5.1.1. Des producteurs d'âge mûr
Les 26 producteurs privés enquêtés se répartissent comme suit (cf. Figure 5.1.), en fonction de leur âge respectif :
Figure 5.1. : Distribution des producteurs privés selon l'âge (avec les anciens vulgarisateurs)
Ce graphique montre que 20 des 26 chefs d'exploitation ont moins de 50 ans. Si l'on précise encore, on trouve que 14 des 26 producteurs privés, soit plus de la moitié, ont moins de 40 ans (27 à 40 ans) et l'autre moitié ont un âge compris dans la large tranche de 41 à 70 ans.
Ainsi, les producteurs d'alevins sont a priori des jeunes paysans. Sur ce point, ils ne se distinguent pas des autres chefs d'exploitation, puisque leur âge médian (37,5 ans) rejoint celui de l'ensemble du Faritany d'Antananarivo (38,5 ans, d'après le RNA 1984/85)
Mais, la présence des sept anciens vulgarisateurs, dont l'âge varie de 27 à 35 ans, contribue beaucoup à cette situation. Ils sont en effet parmi les dix plus jeunes producteurs. De ce fait, en excluant ces anciens vulgarisateurs, il apparaît que la CIRPA/projet a plutôt attiré les paysans d'âge mûr (âge médian = 47,0 ans).
La jeunesse est source de dynamisme, de créativité et d'ouverture aux innovations techniques chez les intéressés. Mais sur le plan pratique, elle engendre les blocages suivants :
Limitation du nombre de personnes actives dans le ménage, une partie notable ou la totalité des enfants étant encore scolarisés. Nous verrons effectivement que les ménages ont en général une main-d'oeuvre peu nombreuse, malgré le nombre assez élevé de leur effectif respectif (cf. Figure 5.3.).
Limitation de leur accès à la terre et de leur pouvoir de décision sur l'exploitation, car le terrain utilisé appartient encore aux parents. Une partie des producteurs sont donc dépendants de ces derniers et doivent les convaincre pour pouvoir transformer des rizières en étangs, faire une extension, contracter un crédit (bancaire ou informel),…. Ainsi, pour démarrer, l'un d'entre eux (âgé de 30 ans) a mis 6 semaines pour convaincre sa mère d'accepter l'aménagement de rizières en étangs (pour cette dernière, c'est l'inverse qu'il faudrait faire). Pour l'extension, deux jeunes exploitants, âgés respectivement de 29 et 31 ans, se heurtent au refus du père, pour diverses raisons. De même, un autre exploitant, âgé de 24 ans, ne peut passer outre le refus catégorique de son père concernant le crédit bancaire, malgré son impératif besoin de financement. Ce genre d'obstacle est rare chez les producteurs privés plus âgés : seul l'un d'entre eux, âgé de 52 ans, a avoué un différend avec le père à propos d'une extension envisagée.
Manque d'expériences dans l'agriculture (dont la pisciculture), la gestion du budget et du temps de travail. Par exemple, la grande majorité des jeunes producteurs n'ont qu'une ou deux années d'expériences en rizipisciculture et en production d'alevins, avant leur démarrage effectif (cf. Tableau 5.1.).
Classes d'âge | Expériences en (rizi)pisciculture | Expériences en production d'alevins | ||
1–2 années | Plus de 2 années | 1–2 années | Plus de 2 années | |
Moins de 30 ans | 3 | - | - | - |
30 à 40 ans | 4 | 6 | 7 | - |
Plus de 40 ans | 1 | 10 | 4 | 2 |
TOTAL | 8 | 16 | 11 | 2 |
L"expérience pratique dans ces domaines est souvent bénéfique au paysan, même si ces connaissances l'induisent parfois en erreur (par exemple, celle de croire que les poissons peuvent se nourrir d'eux-mêmes) : elles l'aident à être plus à l'aise dans ses activités et à savoir où se trouve son intérêt.
Finalement, le dynamisme, la créativité et l'ouverture d'esprit procurés par la jeunesse du producteur privé ne peuvent guère compenser ces désavantages d'ordre matériel et pratique qui freinent sa performance. En tant qu'activité agricole, l'aquaculture est liée à la possession de terrain, de main-d'oeuvre familiale et d'expériences pratiques.
