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II. CONTRIBUTION POTENTIELLE DE LA RECHERCHE AU DEVELOPPEMENT DU SECTEUR

2.1. Perspectives de développement : le Plan Directeur de la Pêche

Le Plan Directeur de la Pêche (MERH, 1993 a et b) examine, à partir du rappel des objectifs stratégiques nationaux (autosuffisance alimentaire, équilibre de la balance commerciale, augmentation du niveau de vie, et création d'emplois), les potentialités du secteur (Andrianaivojoana et al., 1992). Il propose une stratégie de développement et un ensemble d'interventions pour la réalisation des objectifs de développement sectoriel.

L'objectif global vise au quasi-doublement de la production au cours de la présente décennie - de 104.000 tonnes en 1990 à 190.000 tonnes en l'an 2.000. Pour l'essentiel, cet accroissement est attendu du secteur maritime (par l'extensification de la pêche traditionnelle et la valorisation des rejets de la pêche crevettière principalement). Une vocation particulière pour la promotion de la consommation nationale est assignée à la pêche traditionnelle maritime. Une croissance de l'emploi et une amélioration du revenu des pêcheurs traditionnels sont attendues de cette expansion. Seules les ressources thonières permettent d'envisager un développement significatif de la production industrielle. La première vocation des pêcheries industrielles (crevettes et thons) est de générer des devises. Compte tenu de la pleine exploitation des stocks de crevettes, l'accroissement des exportations devrait venir du développement de la crevetticulture et des industries de transformation des captures thonières. La crevetticulture dispose d'atouts indéniables (55.000 ha de sites propices à la crevetticulture, techniques d'écloserie et d'embouche maîtrisées, entrepreneurs au plein sens du terme). Elle se heurte aussi à des handicaps (en particulier les insuffisances en matière d'infrastructure routière et de télécommunications). Sur les possibilités de croissance immédiate des petites piscicultures d'eaux douces, le Plan est plus circonspect. La stagnation actuelle de la production, en dépit de potentialités biotechniques indéniables et de quinze années d'appui en recherche et développement, montre que les contraintes majeures sont d'ordre social et économique, plutôt que technique et financier. Le rôle de l'Etat est précisé. Ce dernier doit se désengager des opérations de production commerciale et recentrer son action sur la création d'un environnement juridique et fiscal favorable aux investissements privés, et la mise en œuvre de plans d'aménagement qui rationalisent effectivement les pêcheries et la crevetticulture industrielles. Ceci suppose le renforcement des capacités de l'administration et de la recherche publiques dans un sens conforme à la nouvelle politique.

Le Plan Directeur de la Pêche appelle quelques remarques :

2.2. Besoins de recherche

Les rapports préparés par les instituts et le consultant national (Andriamihaja, 1993 ; FOFIFA/DRFP, 1993 ; CNRO, 1993 ; Ralison, 1993 ; Ramanankasina, 1993 ; IHSM, 1993) identifient les besoins de recherche. Des tableaux synoptiques des activités de recherche passées et en cours, tirés du rapport d'A. Ralison (1993), sont donnés dans l'annexe l. La priorité des thèmes de recherche doit être évaluée en fonction de la nouvelle politique, de l'appréciation des conditions de développement des pêches et des aquacultures industrielles et traditionnelles, et des responsabilités respectives de l'Etat et des opérateurs économiques dans la conduite des différents types de recherche.

2.2.1. Conservation et aménagement des usages des ressources renouvelables

L'administration des pêches, les instituts de recherche et les opérateurs économiques sont tous conscients que la conservation des ressources (crevettes, langoustes néritiques, holothuries, stocks des lacs et des étangs continentaux, milieux continentaux, littoraux - récifs coralliens - et estuariens, mangroves, …) et l'avenir des pêcheries dépendent de la régulation des exploitations. Le manque d'efficacité des mécanismes d'aménagement des pêcheries de crevettes et l'incertitude que ces insuffisances font planer sur l'avenir des entreprises sont également bien perçus. Le problème n'est pas particulier à la pêche. S'il se réalise, le développement de la crevetticulture dans les mangroves va rencontrer des problèmes analogues7 : régulation de la densité des bassins et des niveaux de rejet des eaux usées par rapport à la capacité d'absorption des mangroves, harmonisation des usages industriels (culture) et traditionnels (coupe de bois d'œuvre et de chauffe, pêche) concurrents. Avec des différences de nature et d'intensité, les performances économiques des exploitations et la conservation des écosystèmes aquatiques et terrestres dépendent, une fois atteintes les limites des ressources naturelles, de l'efficacité des systèmes de régulation de leurs usages. La création récente d'un institut spécialisé dans l'étude des problèmes d'environnement est révélatrice d'une prise de conscience nationale de l'urgence de la question.

