morphologiquement ou des espèces à aires de répartition très éloignées. Dans ce cas, une longue séparation a été généralement accompagnée de différenciation génique ou chromosomique.

Des croisements qui échouent dans un milieu peuvent réussir ailleurs ou à une autre époque. La connaissance de la nature de la barrière aide souvent à la supprimer.

Les exemples de relations entre aptitude au croisement, ressemblance et répartition géographique sont nombreux. Prenons, pour commencer, le genre Pinus. La série Strobi comprend plusieurs espèces qui se ressemblent. Toutes sauf une ont des aires de répartition géographique séparées (mais voisines si l'on se place sur le plan de la géologie) et peuvent se croiser entre elles avec une relative facilité. La seule exception (P. Iambertiana) n'est pas tout à fait typique de la série et ne se croise pas avec les autres membres. On a essayé plusieurs fois de croiser des espèces de la série Strobi avec des membres d'autres séries, mais un seul essai a réussi.

Pinus ser. Sylvestres comprend une douzaine de pins à bois dur. Les représentants asiatiques se ressemblant morphologiquement et peuvent se croiser avec presque toutes les combinaisons possibles. Ils ressemblent moins aux représentants européens de la série. Il n'y a que quelques croisements Europe X Asie qui aient réussi - en donnant peu de graines. Le seul représentant des Etats-Unis dans la série Sylvestres (P. resinosa) possède plusieurs traits distinctifs en ce qui concerne sa morphologie et ses chromosomes. Le travail mené par de nombreuses personnes pendant plus de vingt ans a abouti à produire seulement quatre sujets hybrides entre P. Resinosa et une autre espèce.

La série Australes du genre Pinus comprend des groupes d'espèces du sud-est et du sud-ouest des Etats-Unis. Les membres de chaque groupe se ressemblent davantage entre eux qu'aux membres de l'autre groupe. Toutes les combinaisons possibles sud-est X sud-est et un grand nombre de combinaisons sud-ouest X sud-ouest ont donné des hybrides vrais. Cependant, aucune combinaison sud-ouest X sud-est n'a réussi (Duffield, 1952).

Les épicéas (Picea) présentent aussi la même relation entre l'aptitude au croisement, la ressemblance et la répartition géographique. Dans le nord des Etats-Unis, le Canada, et le nord-est de l'Asie, il existe un groupe de cinq espèces, dont chacune a une aire de distribution pratiquement séparée des autres, et présente certaines ressemblances avec ses voisines. Toutes les hybridations qu'on avait tentées dans ce groupe ont réussi, mais plusieurs essais de croisements entre ces épicéas et d'autres espèces ont échoué. Partant du nord de l'Europe jusqu'à la Sibérie et au nord de la Chine, il existe une autre chaîne d'espèces semblables entre lesquelles le croisement se produit avec la plus grande facilité. Les cinq espèces qui cohabitent dans la même montagne du Japon ne se croisent pas, mais l'une d'entre elles peut se croiser avec les épicéas du continent. L'une des exceptions dignes d'être notées au mode d'aptitude générale au croisement est le croisement P. omorika X sitchensis qui a réussi en Europe.

Le genre Larix contient environ 10 espèces, chacune ayant une aire géographiquement distincte. Manifestement, la différenciation est d'ordre purement géographique, et les espèces se croisent facilement.

Sur sept essais d'hybridation artificielle chez Fraxinus, un seul a réussi: il s'agissait de représentants de la même section, l'un de l'est, l'autre de l'ouest des Etats-Unis. Ces deux espèces peuvent être considérées comme voisines du point de vue géologique et se ressemblent tellement que l'on pourrait attribuer à une espèce les spécimens aberrants de l'autre. On signale des essaims hybrides entre les membres d'une paire d'espèces semblable dans le sud-ouest de l'Europe.

On connaît plusieurs cas où les croisements entre espèces à nombres chromosomiques différents ont donné de bonnes graines. On n'a pas encore étudié à fond les relations entre le nombre chromosomique et l'aptitude au croisement.

