Le projet PNUD/FAO-MAG/82/014 “Vulgarisation de la pisciculture et développement de la pêche continentale” a vulgarisé la pisciculture et la rizipisciculture dans la région d'Antsirabe durant trois années (1985/1988), par l'intermédiaire de 30 vulgarisateurs piscicoles. Il a ainsi pu identifier et encadrer plus de 7 000 paysans (rizi)pisciculteurs qui produisaient pendant la campagne 1987–1988 un peu plus de 100 t de poissons sur une superficie de 500 ha d'étangs et rizières.
Ce projet-là a préparé le terrain pour son successeur, l'actuel projet PNUD/FAO-MAG/88/005 “Promotion de l'aquaculture et privatisation de la production d'alevins”. Ce dernier peut ainsi s'atteler à la résolution du problème fondamental, celui du manque d'alevins de bonne souche en milieu paysan, par l'installation d'un réseau autonome et indépendant de producteurs d'alevins.
Ces producteurs privés doivent, à terme, assurer l'approvisionnement en alevins des (rizi)pisciculteurs de leur secteur respectif, défaisant ainsi les stations gouvernementales de cette charge trop lourde pour elles1 ; ils doivent également vulgariser les techniques piscicoles dans leur secteur, dans l'intérêt de vendre facilement leur production et d'augmenter la demande de leur secteur, soulageant par la même occasion la CIRPA/projet de cette tâche.
Dans cette optique, où la vulgarisation de la (rizi)pisciculture a cédé la priorité à la mise en place des producteurs privés d'alevins, la CIRPA/projet actuelle n'a plus besoin des 30 vulgarisateurs de la CIRPA/projet précédente ; on a donc rompu leur contrat à la fin de l'année 1989. La CIRPA/projet actuelle fonctionne avec 6 agents de terrain permanents appelés responsables de zone (choisis parmi les 30 vulgarisateurs), qui assurent a priori l'identification, l'installation, l'encadrement et le suivi des producteurs d'alevins de la vaste région du Vakinankaratra (on a en principe un responsable de zone par Fivondronana). Ce faisant, le projet actuel constitue un projet pilote qui teste un nouveau système de promotion rurale. Ce système consiste à n'avoir que quelques agents de terrain permanents qui doivent, à leur tour, encadrer un certain nombre de paysans pilotes produisant à titre privé les semences dont a besoin le monde rural. Ce nouveau procédé diminue l'engagement de l'Etat au profit du secteur privé, ce qui assurera à moyen terme une continuation.
Dès la première campagne (1989/90), la CIRPA/projet a pu identifier, rendre opérationnels et encadrer 9 paysans producteurs de la région du Vakinankaratra, qui ont produit lors de cette première campagne près de 100 000 alevins. Six d'entre eux étaient des anciens vulgarisateurs de la CIRPA/projet.
Lors de la campagne 1990/91, le réseau comptait 22 producteurs privés opérationnels, encore limités à la région du Vakinankaratra. Ils ont produit près de 200 000 alevins sur une superficie totale de 205 ares. Sept d'entre eux sont des anciens vulgarisateurs.
Pour la prochaine campagne 1991/92, la zone du Vakinankaratra comptera 35 producteurs d'alevins, qui exploiteront une superficie de 420 ares d'étangs. Le réseau commence aussi à se mettre en place dans la zone de Fianarantsoa, où l'on aura 7 exploitations opérationnelles pour cette campagne.
Il existe donc une évolution positive de l'action du projet, démontrée par l'augmentation régulière du nombre des unités de production aquacoles, de la production d'alevins et de superficie exploitée en étangs.
Un effet secondaire positif est le fait que les producteurs d'alevins empoissonnent d'abord toutes leurs rizières qui n'ont pas de problèmes d'eau, avant de vendre les surplus de production. Ils sont ainsi en train de devenir également des rizipisciculteurs modèles, ce qui facilite leur tâche de promoteurs piscicoles.
En tant que spéculateur du secteur privé, le producteur d'alevins doit fournir tous les investissements nécessaires à l'activité : terrain, main-d'oeuvre, petit matériel et intrants. Tous les profits de l'activité lui appartiennent également.
