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PREMIERE PARTIE: DONNEES GENERALES

CHAPITRE 1 - Le genre Prosopis

Les espèces du genre Prosopis sont des arbustes de taille moyenne ou des arbres de grand diamètre pouvant atteindre une hauteur de 20 mètres, avec un fût de plus d'un mètre de diamètre. Les rameaux de la plupart des espèces sont épineux, et les feuilles, comme chez beaucoup d'autres arbres de la famille des légumineuses, sont composées et formées de nombreuses folioles disposées comme les barbes d'une plume. Les fleurs sont petites, généralement groupées en inflorescences sphériques ou allongées.

Bien que poussant également à proximité de l'eau, les diverses espèces de Prosopis se rencontrent dans des endroits secs où d'autres plantes ont du mal à survivre. Elles tolérent les sols salins ou peu fertiles, et peuvent même y pousser rapidement. Il leur faut en général une pluviométrie annuelle de 250 mm, mais certaines espèces s'adaptent à des zones où elle n'est que de 75 mm ou moins. Elles supportent aisément de longues périodes de sécheresse tout en produisant des gousses en abondance.

Les gousses de Prosopis sont parmi les premiers aliments utilisés par l'homme préhistorique dans le Nouveau Monde, et elles ont constitué jusqu'à ce jour une source d'hydrates de carbone et de protéines pour beaucoup d'habitants des déserts d'Amérique du Nord et du Sud. Elles poussent sur un petit axe en formant des grappes qui en comptent jusqu'à douze. Elles sont longues de 3 à 20 cm, plates et enroulées en spirale, et renferment plusieurs graines enrobées dans une pulpe douce ou sèche, de couleur jaune.

Les gousses tombent au sol à maturité; elles se différencient de celles d'autres légumineuses en ce qu'elles ne s'ouvrent pas en séchant, de sorte qu'elles ne perdent ni leur pulpe ni leurs graines. Les gousses produites dans les forêts de Prosopis d'Hawaï, du Pérou, d'Argentine et du Chili, permettent d'entretenir des troupeaux, ou encore on peut les récolter et les emmagasiner pour les utiliser plus tard. Leur valeur nutritive peut se comparer à celle de l'orge ou du maïs. 1

Description botanique2

Mimosacées. Arbres ou arbustes, très rarement plantes herbacées; feuilles généralement bipennées, plus rarement simplement pennées; fleurs hermaphrodites, petites, groupées en épi, en grappe ou en capitule, actinomorphes, trimères à hexamères, généralement pentamères; calice tubulaire, valvé, à 5 lobes ou dents; pétales valvés, soudés en un tube court, généralement hypogynes; étamines en même nombre que les sépales ou plus nombreuses, ou encore en nombre indéfini, libres ou monadelphes; anthères petites, à 2 loges, s'ouvrant longitudinalement, souvent avec une glande caduque au sommet; ovaire supère; le fruit est une gousse; graines avec peu ou pas d'endosperme.

Espèces les plus communes (au Chili):

Acacia caven (Mol.) Hook. & Arn.: espino (“épine”), espino, maulino, churque, churco, caven, quiringa (fruit) (Planche CXXXVII);

Prosopis chilensis (Mol.) Stuntz: algarrobo (“caroubier”), algarrobo dulce, algarrobo de caballo (Planche CXXXV);

Prosopis fruticosa Meyen: algarroba (“caroube”);

Prosopis tamarugo Phil.: tamarugo;

Prosopis strombulifera (L) Benth: fortuna, espinillo (“petite épine”), retortón;

Calliandra chilensis Benth: espino rojo (“épine rouge”);

Prosopis alpataco Phil.: alpataco (Planche CXXXVI).

