Dans cette section nous tenterons d'évaluer la rentabilité de la pisciculture rurale. Comme elle n'existe qu'à petite échelle et que l'on ne dispose pas de données récentes, cette analyse sera basée sur des projections fondées sur des prix réels et la mise en oeuvre de techniques d'élevage adaptées aux conditions gabonaises.
Les résultats de cette analyse permettront d'établir l'utilité d'un programme de relance de la pisciculture et pourront fournir des indications sur la forme d'une éventuelle politique économique qui intéresserait des pisciculteurs potentiels.
Pour orienter l'étude de la pisciculture rurale vers des conclusions utiles pour la formulation d'une politique de développement piscicole, nous avons choisi d'attirer l'attention sur les divers schémas de l'exploitation, et également sur les étangs abandonnés et sur la pisciculture rurale familiale.
L'analyse presentée au tableau 3 fait une distinction entre les pisciculteurs qui sont propriétaires de leurs installations (ou qui en ont l'usufruit) et ceux qui ne travaillent pas eux-mêmes mais utilisent des ouvriers. D'un point de vue économique, la différence principale entre ces deux catégories de propriétaires ou entrepreneurs piscicoles est que celui qui travaille dans ses étangs fera moins de dépenses pour de la main-d'oeuvre, que le fera le propriétaire/employeur. Cela a, comme conséquence principale, que la pisciculture familiale a un besoin réduit de capitaux (ou son équivalent) comparé à un pisciculteur/employeur. Ce dernier, dans la plupart des cas, doit déjà payer des salaires avant même d'avoir des premières récoltes. Il est donc probable que la pisciculture familiale subira moins les aléas des fluctuations des prix du marché.
Pisciculture Rurale, Région de Woleu-N'Tem, 1980 Projections Economiques Annuelles1 (CFA.F.)
Récupération d'un étang de 2 ares | Construction d'un nouvel étang | |||||
Poissons/porcs | Poissons/canards | Avec engrais | Elevage traditionnel | Familiale poissons/porcs (20 ares) | Familiale poissons/porcs (40 ares) | |
Investissements | ||||||
Récupération d'étang | 4 0002 | 4 0002 | 4 0002 | 4 0002 | ||
Construction d'étang | 600 000 | 1 200 000 | ||||
Porcherie | 12 000 | 120 000 | 240 000 | |||
Case/hangar | 50 000 | 500 000 | ||||
Abri pour canards | 12 0002 | |||||
Alevinage | 3 600 | 3 600 | 3 600 | 3 600 | 36 000 | 72 000 |
Divers | 10 000 | 10 000 | 5 000 | 2 000 | 50 000 | 200 000 |
Total investissements | 29 600 | 29 600 | 12 600 | 9 600 | 856 000 | 2 212 000 |
Coût d'exploitation | ||||||
Dolomie | 2 352 | |||||
Fumure minérale | 2 352 | |||||
Nourriture, porc | 11 680 | 116 800 | 233 600 | |||
Nourriture, canards | 8 760 | |||||
Achat canetons | 32 000 | |||||
Achat porcs | 40 000 | 400 000 | 800 000 | |||
Main d'oeuvre | 18 2502 | 18 2502 | 73 0002 | 900 000 | ||
Divers | 5 000 | 5 000 | 4 000 | 2 000 | 50 000 | 100 000 |
Total coût d'exploitation | 74 930 | 64 010 | 8 584 | 2 000 | 639 800 | 2 033 600 |
Ventes | ||||||
Poisson | 91 300 | 57 600 | 33 6002 | 8 4002 | 913 000 | 1 826 000 |
Porcs | 144 000 | 1 440 000 | 2 880 000 | |||
Canards | 72 000 | |||||
Total ventes | 253 300 | 129 600 | 33 6002 | 8 4002 | 2 353 000 | 4 706 000 |
Bénéfices bruts | 160 370 | 65 590 | 25 016 | 6 400 | 1 713 200 | 2 672 400 |
Intérêts et dépréciation | 4 144 | 4 144 | 1 764 | 1 344 | 119 840 | 309 680 |
Bénéfices nets | 156 226 | 61 446 | 23 252 | 5 056 | 1 593 360 | 2 397 720 |
Production cumulée chair (kg) | 370 | 144 | 56 | 14 | 3 700 | 7 400 |
Prix de revient (CFA.F./kg) | 214 | 473 | 185 | 239 | 201 | 317 |
Besoins en capitaux | 90 000 | 75 000 | 20 000 | 10 000 | 1 250 000 | 3 100 000 |
1 Les données de base pour ces calculs se trouvent en annexe 11
2 Valeur imputée; pas une dépense ou recette monétaire
Pour le pisciculteur, la construction d'un étang représente très souvent un grand effort et qui n'est pas seulement financier. Une fois construit, l'étang ne peut être utilisé que pour la pisciculture et les ressources utilisées dans la construction ne sont pas récupérables. Le pisciculteur doit donc être persuadé de la rentabilité de la pisciculture avant de se lancer dans cette spéculation.