On peut résumer ces idées générales en soulignant qu'une bonne monographie et une série de cartes de répartition géographique détaillées sont d'un grand secours quand on lance un programme de croisements entre espèces. Si nous supposons qu'il existe 90 espèces dans le genre Pinus, il y aurait un total de 90 X 89:2 = 4005 combinaisons différentes entre espèces. Les travaux entrepris jusqu'à ce jour ont montré que 10 pour cent, soit 400 de ces croisements pourraient réussir. Un sélectionneur qui croiserait au hasard aurait seulement 10 pour cent de chances de succès. Mais celui qu-étudierait la taxonomie et la répartition géographique pourrait élever ces chances à 80 pour cent.

L'AMÉLIORATION PAR L'HÉTÉROSIS DANS LES GÉNÉRATIONS F1 ET F2

On a surtout insisté dans les hybridations d'espèces sur la production d'hybrides F1 vigoureux. La question a été suffisamment étudiée pour montrer que cette façon de l'aborder ne peut donner à l'avenir que d'excellents résultats. La majorité des hybrides se révèlent sans intérêt, mais il y en a assez qui manifestent de l'hétérosis pour justifier le travail. Souvent la vigueur hybride est très nette dans une partie de l'aire de l'espèce mais non dans l'autre.

Avant d'introduire une combinaison F1 hybride réussie, on opère en quatre temps: 1. Etude des aptitudes au croisement pour déterminer quelles combinaisons peuvent être faites. Comme on l'a dit plus haut, ce travail est bien avancé dans certains genres, et à peine démarré dans d'autres. 2. Production de quelques hybrides de chaque combinaison qui promet et leur expérimentation par comparaison avec les espèces pures qu'ils pourraient remplacer. Un bon départ a été pris dans cette direction, mais les essais n'ont pas été assez poussés - dans presque tous les cas - pour indiquer les potentialités véritables de l'hybride. La plupart des hybrides de Pinus créés en Californie et en Pennsylvanie sont très peu connus en dehors des quelques endroits où on les a essayés. Et les potentialites de Larix decidua X leptolepis, très utilisé en Europe, sont très peu connues en Amérique. 3. Détermination des possibilités de production en série. Il n'y a pas de problème dans les espèces de Populus en dehors des trembles, car on peut les multiplier facilement par bouture. Cependant c'est un problème sérieux dans les autres genres. L'Institut de génétique forestière de Placerville, en Californie, a travaillé suffisamment sur quelques combinaisons de Pinus pour pouvoir montrer que la production en série est possible. Ces dernières années, l'Institut coréen de génétique forestière a procédé à de nombreux travaux sur quelques combinaisons de Pinus et il a obtenu des résultats très prometteurs. 4. Détermination des arbres particuliers qui feraient les meilleurs parents. C'est tout juste commencé pour les combinaisons espèce X espèce. Prenons par exemple le croisement Pinus sylvestris X densiflora. Il a été réalisé aux Etats-Unis, au début dans le Connecticut et plus tard en Pennsylvanie. Dans les deux cas, on a pris comme parents les premiers arbres disponibles, d'origine tout à fait inconnue. Les hybrides ont poussé très rapidement mais ne peuvent pas servir en raison de leur forme médiocre et de la faible quantité de graines.

FIGURE 11. - Collection de clones de Fraxinus excelsior. Les arbres ont été greffés et la forme est due à la taille.

Les stations de recherches forestières du Sud-Ouest pacifique et du Nord-Est, dépendant du service forestier des Etats-Unis, ont créé un grand nombre de combinaisons entre espèces chez Pinus, mais nous ne pourrons en mentionner ici que quelques-unes. Pinus monticola X strobus est une de celles qui a le plus d'avenir. Les rendements en graines sont suffisamment élevés pour envisager une production en série. La croissance, en Californie et dans de nombreuses autres régions des Etats-Unis, est égale ou supérieure à celle du parent qui pousse le plus vite. Des études poussées sont entreprises sur la sélection de cultivars résistant aux maladies dans les deux espèces parentes. Quand elles seront terminées, il sera possible d'avoir des hybrides F1 vraiment remarquables. L'hybride P. attenuata X radiata est lui aussi plein de promesses. Il pourrait être produit en grand. Quoiqu'il ne dépasse pas le parent à croissance la plus rapide (P. radiata) dans les régions chaudes, il est en passe de devenir l'un des pins les plus productifs dans les régions trop froides pour cette espèce.

