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2. SYNTHESE DE LA REVUE SECTORIELLE

L'importance de la pêche au Rwanda ne doit pas seulement se mesurer à la quantité de poisson produite et mise sur le marché. En effet, la distribution des produits halieutiques en zones rurales proches des plans d'eau revêt une importance particulière en ce qui concerne l'apport protéique qui y est souvent déficitaire.

Très peu pratiquée jusqu'au milieu des années 1970, la pêche a connu depuis une évolution remarquable, grâce surtout au développement des activités halieutiques sur le lac Kivu. En 1987 on enregistrait 4.116 pêcheurs sur le territoire national et la production était estimée à 1.630 tonnes, en 1990 elle était estimée à 3 160 tonnes.

La valeur ajoutée n'est pas connue, les réseaux de commercialisation n'ayant jamais fait l'objet d'une étude, et le recensement des pêcheurs étant trop peu fiable, il n'est pas possible à partir des données statistiques existantes d'estimer la part du secteur pêche et aquaculture dans la richesse nationale.

Il n'empêche que l'importance de la pêche doit être reconnue en priorité grâce à son apport protéique, aux revenus qu'elle procure aux populations riveraines et aux commerçants. L'aquaculture, bien que sa production enregistrée soit faible (60 t.) connaît une progression linéaire depuis quelques années. Outre le fait qu'elle utilise des terres de marais d'une manière optimale, elle permet un apport de revenus supplémentaires au niveau familial, une diversification des risques liés aux cultures, et un apport en poisson dans des zones qui souvent en sont privées.

L'amélioration qualitative de la diète alimentaire des Rwandais est en partie fonction du développement de la pêche et de l'aquaculture. Les mesures d'aménagement prévues par la législation, et que devraient appliquer l'administration des pêches (après étude), devront être orientées vers une augmentation de la production nationale entraînant une augmentation du revenu des pêcheurs ou, le cas échéant une plus large répartition des revenus au sein des population riveraines.

La production du Rwanda est estimée à 3160 tonnes en 1990. En 1975 elle n'était estimée qu'à 1200 tonnes, toutes espèces confondues. Le développement de la pêche au lac Kivu depuis le début des années 1980 (suite à l'introduction de l'Isambaza) a été spectaculaire. D'une pêche presque inexistante on est passé à une production en Isambaza qui depasse 1.000 tonnes l'an dans les eaux rwandaises. Les dernières enquêtes statistiques effectuées sur les bords du lac Kivu indiquent de plus, des captures d'Haplochromis qui s'approchent de 475 tonnes/an. La production du lac Kivu constitue pour l'instant 48% environ des captures nationales, 31% des captures rwandaises du lac Kivu sont aujourd'hui commercialisées par le projet qui a développe les pêches sur le lac, soit 15% de la production nationale. Le reste de la production nationale est commercialisée par des opérateurs privés sauf pour le lac Ihema ou le projet écoule toute la production locale (6% de la production nationale).

Le potentiel des plans d'eau rwandais est mal connu et varie selon les méthodes d'estimation. En se basant principalement sur les estimation du Professeur Micha, la production potentielle atteindrait pour l'ensemble des plans d'eau rwandais 5.400 tonnes environ, y compris les retenues d'eau, les barrages et les rivières. A supposer que les données statistiques aient une marge d'erreur de 20%, on observe que la production actuelle nationale atteint 60% environ des potentialités. Les 40% restants (et ceci devrait être confirmé par des études) sont constitués par les stocks non exploités; Haplochromis surtout, et Isambaza du lac Kivu (exploités aux deux tiers des potentialités de captures équilibrées selon les dernières estimations), et par une moindre production due au phénomène de surpêche chronique presque partout au Rwanda (sauf sur les lacs Kivu et Ihema) et qui a affecté surtout la ressource Tilapia.

Bien que la production des étangs piscicoles soit faible (1,6% de la production halieutique nationale), les efforts de développement et de vulgarisation déployés par le service de pisciculture nationale et le projet USAID devraient stimuler son évolution aussi bien au niveau de la quantité de poisson produite, mais aussi - et c'est là un des principaux intérêts de la pisciculture au Rwanda - au niveau des revenus alternatifs, de la minimisation des risques et d'un apport additionnel en protéines animales.