Il en résulte que le but principal d'un programme de relance ou de l'introduction, de la pisciculture rurale doit être de fournir les preuves de la rentabilité (à travers des démonstrations) et de diminuer le plus possible le coût de l'investissement initial dans les étangs. Dans cette optique, il faut prêter une attention particulière à la possibilité de récuperer des étangs abandonnés.
Pour formuler un programme de vulgarisation de la pisciculture rurale il faut identifier les systèmes d'élevage appropriés. Pour l'analyse qui suit, nous avons retenu les quatres possibilités suivantes:1
élevage traditionnel: rendement 0.9 tonnes/ha/an
èlevage avec engrais: rendement 3.0 tonnes/ha/an
élevage associé poissons-porcs:
rendement - porcs: 10 tonnes (poids vif)/ha/an
- poissons: 8.5 tonnes/ha/an
élevage associé poissons-canards:
rendement - canards: 2.4 tonnes/ha/an
- poissons: 5.0 tonnes/ha/an
Les données détaillées concernant ces systèmes d'élevage se trouvent en annexe 2 (Station de la Peyrie).
Le tableau 3 présente les projections des données économiques retenues pour les diverses possibilités de pisciculture en milieu rural en Woleu-N'Tem. Les données de base concernant les chiffres retenus au tableau 3 sont présentées en annexe 11.
Le tableau 3 présente à l'entrepreneur des alternatives claires sur la rentabilité des divers systèmes de culture. Néanmoins avant de discuter les données du tableau, nous allons commenter quelques faits qui ne ressortent pas du tableau 3, mais lesquels influencent le choix des types d'élevage.
Les élevages se basant seulement sur des engrais demandent si peu d'efforts et de temps que chaque ménage peut les faire. En effet, on peut prévoir qu'une telle activité connaîtra un certain essor, surtout dans la région de Woleu-N'Tem, là ou il y a des étangs abandonnés. Généralement il ne faut pas beaucoup de travail (en homme-jours) pour remettre en production un étang de 1 ou 2 ares.
Les élevages associés ne seront faisables que par les ménages qui peuvent être certains de disposer du temps nécessaire pour les travaux forcément journaliers que cet élevage nécessite. Les élevages de poissons-porcs seront plus faciles au bord des routes carrossables; les élevages associés canards-poissons seront probablement plus nombreux en milieu isolé, que près d'une route.
Le cas de l'élevage associé de poissons-porcs sur 20 ares, suppose un ménage propriétaire-pisciculteur vivant sur place et travaillant à mi-temps dans cette exploitation.
Le tableau 3 présente aussi le cas hypothétique d'un élevage associé poissons-porcs, sur une superficie de 40 ares, propriété d'un homme qui ne s'occupe pas lui-même de l'élevage. La taille de 40 ares est choisie comme la taille optimum pour une activité d'un ménage, vivant sur place, et s'occupant à temps plein de l'élevage.
Avant d'étudier les données du tableau 3, qui concernent la région du Woleu-N'Tem, il faut bien se rendre compte que les chiffres ne sont pas forcément représentatifs pour d'autres régions du Gabon, à cause des prix utilisés.
Les chiffres avancés pour le coût de la drêche de brasserie sont très bas, et donc seulement valables à proximité d'une brasserie et aussi longtemps qu'il n'y a pas autres preneurs pour la drêche.