1Etamines nombreuses, c'est-à-dire plus de 10 par fleur. 
 2Filets staminaux libres entre eux, parfois légèrement dhérents et formant plusieurs petits groupesAcacia
 2 Filets staminaux soudés à la base en un tube plus au moins long (étamines monadelphes) 
  3Déhiscence élastique, dans laquelle les deux valves se séparent du sommet vers la base en s'arquant sans torsion; gousse se rétrécissant progressivement vers la base, à bords épaisCalliandra
  3Déhiscence non élastique, les valves restant droites; valves se rétrécissant brusquement vers la base, à sutures plus finesAlbizzia
1Etamines au nombre de 10, c'est-à-dire double de celui des pétales; filets libres entre eux; feuilles bipennéesProsopis
Fruit  
  Corolle actinomorphe (régulière), petite, les étamines nettement plus longues que la corolle; fleurs en épis denses. 
  Stipules spinescentes, droites, divergentes, souvent grandes, soudées à la base et légèrement décurrentes, placées à l'extérieur des bourgeons ou fascicules foliaires des aisselles; épines axillaires absentes; feuilles unijuguées (à une seule paire de rachis secondaires)Prosopis tamarugo

Les espèces du genre Prosopis

On connaît 44 espèces de Prosopis. Trois d'entre elles sont des adventices agressives qui envahissent les pâturages subtropicaux et six, sur lesquelles nous nous étendrons dans ce chapitre, peuvent produire du fourrage et du bois utiles, dans des stations où d'autres espèces ne survivent pas en raison de la pauvreté des sols ou de la faible pluviosité. Il en existe plusieurs autres qui sont potentiellement intéressantes, mais qui à l'heure actuelle ne sont exploitées que très localement à l'état naturel.

Les arbres du genre Prosopis que l'on rencontre généralement sur des sols pauvres prospèrent également dans des sables légers ou des sols rocheux. Certaines espèces sont non seulement très tolérantes au sel mais ont aussi sur leurs racines des nodosités fixatrices d'azote qui leur permettent de croître dans les sols où cet élément est rare.

Comme ils se régénèrent facilement par semis aussi bien que par rejets de souche, ces arbres ont une faculté étonnante de survie. En plus d'un réseau très important de racines latérales, il se développe des racines pivotantes qui vont à la recherche de l'eau souterraine, pénètrant souvant à cette fin jusqu'à 10 mètres de profondeur, voire 20 mètres.

Outre le bétail, les diverses espèces de Prosopis attirent les abeilles. Le nectar des fleurs donne un miel d'excellente saveur.

Le bois des Prosopis a généralement un grain fibreux et irrégulier (sauf dans le cas de plantations). Sa couleur va du jaune marbré au rouge feu. Il prend un beau poli brillant, et peut se comparer au noyer, au bois de rose et à l'acajou. On peut en faire de belles lames de parquet, des meubles et des objets tournés. En raison de sa durabilité en contact avec le sol, on l'utilise beaucoup en pieux de clôture. Les premiers pavés dont on s'est servi pour les rues de San Antonio, au Texas, étaient en bois de Prosopis. De même, les principales avenues de Buenos-Aires, en Argentine, étaient pavées avec des blocs cubiques de Prosopis posés sur un lit de sable et couverts d'une mince couche de goudron, ce qui donnait une surface souple et résistante qui absorbait les bruits. Ce bois s'emploie surtout comme combustible. Utilisé autrefois pour les locomotives, les chaudières industrielles et les mines, on s'en sert encore de nos jours à la campagne pour la cuisine et le chauffage. Il chauffe très bien, donne peu de cendres, et fournit un charbon de haute qualité.

Certaines espèces de Prosopis sont excellentes pour la lutte contre l'érosion, la fixation des dunes côtières, la constitution de brise-vent, le reboisement de terres incultes, comme par exemple en Inde, où l'érosion fait progresser le désert de Thar (Rajputana) vers la Nouvelle-Delhi.

