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Politiques, programmes et expériences à l'échelle nationale


Principes et mesures nécessaires pour un développement forestier durable au Chili
Politiques, expériences et programmes nationaux d'aménagement forestier durable: Le cas de l'Indonésie
La forêt, ressource renouvelable: Le cas de la Suède
Gestion forestière durable et mise en valeur des forêts en France
Nouvelles perspectives pour l'aménagement du système forestier national des Etats-Unis


Principes et mesures nécessaires pour un développement forestier durable au Chili

J.F. de la Jara

L'auteur est directeur exécutif du Service national des forêts au Chili.

Ce document décrit la situation forestière actuelle au Chili et propose des stratégies viables pour l'élaboration d'une politique nationale d'aménagement forestier durable. En 1991, les zones reboisées en d'essences à croissance rapide couvraient 1,5 million d'hectares, dont 1,3 million en Pinus radiata. En 1990, la foresterie a fourni 3,3 pour cent du PIB du Chili et le montant des exportations de produits forestiers s'est élevé à 950 millions de dollars EU en 1991. Par ailleurs, une politique vigoureuse d'investissements publics et privés était engagée. Deux démarches sont nécessaires pour élaborer une politique d'aménagement durable: il faut faire converger toutes les forces qui s'exercent dans le secteur, et réunir en concertation tous les acteurs pour constituer un cadre dans lequel les diverses relations productives, sociales et environnementales puissent s'harmoniser consensuellement, et exiger des acteurs publics et privés qu'ils affectent des ressources techniques et interviennent de façon à résoudre les problèmes éventuels.

INTRODUCTION

Le concept de développement forestier durable fait quasiment l'unanimité: il concilie croissance économique, demandes sociales de plus en plus diversifiées et capacité de l'écosystème de satisfaire ces attentes multiples. Toutefois, un travail commun est encore nécessaire pour mettre au point des méthodes opérationnelles et pratiques qui garantissent la viabilité à long terme du développement.

Une approche de ce type exige une information approfondie sur toute une gamme d'activités, ainsi que des analyses qui permettent de classer par ordre de priorité les demandes sociales. Il n'est manifestement pas possible d'atteindre l'objectif souhaité de durabilité si l'on ignore quelle est la capacité maximale de l'écosystème ou si l'on n'est pas en mesure d'apprécier l'étendue des sacrifices qu'il est possible de demander à une communauté, ou à la société en général, pour couvrir les coûts écologiques de chaque projet de développement.

Qui plus est, une fois connues les réponses à ces diverses questions, les choses risquent d'être encore compliquées par les perspectives d'une viabilité à long terme au niveau mondial, cette fois, perspectives qui peuvent être incompatibles avec les relations fondamentales d'un corps social quel qu'il soit.

Néanmoins, le développement durable, aujourd'hui, ne se présente plus comme une simple option: il s'agit d'un impératif absolu valable pour tous les efforts entrepris que ce soit dans le domaine scientifique, technologique ou politique.

Nous allons tenter ici de décrire la situation forestière au Chili et de proposer des stratégies viables pour l'élaboration d'une politique nationale d'aménagement forestier durable.

LE SECTEUR FORESTIER AU CHILI ET SA CONTRIBUTION AU DÉVELOPPEMENT NATIONAL

Le secteur forestier tient une place importante dans l'économie du Chili, importance appelée à croître dans les années à venir.

Les réserves chiliennes en forêts indigènes tempérées sont de l'ordre de 14,6 millions d'hectares, dont 4,1 millions sont productifs. Le reste constitue des domaines protégés consacrés à la conservation de la biodiversité, à la lutte contre l'érosion dans les régions montagneuses, au développement de zones touristiques, à la protection des bassins versants, etc.

Depuis 1991, 1,5 million d'hectares de terre ont été plantés en essences à croissance rapide, notamment Pinus radiata, sur 1,3 million d'hectares, le reste en Eucalyptus et en espèces indigènes. La superficie moyenne de terres reboisées a atteint en moyenne 82 000 ha par an au cours des deux dernières années, dont 30 000 ha environ sont mis en coupe annuellement. Cet accroissement important des ressources forestières forme une réserve considérable de matières premières pour l'avenir, et correspond aux investissements réalisés ou projetés: ainsi, par rapport à 1988, la capacité de l'industrie de pâte et de papier aura doublé en 1993, et triplé en 1997. Qui plus est, des études montrent qu'il existe encore environ 3 millions d'hectares de terres productives facilement accessibles, disponibles pour des plantations de ces essences.

En 1990, la contribution de la foresterie au PIB (produit intérieur brut) a été de 3,3 pour cent. Les exportations de produits forestiers ont atteint 950 millions de dollars EU, soit 10 pour cent du total des exportations chiliennes. Les produits forestiers sont exportés dans plus de 60 pays. Autrefois limités à la pâte, au bois et aux copeaux, ils représentent aujourd'hui une gamme très variée de 300 différents produits tels que panneaux, meubles, placages et autres produits manufactures à base de bois.

Ce tableau prometteur est complété par un vigoureux programme d'investissements publics et privés chiliens et étrangers, et une gestion efficace favorisée par une main-d'œuvre hautement qualifiée et un environnement socioéconomique et politique relativement stable.

Cependant, le secteur forestier chilien n'a pas encore trouvé son équilibre, ni ses composantes principales un rythme de développement harmonisé. Le développement est axé sur une seule essence - Pinus radiata - le boisement ne concerne qu'une partie très circonscrite du pays il est effectué par quelques entreprises privées de haut niveau technique et administratif.

Néanmoins, le potentiel forestier est globalement en hausse. En pratique, le secteur est devenu plus dynamique grâce à l'introduction de nouvelles technologies, à l'importation de connaissances techniques des pays les plus avancés et à l'instauration de relations professionnelles avec ces pays. Parallèlement, cette évolution a créé des demandes politiques et sociales qui ont élevé le secteur forestier au même rang que les autres secteurs économiques traditionnels.

DÉFIS AUXQUELS LE SECTEUR FORESTIER CHILIEN DOIT RÉPONDRE POUR SATISFAIRE AUX EXIGENCES D'UN DÉVELOPPEMENT DURABLE

Il n'est pas possible dans le contexte forestier actuel du Chili d'élaborer une politique viable de développement durable à court terme. Il faudrait d'abord que tous les secteurs intéressés, et la société en général, se mettent d'accord sur l'ensemble des questions litigieuses liées au rôle des ressources naturelles et au niveau de développement du pays.

Les nouvelles préoccupations relatives à l'environnement, les orientations déterminées par les pays les plus industrialisés, la mauvaise connaissance de la situation actuelle de la foresterie au Chili, les conflits d'intérêts entre les différents groupes concernés, sont autant d'obstacles à l'élaboration d'une politique forestière nationale.

Certaines questions liées au sous-développement du pays contribuent également à déterminer les priorités objectives de la politique forestière. Au Chili, une partie importante de la population urbaine et rurale vit dans la pauvreté absolue: trouver du travail, avoir accès à la formation, à des logements sociaux, à la sécurité sociale, voire à la sécurité alimentaire, sont pour cette tranche de population des besoins urgents et impératifs. Le secteur forestier est parfois l'unique moyen de résoudre ces problèmes: en effet: i) il n'exige pas un haut niveau de formation de la main-d'œuvre; ii) il est situé dans les zones rurales les plus pauvres; iii) il est économiquement performant tant sur le plan de la production que des exportations; et iv) sa base de ressource est durable.

Le second élément de notre analyse se réfère à la capacité de tolérance des écosystèmes soumis à des pressions sans cesse croissantes. Nul ne nie la nécessité de préserver la biodiversité, d'assurer l'entretien des bassins versants et de conserver à la forêt son rôle de protection de l'eau, du sol et des paysages. Toutefois, il n'existe pas de consensus sur la façon d'utiliser le potentiel productif des forets, notamment de celles dont la composition, la santé et la qualité ne permettent pas de mettre en œuvre des projets économiquement viables.

En résumé, si l'on veut faire progresser le secteur forestier, il faut d'abord réaliser un consensus sur des questions telles que le développement économique, l'éradication de la pauvreté en milieu rural, la protection de l'environnement et la satisfaction des nouvelles aspirations sociales.

Dans le même temps, il faudra tenter de résoudre les problèmes techniques ou politiques généralement identifiés comme des obstacles au développement durable, et qui peuvent être groupés de la façon suivante:

· problèmes liés aux ressources naturelles;
· problèmes associés à la production;
· problèmes d'origine intersectorielle;
· problèmes d'environnement;
· problèmes liés aux structures institutionnelles.

