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Troubles de la carence en protéines

CARENCE EN ACIDES AMINÉS ESSENTIELS DANS LES ALIMENTS

Bien que tous les poissons examinés à ce jour accusent un ralentissement de la croissance quand ils reçoivent un régime carencé en acides aminés essentiels (AAE), le tableau l indique les signes anatomiques additionnels avérés qui ont été observés dans des conditions expérimentales chez des juvéniles recevant des rations déficientes en un ou plusieurs AAE.

Dans les conditions piscicoles pratiques, les carences alimentaires en AAE peuvent avoir diverses causes, notamment:

Une mauvaise formulation de la nourriture due à l'emploi de quantités disproportionnées de protéines alimentaires présentant des carences naturelles en AAE spécifiques. Le tableau 2 indique l'indice chimique et les AAE limitants de certaines protéines alimentaires dont dispose le fabricant d'aliments pour poissons. Aux fins de comparaison, les indices chimiques ont été calculés pour chaque source de protéines par référence aux besoins moyens en AAE alimentaires de la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) et de la carpe commune (Cyprinus carpio) établis par Ogino (1980). Par rapport à la farine de poisson, qui a un profil AAE bien équilibré, la plupart des sources de protéines examinées présentent des déséquilibres d'acides aminés qui les rendent impropres en tant que seules sources de protéines alimentaires pour les poissons. Parmi ces déséquilibres, on citera, par exemple, la carence de méthionine dans les protéines végétales, la levure, la farine de viande et d'os, la farine de sang et la farine de plumes hydrolysées; la carence en lysine des graines oléagineuses, de la farine de plumes hydrolysées et des algues; la carence en thréonine de quelques graines oléagineuses et légumineuses; et la carence en tryptophane de l'ensilage de poisson. Il est donc évident que, durant la formulation des aliments pour poissons, on doit prêter une attention particulière au choix des produits utilisés afin d'obtenir le profil global souhaité en matière d'AAE alimentaires.

TABLEAU 1
Signes de carence en acides aminés essentiels (AAE) observés
chez les poissons
AAE limitantsEspèces de poissonsSignes de carence
LysineOncorhynchus mykissErosion dorsale/caudale (1,2), mortalité accrue (2)
 Cyprinus carpioMortalité accrue (3)
MéthionineO. mykissCataracte (4, 5, 14)
 Salmo salarCataracte (6)
TryptophaneO. mykissScoliose1 (7–10), lordose1 (7, 10), calcinose rénale (8), cataracte (7, 9), érosion de la nageoire caudale, diminution de la teneur de la carcasse en lipides (9), forte concentration de Ca, Mg, Na et K dans la carcasse (7)
 O. nerkaScoliose (11)
 O. ketaScoliose (12, 13), cataracte (13)2
 O. kisutchScoliose (12)
DiversC.carpioMortalité accrue et forte incidence de lordose dans les cas de carences en leucine, isoleucine, lysine, arginine et histidine (3)

1 Courbure de la colonne vertébrale.
2 On a signalé une augmentation des cas de scoliose et de cataracte selon que la température de l'eau diminuait ou s'élevait, respectivement.
Sources:
1. Walton, Cowey et Adron, 1984;
2. Ketola, 1983;
3. Mazid et al., 1978;
4. Walton, Cowey et Adron, 1982;
5. Poston et al., 1977;
6. Barash, Poston et Rumsey, 1982;
7. Walton et al., 1984;
8. Kloppel et Post, 1975;
9. Poston et Rumsey, 1983;
10. Shanks, Gahimer et Halver, 1962;
11. Halver et Shanks, 1960;
12. Akiyama et al., 1985;
13. Akiyama, Mori et Murai. 1986;
14. Cowey et al., 1992.