Les rendements en graines sont très élevés pour l'hybride P. densiflora X thunbergii. Cette combinaison présente une vigueur hybride considérable en Pennsylvanie mais non au Japon d'où sont originaires les parents. L'utilité potentielle d'une quatrième combinaison, P. nigra X resinosa, est réduite à cause de la difficulté de la production en série. On a produit seulement quatre hybrides après de nombreuses années d'efforts, ainsi, ces hybrides ont une bonne croissance mais restent des curiosités botaniques.

On est en train d'exploiter au maximum, en Corée, les potentialités des pins hybrides F1. Dans ce pays, on utilise chaque année des milliers de sacs pour le croisement P. rigida X taeda et ce programme se révèle économique.

Ce sont les hybrides qui rapportent le plus, bien que leur production soit plus coûteuse que celle d'espèces pures.

Le croisement Larix decidua X leptolepis a été l'objet de plus de 27 articles venant d'autant de régions d'Europe, et qui presque tous signalent une croissance plus forte que pour l'une ou l'autre des espèces parentes (voir références Wright, 1962). Les rendements en graines sont élevés mais Larix ne se prête pas aussi bien que Pinus à des pollinisations contrôlées en grande série. C'est pourquoi Syrach Larsen, au Danemark, a conçu un verger à graines constitué par un clone auto-incompatible d'une espèce et des semis ou des clones de l'autre. Le clone auto-incompatible sert de parent femelle et produit de la graine hybride.

Quelques travaux américains et un nombre bien plus grand de travaux russes ont abouti à la production de plusieurs combinaisons hybrides artificielles chez Quercus. Certaines sont intermédiaires entre les parents mais d'autres font montre d'une vigueur hybride utilisable (Piatnitsky, 1960). Cependant, il semble qu'à l'heure actuelle même ces dernières ne présentent qu'un intérêt très limité. La pollinisation contrôlée est très fastidieuse et probablement trop coûteuse pour être pratiquée sur une échelle industrielle. La multiplication végétative est impraticable. Il se peut que les vergers à croisements naturels soient la solution, mais les efforts faits en vue de trouver des arbres qui donnent des pourcentages élevés de graines hybrides après pollinisation naturelle n'ont pas été récompensés.

FIGURE 12. - Collection de clones de Quercus sp. Les arbres ont été greffés et leur forme est due à la taille.

La sylviculture de Populus se fonde beaucoup plus sur les hybrides que sur les espèces pures. On plante de façon courante en Europe des cultivars qui dérivent de croisements dans lesquels entrent P. deltoides, P. nigra, P. trichocarpa et d'autres espèces. La plupart n'ont pas été expérimentés en comparaison avec leurs parents, mais on présume généralement qu'il y a hétérosis. A la suite du travail de pionnier effectué par Schreiner dans le nord-est des Etats-Unis, de nombreux hybrides pleins de promesses, ont été essayés en Amérique et pourront bientôt être plantés sur une échelle industrielle.

Les espèces de Populus autres que les trembles peuvent se reproduire facilement par bouture si bien que la production en série ne pose pas de problème. La facilité d'enracinement a aussi permis aux chercheurs de mener un grand nombre d'essais pour différencier les clones à l'intérieur des descendances F1 biparentales. Comme on s'y attendait, on a trouvé rarement de différences significatives entre les clones sauf quand les parents eux-mêmes étaient hybrides.

Dans des essais à court terme, Acer platanoides X mayrii et A. platanoides X cappadocicum ont manifesté une certaine vigueur hybride. Les croisements ont été réalisés facilement au stade expérimental au rythme de quelques centaines par jour. Cependant, ce rythme n'a pas pu être beaucoup accéléré à cause de la structure de la fleur; la pollinisation contrôlée ne semble pas réalisable en grande série. Il en est de même pour les vergers à graines à cause de différences d'époque de floraison. Il est possible que la solution réside dans la polyploïdie. Peut-être les quelques hybrides disponibles actuellement pourraient-ils être rendus fertiles si on double leur nombre de chromosomes. Mas les tétraploïdes seraient-ils aussi intéressants que les diploïdes? C'est une question à laquelle il faut répondre.

