Résume

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A partir des années 80, les obligations de pays en développement au titre de leur dette extérieure, ont constitué l'un des principaux freins à leur essor économique.

La protection des ressources naturelles et leur utilisation durable ont ainsi ressenti elles aussi les effets néfastes du mode de développement et de la crise économique qui a frappé principalement les pays latinoaméricains au cours de la décennie passée, appelée du reste avec un certain réalisme la "décennie perdue". La nécessité urgente de mettre un frein à la dégradation de l'environnement et de remédier à la carence de fonds, a donc contraint divers organismes publics non gouvernementaux opérant dans le domaine de la protection des ressources naturelles, à rechercher des ressources extérieures par le truchement de mécanismes innovateurs.

C'est dans ce contexte qu'est venue en 1986, initialement dans certains pays d'Amérique latine, l'idée de recourir au mécanisme de "l'échange dette/nature" (Debt-for-Nature Swap); le trouvant intéressant, diverses organisations américaines et européennes de défense des l'environnement, ainsi que les gouvernements de certains pays industrialisés, l'ont appuyé.

Les origines de cette crise de la dette remontent aux années 70, lorsque les pays en développement commencent à financer la réalisation de certaines infrastructures et à couvrir le déficit de leur balance des paiements avec les crédits accordés principalement par les organismes multilatéraux de développement. Les emprunts sont alors amortissables à long terme (20 à 40 ans) et caractérisés par des taux d'intérêt fixes et peu élevés, de l'ordre généralement de 2 à 3 pour cent par an. La dette contractée et son service sont supportables, compte tenu des conditions de financement et de la situation économique relativement favorable des pays en développement.

Au début des années 70, les banques privées commencent elles aussi à considérer les Etats souverains comme des clients potentiels pour leurs opérations de crédit. Les besoins financiers sont tels, sur le plan du nombre et de l'importance des transactions, que le marché des capitaux commence à se perfectionner tandis que les banques s'associent pour accorder des prêts aux pays du tiers monde, à des taux d'intérêt variables. Ce mécanisme met les banques à l'abri de tout risque de variation du coût de l'argent dans le temps. Lorsque l'OPEP relève de façon radicale le prix international du pétrole, le flux de capitaux vers les pays pétroliers augmente considérablement, mettant à la disposition des banques privées internationales une partie de ces gains substantiels. Et, de leur côté, les pays en développement non producteurs de pétrole s'engagent dans un processus d'endettement galopant. La disponibilité financière des banques privées, d'une part, et les besoins financiers des pays en développement, d'autre part, ont ainsi formé les deux éléments de l'équation parfaite qui allait provoquer ladite crise de la dette extérieure qui, on le verra ensuite, sera aggravée par d'autres facteurs.

Si, dans les années 70, les délais d'amortissement sont en général longs et les taux d'intérêt relativement faibles, ils n'en sont pas moins directement liés aux variations du taux préférentiel de l'escompte du système bancaire américain (le "prime rate") ou du taux de marché des Eurodevises. D'autre part, les pays qui contractent les dettes, fort satisfaits du cours de leurs matières premières sur le marché international, établissent sur cette base le calcul des remboursements des sommes dues.

C'est donc à la fin de cette décennie que remonte la crise de la dette extérieure déclenchée, entre autres facteurs, par l'envolée du prix du pétrole sur le marché international et par l'adoption de politiques de récession de la part des principales économies mondiales, entraînant la chute du prix des matières premières d'exportation. Dans le monde industrialisé, l'inflation provoque alors une diminution de la circulation monétaire sous l'effet de l'augmentation du coût de l'argent; les taux d'intérêt s'envolent, atteignant des niveaux sans précèdent, avec des répercussions néfastes sur le refinancement des crédits obtenus au cours des années précédentes.

C'est en Amérique latine, la région la plus endettée du tiers monde, que les effets de ce déséquilibre se manifestent avec le plus de vigueur. L'épargne intérieure fléchit et, face à la capacité financière insuffisante organismes financiers internationaux, les pays se tournent de plus en plus fréquemment vers les banques privées pour obtenir des crédits à des conditions onéreuses, qui compromettent ultérieurement le respect de leurs obligations au titre du service de la dette.

Au début des années 80, alors que la crise de la dette est déjà solidement enracinée, un processus de renégociation de la dette est engagé avec les banques, qui octroient de nouveaux crédits pour financer les intérêts et les arrérages, donnant ainsi lieu à une accumulation de nouvelles dettes sans pour autant résoudre le problème dans son intégralité.