De plus, le facteur âge peut jouer un rôle dans la position sociale d'un individu : dans la société malgache, on accorde plus de respect et de crédibilité aux personnes âgées. Toutefois, ce fait ne peut pas être généralisé, puisqu'il dépend aussi de la personnalité de l'intéressé.
Au demeurant, les mieux placés pour réussir dans la spéculation aquacole sont les producteurs d'âge mûr, puisqu'ils sont peu ou pas entravés par les blocages énumérés ci-dessus. Cette constatation est d'ailleurs en train de se vérifier à l'heure actuelle, où l'on rencontre moins d'assiduité chez les plus jeunes exploitants ; cinq des sept anciens vulgarisateurs ont même abandonné l'activité. Donc, en ne tenant pas compte de ces derniers, dont la reconversion dans la production d'alevins est après tout particulière (absence de sources de revenus monétaires, après la rupture du contrat), nous pouvons dire que les producteurs du réseau existant sont dans les tranches d'âge optimales pour réussir dans l'activité.
5.1.2. Un niveau d'instruction relativement élevé
Sur les 26 producteurs étudiés, un chef d'exploitation est illettré, 15 ont fait des études primaires, avec ou sans diplôme, et 10 ont un ou deux diplômes d'études secondaires, dont les 7 ex-vulgarisateurs.
Si l'on enlève ces derniers du lot, il ne reste que 3 producteurs privés ayant des diplômes d'études secondaires sur 19.
Néanmoins, les producteurs d'alevins sont plus instruits comparés à l'ensemble des chefs d'exploitation du Faritany d'Antananarivo, où l'on compte beaucoup plus d'illettrés et beaucoup moins d'exploitants ayant le niveau secondaire. Ceci apparait après comparaison du niveau d'instruction des chefs d'exploitation entre le Faritany et l'échantillon étudié (26 producteurs d'alevins), même quand on exclut de ce dernier les anciens vulgarisateurs (cf. Tableau 5.2.).
Niveau d'instruction | Faritany d'Antananarivo (RNA 1984/1985) | Ensemble producteurs privés | Producteurs privés sans ex-vulgarisateurs |
Illettré | 16,5 | 3,8 | 5,3 |
Primaire | 78,3 | 57,8 | 78,9 |
Secondaire et plus | 5,2 | 38,5 | 15,8 |
Les producteurs privés n'ayant fait que des études primaires sont essentiellement des paysans âgés (moyenne d'âge de 50,3 ans, avec une variation de 30 à 68 ans), tandis que ceux à diplôme(s) secondaire(s) sont plutôt jeunes (moyenne de 31,2 ans, avec une variation de 27 à 35 ans).
Au stade actuel, aucun impact décisif du niveau d'instruction de l'exploitant sur sa motivation ou sa performance n'a encore été observé. Néanmoins, les producteurs plus instruits sont avantagés lors des formations organisées à leur égard par le projet. D'une part, ils sont plus aptes à assimiler les normes techniques complexes. D'autre part, ils peuvent comprendre directement les cours faits en français, encore que ceux qui maîtrisent mal cette langue se disent satisfaits des traductions données en malgache.
5.1.3. Des paysans ayant des expériences en aquaculture
Presque tous les producteurs privés avaient de l'expérience piscicole avant de s'installer comme producteurs d'alevins. C'était surtout dans l'élevage de poissons marchands : 24 producteurs privés sur 26 ont de l'expérience en ce domaine. Mais la durée en varie : 8 d'entre eux ont partiqué la rizipisciculture depuis un ou deux ans seulement, et 16 autres l'ont pratiquée depuis plus de deux ans (cf. tableau 5.1.).
De même, en sus de la rizipisciculture,. la moitié (13) des enquêtés ont déjà pratiqué la reproduction traditionnelle de poissons, depuis deux ans ou plus pour la plupart. On trouve, parmi eux, 3 producteurs encadrés par le projet depuis deux campagnes, 4 depuis une seule campagne et 5 nouveaux producteurs n'ayant pas encore produit avec le soutient du projet.
Les données de l'enquête ne permettent pas de déterminer si les producteurs privés ayant de l'expérience ont un meilleur comportement ou non. Néanmoins, selon les techniciens de la CIRPA/projet, ceux ayant des expériences, soit la plupart des encadrés, sont plus motivés à améliorer puisqu'ils connaissent déjà les avantages à tirer de l'aquaculture. Selon la même source, leur expérience pousse ces producteurs à discuter les normes techniques conseillées avant de les accepter, ce qui implique une meilleure compréhension de ces normes.