Des déséquilibres nutritionnels peuvent aussi provenir de la présence de quantités disproportionnées de certains acides aminés sans oublier l'antagonisme leucine/isoleucine et, dans une moindre mesure, les antagonismes arginine/lysine et cystine/méthionine. Par exemple, la farine de sang est riche en valine, leucine et histidine, mais est très pauvre en méthionine et isoleucine. Toutefois, eu égard à l'effet antagoniste d'un excès de leucine sur l'isoleucine, les animaux auxquels on donne des quantités élevées de farine de sang souffrent d'une carence en isoleucine provoquée par une quantité excessive de leucine alimentaire (Taylor, Cole et Lewis, 1977). Bien que des antagonismes similaires aient aussi été signalés pour la cystine/méthionine [emploi de farine de plumes hydrolysées (Ichhponani et Lodhi, 1976)] et pour l'arginine/lysine (Harper, Benevenga et Wohlhueter, 1970) chez des animaux d'élevage terrestres, ils n'ont pas été observés chez les poissons recevant des rations d'acides aminés de synthèse (Robinson, Wilson et Poe, 1981).

TABLEAU 2
Indice chimique et acides aminés essentiels limitants de diverses sources de protéines1
DenréesSourcesTHRVALMETCYSISOLEUPHETYRLYSHISARGTRYAAE limitants
Pois chiches164*8963*1041191101138672100166129Met
Pois mungo159*11054*48*1271211249479114123123Cys
Doliques165*10361*59*11611611610075127134129Cys
Lupin jaune266*8120*126117125859464*117192135Met
Haricots de Lima28411057*741351181251067211298106Met
Favelottes37710330*41*115118981187798160118Met
Haricots18010343*67*1201211188392127104129Met
Carthame268*12563*1411119910110043*121181118Lys
Crambés29812167*218117104838666*104111200Lys
Noix de palme262*113941339589727841*98225311Lys
Graines de coton265*10252*11892941228952*117205141Lys
Graines de tournesol265*124831371151041099142*119159165Lys
Graines de lin27112293156111901059243*100174182Lys
Graines de sésame258*98109148911058611433*114211153Lys
Noix de coco465*11461*96115112959237*81217123Lys
Arachides455*9939*13311710010711753*100196141Met
Graines de colza4931188370113116947774131112159Cys
Fèves de soja47410146*1301281151059776106123176Met
Farine protéique de pommes de terre58912563*96128120112149747373118Met
Farine protéique de feuilles68412757*56*112120122129719096141Cys
Spirulina maxima2871362*30*15911810512355*75111165Cys
Levure sèche de boulangerie49311663*85139112911088610689141Met
Torulopsis utilis49411854*81144981371178410486118Met
SCP bactérien7971348959*115107115138718384118Cys
Oeufs de poule entiers8771251001301321099798789296135Thr
Chair de poisson9839898851081108011710112197135Phe
Farine de poisson (hareng)4761271097811710780958996111123Thr
Farine de poissons blancs4811061049312110981949094116129Thr
Concentré de protéines de poisson28311011863*12710985103929095153Cys
Ensilage de poisson10981227272101129120949812110859*Try
Farine de crevettes entières2839710985112106951058673134106His
Farine de viande et d'os47712859*891091138860*8610015088Met
Farine de sang469*15833*52*24*16212469*8921462*123Iso
Farine de foie27613572891051211091067198105153Lys
Farine de sous-produits de volaille476125811411321238060*7187134112Tyr
Plumes hydrolysées49116424*289131124788633*50*14776Met
Farine de vers de terre111079910652*11212484108791259882Cys
Larves de mouches communes12751037252*96901282187712782147Cys

1 Indices fondés sur la comparaison des besoins moyens en acides aminés essentiels de la truite are-en-ciel et de la carpe commune (Ogino, 1980). Les besoins moyens en AAE (exprimés en pourcentage des AAE totaux) sont les suivants thréonine 10.6 valine 9.5, méthionine 5.4; eystine 2.7; isoleucine 7.5; leucine 13.5; phénylalanine 9.5; tyrosine 6.5; lysine 16.8 histidine 4.8 arginine 11.6 et tryptophane 1.7

* Acides aminés essentiels limitants (présence inférieure a 30 pour cent des besoins moyens des poissons) Sources: 1 Kay, 1979; 2 Gohl. 1980; 3 Bolton et Blair, 1977. 4. National Research Council, 1983. 5. Tunnel Avebe Starches Ltd (Royaume-Uni); 6. Cowey et al., 1971; 7. Methanobacter methylotrophus données inédites; 8. Cowey et Sargent. 1972; 9. Connell et Howgate, 1959; 10. Jackson. Kerr et Cowey, 1984; 11. Tacon. Stafford et Edwards, 1983; 12. Spinelli. 1980