Problèmes liés aux ressources naturelles

Forêts naturelles. Le manque d'informations de base sur les ressources arbustives indigènes constitue un handicap sérieux à l'élaboration d'une politique forestière. Il n'existe aucun inventaire forestier indiquant la superficie, le volume et la qualité des peuplements des différentes essences. Les techniques sylvicoles d'aménagement des types de forêts existants ne sont que partiellement connues.

Les forêts naturelles sont actuellement très dégradées et appauvries et leur contribution à la production nationale ne dépasse pas 10 pour cent. Dans le passé, elles ont été exploitées en coupes sélectives, ou défrichées pour ouvrir des terres à l'agriculture et à l'élevage extensif, ce qui a eu pour résultat de perturber leurs fonctions habituelles de régulation du cycle hydrologique, de conservation de la biodiversité et de protection de l'environnement en général.

Plantations. Les forêts plantées s'étendent sur plus de 1 000 km dans la partie centrale et méridionale du Chili, sur des terres trop pauvres pour être cultivées. Cette superficie forestière considérable forme la base du développement forestier actuel. Elle est le produit direct du cadre légal d'incitation au reboisement, dont la pierre angulaire est la Loi de 1931 sur les forêts.

A court terme, le sous-secteur des plantations, qui comprend les industries et la main-d'œuvre forestières, peut devenir un exemple de gestion durable, non seulement parce que pour chaque arbre coupé on en replante trois, mais aussi parce que ses performances économiques et l'amélioration considérable des conditions de vie de ses travailleurs lui ont valu l'estime générale.

Il faut encore toutefois se pencher sur les problèmes potentiels inhérents à la monoculture: santé de la forêt, effet de l'extension des superficies boisées sur les communautés rurales, et préjugés techniquement sans fondement, mais profondément ancrés dans les mentalités, relatifs à l'impact des plantations forestières sur le sol, l'eau et la faune.

Production

Comme nous l'avons déjà signalé, 10 pour cent seulement de la production nationale provient des forêts naturelles, alors que celles-ci couvrent quelques 4,1 millions d'hectares potentiellement productifs. Il convient donc de prévoir rapidement des études et des actions concrètes visant à intégrer ces forêts au processus de développement.

Ce déséquilibre apparaît également lorsqu'on considère la consommation par habitant de produits et de panneaux dérivés du bois. Comparée à celle de la Yougoslavie et du Portugal, pays de même niveau de développement, la consommation de bois au Chili est seulement de 0,15 m3 par habitant, contre 0,20 m3 en Yougoslavie et 0,42 m3 au Portugal. Cela veut dire soit qu'il existe une préférence d'origine culturelle pour les substituts du bois, soit que le système productif n'est pas en mesure d'approvisionner le marché intérieur. Quoi qu'il en soit, cette faible consommation doit être étudiée de façon approfondie.

Enfin, l'infrastructure de production présente des contrastes très marqués: une technologie de haute qualité dans le secteur de la production destinée à l'exportation, des équipements périmés et peu de mécanisation dans les petites et moyennes entreprises.

Problèmes intersectoriels

Le développement forestier durable est également desservi par d'autres carences de l'économie nationale, en premier lieu le manque d'infrastructures routières, ferroviaires et portuaires.

Les activités forestières se caractérisent par le transport de matériaux volumineux et pesants. Les camions-grumiers ont gravement endommagé le réseau routier secondaire et une partie des grand-routes. La vétusté et le délabrement du réseau ferroviaire ne lui permettent pas de prendre la relève. Quant aux ports, malgré la modernisation effectuée sous la pression d'une croissance accélérée du trafic maritime, ils atteignent les limites de leur capacité.

L'Etat investit considérablement dans la construction d'infrastructures de transport, en tenant compte de priorités, qui ne sont pas forcément celles de la foresterie, mais les efforts entrepris par le secteur public ne peuvent suffire à résoudre ce problème. Des solutions de réchange sont donc envisagées, comme l'attribution du développement du système portuaire et du réseau routier à des investisseurs privés, et leur participation à l'amélioration du réseau ferroviaire d'Etat.

Autre sujet de préoccupation intersectoriel: la pauvreté en milieu rural. La fragilité de l'écosystème, les besoins d'énergie, et le besoin de terre pour l'agriculture de subsistance provoquent une aggravation de l'érosion et une importante dégradation des sols, avec pour conséquence la création d'enclaves de pauvreté pour les exploitations familiales, les ouvriers agricoles sans terre, les pasteurs, les petits entrepreneurs, les artisans et les chômeurs.

Il est aujourd'hui impératif d'intervenir dans les domaines de l'éducation, de la santé et du logement en suivant une stratégie intégrée de développement rural afin de permettre aux ruraux de participer plus avantageusement à l'activité économique du pays. Tout délai supplémentaire aurait pour effet d'aggraver encore la surexploitation des écosystèmes menacés, constituant l'unique ressource de ces populations.

Problèmes d'environnement

Le traitement des problèmes d'environnement passe par un système de coordination interministérielle et interinstitutionnelle des actions entreprises, ce qui est une façon de reconnaître que l'écologie fait partie intégrale de nombreuses activités au niveau national. Cette approche diffère sensiblement de celle d'autres pays qui ont préféré créer une instance spéciale, par exemple un Ministère de l'environnement.

Le système instauré n'est d'ailleurs pas sans faiblesses:

· dans certains cas, toute la végétation naturelle n'a pas été incluse dans le Système national des zones publiques protégées (SNASPE);

· l'appauvrissement et la destruction systématiques de forêts naturelles pour l'ouverture de nouvelles terres à l'agriculture et à l'élevage, pour l'exploitation sauvage du bois et la récolte de bois de feu, et autres activités humaines;

· les émissions de gaz et fluides toxiques et la manipulation de produits chimiques ont suscité des problèmes locaux.

Problèmes dérivant des structures institutionnelles

Les services nationaux des forêts ont joué un rôle primordial dans le développement des pays qui ont exploité judicieusement leur potentiel forestier. Au Chili, la politique de réduction des dépenses publiques a compromis la capacité des institutions à participer activement au développement. En pratique, l'Etat n'a pu ni faire appliquer la législation adoptée, ni réaliser l'aménagement des forêts domaniales, ni fournir une assistance technique aux petits propriétaires qui ne sont pas en mesure d'élaborer et de mettre en œuvre seuls des projets durables.

De même, la recherche forestière n'a pas répondu comme il le fallait aux besoins de connaissances nouvelles, tandis que la formation et la vulgarisation se révélaient inefficaces par manque de personnel et de formateurs qualifiés capables de satisfaire aux exigences du développement.

CONCLUSIONS

Le développement forestier durable est le cadre dans lequel s'intègrent les objectifs généraux de la politique forestière en réponse aux nouvelles réalités sociales.

On ne pourra y parvenir ni par la bonne volonté seulement, ni par des déclarations juridiques ou rhétoriques des dirigeants politiques, et certainement pas à court terme. Toutefois, il est possible de commencer dès maintenant à éliminer les obstacles à sa mise en œuvre; cela doit devenir le but et le principe directeur des agents du développement pendant cette décennie.

Deux lignes de conduite doivent être adoptées pour surmonter les obstacles à un aménagement durable des ressources forestières. Tout d'abord, il faut qu'il y ait concertation entre tous les acteurs du secteur. Leurs intérêts, leurs points de vue doivent être entendus, transmis et pris en compte pour élaborer consensuellement le cadre dans lequel les diverses relations productives, sociales et environnementales pourront s'harmoniser.

La seconde tâche est de nature technique et exige des agents publics et privés qu'ils affectent des ressources et interviennent de façon à résoudre tous les problèmes. Citons quelques-unes des mesures concrètes qui doivent être envisagées:

· Améliorer effectivement la connaissance des forêts naturelles. Créer un organisme chargé d'établir et de tenir à jour l'inventaire des forêts.

· Intégrer le secteur forestier à la politique nationale de l'environnement, en tenant compte des caractéristiques particulières de ce secteur.

· Renforcer la position du secteur forestier quand il s'agit d'attribuer des priorités aux grands travaux d'infrastructure dans le domaine des transports, et encourager la participation du secteur privé dans leur mise en œuvre.

· Elargir la contribution du secteur forestier au développement rural.

