La pisciculture utilisant les espèces de Tilapia a été introduite au Rwanda, au Burundi et dans les zones voisines du Zaïre vers la fin des années quarante et au commencement des années cinquante, par l'administration coloniale belge. Ce programme comprenait la construction de petits ensembles d'étangs bien faits et qui avaient pour but de faciliter le développement des étangs de paysans et de produire du poisson à vendre pour la consommation locale. Un centre de pisciculture fut établi à Kigembe près de Butare (ancien Astrida) et un important ensemble d'étangs créé dans une grande école, le Groupe scolaire de Butare. D'autres étangs, pour la plupart grands et bien construits ont été aménagés dans d'autres endroits du pays.
L'établissement de ces étangs a été le résultat d'un programme d'animation énergique. A la cessation de ce programme, il y a environ dix ans, la plupart de ces étangs ont été abandonnés. En 1966 on a estimé que des 448 étangs (84 ha environ de superficie totale) construits, aucun n'était en production (Meschkat; in Proceedings of the World Symposium on Warm Water Fish Culture. FAO, Rome 1967).
Les paysans étaient invités à construire leurs étangs sans que des efforts suffisants aient été faits pour motiver et convaincre ceux qui devaient les exploiter.
Le type d'étang donné comme exemple était en général trop grand, trop compliqué par l'utilisation de briques et de béton pour les moines et déversoirs, etc. Ces méthodes et ces matériaux étaient, et sont encore complètement sans commune mesure avec les ressources des fermiers locaux.
Il est possible qu'il y ait eu une confusion au sujet de l'objectif du programme de pisciculture; voulait-on une production de poissons à vendre provenant de grands étangs bien équipés, ou développer de petits étangs familiaux, pour la production de poissons destinés à être consommés sur place (cette dernière idée est plus compatible avec l'agriculture de subsistance traditionnelle du pays).
L'introduction de ces techniques agricoles a été faite à une époque où la consommation du poisson était soit complètement inconnue, soit définitivement tabou.
Au cours des dix dernières années les changements suivants ont eu lieu:
Le poisson est maintenant accepté; il est devenu une nourriture appréciée.
La demande d'une population en train de s'accroître et l'établissement des centres d'enseignement agricole provoquent des changements dans les techniques agricoles traditionnelles.
Le Centre de pisciculture à Kigembe, jadis abandonné, a été remis en ordre pendant la première phase de ce projet et il est actuellement une source d'alevins et les paysans intéressés à la pisciculture peuvent y recevoir des conseils.
Ces changements ont pour conséquence une demande d'étangs provenant des paysans eux-mêmes dans quelques endroits du pays.
L'annexe 2 donne une liste des ressources de la pisciculture du Rwanda et un commentaire sur sa situation actuelle. Trois sources majeures sont à disposition pour la propagation de conseils sur la pisciculture et d'alevins pour le peuplement des étangs:
Le Centre d'adaptation piscicole (CAP) de Kigembe.
Quelques projets pilotes et de formation soutenus par une aide internationale et des organismes religieux.
Un nombre croissant de petits étangs des paysans qui, couronnés de succès, exercent une influence positive sur leurs voisins immédiats.
Le Rwanda a un problème démographique de proportions accablantes (densité d'environ 140 habitants au kilomètre carré, taux d'accroissement 3,4 pour cent, plus de 50 pour cent de la population a moins de 15 ans: chiffres de 1967). La production d'aliments au moyen de la pêche en eau naturelle a un plafond qui est probablement presque atteint. Le développement des étangs appartenant à des communautés ou à des familles devrait permettre en partie de suivre l'accroissement de la demande. Le développement de la pisciculture fournira un apport significatif en aliments protéiques aux populations, pour autant que le sol et l'eau soient disponibles ce qui n'est pas toujours le cas. Des étangs peuvent être aménagés là où habitent les populations et les prises consommées localement et immédiatement. Ce facteur revêt une importance particulière dans un pays où la population est dense mais dispersée et le réseau de communication très insuffisant. Une vulgarisation orientée sur le comportement et les besoins des paysans (cf. annexe 2) devrait permettre à la pisciculture de couvrir ses frais.
Il vaut la peine de se demander pourquoi la pisciculture, qui s'éloigne des pratiques agricoles existantes, doit être développée au lieu d'améliorer les techniques agricoles déjà connues. Les étangs sont une des façons les plus simples de produire des protéines nobles sur une superficie donnée, avec une dépense minimale d'argent, de temps et d'effort agricole, après la construction de l'étang. La production de Tilapias au Rwanda variera entre 500 kg/ha/an et 4 000 kg/ha/an, en utilisant des techniques moyennes à bonnes. Les travaux de construction peuvent être faits dans la période calme du cycle annuel agricole, ce qui évitera de distraire des autres cultures de base la main-d'oeuvre nécessaire pour l'élevage. Les déchets domestiques, les déchets d'autres activités agricoles, et des herbes fourragères cultivées comme Trypsacum et le Penisetum qui demandent peu de soin, peuvent être fournis aux étangs quand ils sont disponibles aux périodes convenant aux paysans. La mise en charge, la récolte et les petits travaux d'entretien nécessaires peuvent être exécutés dans les périodes où la demande en main-d'oeuvre est minimale.