Théoriquement, on peut s'attendre à ce qu'une certaine vigueur hybride se maintienne à la génération F2. Cela fait apparaître la possibilité d'utiliser la génération F2 si la F1 ne peut pas être produite économiquement. Au moins chez certains pins, on sait que les F1 sont assez fertiles pour qu'on puisse produire de la graine F2 en quantité. L'Institut de génétique forestière de Californie a étudié cette possibilité dans plusieurs combinaisons de pins. En Grande-Bretagne, on projette d'élever de nombreuses descendances F2 de mélèzes hybride européen X japonais (Larix decidua X leptolepis) dans l'espoir qu'une certaine hétérosis se maintiendra.

Dans la plupart des exemples que nous avons cités, les hybrides sont encore jeunes, parce qu'il n'existe pas d'essais anciens bien adaptés concernant la plupart des combinaisons les plus intéressantes. Et aussi, beaucoup des essais préliminaires de croissance ont été menés seulement dans un ou deux emplacements et il est bien connu que l'hétérosis peut se manifester dans un endroit donné et pas dans un autre. Par conséquent, une expérimentation considérable reste à faire.

Pratiquement, tous les hybrides de Pinus, Picea et Populus créés à ce jour l'ont été à partir des premiers parents dont on disposait. Cela laisse aux sélectionneurs à venir un travail considérable. Les premiers hybrides Pinus densiflora X P. thunbergii produits à Philadelphie semblent tout à fait utiles mais il est inconcevable qu'ils soient les meilleurs. Il est beaucoup plus probable qu'on pourra produire des hybrides encore meilleurs par croisement entre des races sélectionnées chez les deux espèces parentes ou peut-être entre individus sélectionnés à l'intérieur de ces races sélectionnées.

POSSIBILITÉS DE RECOMBINAISON DANS LES GENERATIONS ULTÉRIEURES

Presque tous les sélectionneurs d'arbres espèrent produire une génération F1 ou F2 qui manifeste assez d'hétérosis pour valoir la peine d'être plantée sur une grande échelle. Ce n'est pas toujours possible. Parfois c'est la ségrégation dans des générations ultérieures qui donne des produits intéressants Ceci est vrai à trois conditions:

1. Si la pollinisation contrôlée est si difficile que les F1 et F2 ne peuvent pas être produits en série (cas de Juglans, Castanea, Acer, Quercus, et peut-être Abies).

2. Si l'hétérosis est présente mais insuffisante pour produire un cultiver qui mérite d'être planté (Castanea dentata X mollissima).

3. Si la variance génétique est surtout additive.

Si l'on désire réunir un caractère de l'espèce A à plusieurs caractères de l'espèce B. le croisement de retour est très indiqué. L'hybride F1 entre A et B devra être produit artificiellement, puis croisé en retour avec l'espèce B. ce processus étant répété si nécessaire. Dans les plantes agricoles, des croisements de retour pendant quatre ou cinq générations sont souvent nécessaires. Si l'on désire réunir des quantités égales de gènes des espèces A et B et si l'on a produit une génération F1, les F1 sont croisés entre eux pour produire une F2, dont les individus sont croisés entre eux pour faire une F3, etc.

La nécessité de cette méthode a été reconnue depuis de nombreuses années, mais les chercheurs répugnaient à l'employer à cause des longs délais qu'elle entraîne. Cette attente peut être nécessaire, mais ne doit pas être interminable. Il existe un grand nombre d'espèces forestières importantes qui donnent des fleurs à des âges compris entre 1 et 5 ans. Si un sélectionneur d'arbres avait connu cet avantage au départ, il aurait pu avoir en moins de 20 ans des générations F4 en production.

A l'heure actuelle, la plupart des projets d'amélioration portant sur plusieurs générations ne sont que le prolongement, sans idées directrices, des études sur l'hybridation en F1. La situation doit changer si l'on veut faire des progrès très rapides. Les essais en forêt conçus pour produire une ségrégation dans les générations ultérieures devraient être différents de ceux conçus pour expérimenter l'utilité intrinsèque des générations F1 ou F2.

Le but d'un projet portant sur plusieurs générations devrait être de produire et d'expérimenter un croisement de retour en deuxième ou troisième génération aussi rapidement que possible. Pourquoi? Parce que la génération F1 est uniforme, n'offrant presque pas de prise à la sélection2.

