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MINAGRI/PNUD/FAOSEM/89/10
PROJET RWA/87/012juin 1989

SEMINAIRE TRENTE ANS APRES L'INTRODUCTION DE L'ISAMBAZA AU LAC KIVU

Gisenyi, 6–7 juin 1989

BIOLOGIE ET GESTION DU STOCK D'ISAMBAZA

par

Michel LAMBOEUF
Biologiste des pêches
PNUD/FAO-RWA/87/012

1 INTRODUCTION

La pêcherie de l'Isambaza est une activité récente, elle résulte de l'introduction de ce poisson dans le lac Kivu il y a maintenant 30 ans. L'importation du Limnothrissa miodon en provenance du lac Tanganyika est décrite dans d'autres documents de ce séminaire ainsi que la découverte de sa réussite en 1976.

A partir de ce moment, des projets se sont succédés, ils avaient pour objectifs principaux:

Ce sont là essentiellement des activités de développement.

Par la suite, au fur et à mesure du dévelopement, la production d'Isambaza n'a cessé d'augmenter régulièrement jusqu'en 1987. Pendant cette période, l'optimisme était de règle et les activités de développement se trouvaient renforcées dans un contexte porteur.

A partir d'avril 1987, la production a commencé à baisser et n'a pas depuis retrouvé son niveau antérieur. A partir de cette situation critique, les responsables, qui avaient le souci de préserver la continuité de l'activité de pêche dans le lac Kivu, ont pris conscience de la nécessité de contrôler l'exploitation du stock d'Isambaza. Ils ont décidé de renforçer l'activité de recherches biologiques existante, pour mettre en place un programme d'évaluation et de gestion, capable de fournir les éléments nécessaires à l'aménagement du stock.

Pour gérér une pêcherie, il faut connaitre les caractéristiques de ses éléments constitutifs et les facteurs qui peuvent influer ou modifier leur nature.

2 LA PECHERIE DU LAC KIVU

Elle se compose de trois éléments interdépendants: le lac et l'environnement dans lequel évolue le stock, le stock lui même, ses caractéristiques biologiques et démographiques et enfin, l'activité de pêche.

2.1. Le lac Kivu

Le lac kivu, frontalier entre le Zaïre et le Rwanda s'étend d'est en ouest sur 50 km dans sa plus grande largeur et du nord au sud sur 102 km. C'est un lac de montagne, situé à 1463 m d'altitude, sa superficie totale est de 2370 km2, (surface couverte par les eaux). De nombreuses îles parsèment sa surface, l'île Ijwi, territoire zaïrois, est la plus grande avec 200 km2. La profondeur maximale de 485 m est atteinte dans le bassin nord.

Le Kivu n'est pas à proprement parler un lac de volcan, mais plutôt un lac résultant d'un barrage volcanique. L'apparition des volcans des Virunga est à l'origine de ses particularités physiques et faunistiques, qui le rendent à la fois semblable et différent de ses voisins les lacs Tanganyika et Edouard (Idi Amin).

Avant l'eruption des volcans des Virunga, un ancien lac Kivu, faisait partie d'un système hydrographique se déversant vers le nord dans le lac Edouard. L'éruption des volcans, a barré l'écoulement vers le nord, et les eaux ont envahi la vallée du Rift pour former le lac actuel. Le niveau s'est élevé jusqu'à trouver une sortie vers le sud en direction du lac Tanganyika.

Les caractéristiques faunistiques du lac Kivu témoignent de sa jeunesse écologique. La faune du lac actuel s'apparente à celle du lac Edouard, elle en est une version restreinte qui comprend les espèces ayant pu suivre la montée des eaux et s'adapter aux nouvelles conditions. Par contre elle ne présente pas de parenté avec celle du lac Tanganyika.

Le lac Kivu constitué comme nous venons de le voir, de la vallée du Rift submergée, présente des parois très abruptes, cette caractéristique a deux conséquences sur son écologie.

Il arrive cependant occasionellement que des eaux de profondeur soient remontées vers la surface par l'agitation due aux vents. Ces masses d'eaux dépourvues d'oxygène et riches en hydrogène sulfureux peuvent entrainer la mortalité massive des poissons qui s'y trouvent emprisonnés.