Aussi les prix de ventes ex-fermes méritent attention, et cela pour deux raisons. Premièrement les quantités de poissons consommées en Gabon sont petites. Par exemple, de la mise sur le marché de 10 tonnes de poissons (provenant d'une pisciculture) pendant une année dans une agglomération urbaine de 2 000 personnes (Lébamba, par example), résulterait probablement une augmentation de l'offre de l'ordre de 100 pour cent. C'est évident que le prix de marché, pendant la plus grande partie de l'année, sera plus bas si on offre 20 tonnes plutôt que 10. Il est donc important de prendre en considération ce fait au moment d'arrêter le prix qui sera utilisé dans des bilans économiques concernant la pisciculture rurale dans les années à venir.
Deuxièmement, bien que la présence, à travers le pays, de sardines en boîtes, à un prix plus ou moins uniforme, exerce une influence stabilisatrice sur les prix du poisson en général, les transports routiers difficiles - et par conséquence coûteux, font que les prix du poisson frais ou congelé ne sont pas uniformes dans le pays. Donc le prix ex-étang d'une certaine espèce (et taille) ne va pas forcément être le même dans le village ‘A’ qu'au village ‘B’.
En regardant le prix de revient/kg de chair cumulé il est évident que:
l'action prioritaire devrait être de récupérer les étangs abandonnés;
il faut encourager la pisciculture rurale pour laquelle le propriétaire et le pisciculteur est la même personne;
il faut encourager les pisciculteurs situés au bord d'une route d'entreprendre l'élevage associé ‘poissons-porcs’;
en milieu isolé (c'est-à-dire plus d'un demi kilomètre d'une route carrossable) l'alternative pour un pisciculteur qui veut augmenter sa production, mais ne peut pas agrandir ses étangs, ou en construire d'autres, c'est de faire la culture associée ‘canards-poissons’ (ou ‘poulets-poissons’);
dans le cas des cultures associées ‘porcs-poissons’ moins grandes que quelques hectares, il n'y a pas de diminution des coûts de production à mesure qu'augmente l'activité. Au contraire il y aurait à ce niveau de production un effet en sens contraire.
D'une étude des bénéfices nets on peut conclure:
que, la pisciculture traditionnelle à part, les bénéfices à obtenir sont d'une grandeur telle qu'une fois demontrés (peut être à travers un étang pilote par village), l'activité piscicole doit vite s'implanter dans la région;
que la pisciculture rurale peut devenir un des principaux éléments d'une économie rurale capable de retenir la populations dans le milieu rural et ainsi aider à arrêter l'exode vers les villes.
La relation entre ‘intérêts et amortissements’ et le ‘coût d'exploitation’ démontre que:
le coût fixe n'étant que d'environ 5 à 15 pour cent du prix de revient, il faut faire des investissements de bonne qualité. Un travail bien fait en ce qui concerne la construction des étangs ou porcheries, n'augmentera que de très peu le prix de revient par kg, mais peut signifier des épargnes considérables, surtout en salaires, en évitant des réparations, que des infrastructures d'une qualité inférieure peuvent entraîner.
La dernière ligne du tableau démontre à titre indicatif, le montant de crédit dont le pisciculteur potentiel doit pouvoir disposer avant de se lancer dans l'affaire. Une comparaison avec le bénéfice net démontre que le pisciculteur sera très vite en mesure de rembourser un crédit bancaire. En aucun cas, il est nécessaire d'octroyer un prêt pour plus de trois années. En effet, les besoins de capital sont si bas pour la seule récupération des étangs, qu'il sera certainement possible pour les paysans de le faire comptant sur ses moyens financiers disponibles. C'est plutôt pour le démarrage de l'élevage associé ‘poissons-porcs’ qu'il faut envisager des crédits.
Les responsables du Service des Eaux et Forêts se demandent qu'elle est la place que devrait occuper la pisciculture dans l'économie du pays. L'on peut répondre à cette question en considérant plusieurs critères. Il nous semble que dans le contexte gabonais, les critères les plus appropriés sont les suivants:
prix de revient (CFA.F./kg de poisson);
productivité (kg de poissons/home année de travail);
possibilité de convertir des ruraux, illettrés, en entrepreneurs (ou à les occuper dans une activité stable);
source des facteurs de production (disponibles, ou non, dans le milieu rural).
Dans le rôle que devrait jouer la pisciculture au Gabon, il faut prendre en considération les alternatives:
production d'autres aliments, similaires aux poissons, et
les emplois autres que pourraient occuper les ruraux.