7 A Formose, par exemple, les carences dans la régulation de l'expansion de la crevetticulture ont entraîné des mortalités massives du cheptel et l'effondrement en deux ans (1987–89) de la production - de 100 000 tonnes à 20 000 tonnes (Lacroix, 1993).

Schématiquement, le problème a deux dimensions :

Dans ces conditions, si les évaluations des ressources et les évaluations économiques des usages sont utiles, les institutions en vigueur permettent difficilement d'appliquer leurs conclusions. Même dans les pays où la recherche est avancée, l'état des pêcheries est souvent plus déterminé par la nature des systèmes de régulation en vigueur. Une recherche sur les aspects biologiques, économiques, sociaux et juridiques du problème peut contribuer à l'élaboration de régimes de régulation adaptés aux particularités des ressources et des usages malgaches. Dans un premier temps, seule l'adaptation des concepts théoriques aux particularités locales demande à être effectuée sur place. A cause des différences dans l'organisation économique et sociale des ensembles d'exploitation, les usages industriels et traditionnels demandent des dispositions différentes. Des solutions transposables, avec les adaptations appropriées, à l'aménagement des pêches et des aquacultures industrielles existent (adoption de mécanismes économiques pour l'allocation de droits quantitatifs et individuels d'usage notamment). Par contre, l'aménagement des pêches traditionnelles - qu'elles soient continentales ou maritimes - est plus complexe et moins évident. La diversité des usages de l'eau rend la tâche particulièrement difficile dans le domaine dulçaquicole. Le progrès dans la régulation des systèmes productifs traditionnels suppose une connaissance de l'organisation sociale des communautés et de leur évolution sous l'effet de la diffusion de l'économie marchande.

2.2.2. Technologie de la pêche, de l'aquaculture et des produits

Un éventail de méthodes et de techniques de pêche, de zootechnie et de technologie aquacoles, et de traitement et de contrôle de la qualité des produits, est disponible. Avec les adaptations nécessaires, elles sont transposables aux productions malgaches. Plus que de recherches novatrices en la matière, leur assimilation dépend de la compréhension du rôle de la technologie dans l'évolution des systèmes productifs, du comportement et de l'évolution des communautés rurales de petits producteurs, de leur formation, ainsi que des modes de diffusion des innovations techniques dans les entreprises industrielles.

Dans le domaine de l'aquaculture, les priorités identifiées dans les rapports des instituts de recherche et dans la documentation sur le développement de l'aquaculture à Madagascar peuvent se résumer ainsi :

La promotion des exportations sur le marché international suppose la mise en place, en collaboration avec les entreprises de traitement et de commercialisation, d'un système homogène de contrôle de qualité des produits.

2.2.3. Conditions de développement des pêches et des aquacultures traditionnelles

L'échec des politiques d'intervention pour la promotion des productions animales et végétales traditionnelles a fait prendre conscience de l'importance des facteurs économiques et sociaux, et de l'inadéquation pour l'agriculture traditionnelle des pays du sud de modèles de développement transposés de façon insuffisamment critique du monde commercial et industriel (e.g., Brossier, 1989 pour l'agriculture). La situation ne diffère pas significativement en ce qui concerne les productions aquatiques (e.g., The World Bank et al., 1992 pour l'halieutique ; Rabehalatra, 1993 pour la petite pisciculture malgache). La conception de politiques d'intervention appropriées dépend de la compréhension de l'organisation des communautés rurales, de leurs rationalités, et des conditions d'une évolution qui préserve leurs capacités d'autodéveloppement et d'intégration aux économies nationale et globale. Parce qu'elle permet de hiérarchiser leurs atouts et leurs contraintes spécifiques, l'analyse des systémes de production (e.g., Badouin, 1987; Brossier, op. cit.) peut améliorer l'efficacité des politiques de développement et de recherche par une meilleure pertinence et cohérence des interventions et des recherches disciplinaires. Une telle approche est en cours d'adoption pour l'organisation et la planification de la recherche agronomique de certains pays du sud - y compris à Madagascar (FOFIFA, voir plus loin).

2.2.4. Politiques d'intervention

De facon similaire, la recherche peut contribuer à la formulation de politiques plus réalistes de valorisation et de commercialisation des produits sur les marchés national et mondial (e.g., développement de l'industrie de traitement des captures thonières dans le contexte malgache), à comprendre les interactions entre secteurs (effets des politiques agricoles, monétaires, sur la pêche et l'aquaculture), (e.g., Panayotou, 1989).