Résumé
L'analyse de ces caractéristiques humaines a montré:
que les anciens vulgarisateurs sont parmi les plus jeunes et les plus instruits des producteurs privés ; leur expérience piscicole est toutefois limitée (une ou deux années pour la plupart). A l'exception du niveau d'instruction plus élevé, ces caractéristiques constituent des handicaps pour eux ;
qu'en excluant ces anciens vulgarisateurs, ce qui traduit mieux la tendance actuelle du fait de l'abandon de la plupart de ces derniers, les producteurs d'alevins du réseau sont dans l'âge mûr et ont encore un niveau d'instruction assez élevé ; de plus, ils ont davantage d'expériences aquacoles. Ils sont en somme dans des conditions optimales pour réussir et persévérer dans la production d'alevins.
5.2.1. De nombreuses personnes à charge par ménage
Sont classés personnes à charge, tous les individus qui vivent de façon permanente dans le ménage, y compris les domestiques, et qui tirent tout ou une partie de leurs moyens de subsistance de l'exploitation.
Le nombre de personnes à charge des producteurs privés varie de 0 à 13 individus. La moyenne est de 7 personnes. C'est supérieur à celle de l'ensemble du Vakinankaratra, du Faritany d'Antananarivo ou même de Madagascar, pour qui la taille démographique des exploitations (donc y compris le chef) est en moyenne de 6 personnes, avec un mode de distribution de 4 personnes.
Sept d'entre eux ont peu ou pas de personnes à charge (0 à 4 individus). Il s'agit essentiellement de célibataires et de jeunes ménages ; on n'y retrouve qu'un seul paysan âgé (61 ans). Les producteurs anciens vulgarisateurs appartiennent à cette classe, à l'exception d'un seul.
La plupart des ménages de l'échantillon (18 sur 25, soit les 3/4) ont beaucoup de personnes à charge : 5 à 13 personnes. Ils diffèrent ainsi de l'ensemble du Faritany d'Antananarivo où 50 % des exploitations ont au plus 5 membres, y compris le chef de ménage.
Cette tendance s'accentue encore quand on ne tient pas compte des ménages dirigés par un ancien vulgarisateur. En effet, la moyenne des personnes à charge par ménage s'élève à 8,3 individus. Par ailleurs, 90% des ménages de l'échantillon ont un nombre de personnes à charge supérieur ou égal à 5 individus. Cette distribution est présentée dans la figure suivante.
On peut ainsi dire que, contrairement aux autres chefs d'exploitation, les producteurs privés doivent pour la plupart subvenir aux besoins essentiels d'un nombre de personnes relativement élevé. Cette constatation peut toutefois être nuancée dans les cas où les enfants d'âge actif ont une activité rémunératrice, ce qui n'est pas fréquent : ceux-ci se marient souvent dès qu'ils sont en mesure de gagner des revenus suffisants pour subvenir aux besoins d'un foyer.
5.2.2. Un nombre limité de personnes actives par ménage
Dans cette étude, ont été classés personnes actives le chef d'exploitation, sa femme, les enfants qui ne vont plus à l'école, le(s) domestique(s) ainsi que les autres individus en âge de travailler qui vivent dans le ménage.
Ainsi, la moyenne est de 3,5 actifs par ménage pour le réseau de producteurs privés, avec une variation de 1 à 8 personnes actives par exploitation.
Par suite de leur jeunesse, les anciens vulgarisateurs sont parmi ceux qui ont le moins de personnes actives à leur disposition : le plus souvent, leur ménage ne compte que deux actifs, à savoir le couple. Mais, même quand on les exclut du lot, la moyenne du réseau ne subit qu'une légère augmentation : elle est encore de 4,2 actifs par ménage.
En somme, les producteurs privés disposent de peu de main-d'oeuvre active familiale. En outre, il existe dans la société malgache une certaine division sexuelle du travail qui limite encore plus la capacité de production des exploitations : les travaux “de force” doivent être faits par les hommes, et ceux moins pénibles appartiennent aux femmes. Sans être rigoureux, ce consensus social est respecté autant que possible en milieu rural.