· Réorienter la formation d'une main-d'œuvre qualifiée à tous les niveaux.

· Promouvoir la consommation intérieure des produits forestiers.

· Faire en sorte que les institutions soient mieux adaptées aux défis présents et futurs de la foresterie.

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Politiques, expériences et programmes nationaux d'aménagement forestier durable: Le cas de l'Indonésie

L. Daryadi

L'auteur, responsable forestier au Ministère des forêts indonésien, exprime sa gratitude à MM. Benni Sormin et Efransjah, fonctionnaires du Ministère des forêts pour leur concours dans la préparation de cet article.

L'auteur décrit les expériences indonésiennes d'aménagement forestier durable, l'état des ressources forestières et leur rôle dans le développement du pays. Quelques exemples témoignent de l'importance prise par la foresterie dans l'économie nationale: en 1988, la part de l'Indonésie sur le marché des contreplaqués atteignait près de 50 pour cent et les exportations de sciages environ 17 pour cent des échanges mondiaux. Les recettes d'exportation des produits forestiers dépassaient 3 milliards de dollars EU en 1988, et s'élevaient à 4 milliards de dollars EU en 1989. L'auteur analyse les plans de développement forestier, les perspectives à long terme de la foresterie, ses faiblesses et ses mérites. Il expose également le Programme d'action forestier national indonésien qui met l'accent sur cinq secteurs principaux d'aménagement: l'utilisation des forêts tropicales pour la protection des sols et des eaux, le développement d'industries forestières efficaces et la conquête de marchés pour leurs produits, l'utilisation du bois comme source d'énergie renouvelable, la conservation de la flore et de la faune en tant que ressources génétiques, le renforcement des institutions et la participation active des populations.

Forêts et problèmes mondiaux d'environnement

On ne s'est jamais autant préoccupé des forêts et de la foresterie qu'aujourd'hui. En effet, les forêts ne fournissent pas seulement des produits indispensables à la survie et au développement socioéconomique de l'humanité; elles contribuent également à la protection de l'environnement, à la conservation des sols et de l'eau, opposent des barrières à la désertification, etc.

Le déboisement et la dégradation des forêts sont des sujets de préoccupation croissante dans le monde entier. La dégradation des ressources forestières est le résultat direct de la concurrence pour l'utilisation des terres, d'une mauvaise gestion et des émissions polluantes.

Les causes réelles du déboisement dans les pays en développement sont la pauvreté, l'endettement, le sous-développement et la nécessité de satisfaire les besoins vitaux d'une population en expansion rapide. Il est indispensable d'avoir une vue équilibrée du rôle économique, social et écologique joué par la foresterie dans le développement, et de bien connaître la façon dont s'exercent et s'articulent entre elles ces différentes fonctions.

La protection et le développement des forêts ne sont pas des fins en soi. Ce sont plutôt des instruments d'un processus plus général, dont l'objectif est d'atteindre les priorités du développement, national et international. Les questions liées au développement durable et à la protection de l'environnement englobent donc le changement climatique, la diversité génétique, la lutte contre la désertification, la gestion de la faune sauvage, la conservation des réserves d'eau douce, la protection des écosystèmes fragiles, et celle des diverses fonctions de la forêt.

C'est à Stockholm, en 1972, à l'occasion de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement, que ces aspects cruciaux de la vie de l'humanité ont été mis en évidence. Vingt ans plus tard, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) s'est tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, pour procéder à une évaluation plus approfondie des dimensions intégrées de l'environnement et du développement.

Faisant partie intégrante de l'écosystème forestier mondial, l'Indonésie lutte pour améliorer l'utilisation et l'aménagement de ses ressources forestières. Cet article passe en revue les expériences indonésiennes en matière d'aménagement forestier durable.

Ressources forestières et développement national

L'Indonésie est située sur l'équateur. Elle est constituée d'un archipel de près de 17500 îles, dont 6000 sont habitées, et qui s'étend sur 5 100 km. Sa superficie émergée est d'environ 195 millions d'hectares, ce qui en fait le pays le plus vaste de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) et le plus important de l'Asie pour ce qui est de son patrimoine forestier tropical. Les trois îles les plus grandes, Sumatra, Kalimantan et Irian Jaya, se composent de vastes plaines côtières et d'un arrière-pays montagneux.

Biogéographiquement parlant, l'archipel se divise en deux grandes régions: la région orientale et la région australasienne qui sont séparées par la Ligne Wallace, servant à l'origine de ligne de partage de la faune entre l'ouest et l'est de l'archipel. L'Indonésie fait partie de la zone botanique malaise. Par le nombre d'espèces animales et végétales qu'on y trouve, les forêts denses humides de cette région sont parmi les plus riches du monde.

L'archipel est divisé en diverses zones climatiques: humide, semi-humide, semi-aride, ou climat de moussons. Les précipitations annuelles varient de 700 à 4 000 mm, la température diurne est de 32 °C en moyenne, nocturne de 22 °C. La moyenne d'hygrométrie est de 90 pour cent et l'influence des moussons se fait sentir hors de la zone des typhons.

En 1990 la population s'élevait à près de 180 millions d'habitants. Elle est très inégalement répartie, avec une densité maximum à Java - plus de 62 pour cent du total - alors que l'île ne représente que 7 pour cent du territoire du pays. Le taux de croissance démographique se situait entre 2 et 3 pour cent entre 1960 et 1980, mais, depuis lors, grâce à un programme de planification familiale bien appliqué, il ne cesse de baisser. En 1989, la population active était de 74,5 millions de personnes environ.

Les forêts indonésiennes couvrent quelque 144 millions d'hectares de terre, dont 113,5 millions ont été classés forêts permanentes. Les essences à bois les plus répandues appartiennent à l'ordre des Diptérocarpes, dont les peuplements se trouvent principalement dans les îles à la périphérie de Java. Java possède environ 3 millions d'hectares de plantations forestières.

L'évolution de la foresterie indonésienne au cours des 25-30 dernières années a été rapide. Pendant les années 60, la production de bois était pratiquement limitée aux plantations de teck de Java et à un petit nombre d'essences commerciales dans certaines des forêts naturelles les plus accessibles des îles extérieures. Depuis lors, les principales activités forestières se sont déplacées de Java vers les îles de la périphérie et la production annuelle de sciages est passée de 1,4 million de m3 en 1960 à 31,4 millions en 1989, 96 pour cent de cette production provenant de forêts naturelles.

Petit producteur et exportateur de grumes de feuillus tropicaux au début des années 70, le pays était devenu dès le milieu des années 80 un producteur-exportateur important de produits forestiers manufacturés. La part de marché des contreplaqués indonésiens a atteint près de 50 pour cent du volume mondial en 1988. Les exportations de sciages ont couvert quant à elles environ 17 pour cent du marché mondial cette même année.

En 1988, le volume de sciages produits par l'Indonésie atteignait 9,8 millions de m3, et celui des panneaux dérivés du bois environ 8,2 millions de m3. La même année, les exportations s'élevaient à 6,9 millions de m3 de panneaux dérivés du bois et 3,5 millions de m3 de sciages et dépassaient 3 milliards de dollars EU en valeur; elles ont atteint environ 4 milliards de dollars EU en 1989. En 1987, la part de la foresterie dans les recettes d'exportation était de 16 pour cent environ, soit 27 pour cent de la valeur totale des exportations hors pétrole.

En 1988, la consommation intérieure a absorbé à peu près 64 pour cent du volume total de la production de sciages, et 16 pour cent de celle de panneaux dérivés du bois. Entre 1961 et 1987, la consommation intérieure de sciages est passée de 18,09 m3 par 1 000 habitants à 38,2 m3; celles des panneaux de 0,1 m3 à 7,3 m3; celle de papier et de carton de 0,6 tonne à 4,7 tonnes par 1 000 habitants. En 1987, la consommation nationale de bois de feu, provenant en grande partie de jardins familiaux et de terres non forestières, s'est chiffrée à 115 millions de m3.

La foresterie, avec les industries complémentaires de transformation, est un secteur important de l'économie indonésienne. En 1987, 1,2 pour cent du PIB du pays provenait de l'exploitation des forêts et 1,5 pour cent des industries forestières, ce qui porte le total de la contribution forestière à 2,7 pour cent du PIB; à titre de comparaison, la part de l'agriculture et de la pêche s'élevait à 25,5 pour cent la même année. L'industrie du contre-plaqué est actuellement la plus importante des industries forestières et fournit 56 pour cent de la valeur ajoutée du secteur, contre 21 pour cent pour les sciages et 10 pour cent pour la pâte et le papier.