Les espèces nuisibles de Prosopis les plus importantes sont Prosopis glandulosa Torrey, originaire du nord du Mexique et du sud-ouest des Etats-Unis, Prosopis ruscifolia Grisebach, originaire de la région du Gran Chaco, depuis l'est de la Bolivie et le Paraguay jusqu'au centre-nord de l'Argentine, et Prosopis juliflora, originaire de l'Amérique centrale et des Antilles.

En République argentine 3, l'aire naturelle des Prosopis couvre la majeure partie du pays. Ils prospèrent dans les régions qui jouissent d'une température moyenne annuelle supérieure à 12°C. En ce qui concerne les précipitations, ils occupent les zones comprises entre les isohyètes 300 et 500 mm. Ce sont des végétaux de plaines, de plateaux et de basses montagnes de climat semi-aride. Les “algarrobos”, Prosopis alba et P. nigra, préfèrent en général des sols argileux pourvus en eau souterraine à la portée de leurs profondes racines.

En régime d'extrême sécheresse, il y a prédominance d'espèces arbustives telles que Prosopis ferox, P. alpataco 4, P. argentina, P. denudans. P. argentina et P. alpataco sont des psammophytes vrais des semi-déserts, qui poussent habituellement dans des sols très sableux. Le “vinal”, Prosopis ruscifolia, vient dans des sols saumâtres. Les Prosopis ne sont pas des plantes d'altitude; l'espèce qui monte le plus haut est sans doute P. ferox, dans la Quebrada de Humahuaca. Dans le nord-est, qui est relativement pluvieux, ils poussent dans les hautes savanes sèches.

Mimosaceae. Prosopis alpataco. a) rameau avec fleurs (× ⅔); b) fleur isolée (×); c) anthère (×); d) pistil (×). Pisano, E. et Bravo, R., No. 852. Original F. Sudzuki.

Les fruits sucrés favorisent la propagation endozoochore; de fait, la majorité des espèces de Prosopis sont disséminées par les animaux qui en mangent les gousses.

Etant des arbres de steppes et de savanes, les Prosopis, à la différence des essences de forêts humides, n'exigent pas de protection dans le jeune âge. Dès la germination ils prospèrent en plein soleil, en concurrence avec les arbustes et les graminées.

Du point du vue de la biologie florale, ce sont des entomophiles protogynes. Bien que peu voyantes, les fleurs sont nectarifères et attirent un grand nombre d'abeilles et autres hyménoptères.

La majorité des Prosopis sont des espèces grégaires, qui tendent à former des associations pures, ou à prédominer dans la forêt xérophile.

Les espèces du genre Prosopis, comme on l'a déjà indique, ont des usages variés, que l'on peut classer comme suit en ce qui concerne l'Argentine:

1. Bois d'oeuvre, bois de chauffage, charbon de bois. C'est le secteur le plus important, les principales espèces utilisées étant Prosopis chilensis, P. alba, P. nigra, P. flexuosa, P. caldenia, P. algarobilla, P. ruscifolia, P. kuntzei, P. torquata. On en fait des meubles, des huisseries, des traverses, des chariots, des pieux, des tonneaux, des pavés, des parquets, des poulies, des formes, etc. Le bois très dur de P. kuntzei est employé pour faire des arcs et des objets tournés; c'est en outre un bon combustible. Les pieux de P. algarrobilla pour les clôtures sont très durables et sont utilisés depuis très longtemps; en outre, cette espèce donne un excellent bois de chauffage.

Le “caldén” (P. caldenia) peut également servir pour la fabrication de lames de parquet; il faut dans ce cas de débiter vert et le sécher ensuite.

2. Fourrage. Ce sont surtout les fruits qui sont intéressants pour le bétail. Le feuillage est moins utilisé, et seulement lorsqu'il est très tendre.

Le fruit indéhiscent et intérieurement articulé est une gousse transformée, avec un mésocarpe plus ou moins fibreux ou pulpeux. Sa composition varie selon les espèces et les variétés.