La pisciculture peut donc être introduite dans le système agricole traditionnel comme une production additionnelle, et non comme une production se substituant à d'autres cultures de base. Il est essentiel de noter que pour les paysans l'introduction de la pisciculture implique de nouveaux concepts et n'exige pas de nouvelles techniques ni de matériaux chers ou n'existant pas sur place.
3.6.1 Dépenses d'équipement
Le coût de la construction d'un étang de 5 a est d'environ 200 hommes/jours de main-d'oeuvre (soit 7 000 FRw au taux de 35 FRw homme/jour. Ce chiffre est variable selon le terrain, le défrichement nécessaire, la longueur des canaux d'adduction, etc. A noter que les paysans ou les groupes de paysans peuvent travailler à la construction de l'étang quand les travaux des autres activités agricoles sont minimes. Aucune autre dépense n'est à envisager car tous les matériaux devraient être disponibles facilement sur place.
3.6.2 Coûts de production
Le coefficient alimentaire obtenu avec des déchets de minoterie, du rébullet de blé, du son de blé et du son de riz est supérieur à 10:1, c'est-à-dire que 10 kg d'aliments ont produit plus de 1 kg de poisson.
Le coût des aliments cultivés sur place ou transportés par camion sur un trajet de 400 km est estimé à 2 FRw par kilogramme.
Le prix du poisson vendu au détail au marché est de 35 à 50 FRw/kg. Le rendement estimé avec une alimentation intensive est de 15 à 30 FRw/kg, soit de 3 000 FRw à 6 000 FRw/ha/an. La main-d'oeuvre pour l'alimentation et l'entretien des étangs n'est pas comprise dans cette évaluation car les besoins sont petits.
Un plan détaillé pour le développement de la pisciculture au Rwanda est présenté en annexe 3.
L'adoption de la pisciculture constitue un moyen d'accroître les quantités d'aliments protéiques dont a besoin la population paysanne. Les commentaires qui précèdent prouvent qu'une utilisation accrue de cette ressource n'exigera que des investissements relativement faibles en argent ou en main-d'oeuvre, et une meilleure utilisation des installations et du personnel dont on dispose. Ce plan propose qu'au début, chaque région du pays (Préfecture) soit dotée d'un petit centre de démonstration placé sous le contrôle direct du Ministère. Chaque centre consistera en un certain nombre d'étangs de taille différente, construits, peuplés et récoltés de manière à ce que les paysans puissent copier les méthodes observées en utilisant leurs propres outils et les matériaux locaux auxquels ils sont habitués.
Le premier but de chaque centre sera d'établir un programme de production dans des étangs bien entretenus, suivi de bonnes récoltes de poisson et d'utiliser ces résultats comme atout majeur d'une campagne de propagande. Un but secondaire sera d'être un centre de vulgarisation et de posséder un stock d'alevins pour fournir les étangs nouvellement construits. Il faut noter que la vente des poissons consommables par ces centres contribuera à leur financement et que cette rentabilité sera un argument de propagande très efficace.
Lorsque de bonnes installations existent déjà, il est fréquent que les autorités marquent peu d'intérêt à les rendre productives. Dans ce cas, la gestion des étangs devra être confiée aux assistants agronomes qui répondent directement de la Division des eaux du Ministère de l'agriculture.
Tout doit être fait pour trouver des aliments pour les poissons existant déjà dans le pays, mais inutilisés. Ils devront être transportés aux étangs déjà en production. Le coefficient alimentaire de 10:1 (cf. section 3.6.2) garantit que les frais de transport seront couverts et un rendement assuré.
Au CAP de Kigembe, la manutention des petits poissons destinés au peuplement des étangs doit être faite avec plus de soin. Il ne faut pas faire passer ces poissons par le moine et les laisser tomber dans les paniers de pêche ou de fil de fer. Il faut les pêcher avec des filets (épuisettes ou sennes) dans l'eau peu profonde qui reste au fond de l'étang. Le transfert de ces poissons doit être fait le plus vite possible avec un minimum de manutention et de triage.
Au CAP de Kigembe des réparations simples des grilles éviteront une perte de poissons au moment de la vidange.
Si les alevins sont en bonne condition, leur transport ne présente aucun problème. Il faut pour cela les laisser quelques jours dans un petit vivier après les avoir tirés de l'étang de production. Il faut ensuite les sortir avec un filet de ces petits étangs, juste avant le transport. Les poissons peuvent être transportés à raison de 1 ou 2 par litre d'eau (lorsque leur taille est de 5 à 10 cm de long). Pendant le transport l'agitation du récipient suffira pour assurer l'oxygénation si celui-ci est seulement fermé avec un sac. L'évaporation du sac mouillé aide à garder la fraîcheur de l'eau pendant la chaleur du jour.
Tout effort devra être fait pour convaincre les paysans de la nécessité de nourrir le poisson et de maintenir l'écoulement et le renouvellement de l'eau dans les étangs au minimum.
Il est essentiel de fournir des moyens de transport pour l'équipement, la nourriture des poissons, les alevins et le personnel de vulgarisation.
Avec l'aide de M. Spiridion Nsengiyumva et Mlle Suzanne Chiasson, la Directrice du Centre nutritionnel de Ruhengeri, un petit manuel explicatif sur la pisciculture a été publié en Kinyarwanda sous le titre de “Ibyuzi Bororeramo Amafi”. Ce petit livre est disponible au Centre; il est offert gratuitement aux fermiers et aux organismes ou Départements gouvernementaux intéressés.