Il faut également tenir compte des effets d'entraînement en amont et en aval de la foresterie et des industries forestières. De nombreuses transactions entre industries sont effectuées dans le secteur, ce qui porte la proportion de ces entrées intermédiaires au-dessus de la moyenne habituelle.

En 1987, la contribution de la foresterie et des industries forestières à l'emploi a été d'environ 1,2 pour cent. L'emploi forestier est réparti sur tout le pays et il arrive qu'il forme la base de véritables établissements humains. Les statistiques ne prennent en compte que l'emploi direct et omettent les emplois connexes dans les industries en aval, ameublement, gravure sur bois, etc. Les tableaux d'échanges intersectoriels montrent pourtant que, dans la vie économique du pays, à chaque emploi en foresterie correspond 1,18 emploi ailleurs. Le coefficient multiplicateur d'emploi est de 1,47 pour les scieries et les fabriques de contreplaqués, et de 2,06 pour les industries papetières.

Si l'on prend en compte les emplois directs et apparentés du secteur structuré ainsi que les composantes de main-d'œuvre dans le secteur non structuré, on estime que la foresterie assure la subsistance de quelque 4 millions de familles.

Politique forestière nationale: principes et application

La Loi forestière n° 5 de 1967 stipule que les forêts sont gérées selon leur fonction, elle-même définie par des facteurs physiques, biologiques, climatologiques et écologiques. Les valeurs technologiques, sociales, et institutionnelles et les bases biologiques, doivent être également prises en considération. Pour ce faire, l'utilisation des terres boisées s'organise autour des quatre fonctions principales: protection, conservation et loisirs, production et conversion à d'autres usages.

En accord avec la Stratégie mondiale de la conservation, la politique indonésienne d'aménagement et de conservation de la nature a trois objectifs principaux:

· Protéger les processus écologiques et les écosystèmes fondamentaux.
· Conserver la diversité génétique.
· Assurer l'utilisation durable des espèces et des écosystèmes, comme le stipule la Loi n° 5 de 1990 sur la Conservation des ressources vivantes et de leurs écosystèmes.

L'Indonésie a classé 49 millions d'hectares de forêts comme réserves intégrales, dont 30 millions d'hectares de forets protégées et 19 millions d'hectares de zones de conservation. Ces réserves couvrent 25,5 pour cent de la superficie totale du territoire du pays. Les forêts de production occupent 64,4 millions d'hectares et les forêts destinées à être converties en terres agricoles, ou à d'autres fins selon les besoins, 30,5 millions d'hectares.

Pour maximiser les avantages tout en respectant les principes d'utilisation durable des terres, les mesures visent à renforcer les industries forestières, à conserver les ressources naturelles, et à sauvegarder l'environnement. La mise en œuvre de ces stratégies passe par la collaboration et la participation active des populations locales, celles qui vivent dans les forêts ou dans leur voisinage immédiat en particulier.

Etant donné le stade actuel de développement du pays et les pressions qui s'exercent de ce fait, priorité est donnée à l'inventaire forestier, à la délimitation des superficies boisées, et à l'élaboration de cartes topographiques des forêts. L'accent doit être mis sur l'amélioration de la productivité, la protection des forêts et la conservation de la nature, la vulgarisation, la science et la technologie forestières, l'éducation et les systèmes de formation et d'aménagement.

Il faut augmenter le bien-être général par l'amélioration de la production de biens et services et de la qualité de l'environnement pour atteindre les objectifs du développement économique. Le développement forestier fait partie intégrante du développement économique.

La politique de développement durable a été incorporée dès le début dans le cinquième Plan quinquennal (1989/1990) qui prévoit: la limitation de la production de grumes à 31,4 millions de m3 par an, l'application de taxes de reboisement accrues et l'augmentation des droits sur les exportations de sciages. Les exportations de sciages et l'activité des scieries ont de ce fait considérablement baissé, d'où une chute momentanée de la production de bois. Ce sont surtout les petites scieries artisanales qui ont été frappées par ces mesures. Toutefois, on a assisté à la création de nouvelles industries du bois (ameublement, boiseries, menuiserie), dans l'espoir d'une ouverture de marchés extérieurs pour ces produits finis. L'industrie papetière s'est également développée, à partir de bois de qualité médiocre provenant des forêts de qualité inférieure.

Le projet de plantation de 1,5 million d'hectares de forêt, prévu par le cinquième Plan quinquennal ne sera peut être pas réalisé dans les délais prévus du fait de divers obstacles d'importance, concernant l'identification des sites, la sélection des essences, la production des semences et des jeunes plants, et la pénurie d'ouvriers et d'entrepreneurs qualifiés.

Un objectif plus ambitieux de réhabilitation de forêts et de terres dégradées avait été fixé: il touche 4,9 millions d'hectares de superficies boisées déjà exploitées, 1,9 million d'hectares de forêts de protection dégradées, et 5 millions d'hectares de terres agricoles critiques. Seuls le reboisement des forêts de protection et la réhabilitation des terres agricoles ont pu être organisés, avec la participation des autorités locales et des communautés villageoises. Au cours de la première année du cinquième Plan quinquennal, 400 000 ha seulement de terres agricoles et 40 000 ha de forêts de protection dégradées ont ainsi pu être réhabilités. Les concessionnaires privés étaient responsables de la réhabilitation des forêts d'exploitation, mais le manque de surveillance, la pénurie de main-d'œuvre qualifiée et formée, l'identification insuffisante des sites et la faiblesse de l'organisation ont ralenti l'exécution du projet.

La conservation des forêts et la protection de l'environnement ont été axées sur le développement des parcs nationaux et la gestion des forêts de protection et des réserves naturelles. Les forêts de protection et les réserves naturelles ont été aménagées systématiquement. Les problèmes rencontrés ont été d'ordre institutionnel, du fait du partage incertain des pouvoirs entre instances centrales et provinciales, d'ordre organisationnel, par manque de structures, et d'ordre professionnel, en raison de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée; le manque de délimitation précise du domaine forestier a également constitué un obstacle.

Parmi les grandes questions qui sont appelées à devenir prioritaires en foresterie, notons:

i) La délimitation définitive des forêts permanentes. Des limites fonctionnelles du couvert forestier de 113,5 millions d'hectares doivent être fixées.

ii) Le développement des industries forestières. Il doit être fonction des besoins du marché et orienter la production forestière et l'aménagement des concessions d'exploitation.

iii) La préoccupation croissante inspirée par l'appauvrissement des forêts tropicales et son impact sur l'environnement. L'accent doit être mis sur l'amélioration de l'aménagement pour la conservation des forêts de protection et des réserves naturelles et sur une meilleure utilisation des forêts de production.

iv) L'importance accordée au développement régional et à la distribution équitable des revenus. Cette question se posera surtout à propos de l'aménagement des forêts dans une perspective de développement local et régional, dans le cas en particulier de l'agriculture itinérante, de la foresterie coopérative et sociale, de la mise en place d'infrastructures dans les régions déshéritées, et du développement de l'emploi.

v) La diversification de la production forestière. L'aménagement forestier doit désormais être orienté vers une sylviculture à produits multiples.

vi) La conservation de la biodiversité et les changements climatiques, qui ont été associés au développement industriel et au déboisement dans les pays en développement.

L'Indonésie a fait face de multiples façons à ces questions: programmes de diversification de l'énergie, évaluation de l'impact sur l'environnement (EIE) pour combattre la pollution et la dégradation de la qualité de l'environnement, programmes d'épuration des cours d'eau, mise en œuvre de systèmes de sélection en foresterie, programmes de reboisement et de conservation des sols, aménagement amélioré des parcs et réserves nationaux, programmes d'aménagement du littoral, délimitation des 113 millions d'hectares de forêts permanentes, et réglementation des zones protégées. Les plans nationaux de développement s'efforcent depuis 25 ans d'aborder ces problèmes.

Plans de développement forestier national

Les objectifs des plans de développement forestier de l'Indonésie ont été les suivants:

· utiliser les forêts mixtes de feuillus tropicaux situées hors de Java et les forêts plantées pour stimuler le développement du pays;

· convertir certaines zones boisées improductives en forêts plantées pour augmenter le volume sur pied à l'hectare et produire du bois d'œuvre et d'industrie;

· améliorer et enrichir les forêts naturelles peu productives et exploiter les zones de production de façon durable;

· restaurer et reboiser les terres dénudées pour en faire des forêts de production dans le cadre d'un aménagement intégré des terres;

· planter des forêts à fins multiples;

· conserver les ressources naturelles pour maintenir la stabilité de l'environnement et préserver la biodiversité.