Au premier plan deux algarrobos (Prosopis chilensis Mol.) ayant poussé spontanément près de Canchones, Pampa del Tamarugal. Au fond tamarugos.

3. Alimentation humaine. Les fruits des algarrobos sont également consommés par l'homme, quoique désormais uniquement à la campagne. Les autochtones, aujourd'hui comme autrefois, y trouvent surtout dans le Chaco et la province de Formosa une ressource précieuse. On les utilise de diverses manières:

  1. Patay. C'est un pâte farineuse, très sucrée, que l'on obtient en broyant les gousses mûres et sèches dans un mortier et en pressant le produit dans un récipient spécial. La pâte est ensuite séchée au four, et peut alors se conserver.

  2. Miel. L'infusion concentrée de fruits constitue un miel de saveur assez agréable.

  3. Añapa. C'est une boisson rafraichissante, sucrée, que l'on prépare simplement en pilant les gousses dans un mortier et en y ajoutant de l'eau.

  4. Aloja. C'est une boisson alcoolique, sorte d'hydromel obtenu par fermentation d'un moût préparé avec des gousses de P. alba et P. chilensis.

  5. Café. On utilise les fruits de Prosopis nigra et autres comme succédané du café, de la même façon qu'on utilise en Europe les caroubes de Ceratonia siliqua.

4. Alcool. On obtient de l'alcool éthylique par fermentation et distillation de l'extrait sucré de gousses.

5. Tanin et kino. Plusieurs espèces sont utilisées localement pour le tannage, les parties de l'arbre employées étant l'écorce, la sciure ou les fruits.

6. Gomme. Elle n'est presque pas exploitée. P. nigra exsude une gomme que l'on emploie comme substitut de la gomme arabique dans l'alimentation, la pharmacie et l'industrie.

7. Substances médicamenteuses. La médecine populaire utilise diverses espèces de Prosopis contre les affections des yeux. Dans certaines herboristeries de Buenos Aires on vend les fruits de P. strombulifera, qui sont réputés calmer les maux de dents. Les feuilles et bourgeons de P. ruscifolia sont employés pour soigner les ophtalmies.

8. Substances tinctoriales. La racine d'algarrobo teint le coton en marron foncé. Le principe actif est l'acide algarrobitanique, qui après oxydation donne une teinture parfaite pour la laine, le coton et la soie, dans des tons noir, gris, brun, marron et plus clairs.

Espèces les plus importantes

Pour clôre ce chapitre, nous récapitulerons les six espèces de Prosopis qui méritent plus particulièrement l'attention.

Prosopis affinis Sprengel. Arbre subtropical épineux, à cime aplatie, de 2 à 8 mètres de haut; les branches sont de forme irrégulière, le fût est court, atteignant jusqu'à 60 cm de diamètre. Spontané et abondant dans les savanes du Paraguay, de l'est de l'Argentine, de l'ouest de l'Uruguay et de l'extrême sud-ouest du Rio Grande do Sul (Brésil). Coupé à la révolution de 8 à 10 ans, il a un rendement intéressant sous l'angle des aliments et des pieux de clôture.

Prosopis alba Grisebach. Arbre à cime arrondie, de 5 à 15 mètres de haut; le tronc est parfois rectiligne, et atteint 1 mètre de diamètre. C'est une espèce de grande importance, native des zones arides (250 à 500 mm de pluviométrie annuelle) des plaines subtropicales de l'Argentine, de l'Uruguay, du Paraguay, du sud de la Bolivie, du nord du Chili et du Pérou. Il est parfois cultivé. Il est intéressant pour la constitution de brise-vent et de plantations le long des routes, ainsi que pour la production de fourrage et de bois d'oeuvre, et pour le reboisement des sols secs et salins.