Dans la zone côtière riche en plancton végétal, l'activité photosynthétique importante provoque par retrait du gaz carbonique, la précipitation de carbonate de calcium à partir du bi-carbonate. Il en résulte que l'encroûtement des sédiments littoraux par le calcaire, réduit encore la possibilité de colonisation par les invertébrés.

La température moyenne en surface est assez stable tout au long de l'année autour de 23°C, elle est un peu plus froide en saison sèche.

2.2 L'Isambaza

Selon les auteurs on considère que 16 à 19 espèces sont présentes dans le lac Kivu, elles appartiennent à trois familles: Cyprinidae, Clariidae, Cichlidae. A ces trois familles est venu s'ajouter celle des Clupeidae avec l'introduction de Limnothrissa miodon en 1959 en provenance du lac Tanganyika.

Comportement: l'Isambaza est un poisson pélagique grégaire, qui constitue des bancs pendant la journée et se disperse la nuit. Son attirance par une source lumineuse est exploitée pour la pêche. Le caractère migratoire se manifeste par le déplacement des concentrations en fonction de la disponibilité de la nourriture.

Croissance et longévité: la croissance est rapide, 1 cm par mois environ dans le lac Kivu, les plus gros individus atteignent 12 cm. La durée de vie, de un an, est courte.

Reproduction: elle a lieu tout au long de l'année avec une maximum d'intensité de septembre à février et un minimum en juillet et août en saison sèche.

Régime alimentaire: les Isambazas se nourrissent de préférence de plancton mais leur régime s'adapte aux conditions du moment car ils peuvent aussi se nourrir d'insectes et même de leurs propres larves. Cette capacité d'adaptation a probablement contribué au succès de leur acclimatation dans le lac Kivu. Les Isambazas se nourrissent pendant la nuit, avec deux périodes d'activité plus intense vers 19 heures et juste avant le lever du jour vers 5 heures.

Abondance et distribution: une évaluation récente de l'abondance a permis de déterminer une biomasse dans le lac de l'ordre de 3000 tonnes d'Isambazas, soit à peu près 2 milliards de poissons. En termes de poids, 26% de la biomasse est constituée de prérecrues de moins de 4 cm et 74% de poisson pêchables, mais en termes de nombre, les prérecrues représentent 66% des poissons. Les juvéniles sont répartis en très grand nombre sur la totalité du lac, et non pas comme on le pensait dans la zone littorale seulement. 60% de la biomasse totale tant en nombre qu'en poids sont situés au dessus de 30 m et il n'y a plus de poissons en dessous de 50 m

Potentiel exploitable: La biomasse obtenue de cette manière est une évaluation instantannée de l'abondance. Compte tenu de la croissance rapide de l'Isambaza, de son taux de reproduction élevé et de sa longévité courte, le potentiel exploitable est une fraction élevée du la biomasse instantannée.

On pourrait penser que cette grande quantité de juvéniles contribuera à l'augmentation de la biomasse en grandissant. Il semble malheureusement que la disponibilité restreinte de nourriture soit le facteur limitant la croissance et la survie des juvéniles et donc l'abondance globale.

2.3 L'activité de pêche

La technique de pêche à l'Isambaza a suivi l'introduction de ces derniers, elle remonte aux années soixante dix, elle se pratique aux feux et au filet soulevé manoeuvré à partir de catamarans ou trimarans. La flottille de pêche s'est développée jusqu'à atteindre 186 unités de pêche en janvier 1989, parmi ces unités 65 opéraient dans les eaux zaïroises et seuls 4 catamarans sont encore en service.

3 PROGRAMME DE RECHERCHE POUR L'EVALUATION ET LA GESTION

Le programme de recherche s'articule autour du recueil des diverses informations nécessaires à la connaissance des éléments constitutifs de la pêcherie et des facteurs qui ont une influence sur son évolution, de manière à pouvoir formuler des avis et des mesures d'aménagement.