Dans ce cadre général, les divers Plans quinquennaux ont mis l'accent sur certains aspects spécifiques de la foresterie conformément aux politiques nationales: promouvoir l'utilisation de la forêt dans les îles de la périphérie, dans le cas des premier et deuxième Plans quinquennaux; réhabiliter, conserver et reboiser, dans le cas du troisième Plan; équilibrer les objectifs d'exploitation et de conservation dans celui du quatrième Plan. Le cinquième Plan quinquennal (1989-1994), est axé sur l'aménagement rationnel et durable des ressources forestières et sur le renforcement du cadre institutionnel.

Le premier Plan forestier national de longue durée portait sur la période 1975-2000. Il a été révisé en 1986 pour couvrir la période 1986-2000. On prépare actuellement le deuxième plan de 25 ans. Lorsqu'il sera mis en application, l'Indonésie sera parvenue au stade du décollage économique et pourra s'appuyer sur les résultats obtenus, par les cinq premiers Plans quinquennaux.

La planification du développement à long terme est fondée délibérément sur un processus d'édification progressive fondée sur les acquis des périodes précédentes. C'est ainsi que le plan forestier de 25 ans reflète les objectifs permanents de la foresterie nationale. L'ouverture des îles périphériques à la sylviculture, le développement rapide des industries forestières, les nouveaux marchés des produits forestiers (pendant toute la période couverte par les Plans I à V) illustrent les effets positifs d'une planification rationnelle et ordonnée en phases cohérentes.

Le second Plan à long terme mettra l'accent sur le développement socioéconomique et régional. Le Ministère des forêts a mis en chantier le processus de planification à long terme pour le secteur forestier. Grâce à une concertation soutenue entre le ministère et les universités, des séminaires et des conférences ont pu être organisés sur des sujets divers: utilisation des superficies boisées, droits coutumiers, conservation des forêts, systèmes d'exploitation, développement des industries forestières, science et technologie, etc.

Si l'on veut que le sixième Plan quinquennal (1995-1999) atteigne ses objectifs dans les divers domaines envisagés, le cinquième Plan doit fournir:

· une base de données valable sur la nature, l'étendue et le caractère des terres boisées et des ressources forestières;

· un plan réaliste d'aménagement forestier et un programme de mise en œuvre fondé sur le respect de l'environnement.

Pour satisfaire au premier impératif, diverses activités ont été engagées. Le projet d'Inventaire forestier national financé par la Banque mondiale, et exécuté avec la FAO, est en cours d'exécution au Ministère des forêts. Il permettra d'établir des cartes précises à partir des situations existantes pour la classification légale des diverses catégories de forêts, et identifiera les zones forestières destinées à être défrichées pour la culture.

La seconde condition exige la protection effective de la totalité du couvert forestier permanent, l'application des réglementations nationales sur l'environnement, et leur intégration dans la législation sur les forêts, l'adoption de systèmes d'aménagement qui garantissent l'exploitation durable de toutes les forêts de production, la classification légale du domaine forestier permanent proposé, c'est-à-dire des forêts de production, de conservation et de protection, priorité étant accordée à celles qui font partie des zones protégées (conservation).

Perspectives, points forts et faiblesses de la foresterie

Le sixième Plan quinquennal rencontrera pratiquement les mêmes obstacles que le plan précédent, à savoir organisationnels et institutionnels: confusions de compétences entre pouvoir central et pouvoir régional, incapacité du secteur privé de gérer les concessions d'exploitation, pénurie de main-d'œuvre qualifiée, particulièrement pour assurer l'aménagement des forêts naturelles et des parcs nationaux. Au plan international, les préoccupations écologiques feront obstacle au développement des échanges de produits indonésiens sur les marchés mondiaux, et compromettront les exportations de contreplaqués et autres produits manufacturés.

Le développement sera axé sur l'emploi. Pendant les cinq années du sixième Plan, la population active augmentera de 2,4 millions de personnes par an, soit 12 millions an total. Le secteur forestier qui est peu développé, notamment l'aménagement et la régénération, offre des perspectives considérables de création d'emplois.

S'agissant de sa politique d'aménagement forestier, l'Indonésie a tenté d'en corriger les faiblesses et d'en renforcer les points forts. Parmi ces derniers, il convient de placer la longue expérience de gestion forestière à Java, un système bien établi d'administration forestière appuyé sur des politiques et sur une législation nationales, une industrie forestière dynamique, une grande sensibilisation aux questions d'environnement et à l'importance des forêts, l'adhésion générale à l'idée d'aménagement forestier durable, un secteur privé puissant et énergique engagé dans l'exploitation et l'industrie forestières, et des investissements importants réalisés dans le secteur au cours des 20-25 dernières années.

Les ressources forestières de l'Indonésie sont loin d'être épuisées. Les capacités productrices de ses forêts n'ont pas été considérablement réduites, comme c'est le cas dans d'autres pays de la région. Même si le déboisement et la conversion des terres à d'autres fins continuent, à un rythme ralenti, le couvert forestier occupera encore 40 pour cent de la superficie totale des terres du pays, en partie en raison des améliorations de l'aménagement forestier et à la hausse du niveau de vie prévue d'ici l'année 2030. En outre, des superficies accrues seront consacrées à des plantations forestières à très haut rendement.

En matière de ressources humaines, l'Indonésie a la chance de disposer d'une main-d'œuvre bon marché. Etant donné la forte proportion de jeunes dans la population, la main-d'oeuvre augmentera à un rythme croissant au cours des prochaines années. La productivité et la situation générale de la main-d'œuvre dans les îles de la périphérie se sont améliorées en général.

Le pays dispose d'une infrastructure industrielle développée. Le développement des industries forestières au cours de la dernière décennie a été extrêmement rapide. Des progrès sont encore nécessaires, en particulier dans l'industrie de la pâte et du papier et dans le recyclage des déchets et résidus. Il faut également diversifier davantage les activités industrielles, mais ces ajustements structurels seront relativement faciles à réaliser. Pour ce faire, il faudra d'abord réduire les distorsions du marché, prévoir des incitations convenables en faveur du secteur privé, mettre en place des infrastructures, assurer le bon fonctionnement du marché et l'accès aux technologies de transformation. Tous ces domaines exigent une amélioration qualitative.

Les produits forestiers indonésiens ont conquis une large place sur les marchés internationaux. En fait, l'Indonésie est le premier exportateur de contreplaqués du monde, et ses sciages, rotins, et produits du bois sont également très recherchés. De nouveaux débouchés commerciaux devraient pouvoir être trouvés aisément, ainsi qu'une ouverture sur de nouveaux produits en aval des industries forestières.

L'administration des forêts domaniales en Indonésie relève d'un ministère indépendant. Toutefois, la protection et la conservation des forêts, la recherche forestière et la transformation des produits du bois sont confiées au secteur privé, sous la surveillance de l'Etat. L'Indonésie a une grande expérience des institutions liées à l'élaboration des politiques, des stratégies, et des réglementations. En outre, elle est foncièrement attachée à l'aménagement forestier durable.

Les points forts de certains secteurs risquent d'entraîner un développement mal équilibré. C'est précisément à ces déséquilibres qu'il convient d'imputer les faiblesses du secteur forestier. La production de bois dans les îles de la périphérie a ainsi augmenté dans des proportions telles que les mécanismes d'appui et les soutiens opérationnels n'ont pas pu suivre, faute d'infrastructures, d'équipements et de main-d'oeuvre. De même, l'utilisation des terres n'a pas bénéficié de toute l'attention requise.

Les corrections à apporter pour éliminer faiblesses et obstacles sont les suivantes: renforcer le cadre institutionnel, améliorer l'efficacité de la production et de la transformation, renforcer les effectifs et les services de formation et d'éducation de la main-d'œuvre, promouvoir le rôle social et écologique de la foresterie, réviser les politiques, les stratégies, la législation, relatives aux objectifs futurs, donner une base scientifique à l'aménagement des forêts de production, améliorer les forêts naturelles les moins productives, gérer judicieusement les forets de conservation et de protection, élargir la base de ressources en complétant les ressources des forêts naturelles par des plantations, améliorer les services de recherche et de vulgarisation, et exercer une surveillance et des contrôles appropriés.