Prosopis chilensis (Molina) Stuntz emend. Burkart 5. Arbre à cime arrondie natif du Pérou, de Bolivie, du centre et du nord du Chili et du nordouest de l'Argentine. On le rencontre jusqu'à 2 900 mètres d'altitude. Il est important pour le bois d'oeuvre, le bois de chauffage, le fourrage et l'alimentation humaine.

Prosopis nigra (Grisebach) Hieronymus. Arbre à cime arrondie de 4 à 10 mètres de haut. Précieux comme essence productrice de bois d'oeuvre dans le désert du Gran Chaco. Spontané dans le sud de la Bolivie, en Argentine, au Paraguay, et dans l'ouest de l'Uruguay. Très utilisé pour la fabrication de meubles et la tonnellerie; produit également du bois de chauffage, du fourrage et des aliments pour la consommation humaine.

Prosopis pallida (Humboldt & Bonpland ex Willdenow) H.B.K. Arbre de 8 à 20 mètres de haut (arbustif dans les sols pauvres), natif des zones les plus sèches du Pérou, de la Colombie et de l'Equateur, principalement le long de la côte. On le rencontre également à l'état naturalisé à Hawaï et à Porto Rico. Très utile en zones arides pour la production de bois d'oeuvre, de bois de chauffage et de fourrage.

Prosopis tamarugo F. Philippi, espèce dont nous traiterons plus en détail dans la présent étude.

Mimosaceae. Prosopis chilensis. a) rameau avec fleurs (x ⅔); b) fleur isolée (x); c) anthère et partie du filet (x); d) pistil (x). Pisano, E., No. 703. Original F. Sudzuki.

CHAPITRE 2 - La Pampa del Tamarugal au Chili, et le lancement d'un projet sylvo-pastoral

Le Grand Nord du Chili

Il constitue les Ière et IIème régions, s'étendant respectivement sur 58 072 et 125 306 km2. Il se caractérise par des paysages désertiques, de fortes oscillations thermiques journalières, d'abondantes ressources minières et des superficies agricoles limitées.

On distingue trois unités écologiques structurelles, la cordillère des Andes, la dépression centrale et la cordillère côtière, qui résultent de différents mouvements tectoniques et soulèvements intervenus à la fin du tertiaire supérieur. Au cours du quaternaire une intense activité volcanique donna naissance à trois sommets qui surmontent l'escarpement andin occidental dominant la meseta chilio-bolivienne. Dans ce paysage très aride on trouve peu d'écoulements exoréiques. De rares cours d'eau, au nord de Pisagua (19°S), parviennent jusqu'à la mer. En dépit de l'aridité actuelle, toute la région est traversée de profondes gorges alluviales sèches, et le résultat de l'action passée de l'eau est partout visible dans le modelé du paysage. On trouve dans ce secteur un réseau hydrographique mort, témoin des climats plus humides et plus pluvieux du début du quaternaire.

A l'heure actuelle les activités agricoles de cette vaste zone sont très peu importantes, et sont disséminées en fonction essentiellement de la disponibilité et de la qualité de l'eau. C'est pourquoi les cultures sont surtout circonscrites dans des vallées encaissées (“quebradas”) et des oasis.

Autre ressource, les pâturages naturels de l'Altiplano, à une altitude moyenne de 4 200 m. Le taux d'exploitation des ressources de l'Altiplano est très faible, se réduisant à un élevage très extensif principalement à base d'ovins et de camélidés américains (CORFO, 1970).

La Pampa del Tamarugal 6, qui doit son nom au Prosopis tamarugo qui y pousse, forme entre les latitudes 19°33' et 21°50'S un vaste plateau incliné d'est en ouest avec une pente de 1 à 2 pour cent, d'une altitude variant entre 300 et 1 200 m (Billinghurst, 1893). Un document historique important est la carte d'o'Brien, mentionnée par Bermúdez (1975). Elle mesure 0,96 × 1,29 m, et est datée du 14 août 1765, au village de Tarapacá. Elle couvre un espace compris approximativement entre 19°35' de latitude Sud et le village de Matilla à 20°32'S. Pour donner une image rapide et purement visuelle de la planimétrie, la carte présente un décor dessiné, non dépourvu de sens artistique, sur lequel se détachent très nettement les contours des versants des cordillères littorale et andine. Entre ceux-ci, orienté nord-sud, apparaît clairement la surface plane de la dépression centrale désertique.