L'exemple de l'agriculture montre que l'efficacité des recherches biologiques et zootechniques, l'assimilation des innovations techniques par les communautés rurales, ou l'impact des interventions pour la promotion de la pêche et de l'aquaculture passent par l'ouverture aux sciences humaines du champ d'investigation de la recherche halieutique.

2.3. Rôles respectifs des secteurs public et privés

Compte tenu de leurs différences de motivation et d'activité, les secteurs privé et public n'ont pas le même intérêt pour les différents types de recherche (tableau I). En outre, parmi les opérateurs privés, les entreprises industrielles et les communautés rurales ne manifestent ni le même intérêt, ni les mêmes capacités d'assimilation, face aux innovations techniques. Ces différences ne sont pas fixes. Elles changent avec le développement économique des pays, des secteurs et des opérateurs, ainsi qu'avec les philosophies dominantes.

Tableau I. : Domaines de recherche et applications susceptibles d'intéresser plus directement les secteurs public et privé (entreprises commerciales).

Secteur public Secteur privé
- Conservation de l'environnement (e.g. mangroves, récifs coralliens, …) ;- Innovations techniques (méthodes de pêche, zootechnie aquacole, techniques de traitement, …), par expérimentation propre ou achat (importation) ;
- Evaluation des ressources naturelles (stocks halieutiques, capacité d'absorption de l'environnement, …) ;
- Aménagement de leurs usages (pêche, usages des mangroves, pollution, …);
- Système statistique national pour l'aménagement et la conservation des ressources naturelles ;
- Intégration des techniques dans des systèmes de production ou de valorisation viables ;
- Analyses socio-économiques stratégiques (systèmes agraires, organisation sociale des communautés traditionnelles, politiques sectorielles, politique alimentaire, …) ;
- Innovations institutionnelles (ressources non appropriées et communautés traditionnelles, …) ;- Gestion de l'entreprise ;
- Etudes de marché ;
- Appui technique aux communautés rurales (formation des pêcheurs et des aquaculteurs, …) ;- Formation des personnels ;
- Contrôle de qualité des produits (application de normes), …
- Protection des consommateurs (qualité des products, santé publique) ;
- Recherche novatrice ; …

Parmi les facteurs déterminant l'intérêt des secteurs public et privé à l'égard des différents domaines de recherche, on peut mentionner les suivants :

Une sélection rigoureuse des recherches est particulièrement critique dans les pays en développement dans la mesure où leurs besoins excèdent de beaucoup leurs capacités immédiates. La contrainte de localisation géographique des recherches est à cet égard un premier critère de choix. De facon générale, les innovations technologiques, biologiques (zootechnie) et institutionnelles, les méthodes de recherche, les théories et les concepts scientifiques peuvent être importés. Ce n'est pas le cas des expérimentations pour l'adaptation des techniques aux conditions locales (recherche adaptative), et des recherches pour la conservation de l'environement, et la promotion et la régulation des systèmes productifs (évaluation et suivi des ressources naturelles, analyses et suivi des systèmes, productifs, étude des communautés traditionnelles, analyses d'appui à l'élaboration de politiques de développement et d'aménagement). Pour sélectionner les recherches qui doivent être faites localement, on tiendra aussi compte des conditions de progrès des capacités scientifiques nationales. Si elle limite ses préoccupations à des travaux exclusivement répétitifs, la recherche est vouée tôt ou tard à la sclérose. La capacité à concevoir des programmes en réponse à de nouvelles interrogations dépend de la conduite d'un minimum de réflexions et de recherches plus prospectives.

On distinguera ensuite les recherches qui suscitent l'intérêt du secteur privé, et celles qui relèvent du mandat de l'Etat. La participation des Pêcheries de Nossi-be au projet de pré-développement de la crevetticulture, et le financement par cette entreprise de la formulation d'un aliment local, montrent que l'importation d'innovations techniques et leur adaptation aux conditions locales peuvent être plus efficaces et présenter moins de risque pour les entreprises que le recours à la recherche publique, même lorsque cette dernière est gratuite. En même temps, le souci des armements crevettiers et des entreprises aquacoles de voir l'appareil d'Etat assurer effectivement la régulation des pêcheries de crevettes et des usages de la mangrove révèle que le secteur industriel est également conscient que le secteur public peut seul assurer des recherches essentielles pour l'avenir de ses propres activités.

Ces différences d'intérêt font que le secteur privéne peut au mieux offrir qu'une alternative limitée pour le financement des recherches ressortant de la vocation de l'Etat.


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