Les programmes forestiers correspondant aux divers Plans quinquennaux ont tenté de répondre aux besoins du secteur. Ils ont aidé à améliorer la situation, mais les défis écologiques, sociaux et économiques qui se posent exigent de nouvelles initiatives. Par ailleurs, l'expérience acquise à Java n'est pas toujours applicable telle quelle dans les îles de la périphérie. Il convient de développer d'urgence la recherche forestière dans ces zones.

Autre problème capital du développement: la croissance démographique. En effet, au cours des 10 dernières années, la population indonésienne a augmenté de 33 millions de personnes et, en 1991, elle atteignait 182,6 millions d'habitants. Malgré le succès des programmes de planification familiale, cette tendance se maintiendra. La sauvegarde des superficies boisées sera de plus en plus difficile sans un effort réel de la part des concessionnaires privés, et sans la participation des communautés locales. Tout en améliorant le bien-être des populations, le développement doit assurer la croissance économique en augmentant la production et l'emploi dans tous les secteurs. La croissance économique est trop fortement axée sur le développement de l'industrie manufacturière et de l'agriculture. La croissance de l'industrie forestière est mise en question par la diminution de la capacité de production des forêts naturelles.

Au cours des 25 dernières années, c'est pour l'essentiel le secteur privé qui a assuré le développement de la foresterie, qui était axé sur l'exportation. Les énormes bénéfices obtenus ont été réinvestis dans les industries forestières, telles que le contreplaqué, la pâte et le papier, les sciages, ainsi que dans diverses activités non forestières. Toutefois presque aucun des profits dégagés n'a été réinvesti pour la conservation et le développement des forêts naturelles.

Cette absence de contribution à un aménagement forestier durable est imputable à divers facteurs: ignorance et carences technologiques du secteur privé en matière d'aménagement des forêts tropicales, profits plus élevés dans d'autres secteurs non forestiers, mauvaise qualité et insuffisance de la main-d'œuvre dans les zones reculées où se situaient les exploitations forestières, faiblesses des services gouvernementaux de surveillance, indifférence des pays développés pour la juste évaluation et la valorisation des ressources naturelles des pays en développement.

Dans les années 70, la préférence accordée au secteur privé pour le développement de la foresterie n'a pas permis de respecter les objectifs fondamentaux du développement national: harmonisation du développement forestier et de la protection de l'environnement, aménagement durable des forêts, répartition équitable des revenus, en particulier vers les communautés locales proches des sites d'exploitation, création d'emplois et d'activités rémunératrices à la portée de tous, amélioration des connaissances et des techniques en vue de l'aménagement des forêts naturelles, amélioration de la production forestière et développement des industries forestières.

L'accent mis sur l'exploitation du bois et non sur l'aménagement des forêts naturelles a réduit les possibilités de création d'emplois dans le secteur forestier, le développement des aptitudes à gérer les forêts naturelles, et les chances d'une participation générale au développement forestier.

Le rôle du secteur privé dans le développement à venir de la foresterie indonésienne restera certes très important, mais ce secteur privé devra être rénové, si l'on veut améliorer la durabilité rentable des forets naturelles.

Le Programme d'action forestier national

L'Indonésie s'est engagée à participer aux efforts concertés entrepris par les agences internationales dans le cadre du Programme d'action forestier tropical (PAFT). Elle croit à la nécessité d'assurer la conservation par des mesures pluridisciplinaires axées sur cinq principaux domaines:

i) l'utilisation des forêts tropicales pour la protection des sols et des eaux à l'appui de la production agricole (foresterie et utilisation des terres);

ii) le développement d'une industrie efficace et l'obtention de marchés pour les produits forestiers (développement des industries forestières);

iii) l'utilisation du bois comme source d'énergie renouvelable (bois de feu et énergie);

iv) la conservation de la flore et de la faune, en tant que ressources génétiques (conservation des écosystèmes forestiers tropicaux);

v) le renforcement des institutions (recherche et développement, éducation, formation, vulgarisation) et de la participation populaire.

Le Programme d'action forestier national est fondé sur trois impératifs:

Protection: protection des écosystèmes, des sols et des eaux.

Production: durabilité des biens et services fournis par les forêts multiples au profit des générations présentes et à venir.

Participation: prise en considération des opinions et du savoir-faire de tous ceux qui se trouvent impliqués dans des activités forestières ou concernés par elles.

Ce Programme d'action forestier national comprend les éléments suivants:

· développement des institutions et des ressources humaines;

· inventaire des ressources forestières et planification de l'utilisation des terres;

· amélioration du rendement des superficies boisées et plantations de forêts de production de bois d'œuvre;

· amélioration de l'efficacité des industries forestières;

· conservation des ressources naturelles et de leurs écosystèmes;

· amélioration des forêts de production naturelles;

· promotion de la participation populaire;

· conservation des sols et des eaux;

· protection de la forêt.

Conclusion

L'Indonésie, un des archipels les plus vastes du monde, possède encore un couvert forestier considérable. Dans le passé, les forêts ont toujours été associées étroitement à la vie des populations. La foresterie a contribué substantiellement au développement de l'économie et du bien-être de la population, particulièrement au cours des 25 dernières années.

L'Indonésie tente de mettre en œuvre une politique forestière d'aménagement qui mette en valeur ses points forts et réduise ses faiblesses. Elle est résolue à aménager durablement ses forêts. L'aménagement des forêts naturelles tropicales s'est certes beaucoup améliorée; néanmoins, les problèmes à résoudre sont encore nombreux.

BIBLIOGRAPHIE

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Gouvernement indonésien. 1992. Policy paper on forestry development. Jakarta, Ministère des forets.

Gouvernement indonésien/FAO. 1991. An Agenda for forestry sector development in Indonesia. Jakarta, Direction générale de l'utilisation des forêts, Ministère des forêts.

Haeruman, H. 1992. National development issues in relation to forestry. Document sur le Programme d'action forestier indonésien, troisième Table ronde. (inédit)

La forêt, ressource renouvelable: Le cas de la Suède

B. Hägglund

Administrateur délégué, Stora Skog AB, Falun, Suède. Note: c'est la version éditée d'un article paru dans Unasylva, 42(167); 3-10

Cet article montre qu'il est possible de promouvoir à la fois la conservation des ressources forestières et leur utilisation à grande échelle. La démonstration s'appuie sur le cas suédois mais pourrait être appliquée aux autres pays Scandinaves et d'Europe du Nord. Avec moins de 1 pour cent des forêts denses du monde, la Suède assure 4 pour cent de la production mondiale de papier. Ce développement économique du secteur forestier suédois s'est accompagné pourtant d'une augmentation régulière des ressources forestières. Une des raisons de ce succès est que la foresterie suédoise a bénéficié d'un environnement industriel, économique et social favorable. Notons également la stabilité des politiques forestières très largement consensuelles, l'efficacité des stratégies commerciales appliquées aux produits forestiers, les services de vulgarisation, les subventions et autres services d'exploitation. On passera également en revue l'histoire de la foresterie suédoise et de son développement, et on examinera enfin les problèmes posés par la pollution et diverses autres questions touchant à la protection de l'environnement.

INTRODUCTION

Avec moins de 1 pour cent des forets denses du monde, la Suède assure 6 pour cent de la production mondiale de sciages et 4 pour cent de celle de papier. Dans l'économie nationale, les produits forestiers procurent un excédent commercial important, qui permet au pays de payer ses importations de pétrole, de denrées alimentaires, de produits chimiques, de vêtements, etc. Le bien-être des Suédois repose, en grande partie, sur leurs forêts.

Le développement économique du secteur forestier suédois s'est accompagné d'une augmentation régulière des ressources forestières. Depuis le premier Inventaire forestier national (1923-1929), le volumel sur pied est passé de 1 800 à 2 800 millions de m3. En général, la quantité enlevée atteint annuellement 65 millions de m3 environ. La «possibilité», c'est-à-dire le volume qui pourrait être enlevé sans porter atteinte à la durabilité, est au moins de 85 millions de m3 selon les dernières estimations, et ne cesse d'augmenter.

Comment la Suède en est-elle arrivée là? Située entre 55° et 69° de latitude nord, elle ne peut pas être considérée comme un pays doté de conditions biologiques ou écologiques exceptionnellement favorables à la foresterie. La réponse doit être cherchée, pour une grande part, dans le développement social et industriel du pays, auquel s'ajoutent la proximité des marchés d'Europe occidentale et une superficie forestière par habitant - environ 3 ha - relativement importante.