A partir de 1982, les petites banques régionales des Etats-Unis cherchent une façon de se libérer de ces titres de dette difficiles à recouvrer, en les vendant bien au dessous de leur valeur nominale. Il existe depuis un marché secondaire où les titres de la dette extérieure de la plupart des pays en développement sont cotés au dessous de leur valeur nominale. A la fin de 1989, le prix de la dette extérieure totale de l'Amérique latine était inférieur de 20 pour cent en moyenne à sa valeur nominale.

En octobre 1984, un Américain, M. Tom Lovejoy, propose de tirer parti de la crise de la dette extérieure des pays en développement, en en profitant pour contribuer à résoudre les problèmes de l'environnement. Les nations débitrices qui seraient intéressées à protéger leurs ressources naturelles, pourraient bénéficier d'un abattement de leurs dettes en troquant leurs obligations extérieures contre des programmes de protection et de développement des ressources naturelles.

Trés schématiquement, l'échange dette/nature est un processus qui s'articule, généralement en parallèle, en deux phases principales: une phase extérieure à laquelle prennent part une banque ou un organisme international créditeur, disposé à négocier une fraction ou la totalité de ses créances vis-à-vis d'un pays donné à une valeur inférieure à leur valeur nominale, et un donateur, généralement une organisation internationale ou un gouvernement ami, souhaitant contribuer par des dons à la réalisation de projets de défense de l'environnement dans le pays débiteur. Le donateur est disposé à acheter, moyennant un pourcentage d'escompte important, une fraction de la dette sur le marché secondaire, opération qui sert à la fois ses propres intérêts et ceux du pays concerné et des organisations nationales, bénéficiaires potentiels.

La deuxième phase, à caractère national, est celle des négociations auxquelles participent généralement des représentants du gouvernement central au plus haut niveau (comme le Ministre de l'environnement ou des Ressources naturelles), la Banque centrale ou bien l'autorité responsable des finances de l'état, et l'institution ou l'organisation nationale non gouvernementale bénéficiaire et canalisatrice du don international, appuyée par l'institution gouvernementale responsable des questions environnementales ou des ressources naturelles, conformément aux objectifs fixés d'un commun accord par les parties.

Ces négociations supposent la détermination, de la part de la Banque centrale ou de l'autorité financière responsable, i) du plafond du montant nominal des titres pouvant faire l'objet de la conversion, ii) du pourcentage de ce montant que l'organisation nationale bénéficiaire recevra sous forme d'obligations intérieures en monnaie nationale, iii) de la durée de ces obligations, et iv) de leurs taux d'intérêt respectifs.

Si la dette était reconnue à sa valeur nominale, il s'agirait tout simplement d'une conversion de la dette extérieure en une dette intérieure. Afin de limiter les poussées inflationnistes qu'entraîne le déversement sur le marché de sommes d'argent considérables en monnaie nationale, le pourcentage de conversion ou pourcentage de reconnaissance de la valeur nominale de la dette est en général inférieur à 100 pour cent, même si dans certains cas la première conversion, de par son caractère nouveau et sa notoriété, a atteint ce niveau. Le pourcentage de conversion accepté, les délais de rachat des fonds de tutelle et le taux d'intérêt fixé, sont fonction en partie de la priorité accordée aux projets de défense de l'environnement, de la politique monétaire du pays et de la volonté politique d'appuyer ces échanges.

Grâce aux fonds provenant de l'opération de conversion, divers pays en développement ont pu procéder à une série d'investissements dans divers domaines: projets de conservation des espaces naturels, acquisition de terres, systèmes de surveillance, appui technique et financier, financement de projets canalisés par des ONG nationales, projets forestiers, etc. Il n'a pas toujours été possible, dans le présent Résumé, d'indiquer, dans le détail et pour chacun des pays analysés, les objectifs de l'opération; l'accent a été mis plutôt sur les conditions et la nature des transactions effectuées. Les détails figurent dans le texte principal. Certains pays ont pu être traités de façon plus approfondie, grâce aux nombreuses informations disponibles au moment de la rédaction de cette étude. C'est le cas du Costa Rica et de la République dominicaine, pays pour lesquels on trouvera une analyse plus complète.

Au début de 1990, quatre pays d'Amérique latine (Bolivie, Costa Rica, Equateur et République dominicaine), un pays d'Afrique (Madagascar) et un pays d'Asie (Philippines) avaient procédé à la conversion d'une fraction de leur dette extérieure pour protéger et conserver leur patrimoine naturel.

On trouvera ci-après un bref résumé des études de cas effectuées:

En Bolivie, 1e gouvernement a signé en juillet 1987 un premier accord liant la réduction de la dette à la décision politique de garantir l'aménagement durable d'une région d'une grande richesse biologique, qui couvre la Réserve de la biosphère du Beni et trois zones protégées adjacentes. En vertu de cet accord, une organisation américaine privée de défense de l'environnement, Conservation International, s'engage à fournir au Gouvernement bolivien une fraction de sa dette pour un montant de 650 000 dollars E.-U., ainsi que l'aide technique, administrative et scientifique nécessaire pour mener à bien un programme d'aménagement des ressources dans la Réserve de la biosphère du Beni.