L'importance de cette constatation s'accentue quand on met en comparaison la taille de chaque ménage et le nombre de ses actifs (cf. Figure 5.3.). En effect, on note souvent une forte disproportion entre le nombre de personnes vivant dans l'exploitation et celui des individus actifs en son sein. Les ménages producteurs d'alevins sont donc, en dépit de leur forte taille, composés en grande partie de personnes “inactives” : enfants en bas âge ou d'âge scolaire et, plus rarement, personnes âgées.
Figure 5.3. : Comparaison entre la taille des ménages et le nombre de leurs actifs
Cette disproportion est lourde de conséquence sur le budget de l'exploitation et, partant, sur ses possibilités, pour les raisons suivantes :
D'une part, le ménage doit faire appel à la main-d'oeuvre salariée pour la grande partie des travaux (concernant l'agriculture en général et l'aquaculture), ce qui alourdit beaucoup son budget. Par exemple, seuls 4 des 26 ménages étudiés ont pu effectuer sans aide extérieure la construction des étangs ; pour les autres, l'embauche de salariés était nécessaire, pour une partie ou, plus rarement, la totalité des travaux. Des chiffres approximatifs ont pu être obtenus chez ceux qui ont comptabilisé leurs dépenses. Ainsi, l'un d'entre eux a dû payer des salariés pour toutes les constructions, soit plus de 200 000 Fmg pour près de 19 ares d'étangs, puisque ses 5 actifs sont surtout des hommes d'âge mûr et des femmes. Pour aménager 5 ares d'étangs, un autre a aussi dû débourser 80 000 Fmg pour la main-d'oeuvre extérieure, ses 4 actifs ne comptant qu'un seul homme. Sans être rigoureux, ces chiffres donnent une indication sur les dépenses des ménages pour la rémunération de journaliers, en dépit du nombre de leurs actifs. Certes, ces dépenses initiales sont, avec une bonne production, largement couvertes par les recettes, mais celles-ci ne rentrent, par définition, qu'en fin de campagne.
D'autre part, la forte taille des ménages, qui implique des dépenses élevées pour les besoins essentiels (alimentation, habillement, santé, scolarisation, …) les contraint à des choix précis : intensifier l'agriculture afin d'avoir assez de produits à consommer, des surplus à commercialiser et pratiquer éventuellement une activité non-agricole rémunératrice. Dans ce contexte, bien que prise au sérieux par les exploitants, la production d'alevins est reléguée au second sinon au troisième rang de leurs préoccupations car, étant encore en démarrage, elle procure moins de bénéfices, comparée aux autres activités. Les producteurs font toujours cette comparaison, et ordonnent en conséquence la priorité à donner à chaque activité. L'un d'entre eux a par exemple délaissé le production d'alevins car il trouve qu'il est mieux rémunéré avec son épicerie où il fait un bénéfice moyen quotidien de 3 000 Fmg, soit un revenu annuel de l'ordre de 1 095 000 Fmg (l'équivalent des recettes obtenues avec la vente de plus de 54 000 alevins, à 20 Fmg l'unité1) ; à ceci s'est ajouté un problème d'eau, qui a entraîné l'abandon de l'activité par ce producteur. Néanmoins, l'abandon est rare et est surtout le faits des anciens vulgarisateurs : même quand l'exploitant n'est pas convaincu des avantages de la production d'alevins, il continue à la pratiquer mais en y consacrant moins d'investissements (argent et temps de travail), ne serait-ce que pour récupérer les dépenses déjà faites et pour empoissonner les étangs familiaux.
5.2.3. Catégorie socio-économique des ménages
Pour un ménage agricole, l'importance du capital foncier disponible est décisive. En effet, la terre est un facteur de production fondamental pour le paysan, qui en tire l'essentiel de son alimentation et une partie de ses revenus monétaires (par la vente de surplus et/ou de culture de rente). En somme, cette variable détermine déjà le niveau socio-économique de chaque paysan.
De ce point de vue, on peut déjà dire de façon globale que les producteurs privés sont a priori des paysans aisés, puisque la superficie moyenne de rizières par exploitation est de 1,30 ha pour eux (sans les anciens vulgarisateurs), ce qui est largement supérieure à celle de l'ensemble du Vakinankaratra (0,60 ha selon le RNA 1984/1985). Une aussi forte différence est constatée concernant la superficie moyenne de l'exploitation (riziéres et tanety) : cette superficie est de 4,60 ha pour les producteurs privés (toujours sans les anciens vulgarisateurs), alors qu'elle est de 1,05 ha pour le Vakinankaratra (RNA,1984/1985) ; et certains producteurs peuvent encore faire des extensions.