Néanmoins, il est étroitement encadré et soutenu par la CIRPA/projet tout au long de la filière de production. L'encadrement est plus intensif pour les producteurs privés dits “artisanaux” (ceux qui sont plus réceptifs et qui ont un potentiel de production important : au moins 100.000 alevins par campagne de production) que pour les “familiaux” (ceux qui sont peu réceptifs et qui ont souvent une capacité de production limitée, donc qui en général progressent lentement). Ce choix s'explique par le fait que, à cause de leur capacité de production limitée, ces derniers ne seront pas en mesure d'accomplir pleinement le rôle dévolu aux producteurs privés, à savoir de prendre la relève de l'Etat dans l'approvisionnement en alevins du milieu rural. Leur production sert en grande partie à l'empoissonnement des rizières familiales.
Dès l'identification, les techniciens de la CIRPA/projet interviennent en acceptant parmi les candidats ceux qui sont aptes à devenir des producteurs d'alevins, en fonction de critères essentiellement techniques dont :
l'eau (quantité, pérennité, qualité)
le terrain (topographie, qualité, possibilités d'extension),
l'existence de débouchés (tenir compte de la densité de la demande et de l'existence éventuelle d'autres producteurs déjà établis)
Sitôt après son admission, le futur producteur d'alevins commence à bénéficier des services mis à sa disposition par la CIRPA/projet, dont les principaux sont :
l'encadrement technique soutenu tout au long de la campagne, notamment pour les débutants : conseils (et même participation) des techniciens concernant les diverses opérations, pour que tout soit fait dans des meilleurs conditions techniques (acceptation des normes techniques appropriées). Il en est ainsi de la construction des étangs, de l'élevage des géniteurs, de la reproduction semi-artificielle et de l'alevinage.
La livraison à domicile, au coût de revient, des intrants et du petit matériel commandés par l'exploitant lors des visites d'encadrement/suivi.
La fourniture, souvent gratuite de divers matériel visuel et didactique qui aident les producteurs d'alevins à vulgariser la (rizi)pisciculture et à mieux vendre leur production : affiches de sensibilisation, de commande et de cession d'alevins, affiches techniques sur la rizipisciculture, brochure de sensibilisation. Par ailleurs, le personnel de la CIRPA/projet intervient directement, du moins au début, dans la sensibilisation, par une séance d'information/sensibilisation ou de formation dans la zone d'action des producteurs privés. Toutefois, ces séances sont organisées par le producteur lui-même et sur sa demande ; en plus, il y participe activement.
La formation théorique technique d'une semaine à l'intention des producteurs opérationnels depuis une année. La CIRPA/projet participe aux frais de ceux-ci puisque la formation est donnée à Antsirabe.
L'apport d'alevins complémentaires provenant des stations piscicoles gouvernementales pour les clients du producteur privé en cas d'insuffisance de la production, ou au contraire, la recherche de débouchés pour les éventuels surplus.
Le crédit piscicole aux taux d'intérêt de l'institution bancaire1. Trois types de crédit sont proposés : crédit de campagne (en nature), crédit petit matériel (en nature et en espèces) et crédit d'investissement (en espèces). Les producteurs de première année ne peuvent toutefois avoir que le crédit de campagne (intrants et géniteurs) : durant la première année, il s'agit d'abord d'acquérir le savoir-faire nécessaire, sans beaucoup s'endetter ; la construction des étangs constitue alors leur apport personnel. Le fonds utilisé pour ce crédit provient du projet, mais est géré en commun par le projet, le Gouvernement et la BTM; c'est cette dernière qui s'occupe de la distribution et du recouvrement. Il convient de remarquer que ce crédit piscicole n'a été effectif que lors de la campagne de production 1991/1992. Pour les deux précédentes campagnes, afin de rendre opérationnels les producteurs privés installés, le projet a dû leur consentir des prêts dits informels, essentiellement pour les intrants piscicoles. Le taux d'intérêt en était de 0%.