JADIS

Depuis que la Suède est habitée, il existe une interaction entre la forêt et les hommes. Les forêts et leur gibier ont d'abord été source de nourriture, source également de combustible pour la cuisson des aliments, et de matière première pour la construction d'habitations et autres structures. A ce stade de la chasse et de la cueillette, l'homme et la forêt coexistaient dans une symbiose assez harmonieuse. Mais quand les sociétés humaines ont appris à acclimater les plantes et à les cultiver, les forêts, devenues un obstacle, ont été brûlées. La culture itinérante - qui consistait à brûler la forêt et à planter dans les cendres - est devenue une pratique agricole très générale dans les parties les moins fertiles du pays. Qui plus est, le pâturage dans les forêts empêchait leur régénération naturelle.

Avec l'expansion démographique et le développement de l'agriculture, on assista à la naissance de conflits locaux, par exemple quand besoins agricoles et besoins de bois de construction se sont fait concurrence. Dès le XVIIe siècle, une législation assez détaillée concernant la coupe et la protection de certains arbres (notamment les chênes, pour la construction des navires), était mise en place. Toutefois, son application ne faisait pas l'objet de mesures de surveillance très strictes, et il n'existait aucune disposition concernant la régénération des forêts après l'abattage. Surtout, aucune loi ne peut empêcher une population affamée de couper des arbres pour se nourrir, se chauffer et se loger si elle n'a pas d'autres moyens de se procurer ces biens de première nécessité.

1800-1900

Au XIXe siècle, la société suédoise a connu une véritable métamorphose. Le rythme de croissance de la population a été plus rapide que celui de la productivité agricole, ce qui a entraîné une émigration de grande envergure, essentiellement vers les Etats-Unis, pendant la seconde moitié du siècle. En fait, près d'un tiers de la population a émigré au cours de cette période. La pénurie de vivres a également augmenté la pression exercée sur les forêts, qui ont été dévastées, surtout dans le sud du pays. Bien que la Suède n'ait jamais manqué de bois ou de surfaces boisées à l'échelon national, à l'échelon local les difficultés de transport ont causé de réelles pénuries.

Le XIXe siècle a vu l'avènement de l'ère industrielle en Europe. La demande de bois rond a augmenté, et, quand les réglementations commerciales ont été libéralisées aux environs de 1850, le marché s'est ouvert aux sciages nordiques. L'exploitation des forêts vierges de résineux du nord de la Suède a ainsi connu une expansion rapide. Des scieries ont acheté ou loué des forêts, souvent à des prix dérisoires, à des agriculteurs qui ignoraient la véritable valeur de leurs ressources. En quelques décennies, ces entreprises de sciages ont acheté près de 25 pour cent des superficies boisées suédoises. C'est ainsi que des agriculteurs dépouillés de leurs terres ont été forcés de quitter leur foyer à la recherche d'emplois dans les nouvelles industries, ce qui a provoqué de graves problèmes sociaux. Une restructuration brutale mais nécessaire de la vie économique suédoise a été entreprise, au cours de laquelle les pauvres ont dû payer le prix de l'industrialisation et de l'amélioration des conditions de vie des générations futures.

Dans ce contexte, deux questions d'une très grande portée politique se sont posées: le droit des sociétés à acheter des terres aux agriculteurs, et l'obligation de la régénération de la forêt après coupe rase. Il a fallu au Parlement au moins 50 ans de débats sur cette dernière question pour finalement arriver à la résoudre.

1900-1945

En 1903, une loi sur la sylviculture prescrivant la régénération obligatoire de la forêt après une coupe rase a enfin été votée par le Parlement suédois, suivie, en 1906, d'une seconde loi interdisant l'acquisition de nouvelles forêts par les scieries. Ces deux lois étaient, dans une certaine mesure, le résultat d'un marchandage entre le gouvernement et les agriculteurs, qui constituaient une force politique non négligeable et qui possédaient encore presque la moitié des surfaces boisées: la loi sur la sylviculture représentait le prix à payer s'ils voulaient garder le contrôle permanent de leurs terres. C'est ainsi que furent posées les pierres angulaires de la politique actuelle en matière d'utilisation du sol en Suède: une loi statuant sur le droit à l'acquisition de terres, et une autre fixant les responsabilités des propriétaires concernant l'utilisation de leurs terres.

Depuis lors, la structure de la propriété forestière en Suède n'a pas changé: la moitié des forêts productives appartient à des particuliers, un quart à des sociétés, et le reste sous diverses formes à des collectivités publiques, l'Etat principalement. Ainsi, les trois quarts des forêts suédoises sont entre les mains de propriétaires privés, ce qui signifie que pour influencer la foresterie, la société doit appliquer une politique forestière. Ce n'est pas le cas dans les pays où l'Etat est le principal propriétaire forestier. Les lois ne sont efficaces que si on en contrôle l'application. C'est pourquoi, dès 1905, ont été institués des Conseils forestiers régionaux, chargés d'assurer l'application de la loi sur la sylviculture. Dès le départ, ces Conseils ont été dissociés de la gestion des forêts appartenant à l'Etat. Leurs instruments principaux, la vulgarisation et les services, devaient servir à promouvoir des initiatives volontaires de sylviculture et de reboisement qui ont permis de reconstituer les ressources forestières suédoises.

Deux facteurs capitaux ont été à l'origine de l'évolution initiale:

i) Une efficacité accrue de l'agriculture. La production de vivres est devenue suffisante pour couvrir les besoins. D'anciennes terres agricoles ont été rendues à la foresterie, et le pâturage du bétail en forêt a diminué. Cela était extrêmement important pour faire progresser le développement dans les années à venir.

ii) L'essor de l'industrie de la pâte à papier et du papier. Un marché pour les petits arbres a été créé et, avec lui, les incitations économiques nécessaires à la pratique des coupes d'éclaircie, et, plus généralement, la base financière d'une sylviculture améliorée. Cet essor a également permis de réduire la durée de révolution.

Les progrès effectués ont été enregistrés grâce à un Inventaire forestier national, sur un échantillonnage effectué à l'échelle du pays selon des principes statistiques éprouvés. Le premier inventaire date de 1923. La même année, la loi sur la sylviculture a été complétée par un règlement additionnel interdisant la coupe rase de jeunes peuplements. Public et industrie se sont mobilisés pour promouvoir le reboisement et la sylviculture au rang de tâches nationales d'importance vitale. C'est ainsi qu'ont été créées, entre autres initiatives, des organisations non gouvernementales consacrées au reboisement et à la sylviculture.

Mais tout n'a pas été que progrès. Au début du siècle, les méthodes sylvicoles ont fait l'objet de rudes polémiques. La notion de coupe sélective, au lieu de coupe rase, a fait son apparition et est devenue très populaire. Bien que la recherche ait montre que les coupes rases étaient nécessaires pour activer l'activité microbienne et créer ainsi le flux nutritif indispensable à la régénération des sols pauvres dans un climat froid, la foresterie a développé la pratique de la coupe sélective généralisée, en partie du fait de la chute du prix du bois dans les années 30. En conséquence, pendant cette période de coupes sélectives à grande échelle, très peu de jeunes peuplements ont été plantés. Les effets de cette politique néfaste se font encore sentir aujourd'hui: les forets d'âge adulte sont peu nombreuses, et les forêts prêtes à l'abattage définitif risquent de faire défaut à l'avenir. Ce "vieillissement induit" comme on l'appelle, a profondément affecté la sylviculture suédoise contemporaine.

Les associations de propriétaires forestiers ont en revanche joué un rôle très positif dans le développement de la foresterie suédoise au cours des années 30. Ces associations visaient à rationaliser les opérations forestières, à améliorer la compétence des propriétaires, et à renforcer leur position dans les négociations sur le prix du bois. Dans le sud de la Suède, les associations ont créé leurs propres industries; l'idée-force était d'accroître la demande de bois pour augmenter la valeur financière de la forêt.

DE 1945 À NOS JOURS

Une nouvelle loi sur la foresterie a été votée en 1948 incorporant aux mesures déjà prises sur la régénération et la coupe des peuplements immatures l'introduction d'un rationnement pour les forêts anciennes. Ce rationnement avait pour but d'assurer une répartition assez régulière de l'offre de bois et d'emplois sur l'ensemble des superficies boisées.