Ces chiffres sont significatifs. Mais ils ne traduisent pas assez la réalité, pour deux raisons. D'une part, ils ne montrent pas les disparités qui existent entre les producteurs privés eux-mêmes. D'autre part, la superficie en soi ne signifie rien, si on ne la met pas en relation avec le nombre d'individus qui en dépendent pour leur subsistance ; autrement dit, il faut calculer pour chaque ménage la surface de rizières et de tanety dont dispose théoriquement chacun de ses membres.
1 Prix au cours de l'étude ; à présent, l'alevin se vend à 30 Fmg/unité ou plus.
Par ailleurs, outre le capital foncier, il existe d'autres critères dont il faut tenir compte pour déterminer la catégorie socio-économique à laquelle appartient un paysan. C'est le cas des cheptels dont il dispose, des matériels de labour et de traction qu'il possède, des activités para-agricoles ou non-agricoles qu'il pratique.
Finalement, nous avons adopté comme critères de classification économique des producteurs d'alevins 4 variables fondamentales pour le monde rural des Hautes-Terres :
la superficie rizicole par membre du ménage,
l'importance du cheptel bovin,
la possession de charrette et de charrue,
la pratique d'activité(s) extra-exploitation.
Le premier critère détermine la capacité de l'exploitation à s'autosuffire en paddy, à produire des cultures de contre-saison et à vendre éventuellement des surplus. Ce sont des facteurs décisifs pour son budget. Le repère pour déterminer l'importance ou la faiblesse de cette superficie rizicole par membre du ménage sera de 6,90 ares par personne : c'est la superficie optimale pour assurer la subsistance d'un individu (194 kg de paddy par personne et par an), en tenant compte du rendement rizicole moyen de la région (2,80 t/ha pour les exploitations traditionnelles) (RNA, 1984/1985).
La superficie des champs de tanety n'a pas été utilisée pour cette classification, puisqu'il n'existe pas de seuil pour en déterminer la faiblesse ou l'importance, ce qui rend arbitraire une classification avec ce critère.
Le second critère implique la capacité de l'exploitation à produire à meilleure productivité (par la possession de boeufs de trait) et à avoir des revenus monétaires (par le salariat avec les boeufs de trait ou par l'élevage laitier). La référence pour déterminer l'importance du cheptel d'un ménage sera la moyenne de la région : 3,5 têtes par exploitation en possédant (RNA, 1984/1985).
La possession de cheptel porcin a été écartée de cette classification puisque c'est un élevage annuel, donc d'importance variable selon la période d'enquête : lors de notre passage, les uns viennent de vendre leurs porcs, les autres viennent d'en acheter et d'autres encore projettent d'en acquérir un ou deux, en fonction du fonds dont ils pourraient disposer. Il en est de même pour les autres cheptels, qui ont en plus un impact limité sur le niveau socio-économique du propriétaire, en élevage traditionnel.
Le troisième critère a la même importance que le second : il détermine la productivité du travail de l'exploitation, ainsi que sa capacité à faire des recettes par les prestations de services (transport et labour).
Enfin, le dernier critère a trait aux possibilités de rentrées monétaires extra-agricoles ou para-agricoles du ménage. Le salariat agricole hors exploitation n'a pas été pris en compte, puisqu'il procure très peu de revenus aux paysans.
Ces revenus d'appoint compensent la faiblesse ou l'absence des ressources monétaires agricoles, engendrée par la pression foncière de la région. Ils peuvent être importants quand l'activité pratiquée est lucrative.
Dans l'aquaculture en particulier, ces revenus extra-exploitations sont très pertinents puisqu'ils tiennent une bonne place dans les investissements que les producteurs d'alevins ont fait : sur les 8 producteurs opérationnels qui ont des activités nonagricoles, 4 ont pu assurer la construction des étangs avec les seuls revenus qui en proviennent; il en était de même pour 5 des 7 anciens vulgarisateurs, qui ont financé les constructions avec leur salaire (ils en percevaient encore durant leur première campagne dans l'aquaculture). En somme, la pratique d'activités non-agricoles rémunératrices aide les producteurs privés de façon tangible : ils sont moins dépendants de l'existence de surplus agricoles, du crédit, …
A l'aide de ces quatres critères, les producteurs d'alevins seront classés en trois catégories socio-économiques, selon les barèmes présentés dans le Tableau 5.3.