Bien que la consommation de poisson per caput fasse l'objet d'estimations, elle n'est pas connue avec précision. Le MINIPLAN estimait en 1983 la consommation nationale de poisson à 4.332 tonnes, ce qui équivaut à peu près à une consommation per caput de 0,8 kg an. Selon ces estimations on peut projeter, en ne tenant compte que de la croissance démographique, une demande totale de 6000 tonnes de poisson au Rwanda en 1991. Les facteurs de préférence ne sont pas pris en considération bien que le goût croissant du Rwandais pour le poisson soit évident. On observe que la production nationale ne peut pas, et ne pourra pas, satisfaire la demande actuelle et que le déficit (estimé aujourd'hui à trois mille tonnes environ) sera comble principalement par des importations de poisson étranger séché, en général moins cher que le poisson rwandais.

Bien que le poisson importe soit en principe soumis à des droits de douanes, il semble qu'il échappe en grande partie à tout contrôle. Ce poisson importé, principalement de Tanzanie représente un élémént nutritionnel important et parmi les produits de protéines animales, un des moins chers sur le marché. Ce poisson concurrence directement la production d'Isambaza séchés du Kivu (7% de la production nationale) beaucoup plus cher et moins bien accepté que les petits Ndagalas séchés importés.

L'énorme quantité de Ndagalas disponible a Mwanza en Tanzanie et destinée pour l'instant à l'alimentation animale constitue un formidable potentiel d'importation pour le Rwanda qui mettrait immédiatement hors concurrence la farine de poisson nationale (Haplochromis et Isambaza), et partant rendrait la vente d'Isambaza séché encore plus problématique (les contrôles douaniers seraient coûteux et peu efficaces, même au niveau des marchés puisque le poisson y est vendu en d'infimes quantités).

La mission ne recommande pas la fermeture des frontières aux importations. Le poisson importé satisfait une demande que le marché national n'est pas actuellement en mesure de combler (la farine d'Haplochromis coûte entre 200 et 250 FRW le Kg., l'Isambaza séché entre 220 et 250 FRW le kg., tandis que le Ndagala coûte entre 120 et 180 FRW/kg (prix avant dévaluation d'octobre 1990) - celui de Mwanza risque de coûter bien moins cher encore - et laisse aux commerçants des marges bénéficiaires importantes).

Les informations manquent sur la segmentation des marchés en zone de collines, il semble curieusement que le Ndagala séché s'y vende peu, peut-être par manque de disponibilité monétaire et que par contre, on y trouve des brochettes de petits poissons locaux (Haplochromis, Clarias) souvent invendables dans les centres urbains et qui s'échangeraient par troc.

Le Tilapia frais est le poisson le plus apprécié, il est vendu surtout en zones urbaines. L'Isambaza frais du lac Kivu s'adresse aux mêmes consommateurs (qui lui préfèrent pourtant le Tilapia).

Pour répondre aux priorités du Gouvernement il faut augmenter la production de Tilapia sur tous les plans d'eau (sauf le lac Kivu), et il faut améliorer la commercialisation de l'Isambaza frais du lac Kivu, élargir ses débouchés commerciaux et, pour ce faire, encourager les initiatives privées artisanales. Cet effort devrait progressivement diminuer la quantité d'Isambaza séchés qui - en raison des prix fixes d'achat du poisson frais pratiqués par le projet PNUD/FAO - se vend souvent à perte. Les contraintes majeures à l'écoulement de l'Isambaza du lac Kivu sont constituées par le prix élevé du poisson séché (transformé lors des périodes de tres forte production et par la difficulté de commercialiser le poisson frais en période de surproduction saisonnière.