2 Il est bien vrai que les arbres sauvages sont variables. Les hybrides F1 entre la race I de l'espèce A et la race VI de l'espèce B ne seront pas absolument isogéniques, mais le seront relativement, par comparaison avec le mélange entre les deux. La sélection à l'intérieur d'une F1 de ce type offre si peu de chances d'amélioration (par comparaison avec celles offertes par la sélection dans une génération ultérieure) qu'on peut la négliger en toute sécurité. L'inefficacité de la sélection F1 s'applique à la sélection à l'intérieur des descendances. Supposons que l'on croise la race I de l'espèce A avec la race VI de l'espèce B. et la race IV de l'espèce A avec la race II de l'espèce B. On peut s'attendre à ce que les deux descendances F1 diffèrent entre elles, et elles devraient servir de fondement à deux projets de sélection, qui pourraient être réunis par la suite.

Supposons que nous ayions 25 semis F1 et que 10 d'entre eux fructifient très précocement. La composante génétique de la variation dans la population F1 est presque nulle, de sorte que l'on peut aussi bien employer ces 10 individus comme parents d'une population F2, qu'attendre plusieurs années pour voir si les 15 autres présentent un phénotype supérieur. La F2 est une population génétiquement variable et offre de bonnes possibilités de sélection génétique.

Mais une grande partie de la variance génétique en F2 n'est pas additive et par conséquent on ne peut pas la fixer en croisant les meilleurs arbres. Cela veut dire qu'il est justifié, pour un sélectionneur, de ne chercher à obtenir qu'une évaluation moyennement précise des qualités de la F2, car peu importe tout le temps qu'il aura passé à examiner les arbres puisqu'il ne peut donner leurs potentialités d'amélioration aussi bien que s'il attendait jusqu'à la F3 ou à la F43.

3 A la question de savoir pendant combien de temps il faut étudier la F2 avant de passer à la F3, il ne peut être donné de réponse catégorique. Il y a probablement assez de variance génétique additive dans une population F2 pour qu'on ne poisse sans risque d'erreur, employer, parmi les arbres, le premier centième à fleurir s'il présente des déficiences notables pour un caractère de croissance important. Une hétérosis prononcée en F1 ou F2 est l'indice de la présence de variance non additive. Par conséquent, plus nette est la différence entre les F1 et F2 et les moyennes des parents moyens, plus court devra être le temps nécessaire pour tester la F2. Si des essais de croissance montrent que les F1 égalent les moyennes, pour chaque caractère, des parents moyens, la sélection pourra démarrer aussi bien en F2 qu'en F3.

Il vaut mieux étudier la F2 pendant relativement peu d'années et pratiquer une sélection modérée. Les 10 ou 20 pour cent des arbres choisis dans les meilleurs peuvent être employés comme parents pour un essai F3 avec répétition, dans lequel on conserve l'identité de toutes les familles4.

4 Le terme famille s'emploie pour désigner la descendance d'un seul parent fécondé librement ou la descendance d'un seul croisement entre deux individus.

On a déjà mentionné le fait que la sélection paye mieux en F3 qu'en F2 à cause de la proportion plus faible de variance non additive. Une autre raison qui nous fait préférer la F3 est qu'elle offre la possibilité de pratiquer la sélection par famille. Cela veut dire qu'on sélectionne du matériel à améliorer en se basant non seulement sur le phénotype de l'arbre, mais aussi sur les qualités des autres arbres ayant le ou les mêmes parents. C'est beaucoup plus efficace que la sélection basée seulement sur le phénotype (voir, dans Lerner [1958], une discussion des gains relatifs fournis par la sélection massale et par la sélection par famille).