Tableau 5.3. : Barèmes de classification socio-économique des producteurs privés
Catégorie aisée | * Rizières/individu > 8 ares |
* Bovins ≥ 3 têtes | |
* Possession de charrette(s) et charrue(s) | |
* Possession cu non d'activités extra-agricoles | |
Catégorie moyenne | * Rizières/individus : 6–8 ares |
* bovins : 1–2/têtes | |
* Possession de charrette ou de charrue | |
* Possession ou non d'activités extra-agricoles | |
Catégorie pauvre | * Rizières/individus < 6 ares |
* Sans bovins | |
* Sans charrette ni charrue | |
* Sans activités extra-agricoles |
Néanmoins; la conjonction de ces 4 critères peut fausser la classification, d'autant plus que plusieurs facteurs peuvent intervenir dans chaque cas : la faiblesse de la superficie rizicole ou du nombre de bovins dans les résultats d'enquête peut provenir de la dissimulation; l'importance de la superficie rizicole du ménage peut compenser l'absence de revenus extra-agricoles,… Pour certaines exploitations, il a donc fallu nuancer un ou deux critères après analyse des autres.
Finalement, nous avons pu classifier les producteurs privés enquêtés comme suit1 :
Tableau 5.4. : Classification socio-économique des producteurs privés enquêtés
Catégorie | Nombre | |
Avec les anciens vulgarisateurs | Sans les anciens vulgarisateurs | |
Aisée | 15 | 12 |
Moyenne | 9 | 6 |
Pauvre | 2 | 1 |
TOTAL | 26 | 19 |
1 Une classification plus détaillée est présentée en annexe III.
Graphiquement, ceci se présente de la façon suivante :
Il apparait ainsi que les producteurs d'alevins sont dans leur majorité des paysans aisés ; les paysans pauvres sont très peu nombreux.
Le niveau socio-économique de l'exploitant a certainement des impacts sur sa performance, comme nous le verrons dans le chapitre suivant. En effect, l'aquaculture nécessite de nombreux investissements (argent, produits agricoles, fumier,…) que le producteur privé doit faire, le crédit piscicole n'en couvrant qu'une partie.
En résumé, les producteurs privés du réseau sont d'âge mûr, assez instruits, ont des expériences en production d'alevins mais surtout en rizipisciculture, ont plusieurs personnes à charge mais peu de personnes actives dans le ménage, et enfin, sont de la classe aisée ou au moins moyenne pour la plupart.
5.3.1 Des producteurs évoluant dans une société hiérarchisée
Le Vakinankaratra a connu un peuplement très mélangé : aux “Vazimba” (premiers occupants des Hautes-Terres centrales) se sont joints à une époque ancienne des groupements Merina1; les petits royaumes du sud de l'Ankaratra, notamment celui de l'Andrantsay (région actuelle de Betafo) furent organisés par des Betsileo2. Mais toute cette région fut soumise à la domination merina à partir du roi Andrianampoinimerina (1794–1810), qui en fit son sixième district (Poirier et Dez, 1963).
2- Groupe ethnique du pays betsileo, situé dans la partie méridionale des Hautes-Terres.
De ce fait, les genres de vie, les conditions de l'habitat rural, les coutumes et les croyances du Vakinankaratra sont semblables à ceux de l'Imerina.
La structure de la société traditionnelle du Vakinankaratra est ainsi identique à celle de l'Imerina. Les hommes libres sont classés en trois principaux groupes statutaires assez hermétiques et hiérarchisés :
les Andriana (ou “nobles”) ;
les Hova (ou “roturiers”) ;
les Mainty (ou noirs), groupe complexe des “serfs” royaux.
Les Andevo (esclaves) sont classés à part, et sont démunis de tout statut politique.
Cette ancienne stratification sociale est théoriquement révolue après la disparition du système royal, mais elle reste sous-jacente dans les rapports sociaux actuels. Elle se manifeste par le sentiment de supériorité d'un groupe statutaire sur un autre, par le refus social d'un mariage “mixte” (chaque groupe était astreint à l'endogamie).
Par ailleurs, les séquelles de ce clivage social peuvent se manifester à travers la structure foncière, en fonction de l'historique de l'occupation du terroir.