La contrainte majeure à l'augmentation de la production de Tilapias et autres espèces appréciées (Clarias, etc.) est un effort de pêche excessif et incontrôlé sur la plupart des lacs. Ce phénomène de surpêche, étendu au niveau national plusieurs causes qui s'articulent différemment selon les endroits; pression croissante de la population sur les terres et sous-emploi chronique (30% de la population selon la Banque Mondiale), attrait d'un gain facile parallèlement aux activités de la terre, absence de contrôle coutumier des pêcheries vu l'inexistence de structures traditionnelles régissant les activités de pêche, etc. Les phénomènes de surpêche qui ont augmente depuis 15 ans sont caractérisés par un nombre trop élevé de pêcheurs, une activité de pêche trop soutenue (filets trop nombreux), des méthodes de pêches destructives (filets à mailles trop petites, pèche à l'insecticide, pêche à la frappe ou à la senne de plage dans les frayères).

Depuis plus de dix ans, le secteur des pêches et de l'aquaculture au Rwanda a fait l'objet d'interventions qui - sans exception - tendaient à développer la connaissance scientifique du milieu, à en améliorer la productivité par des interventions extérieures, et à encourager la production par diverses mesures: credit, fourniture de matériel, réempoissonnement, introduction de nouvelles espèces, formation des groupements à vocation coopératives, etc.

Seuls deux projets ont enregistré des résultats positifs au niveau de l'évolution de la production et de l'évolution de l'effort de pêche. Il est important cependant de rappeler que ces deux projets sont intervenus dans un milieu où la pêche était quasiment absente avant leur instauration, il s'agit du lac Kivu et des lacs du parc de l'Akagera, Ihema en particulier.

Les autres projets se sont heurtés à plusieurs problèmes de taille qu'ils n'ont en partie pas encore résolus, spécifiquement:

  1. l'inadéquation des mesures de contrôle (réglementation de l'accès aux pêcheries pour les uns sans mesurer l'impact social de l'exclusion des activités de pêche pour les autres);

  2. stagnation ou faible évolution de la production malgré les efforts de développement prodigués;

  3. vols de filets, vols de pirogues, méthodes de pêche destructives;

  4. malversation au sein des groupements à vocation coopérative et

  5. pertes physiques de poisson après capture.

Les causes qui ont engendré ces problèmes sont en partie connues et c'est à redresser la situation que doit s'atteler l'administration des pêches.

Parmi les causes principales des pauvres résultats enregistres on peut citer: le manque de connaissance du milieu biologique et socio-économique, l'encadrement déficient des pêcheurs, le manque de formation des groupements coopératifs en matière de gestion et d'aménagement des pêcheries, le manque de suivi des projets, l'absence de méthodes d'évaluation et le manque d'orientation des projets (populations cibles etc…), l'absence de budget et l'absence de coordination des efforts déployés dans le domaine des pêches.

La mission FAO recommande que les efforts de développement soient déployés dans trois directions:

  1. le renforcement des capacités de planification nationales:
  2. le renforcement de l'aménagement des pêcheries et l'application effective de la réglementation; et
  3. des programmes d'appui ah hoc pour renforcer les acquis, augmenter la production et améliorer la commercialisation.

En priorité, la Division Pêche et Aquaculture doit renforcer ses capacités de planification et de gestion; elle doit obtenir une plus grande autonomie opérationnelle et financière. Elle devra s'assurer aussi du suivi des informations en provenance du terrain et concentrer dans un premier temps ses efforts sur les études clés pour la mise en place des mesures d'aménagement (études de marché et amélioration de la commercialisation du poisson au lac Kivu, études socio-économiques en vue d'appliquer la réglementation, poursuite des études scientifiques du milieu).

La mission FAO propose que, pendant trois ans, un projet d'appui à l'aménagement des plans d'eau vienne renforcer les efforts de planification de l'Administration des pêches et de l'aquaculture. Ce projet devra se préoccuper de l'adéquation des mesures choisies, et veiller à l'application de la réglementation (contrôle de l'effort). Il devra, de plus, suivre l'évolution de la commercialisation, particulièrement au lac Kivu et s'assurer que des filets importés, de maille réglementaire soient à disposition des pêcheurs en tout temps (disposition de devises).

Par une formation continue des groupements et du personnel d'encadrement par les agences gouvernementales spécialisées, et en étroite collaboration avec la Division Pêche et Aquaculture, le personnel national devrait, après 3 ans, pouvoir reprendre de manière autonome les activités qui seront dans un premier temps assistées par une expertise extérieur.


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