La Pampa del Tamarugal a été qualifiée dans le dialecte indigène de “forêt broussailleuse” (Tarapacá), définition assez poétique mais qui aujourd'hui a un sens ironique. Ce territoire est caractérisé par un aspect désertique et salin. Les anciennes chroniques rapportent qu'il était couvert d'un boisement dense de tamarugos, qui furent en grande partie exploités à la fin du siècle dernier et au début du siècle actuel, pour alimenter les mines locales en combustible.

A l'heure actuelle le peuplement naturel le plus étendu se trouve à proximité de la Tirana (extrême nord de la saline de Pintados); il couvre une superficie d'une centaine d'hectares. La forêt naturelle de la Tirana avait certainement une extension originelle bien plus grande, car on a découvert, lors de fouilles récentes, des tronçons de bois semi-fossiles sur une vaste surface.

La communauté végétale actuelle est très homogène, et se compose d'un petit nombre d'espèces; on trouve une variété plus grande d'espèces là où la nappe souterraine est plus superficielle.

La nappe phréatique dans les secteurs en question est alimentée par l'écoulement souterrain d'eaux provenant des zones montagneuses, où il pleut en été. La plus grande partie de l'eau souterraine qui pénètre dans la Pampa del Tamarugal se perd naturellement, surtout par évaporation à la surface du sol et évapotranspiration par les plantes. Cette eau est de plus en plus salée lorsqu' on va du nord vers le sud, notamment dans les nappes superficielles; c'est ainsi que l'eau la plus propre à la consommation humaine et à l'agriculture contient encore de 500 à 1 000 ppm de solides dissous.

Le projet initial

Conséquences de son aridité, le nord du Chili se caractérise par de graves problèmes de chomâge, une concentration des capitaux dans l'exploitation minière, un faible développement industriel, une agriculture insignifiante et languissante, cantonnée dans des secteurs très réduits; l'ensemble de ces facteurs constitue un obstacle immense au développement social, économique et culturel de la population.

SITUATION DE LA PAMPA DEL TAMARUGAL


Destruction de la forêt naturelle de tamarugo aux environs de Canchones. Coupe à la hache d'un tamarugo de plus de 40 ans.

La Corporación de Fomento de la Producción (CORFO) a tenté, par l'intermédiaire de son Programme national de développement de l'élevage (1961–1970), d'aborder les problèmes de dévelopment du nord dans une optique distincte, que l'on pourrait appeler “économie de désert”, qui permettrait de tirer parti des caractéristiques naturelles particulières, difficilement modifiables, de la région. L'idée centrale était de transformer le désert en écosystème agro-sylvo-pastoral, hypothèse sans aucun doute séduisante en vue d'un développement socio-économique harmonieux.

Malgré le manque de preuves scientifiques à l'appui de cette hypothèse, la CORFO est parvenue à démontrer qu'il est possible de promouvoir des systèmes d'élevage ovin dans ce milieu désertique et inhospitalier.

Les expériences d'élevage réalisées conduisirent à la formation d'objectifs à l'initiative du Directeur du Programme national de développement de l'élevage au Chili 7, qui entreprit un programme axé sur l'exploitation de cette ressource permanente et stable. En 1964, après une série d'études et de recherches préliminaires, commença l'expérimentation zootechnique (Kretschmer, 1964).

Un écosystème aussi particulier que celui de la Pampa del Tamarugal exigeait de la prudence dans la formulation du projet.