Des enquêtes subtiles s'avèrent donc utiles, afin de déceler l'existence et surtout
l'impact de ce genre de stratification sur l'environnement social des producteurs
d'alevins1 ; ceci permettrait de mieux comprendre certains comportements sociaux et,
éventuellement, d'orienter la vulgarisation en conséquence. En effet, pour qu'il
puisse assurer dans les meilleures conditions le rôle auquel il est assigné, le
producteur privé doit être un individu aimé, efficace et à l'aise dans la société où il
évolue.
Le paragraphe suivant se rapportera également à la position sociale du producteur
d'alevins, mais en fonction de critères qui ne sont pas de naissance comme dans celui-ci.
5.3.2. Des producteurs exerçant une fonction sociale potentiellement avantageuse
Certains de ces exploitants possèdent une fonction ou un prestige qui les distingue des simples agriculteurs avoisinants, et qui peut faciliter leur rôle d'approvisionneurs en alevins et de vulgarisateurs sédentaires.
Les anciens vulgarisateurs sont, en tant que tels, considérés par les autres paysans comme des techniciens en aquaculture. De ce fait, ils reçoivent encore les considérations dues à un vulgarisateur agricole : appellation de “Ramose” (Monsieur), demande de conseils ou d'avis, crédibilité. Ainsi, l'un d'entre eux pense que les rizipisciculteurs croient ce qu'il préconise parce qu'il est un technicien. Ce prestige est un atout pour eux, sachant le peu de crédibilité que le Malgache accorde aux jeunes.
Dans ce même ordre d'idée, les techniciens et les membres influents dans les associations paysannes sont déjà plus avantagés, puisqu'ils sont des modèles pour cette paysannerie assoiffée de connaissances techniques. Parmi les producteurs privés enquêtés, nous avons recensé deux animateurs d'association, un dépositaire du Grenier Communautaire Villageois local, un pépiniériste en arboriculture et un fonctionnaire des Eaux et Forêts, sans compter ceux qui sont de simples membres d'associations paysannes. Ce sont des interlocuteurs privilégiés pour les projets de développement rural, en vue de faire passer aux paysans les messages techniques.
L'un des enquêtés est à la fois le guérisseur et le “mpanao ody havandra” (“protecteur contre la grêle”) de sa localité. Sans être un atout sur le plan technique, ce rôle social, très apprécié en milieu paysan, lui garantit une respectabilité et une considération auprès de la population : celle-ci est en quelque sorte redevable à celui qui protège sa santé et sa récolte rizicole.
Enfin, quatres des producteurs privés visités tiennent un petit commerce. Or, en milieu rural, les commerçants sont des individus avec lesquels les habitants doivent entretenir de bonnes relations, car ce sont eux qui peuvent procurer à crédit des denrées de première nécessité en cas de difficultés monétaires, ou même accorder un crédit informel. Ces producteurs disposent donc d'un poids social non négligeable qui peut les favoriser : dans les secteurs où la concurrence entre producteur d'alevins existe par exemple, les rizipisciculteurs peuvent avoir tendance à en acheter chez celui qui les “sauve” habituellement par le crédit.
A ces commerçants peuvent être ajoutés les riches paysans qui accordent des prêts informels aux autres, et envers qui ces derniers ont en quelque sorte un sentiment de dépendance. Néanmoins, cet atout doit être bien géré par le producteur privé, sinon il aura l'effet inverse. Des prêts à taux usuraires par exemple peuvent engendrer chez les habitants du ressentiment. L'un des producteurs privés, épicier, a vu son canal d'amenée saboté par un voisin à qui il a refusé un achat à crédit de produits courants.
Tous ces aspects de la fonction sociale des producteurs d'alevins doivent être approfondies par des enquêtes plus fines.
Ce cinquième chapitre a montré, à travers l'étude des caractéristiques des producteurs privés, que ces derniers possèdent des atouts pouvant favoriser leur réussite dans l'aquaculture. En effet, les conditions humaines et socio-économiques sont optimales pour ces producteurs, mis à part la disproportion entre la taille des ménages et le nombre de leurs actifs. Seuls les anciens vulgarisateurs ont de nombreux handicaps, qui proviennent surtout de leur jeunesse, et qui ont certainement contribué à la multiplication des abandons dans leurs rangs.
Le chapitre suivant montrera cependant que, en dépit de ces avantages, les producteurs d'alevins subissent des problèmes qui, à des degrés divers, freinent leur performance.