Il a en outre été décidé de constituer un fonds d'un montant équivalant à 250 000 dollars, destiné à l'aménagement de la Réserve du Beni. Le gouvernement devait verser à cet effet l'équivalent de 100 000 dollars E.-U. en deniers publics, le solde devant être couvert par le programme PL-480 de l'Agence américaine pour le développement international (USAID).

Le cas du Costa Rica est particulièrement intéressant. La première expérience a été conduite avec une entreprise privée, avec l'appui du Ministère des ressources naturelles, de l'énergie et des mines (MIRENEM). En mars 1987, la Banque centrale du Costa Rica (BCCR) a autorisé la Northwest Bank de l'Indiana à échanger une fraction de ses propres créances pour une valeur nominale de 11,8 millions de dollars E.-U., contre des actions et des participations dans l'entreprise privée costaricienne PORTICO, exportatrice de portes en bois vers les Etats-Unis.

Les titres de la dette ont été cotés à 37 pour cent de leur valeur nominale et la BCCR les a convertis en obligations en colons à 62,1 pour cent de leur valeur nominale. La somme ainsi dégagée en monnaie nationale s'élevait à 456,8 millions de colons (soit approximativement 7,3 millions de dollars E.-U.), avec un délai de remboursement de 7 ans et un taux d'intérêt annuel de 20 pour cent.

Au cours des trois dernières années, ces fonds ont permis à l'entreprise PORTICO d'acquérir quelque 5 000 hectares de forêts riches en Andiroba (Carapa guianensis), une essence qui se trouve exclusivement dans le nord-est du pays. L'objectif de PORTICO est de mener à bien un projet d'aménagement rationnel et durable des forêts naturelles.

C'est ainsi que pour la première et seule fois, une entreprise privée était autorisée à conduire dans ce pays un projet concernant des ressources naturelles renouvelables dans le cadre d'une opération de conversion de dette en capital (Debt-for-Equity). Cinq autres conversions ont eu lieu, dont les bénéficiaires étaient des ONG, des coopératives et des projets gouvernementaux.

Le Costa Rica a reçu total 16,57 millions de dollars E.-U. sous forme de dons, grâce auxquels il a pu acquérir en deux années seulement des titres de dette pour une valeur nominale de plus de 97,27 millions de dollars E.-U., pour lesquels la Banque centrale a dégagé 51,55 millions de dollars en bons de stabilisation monétaire émis en monnaie nationale. Ces bons ont permis d'assurer la protection d'une partie des espaces naturels, de défendre la diversité biologique, d'appuyer des institutions publiques et privées sans but lucratif et de reboiser des milliers d'hectares, composés principalement de petites propriétés. Le montant total de la dette convertie représente une réduction de 6,5 pour cent du total dû à la banque commerciale internationale.

Les six opérations de conversion de dette ont été effectuées sur le marché secondaire avec un escompte moyen de 0,17 cent pour un dollar, tandis que la conversion en obligations en monnaie nationale a été négociée à 53 pour cent de la valeur nominale de la dette remise.

En Equateur, le programme de conversion de la dette en actions en faveur de la nature a été organisé par la fondation Natura, qui est dans le pays le principal organisme de défense de l'environnement. Le projet a démarré en octobre 1987 après approbation du mécanisme par la Junte monétaire, qui est l'organe financier suprême du pays. Il s'agit essentiellement d'une conversion de la dette extérieure en dette intérieure, à travers l'émission d'obligations d'État, dont les intérêts sont destinés à la protection des espaces naturels, à la recherche scientifique et à l'éducation en matière d'environnement.

Ces négociations ont été caractérisées par leur simplicité. Un lien a été établi entre une organisation locale prestigieuse et le gouvernement, tandis que la fondation Natura canalisait une partie des ressources vers d'autres organismes non gouvernementaux. La Junte monétaire a autorisé cette dernière à convertir des titres de la dette, pour un maximum de 10 millions de dollars E.-U., en bons de stabilisation monétaire émis en monnaie nationale. Le gouvernement a reconnu 100 pour cent de la valeur nominale de la dette. On a adopté le taux de change officiel du dollar, inférieur de quelque 14 pour cent à celui du marché libre, ce qui peut être considéré comme un escompte par rapport à la valeur nominale de la dette appliqué lors de la conversion. Au moment de la première conversion, le taux d'intérêt annuel net était de 35 pour cent.