L'acquisition de ces éléments nécessite la mise en place d'un programme d'échantillonnage biologique, d'enquêtes et de prospections, exécuté de façon réguliére et continue dans le temps, car les facteurs concernés sont succeptibles de variations qu'il faut suivre.

3.1 Captures et effort de pêche

Des enquêtes cadres vont être mises en place pour la collecte dans des régions sélectionnées d'informations concernant les débarquements réels. Le traitement des données et leur extrapolation à l'ensemble du lac sera informatisé dans le cadre du système KIVUSTAT.

3.2 Biologie

3.3 Abondance et répartition

L'évaluation directe de l'abondance du stock se fait par prospection acoustique en utilisant un sondeur ultra-sonore associé à des appareils de mesures et à un ordinateur. Ce système permet de déterminer le nombre et la taille des poissons dans le lac. On obtient ainsi la biomasse et sa répartition géographique bathymétrique et démographique.

3.4 Conditions hydroclimatiques

Les facteurs hydroclimatiques influent de façon très importante sur l'abondance et la distribution géographique des stocks en particulier chez des poissons pélagiques comme les Isambazas. En effet leur nourriture est principalement constituée de plancton, dont la production et la présence, sont liées à la disponibilite des sels minéraux dans l'eau et à la réunion d'un certain nombre de conditions physico-chimiques.

Il est donc important, pour mieux comprendre les mécanismes qui régissent la disponibilité et la distribution des poissons, de suivre les paramètres physico-chimiques du milieu, (température, salinité, oxygène dissous, sels minéraux, transparence, et pluviométrie).

3.5 Modèles de stock

Diverses expressions mathématiques ont été développés pour modéliser les paramètres d'une pêcherie et leurs interactions. Il en existe de plusieurs sortes selon leur complexité et le nombre de paramètres dont on tient compte. Pour schématiser on peut dire qu'il faut tenir compte des facteurs qui jouent positivement en augmentant le stock: reproduction, recrutement, croissance; et ceux qui agissent de façon négative: mortalité naturelle et pêche. On peut ensuite grâce à ces modèles simuler les effets de la variation d'un des paramètres. Par exemple: quel serait l'impact de l'aumentation de l'effort de pêche ou de la modification du maillage sur l'état du stock.

4 MESURES D'AMENAGEMENT

Une pêcherie pélagique du type de celle de l'Isambaza ne répond pas aux mêmes critères que les pêcheries d'autres espèces dans d'autres lacs. Les techniques de gestion ne sont pas directement transposables. Les pêcheries pélagiques tirent en effet leurs particularités du caractère migratoire des poissons et de l'influennce prépondérante des conditions hydro-climatiques sur leur abondance et leur répartition.

Les recherches décrites ci-dessus n'ont d'autre objectif que de réunir les informations techniques nécessaires à la formulation d'avis de développement ou de conservation, et à proposer des mesures d'aménagement:

A ce stade ces mesures sont techniques et ne tiennent compte que des paramètres biologiques, écologiques et de ceux de la pêcherie. Il appartient ensuite aux responsables d'intégrer d'autres éléments comme les facteurs économiques, sociaux, les interactions avec les autres pêcheries, etc…, pour définir la politique de gestion du secteur de la pêche du lac

5 CONCLUSIONS

L'état actuel de nos connaissances de l'ensemble des paramètres de la pêcherie du lac Kivu, n'est pas encore suffisant pour formuler des avis précis sur sa gestion.

Le programme régulier d'acquisition des données mis en place commence à fournir des informations.

Certaines indications permettent de penser que la disponibilité du plancton constituant la nourriture des poissons semble être le facteur limitant son abondance. Il convient de vérifier s'il s'agit d'une situation conjoncturelle en relation avec l'environnement hydroclimatique, ou d'une évolution durable.

Compte tenu du caractère migratoire de l'Isambaza et de la dimension restreinte du lac Kivu, siège de cette pêcherie pélagique, il est illusoire de considérer son aménagement autrement que globalement. La coopération et la concertation entre le Zaïre et le Rwanda pour le recueil de l'information, son traitement et la formulation des mesures d'aménagement sont des conditions préalables à l'établissement d'une politique de gestion des ressources du lac Kivu.


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