Quand on exécute un programme d'amélioration par sélection tel que celui que nous venons de décrire, doit-on employer les descendances de pollinisation contrôlée (père et mère connus) ou de pollinisation libre (mère connue)? Les populations F1 et F2 peuvent être relativement réduites, avec des effectifs de quelques douzaines ou de quelques centaines d'arbres. Elles pourraient fort bien provenir de pollinisation contrôlée. Tant qu'on travaille dans le cadre de l'hérédité à gènes multiples (qui est la plus probable) la population F3 devrait être très nombreuse, comprenant des vingtaines ou des centaines de descendances et des milliers de plants. Les chances de succès avec de petits essais F3 sont trop petites pour compenser les ennuis encourus. Chez Populus, Picea et de nombreuses espèces de Pinus la pollinisation contrôlée peut être réalisée facilement dans les proportions désirées. D'un autre côté, les chercheurs qui travaillent sur des genres où la pollinisation contrôlée est difficile, tels que: Abies, où les fleurs femelles sont assez peu accessibles, ou Castanea Juglans, ou Acer où chaque pollinisation produit peu de graines, feraient mieux de prendre des descendances issues de pollinisation libre pour avoir des expérimentations de dimensions suffisantes.

La reproduction végétative est possible sur le plan économique pour de nombreuses espèces de Populus Par conséquent, il peut être souhaitable, pour ce genre, de mettre en place des plantations comparatives de clones dans les générations F2 ou F3 afin de sélectionner des clones aux qualités intéressantes. Dans les genres tels que Pinus et Quercus les plantations comparatives de clones sont chères et probablement inutiles car les familles de semis seront mises en place sur une échelle industrielle.

La sélection par famille dans les générations qui manifestent la ségrégation jouera un grand rôle dans le programme d'amélioration de Castanea. Le C. dentata américain est un arbre à bois d'œuvre à croissance rapide, dont la forme et les qualités du bois sont satisfaisantes, mais ne résistant pas au chancre du châtaignier (Endothia parasitica). La résistance doit lui être apportée par C. mollissima ou C. crenata, venant d'Asie, dont aucun ne devient un grand arbre à bois d'œuvre. Une quantité moyenne d'hybrides F1 ont été produits, qui présentent des caractères plus ou moins intermédiaires entre ceux des parents. On a produit aussi une quantité moyenne d'individus F2 et de croisements de retour. Quelques individus provenant de ségrégation en F2 ont une bonne vigueur et une meilleure résistance que le parent C. dentata. Cependant, cela ne suffit pas et il semble qu'il faudra élever d'importantes générations F3 et F4 pour donner un cultiver utilisable pour une production industrielle de bois d'œuvre.

Une bonne partie du travail d'amélioration sur Populus dans le sud de l'Europe est orientée vers la production probable d'une ségrégation intéressante dans des générations ultérieures. Cependant, on n'a mis en route aucun programme organisé portant sur plusieurs générations, la sélection se pratiquant entre arbres d'une génération inconnue.

A l'Institut de génétique forestière de Californie, plusieurs hybrides F1 de Pinus ont atteint la dimension nécessaire pour fructifier. La plupart sont fertiles. L'un des croisements présentant le plus d'avenir est P. jeffreyi X coulteri. Quelques F2 et quelques croisements de retour présentent les caractères de croissance satisfaisants du premier et la résistance au charançon de la reproduction des pins (Cylindrocopturus eatoni) du deuxième. Le degré de recombinaison suffit à indiquer qu'un groupe de famille F3 pourrait comporter un cultivar valable industriellement.

FIGURE 13. - Méthode d'isolement employée en Suède pour les fleurs de Pinus sylvestris. Les peurs femelles sont renfermées dans un tube de matière plastique.

L'HYBRIDATION INTERRACIALE

Le croisement entre différentes races d'une même espèce offre les mêmes possibilités que le croisement entre différentes variétés d'une plante agricole ou entre différentes races d'animaux. Les hybrides F1 peuvent manifester de l'hétérosis, comme les croisements entre lignées pures de maïs. Ou bien ils peuvent présenter des caractères satisfaisants en combinaison et servir de base de départ pour un programme de sélection portant sur plusieurs générations. L'Allemand Dengler, précurseur en matière d'amélioration des arbres, a donné le départ de l'hybridation interraciale en 1926 quand il croisa des origines allemandes, françaises et écossaises de pin sylvestre (Pinus sylvestris). Il pensait que certaines combinaisons présentaient de l'hétérosis à 10 ans, mais plus tard Scamoni a signalé (à 20 ans) que les hybrides étaient intermédiaires entre leurs parents. En 1948, Johnsson et ses collaborateurs ont fait à Ekebo, en Suède, une série de croisements systématiques entre les trembles d'Europe (Populus tremula) originaires de trois latitudes différentes de Suède. A 10 ans, tous les hybrides étaient considérablement supérieurs à la moyenne des parents moyens et l'une des combinaisons (Sud X Centre) était plus haute que le parent à croissance la plus rapide. D'autres sélectionneurs suédois, en particulier Nilsson et Langlet ont obtenus des résultats prometteurs à partir d'hybridations interraciales chez Pinus sylvestris et Picea abies.