Les écosystèmes désertiques présentent des particularités bien distinctes. En ce qui concerne leurs possibilités en tant que ressource pastorale, bien souvent ils échappent à la notion classique de pâturage. Ainsi, certains spécialistes définissent le pâturage comme un écosystème dont la ressource principale est le tissu végétal utilisable directement par les animaux domestiques. Cette définition est de caractère très général là où le seul facteur limitant de la phytocénose est l'aptitude à produire du tissu végétal sous une forme qui se prête à la consommation par les herbivores. Si l'on accepte cette définition, les forêts aussi bien que les maquis utilisés par le gibier et par le bétail domestique peuvent être classés comme pâturages. (Contreras et al., 1978).

C'est pourquoi l'écosystème du tamarugo, reconstitué par l'homme dans la Pampa del Tamarugal, sera considéré dans la présente étude comme un pâturage dont la production principale est formée par les feuilles et les fruits qui, une fois tombés au sol, sont consommés par le bétail.

Jusqu'à 1966 les travaux et les recherches portèrent exclusivement sur la production animale, notamment sur la possibilité d'adapter diverses races ovines et caprines à la base alimentaire fournie par l'unique ressource de la région, sans que s'en ressentent leurs taux normaux de production et de fertilité. 8

En 1967 débutèrent les études forestières visant à définir de meilleurs systèmes de plantation et de multiplication des arbres à partir de semences. D'autres questions fondamentales de physiologie végétale furent abordées pour déterminer l'absorption d'humidité atmosphérique par le système foliaire.

Les conclusions préliminaires du travail réalisé en 5 ans peuvent se résumer comme suit:

  1. Le tamarugo, espèce indigène dans la Ière région, est facile à propager si l'on emploie des techniques appropriées (CORFO, 1970; Lanino, 1972).

  2. Les sols les plus aptes au reboisement, et où la plantation est la moins coûteuse, sont ceux dans lesquels la nappe phréatique se trouve entre 2 et 10 mètres de profondeur, ce qui permet d'avoir une courte période d'irrigation initiale.

  3. Le tamarugo pousse dans des sols qui présentent en surface une épaisse croûte saline de 0,10 à 0,60 m. Il s'adapte et vient aussi dans des sols sans croûte saline, aussi bien sableux qu'argileux. C'est d'une manière générale une espèce qui tolère des taux de salinité élevés une fois commencée la phase de fixation du système radiculaire.

  4. Les salines et les sols boisés évaporent moins d'eau que les sols non boisés. D'après les mesures relevées, l'évaporation annuelle serait de 309 m3/ha à l'intérieur du boisement, et de l 590 m3/ha à l'extérieur.

  5. Le tamarugo a une physiologie très particulière. En cas de forte humidité atmosphérique (supérieure à 80%) il absorbe l'eau par son système foliaire, la transporte vers le système radiculaire, et la dépose dans la microrhizosphère, d'où elle est réabsorbée sous forme liquide (Sudzuki, 1969). Cette caractéristique explique pourquoi le tamarugo prospère dans des zones où la nappe phréatique se trouve à une profondeur de 40 mètres ou plus, sans contact avec ses racines.

  6. Le tamarugo est un arbre qui produit en abondance un fourrage très apprécié par le petit bétail, ovins et caprins, aussi bien que par le gros bétail, notamment bovins et équidés.

  7. Le fourrage se présente sous trois formes: les fruits (gousses), les feuilles que les animaux peuvent brouter directement sur les branches accessibles, et le foin qui s'accumule sur le sol sous la projection de la cime (tableaux l à3).

  8. En ce qui concerne la valeur nutritive, le tamarugo est un bon aliment, contenant environ 5% de matières azotées totales digestibles et un total d'éléments nutritifs digestibles atteignant 55%. Les hydrates de carbone et la cellulose sont en proportions convenables, et la teneur en lipides est suffisante pour que les ovins et les caprins ne souffrent pas de carences.