Les bons émis ont un délai d'amortissement de huit ans (ce qui correspond à l'échéance de la dette extérieure convertie) et produisent des intérêts calculés au taux du marché révisable à échéance semestrielle.

L'opération de conversion, qui s'est déroulée en août 1989, a été effectuée grâce à la contribution du Fonds mondial pour la nature (65 pour cent) et de l'organisation The Nature Conservancy (35 pour cent). La dette ayant été rachetée au prix moyen de 15 cents pour un dollar, un don de 1,5 million de dollars E.U. a permis de convertir 10 millions de titres de la dette extérieure.

En République dominicaine, une association de défense de l'environnement sans but lucratif et réunissant diverses ONG dominicaines, a été constituée le 30 janvier 1990 sous la dénomination de PRONATURA. Ce Fonds a soumis à la Junte monétaire, par le truchement du Secrétariat exécutif de la Direction des investissements étrangers de la Banque centrale de la République dominicaine (BCRD), un modèle institutionnel et administratif de conversion de dette en actions en faveur de la nature. Il pouvait compter à cet effet sur la collaboration financière de certaines ONG internationales, comme par exemple l'organisation The Nature Conservancy et la fondation portoricaine The Conservation Trust (TCT).

Une semaine plus tard, le 8 février 1990, la Junte monétaire approuvait un programme de conversion de dette en actions en faveur de la nature pour un montant total de 80 millions de dollars E.-U., par tranches annuelles de 20 millions de dollars E.-U. pour une période de quatre ans. Les obligations éligibles à cet effet étaient la dette extérieure réaménagée de la BCRD (en vertu de l'accord passé le 25 février 1986 avec les banques commerciales étrangères), la dette bilatérale, la dette extérieure non incluse, la dette dérivant des contrats pétroliers et les arriérés commerciaux. Parallèlement, quatre projets pilotes pour un montant de 582 000 dollars E.-U. étaient approuvés, au titre de la première phase de l'opération de conversion de la dette.

La première conversion a été effectuée sur la base d'un montant de 145 500 dollars E.-U. qui a permis d'acquérir, à 25 pour cent de leur valeur nominale, des titres de la dette pour un montant de 582 000 dollars E.-U., reconnus à 100 pour cent en monnaie nationale. Le délai d'exécution a été fixé à trois ans, avec un premier versement représentant 25 pour cent du montant total, suivi de cinq tranches semestrielles, au taux d'intérêt initial de 12 pour cent sur le solde, payables à la fin de chaque trimestre.

A Madagascar, une des quatre îles les plus grandes du monde située au sud-est de la côte africaine dans l'océan Indien, le gouvernement a décidé en 1985 d'accorder la plus haute priorité à la protection de ses ressources naturelles et a préparé à cet effet un plan d'action à moyen et à long terme.

Conscient de l'impossibilité de mener à bien une telle tâche sans une capacité financière adéquate, le Gouvernement malgache a déployé de grands efforts pour obtenir l'aide de la communauté financière internationale, efforts qui ont abouti le 3 août 1989 à la signature d'un accord entre la Banque centrale de Madagascar (BCRM) et le Fonds mondial pour la nature (WWF), qui prévoyait l'application du mécanisme de conversion de la dette extérieure à des fins écologiques. Pour cette opération, le WWF a fourni la somme de 1 350 000 dollars E.-U. pour l'acquisition de titres de la dette au prix de 45 cents pour un dollar, qui ont permis d'acheter 3 millions de dollars en valeur nominale, avec une reconnaissance de 100 pour cent du montant total acquis et un délai de conversion de 3 ans. L'Agence USAID a en outre fait, par l'intermédiaire du WWF, un don international de 1 million de dollars dont 700 000 dollars serviront à acheter des titres de la dette extérieure et les 300 000 dollars restants à couvrir les coûts de l'aide technique et les frais de gestion des projets.

Aux Philippines, c'est grâce à un accord entre le gouvernement, la fondation philippine Haribon et le WWF, que la première opération de conversion de la dette en actions en faveur de la nature du continent asiatique a pu être menée à bien. L'accord signé par les parties le 24 juin 1988 a permis au WWF d'acquérir des titres de la dette publique des Philippines auprès des banques commerciales étrangères, pour un montant de 2 millions de dollars E.-U. en valeur nominale et avec un pourcentage de reconnaissance de 100 pour cent en pesos.

Tous les cas que l'on vient de voir seront analysés de façon plus approfondie dans le corps du document et constituent à ce jour les principaux exemples d'opérations d'échange dette/nature. Ces exemples montrent comment, avec un peu d'imagination, le mécanisme de conversion de la dette extérieure peut être utilisé pour financer, avec des fonds publics, la protection et le développement durable des ressources naturelles.


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