On a vu ces résultats au cours des voyages d'études qui ont précédé la conférence mondiale génétique. Suivant cette direction, des chercheurs d'autres pays porteront sans doute à ce sujet un intérêt accru.

LES MOYENS NÉCESSAIRES EN MATIÈRE D'HYBRIDATION

De bonnes récoltes du matériel à améliorer sont la condition nécessaire pour un travail productif en matière d'hybridation. Le sélectionneur qui cherche à déterminer les possibilités d'hybridation a besoin de plusieurs pieds donnant des fleurs dans plusieurs races ou plusieurs espèces. Celui qui s'intéresse à la production en série de tel hybride, déjà connu pour les espérances qu'il donne, a besoin de nombreux pieds sélectionnés de chaque parent (figures 11 et 12). Il ne suffit pas d'un ou deux pieds de chaque type de parent parce qu'il est possible qu'ils ne fructifient pas ou qu'ils ne donnent pas assez de graines non hybridées à employer comme témoins.

Dans les climats tempérés, il faudrait se réserver au printemps, pour au moins 5 ans, une période de quelques semaines quand on commence l'application d'un programme sérieux d'hybridation. Il faut du temps pour la mise sous sac, la pollinisation, l'enlèvement des sacs et l'observation du développement des fleurs (figures 13 et 14). Les rendements en graines sont souvent si variables qu'il faut procéder plus d'une fois au même croisement pour déterminer avec certitude le mécanisme moyen.

L'hybrideur a besoin d'une pépinière de recherches de petites dimensions et de plusieurs emplacements pour ses essais. D'habitude, on obtient peu de graines à partir des combinaisons effectuées pour la première fois. Cela implique que l'expérimentation doit être conduite avec encore plus de précision qu'il n'est coutume en matière de plantation de recherches. C'est pourquoi il faut équiper la pépinière et les forêts expérimentales de façon à pouvoir donner un plus grand soin aux essais.

Quand on s'intéresse à la production de cultivars à la fois en F1 et F3, des plantations d'essais en double peuvent être nécessaires. Le dispositif utilisé pour comparer les taux de croissance entre les F1 et leurs parents peut n'être pas celui qui assurerait la fructification la plus précoce. De même, un dispositif qui conviendrait pour expérimenter l'hétérosis ne serait pas nécessairement utilisable pour obtenir des hybrides F2 et F3 par pollinisation libre.

FIGURE 14. - Fleurs femelles isolées sur Pinus sylvestris.

Bibliographie

DUFFIELD, J. W. 1952. Relationships and species hybridization in the genus Pinus. Z. Forstgenet., 1: 93-100.

LERNER. I. M. 1958. The genetic basis of selection. New York, Wiley. 298 p.

MULLER, C. H. 1952. Ecological control of hybridization in Quercus: a factor in the mechanism of evolution. Evolution, 6: 147-161.

PALMER, E. J. 1948. Hybrid oaks of North America. J. Arnold Arbor., 29: 1-48.

PIATNITSKY, S. S. 1960. Evolving new form of oak by hybridization. Dans Questions of forestry and forest management, Proc. 5th World For. Congr., Seattle, U.S.A., p. 231-244.

PRYOR, L. D. 1957. Selecting and breeding for cold resistance in Eucalyptus. Silvae Genet., 6: 98-109.

SCHREINER, E. J. 1969. Production of poplar timber in Europe and its significance and application in the United States. U.S. Dept. Agric. Handbook 150. 124 p.

WRIGHT, J. M. 1955. Species crossability in spruce in relation to distribution and taxonomy. For. Sci., 1: 319-349.

WRIGHT, J. W. 1963 Aspects génétiques de l'amélioration des arbres. Rome, FAO. FAO: Etudes sur les forêts et les produits forestiers. 431 p.


Page précédente Début de page Page suivante