  9. La charge de bétail que peut supporter un hectare de tamarugo en pleine production, c'est-à-dire à l'âge de 15 ans, est normalement supérieure à celle d'une prairie naturelle. Le tableau 4 indique la charge théorique d'une plantation de tamarugo selon l'âge.

  10. Les espèces et races animales qui se sont le mieux adaptées à l'écosystème de la Pampa del Tamarugal sont les caprins de race Angora et les ovins de races Karakul, Suffolk Down et Mérinos australien.

    Le tableau 5 montre les rendements obtenus dans les études comparatives.


Abreuvoirs et moutone récemment tondus dans un boisement de tamarugos aménagé pour le pâturage.

TABLEAU 1: Analyse de 4 échantillons de fruits de tamarugo, selon Lanino (1966)

Eléments ou variablesE c h a n t i l l o n
1234
 %
Matière sèche91,593,096,798,4
Matières azotées totales11,913,311,513,3
Cellulose brute28,831,732,534,2
Extrait éthéré  1,6  2,3  1,7  1,4
Cendres  6,1  5,4  4,4  6,4
ENA*51,447,349,944,8

* Extractif non azoté.

TABLEAU 2: Teneur en éléments digestibles de 3 échantillons de fruits de tamarugo, selon Latrille et García (1968) et Lanino (1966)

     Eléments digestiblesE c h a n t i l l o n
123
 %
Protéine  4,92  7,65  6,32
Cellulose brute12,0612,4716,26
Extrait éthéré  1,20  1,46  0,84
Extractif non azoté24,7022,5336,89
Total aliments digestibles44,3845,9561,38

TABLEAU 3: Rendement annuel théorique de fruits et feuilles de tamarugo selon l'âge et la surface de sol couverte (par arbre et par hectare)

Age
(ans)
Surface couverte
(m2)
Rendement en fruits et feuilles par arbre
(kg)
Rendement en fruits et feuilles* par hectare
(kg)
  5  12-  -
10  33  79,20  4 356
15  50120,00  6 600
20  67160,80  8 844
25  84201,6011 088
30100240,0013 200
35113271,2014 916
40125300,0016 500

* Sur la base de 55 arbres/ha.

TABLEAU 4: Charge théorique d'une plantation de tamarugo selon l'âge (en brebis à l'hectare)

Age du tamarugo
(ans)
Brebis de reproduction à l'ha
1–6pas de pâturage
   7  0,5
  8  1,0
  9  1,5
10  3,0
11  4,0
12  5,0
13  6,0
14  8,0
1510,0
1610,0

TABLEAU 5: Rendements comparés de trois races ovines et d'une race caprine, en laine, en poids de l'agneau ou du chevreau à 120–130 jours, et en nombre de têtes au marquage, observés dans une forêt de tamarugo (Refresco)

Espèce et raceRendement en laine*
(kg)
Nombre de têtes au marquageRendement en viande-poids à 120–130 jours
(kg)
Mérinos australien4,06018
Suffolk Down2,59032
Karakul1,87529
Chèvre angora  3,5*120  18

* Correspond à la toison et à deux tontes.

1 Tropical Legumes: Resources for the Future. National Academy of Sciences, Washington D.C., 1979.

2 Muñoz Pizarro, Carlos. Sinopsis de la Flora Chilena.

3 Burkart, A. Las leguminosas Argentinas, silvestres y cultivadas. 2ème éd. Acme. Agency, Soc. de Resp. Ltda., Buenos Aires, 1972.

4 Voir planche page 5. (Sinopsis de la Flora Chilena, C.Muñoz Pizarro).

5 Voir planche page 10.

6 Le climat, la géomorphologie, les sols et l'hydrologie sont décrits plus en détail dans la quatrième partie.

7 M.A. Habit.

8 Au cours de cette période initiale, il convient de souligner tout particulièrement la participation enthousiaste et active de Francisco Araya, ingénieur agronome de la CORFO, qui dirigea les opérations sur le terrain.


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