1 A présent, ce taux est inférieur à celui de l'inflation.
Les producteurs privés eux-mêmes se déclarent tous satisfaits des services mis à leur disposition par la CIRPA/projet, même si, en insistant un peu, nous avons pu recueillir quelques remarques dont les principales sont les suivantes :
Certains exploitants ex-vulgarisateurs reprochent à la CIRPA/projet de leur avoir fait des “fausses promesses” lors de la première campagne (1989/90), car en devenant producteurs privés, ils avaient cru bénéficier de subventions en espèces et d'intrants à prix très réduits. Nous verrons que cette déception peut constituer un blocage pour certains d'entre eux.
Quelques-uns trouvent aussi que la CIRPA/projet ne se soucie pas assez de leurs autres activités. Ainsi, quand les recommandations ne sont pas exécutées à temps, on les aurait traité de paresseux, de têtus,… alors qu'ils ne vivent pas exclusivement de cette activité, et qu'ils manquent aussi parfois de matériel (brouette, charrette,…) L'un d'entre eux par exemple n'a pas voulu engazonner ses digues car il manque de matériel de transport, et aussi parce que le “bozaka” qui pousse naturellement dessus, constitue du fourrage pour ses bovins et pour le remplissage des compositières.
Cette différence ou même contradiction entre la logique paysanne et celle des techniciens est fréquente dans les actions de développement rural. En matière de recherches, la tendance actuelle est de ne pas sous-estimer et de tenir compte de la logique paysanne, qui est conçue pour le bon fonctionnement de tout son système de production.
Certains se sentent, à tort ou à raison, délaissés par les agents de terrain quand ils n'ont pas bien produit, même si ce n'est pas de leur faute.
La plupart des anciens vulgarisateurs éprouvent également du ressentiment à l'égard du projet qui les a licenciés. Ils auraient voulu rester vulgarisateurs dans la région, ce qui est impossible malgré la bonne volonté de la CIRPA, faute de moyens financiers; de toute façon, il a été clair dès le recrutement qu'ils étaient engagés pour trois années.
Il est possible que la plupart de ces reproches reposent sur des malentendus ou des manques d'information. Il vaut donc mieux oeuvrer en ce sens, en profitant des séances de formation par exemple.
Quoi qu'il en soit, les producteurs privés enquêtés restent unanimes sur le caractère satisfaisant des services fournis par la CIRPA/projet. Ils sont même conscients de l'importance de ces services pour le bon fonctionnement de leur exploitation, et ne veulent pas en être démunis.
Effectivement, quand nous avons sollicité des suggestions de leur part, en vue d'une éventuelle amélioration de la collaboration entre eux et l'organisme encadreur, tous ont mentionné leur souhait de continuer à travailler avec la CIRPA/projet ; la plupart n'ont d'ailleurs que ce seul souhait. Ils tiennent énormément aux appuis divers procurés par la CIRPA/projet, et craignent de les voir cesser, auquel cas ils seraient désorientés. Par ailleurs, la visite en elle-même est déjà bénéfique pour eux, puisqu'elle fait la promotion de leur production, notamment dans les zones où sévit la concurrence des producteurs non-encadrés1.
Le cas d'un certain producteur privé est significatif : il n'a pas besoin de crédit, mais a tout de même décidé d'en contracter pour quelques matériels, “par crainte de voir le suivi diminuer” (il s'est déjà plaint d'être moins visité).
Cette appréhension des producteurs encadrés n'est pas totalement injustifiée car, au stade actuel du moins, l'existence même de ces exploitations est liée à celle de la CIRPA/projet, qui fournit les services nécessaires à leur bon fonctionnement.
Une dépendance envers l'organisme d'encadrement peut nuire à la pérennité du réseau. Par exemple, la plupart des enquêtés ne sont pas intéressés par une association aquacole, puisque les avantages qu'ils peuvent en tirer sont déjà fournis par la CIRPA/projet. Néanmoins, les techniciens estiment qu'il faut deux à quatre campagnes d'encadrement avant qu'un producteur privé devienne indépendant. Ainsi, durant même ces campagnes, l'apprentissage d'une autonomie progressive est souhaitable pour les unités de production, en commençant par les plus anciennes. Il est toutefois nécessaire de compenser la diminution de la fourniture de services aux producteurs par l'intensification des formations à leur intention. D'ailleurs, ces paysans ont soif de connaissances techniques, et ont tendance à vouloir maîtriser la production d'alevins, par fierté : devenir des techniciens et non plus de simples exécutants.