Des carences alimentaires en AAE peuvent aussi provenir d'un traitement thermique excessif des protéines pendant la fabrication des aliments pour poissons. Par exemple, lors de la manufacture de farine de poisson, on a remarqué qu'un traitement thermique excessif réduisait notablement la digestibilité des protéines et leur valeur biologique en raison de la destruction des acides aminés par oxydation ou par la formation de liaisons entre divers acides aminés résistant davantage à la digestion (McCallum et Higgs, 1989; Pike, Andorsdottir et Mundheim, 1990). Les groupes aminés epsilon libres de la lysine sont particulièrement vulnérables à la chaleur et forment des produits d'addition avec des molécules non protéiniques (sucres réducteurs) présentes dans la nourriture (Cockerell, Francis et Halliday, 1972). Outre la diminution des disponibilités d'AAE, des substances toxiques comme la gizzérosine (acide 2-amino-9-(4-imidazolyl)-7-azanonanoïque) peuvent aussi survenir dans des farines de poisson traitées à la chaleur contenant de l'histidine et de l'histamine libres (Okayaki et al., 1983; Watanabe et al., 1987). Il a été signalé que la gizzérosine provoque l'érosion du gésier (EG) chez les poulets; toutefois, les signes toxicologiques observés chez la truite arc-en-ciel nourrie avec des farines de poisson entières traitées à la chaleur et contenant des niveaux élevés d'histidine et d'histamine comprennent une diminution de l'épaisseur de la paroi stomacale, de la pycnose et de la nécrose des glandes gastriques (Watanabe et al., 1987).

Le traitement chimique par des acides (production d'ensilage) ou des bases des protéines de la nourriture peut donner lieu à des carences alimentaires en AAE par suite de la disparition du tryptophane libre et de la lysine/cystine, respectivement (Kies, 1981).

Des carences alimentaires en AAE peuvent provenir de la lixiviation dans l'eau d'acides aminés libres (AAL) ou liés aux protéines. Par exemple, Grabner, Wieser et Lackner (1981) ont signalé la disparition par lixiviation de la quasi-totalité des acides aminés libres et d'environ un tiers des acides aminés libres et liés aux protéines dans du zooplancton congelé ou lyophilisé (Artemia salina et Moina spp.) après une immersion de 10 minutes à 9°C. De même, une déperdition rapide d'acides aminés libres a été observée après décongélation de Daphnia congelées: 23, 1 pour cent de perte de tous les AAL après décongélation dans de l'eau pendant 5 minutes (Holm et Walther, 1988).

ACIDES AMINÉS TOXIQUES

Des pathologies nutritionnelles peuvent provenir de la consommation de protéines alimentaires contenant des acides aminés toxiques ou leurs dérivés. Les protéines alimentaires renfermant des acides aminés toxiques qui ont été déclarés avoir un effet négatif sur la croissance des poissons et le coefficient de transformation des aliments (pouvant aboutir à la mort des poissons) comprennent les légumineuses Leucaena leucocephala [acide aminé toxique non protéique, mimosine (Jackson, Capper et Matty, 1982; Wee et Wang, 1987)], Sesbania grandiflora et Canavalia ensiformis [acide aminé toxique, L-canavanine (Martinez-Palacios et al., 1988; Olvera et al., 1988)].

Il a été signalé qu'en plus des acides aminés non essentiels, certains AAE (comme la leucine) exercent un effet toxique sur les poissons lorsqu'ils sont présents en quantités trop abondantes dans l'alimentation (Hughes, Rumsey et Nesheim, 1984; Robinson, Poe et Wilson, 1984). Par exemple, les signes de toxicité indiqués dans le cas d'une proportion excessive de leucine dans l'alimentation (13,4 pour cent du régime) de la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) comprennent la scoliose, la déformation des opercules, des anomalies des écailles, la perte d'écailles et une spongiose des cellules épidermiques (Choo et al., 1991).


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