Les alternatives les plus probables pour remplacer la pisciculture comme source de protéines animales sont la pêche (maritime et continentale) et la production animale (particulièrement la production bovine).
La mission a eu accès à des études récentes sur la pêche maritime gabonaise, et à des études de factibilité concernant des projets d'élevages bovins dans les régions des savanes du sud et du sud-est du Gabon. De ces études l'on peut extraire des chiffres relatifs à l'économie des projets bovins et relatifs à la pêche maritime. Ils sont présentés au tableau 4, ainsi que des chiffres analogues établis (dans le tableau 3), pour la pisciculture rurale.
Il est évident du tableau 4 que, du point de vue de l'utilisation des ressources du Gabon, la pisciculture et la pêche sont plus économiques que la production bovine. Le coût de production de la pisciculture rurale familiale, sans main-d'oeuvre salariée, est seulement la moitié du prix de revient de la production de l'élevage bovin.
Pourquoi la pisciculture est-elle si bon marché? En partie cela s'explique par le fait que l'eau et le terrain - les deux ressources essentielles pour une pisciculture extensivesont ‘gratuits’ au Gabon. C'est le résultat d'un climat humide (1 700 mm d'eau par an en la Province de Woleu-N'Tem) et d'une sous population. Il y a aussi le fait que la nourriture pour les porcs (utilisée en élevages associés) est pratiquement gratuite dans certaines zones.
La pisciculture rurale a des caractéristiques très favorables en comparaison avec la pêche maritime:
La pisciculture ne nécessite que très peu de produits ou services qui ne se trouvent pas normalement dans le village, ou qui ne peuvent y être stockés facilement. La pêche maritime requiert des services modernes (transport réfrigéré, électricité) des biens importés ou élaborés (bâteaux, engins de pêches, gas-oil). La pisciculture rurale est plus autonome que la pêche maritime en ce qui concerne les facteurs de production.
Le poisson de la pisciculture est produit sur les lieux de sa consommation, ce qui évite toute forme de stockage en conditions artificielles (froid).
L'élevage bovin a le désavantage de nécessiter, en comparaison avec la pisciculture, une longue période de préparation. Pour les deux projets Nyanga et Lékabi on prévoit une période de 10 années avant d'arriver à l'année de croissière, et de 5 à 6 années avant que soit produit un kg de viande. Par contre, un petit pisciculteur est presque certain de produire les premiers poissons au plus tard six mois après la construction de l'étang.
Des Indicateurs de l'Economie de la Pisciculture au Gabon
Production par homme et année kg chair | Prix de revient pour kg de poids vif1 | Part de prix de revient donné par salaires (%) (ou coût de main-d'oeuvre imputé) | ||
Projets Bovin2 | ||||
- Lekabi (1978) | 4 760 | 634 | 20 | |
- Nyanga (1978) | 504 | |||
Pêche Maritime3 | ||||
- Chalutier (1978) | 40 000 | 224 | 27 | |
- Ligneur (1978) | 11 500 | 3164 | 35 | |
- Artisanale (1978) | 2 000 | 100 – 1805 | 80 | |
Pisciculture6 (1980) | ||||
- Traditionnelle, | 2 ares | (350)7 | 239 | 08 |
- Avec engrais, | 2 ares | (1 400) | 185 | 08 |
- Poissons-porcs, | 2 ares | (2 100) | 214 | 23 |
- Poissons-canards, | 2 ares | (1 100) | 473 | 27 |
- Poissons-porcs, | 20 ares | 5 300 | 201 | 10 |
- Poissons-porcs, | 40 ares | 5 300 | 312 | 38 |
1 Tous les prix de revient comprennent une charge de 10% d'intérêts sur l'investissement; pour le projet bovin, il n'y a pas d'amortissements
2 Données basées sur les études Van Lanker, 1978
3 SCET International, 1979
4 Ce chiffre paraît excessivement élevé
5 C'est une activité à temps plein. Donc il faut valoriser le temps travaillé. Avec le salaire ‘SMIG’ le prix de revient est CFA.F. 180
6 Tableau 3
7 Les chiffres entre parenthèses indiquent les quantités qui auraient été produites si l'activité avait été à temps plein
8 Quelques hommes-jours par an seulement