Les inconvénients des coupes sélectives sont devenus évidents à partir de 1945, et on est alors revenu à la pratique de la coupe blanche comme méthode habituelle de sylviculture. Dès le début des années 50, de vastes campagnes de restauration ont été lancées dans le nord de la Suède. De vastes superficies de peuplements résiduels ont été coupées à blanc, souvent pulvérisées aux herbicides, puis scarifiées et plantées.

Cette restauration a souvent donné de bons résultats du point de vue sylvicole, mais a parallèlement engendré des débats avec les non-forestiers sur la mécanisation de l'exploitation, selon des méthodes relativement nouvelles et souvent écologiquement contestables. Avec le temps, ces débats se sont envenimés, et ont dégénéré en conflits graves lorsque l'utilisation des herbicides en foresterie est devenue une question politique de premier plan. La polémique culmina au milieu des années 70 et, en 1976, les herbicides ont été définitivement prohibés en sylviculture.

Qui plus est, en 1975, des règlements relatifs à la conservation de la nature sont venus compléter la loi sur la sylviculture. Le Parlement a adopté en 1979 une nouvelle loi introduisant des mesures relatives aux éclaircies précommerciales et à l'utilisation de matériel génétique manipulé, etc. La nouvelle loi était également plus spécifique et plus concrète que les précédentes. C'est ainsi par exemple que les exigences de régénération étaient formulées en nombre minimum de plants sains par hectare au bout d'un nombre donné d'années après la régénération. La législation était associée à de vastes opérations d'inventaire forestier, visant entre autres à identifier les peuplements qui n'étaient pas conformes aux nouveaux règlements. Ce dispositif a constitué un outil très efficace entre les mains des autorités forestières, et l'état sylvicole des forêts s'est en conséquence considérablement amélioré au cours des années 80.

Les autres moyens existants pour faire appliquer les politiques forestières ne sont pas pour autant secondaires: ce sont la vulgarisation, l'octroi de subventions, et les services opérationnels.

La vulgarisation a toujours joué un rôle important dans les activités des Conseils régionaux de la foresterie. Toutes les méthodes sont mises à contribution, de l'aide individuelle fournie au propriétaire forestier, souvent sur les lieux mêmes, aux services collectifs et aux classes de vulgarisation, en passant par les moyens de communication de masse, journaux, etc. La sylviculture et la planification forestière à long terme sont les sujets dominants, mais des activités plus pratiques sont également prévues, comme les diverses opérations forestières, la sécurité au cours des travaux en forêt, etc. Depuis quelques années, la protection de la nature occupe le devant de la scène.

L'octroi des subventions, associé souvent à la vulgarisation et au contrôle de conformité à la loi, a fortement contribué à l'amélioration des ressources forestières. Les subventions ont servi d'incitations à l'application de mesures à long terme, parfois contradictoires avec le strict intérêt financier: notamment le premier boisement de terres en friche et le reboisement dans des zones reculées. Au cours des dernières décennies, les subventions étaient financées par une taxe payée par tous les propriétaires forestiers et basée sur la valeur de la forêt. Récemment ce système de réciprocité impôt-subvention a été aboli dans le cadre de la nouvelle politique économique suédoise. Reste à savoir quels seront les effets de cette mesure sur la foresterie.

Les comités régionaux de foresterie fournissent depuis longtemps des services opérationnels aux forestiers: notons, entre autres, la production de jeunes plants, l'assistance dans les opérations sylvicoles, et la planification forestière. La fourniture de bons plants à tous les propriétaires a joué un rôle très important. Elle a également assuré une grande part du financement des comités. Récemment, les associations de propriétaires forestiers se sont mises également à offrir des services de ce genre. En conséquence, un débat s'est instauré pour savoir si l'Etat doit ou non continuer à jouer un rôle dans ce domaine.

Toutes ces méthodes sont très souvent intégrées dans un processus d'interaction. Cette façon de faire s'est révélée très efficace et productive, du moins au cours de la période de reconstitution des ressources forestières.

L'inventaire forestier national n'a cessé de se perfectionner depuis son apparition et son rôle dans l'établissement du "bilan forestier" a été déterminant. Il a rendu possible un contrôle permanent des forêts, à l'échelon national et régional, pour éviter la surexploitation, et des méthodes de sylviculture appliquée, pour s'assurer qu'elles sont adéquates, etc. Les informations recueillies sont très précises et à jour. L'inventaire a également fourni les bases d'une étude prévisionnelle du développement forestier selon les modes d'aménagement pratiqués. On a pu ainsi étudier les effets des divers programmes sylvicoles et en tirer d'importantes conclusions quant aux politiques forestières adoptées.

L'inventaire et ses résultats sont donc largement utilisés pour déterminer les politiques forestières. Ils constituent en quelque sorte une garantie de durabilité de la foresterie puisqu'ils permettent d'harmoniser les dimensions de l'industrie forestière suédoise avec la capacité effective et prévisionnelle d'une production durable.

En règle générale, l'état actuel de la forêt suédoise est plutôt satisfaisant. La croissance excède les coupes d'environ 30%. La régénération est en bonne voie et la plupart des peuplements jeunes et adultes sont correctement entretenus et éclaircis. Naturellement, il reste des problèmes à résoudre: le plus grave est celui de l'acidification et de la pollution des sols forestiers causées par les polluants atmosphériques tels que les oxydes de soufre et d'azote, et les acides.

Le problème est ardu: les sources principales de pollution sont des industries situées au-delà des frontières, et c'est pourtant la Suède qui doit prendre les contre-mesures qui s'imposent, notamment le chaulage de vastes zones du sud-ouest du pays.

Autre problème important: les relations entre les écologistes et les forestiers laissent toujours à désirer, malgré les efforts entrepris par le secteur forestier pour mieux aborder les questions d'environnement. Hors des cercles de la foresterie, on n'a pas suffisamment tenu compte de ce changement d'attitude.

Aujourd'hui, l'intérêt pour la conservation de la nature est centré sur la durabilité de la diversité biologique dans les forêts, et en particulier sur la survie des populations végétales et animales menacées d'extinction. Ces espèces menacées sont souvent associées aux forêts les plus anciennes ou à des biotypes issus de méthodes culturales aujourd'hui abandonnées. En règle générale, il existe deux méthodes pour les protéger: soit on crée des réserves naturelles, soit on accorde une attention spéciale aux biotopes les plus restreints et les plus vulnérables dans un contexte de foresterie ordinaire. Ce dernier aspect fait désormais partie, comme nous l'avons vu plus haut, de la législation suédoise sur la sylviculture datant de 1979. Récemment une très vaste campagne de sensibilisation a été lancée à l'intention des propriétaires et des ouvriers forestiers pour améliorer leurs connaissances en matière de conservation de la nature, et accroître leur intérêt pour les questions d'environnement. La campagne intitulée «Une forêt plus riche» a démarré en 1990, et plus de 50 000 personnes ont déjà acheté le matériel d'information publié. A l'heure actuelle, il semble que politiciens, écologistes et forestiers soient tous d'accord pour considérer l'éducation comme la façon la meilleure d'amener les exploitants forestiers à mieux comprendre la nature. Ce consensus existe au moins tant que le débat porte sur les méthodes les plus traditionnelles, les plus courantes de foresterie. En revanche, le creusement de saignées, la scarification, l'usage de nouvelles essences d'arbres améliorées génétiquement, etc., sont des méthodes contestées par les écologistes, qui réclament des déclarations d'impact écologique.

La question des réserves naturelles, c'est-à-dire de vaste zones interdites à l'exploitation à des fins de conservation de la nature, n'est pas simple. L'élaboration d'une stratégie nationale pour les réserves naturelles, proposant un objectif valable pour l'ensemble de la superficie protégée, pose évidemment des problèmes. Actuellement, environ 9 pour cent du territoire de la Suède, dont 3 pour cent de superficies boisées productives, ont été classés en réserves naturelles ou parcs nationaux. La plupart des réserves forestières sont situées en haute altitude. Les écologistes plaident pour une extension considérable des zones protégées. Les forestiers, en revanche, surtout dans le nord du pays, considèrent que les vastes réserves existantes, spécialement dans les zones montagneuses, constituent déjà un obstacle sérieux à la foresterie productive, et qu'il ne faut surtout pas les accroître. Pour le sud de la Suède, la plupart des partis s'accordent sur la nécessité de créer de nouvelles réserves, mais leur mode de financement est controversé. Ce débat, compromis par une grande ignorance des besoins des différentes espèces en fait d'environnement, risque de se prolonger longtemps encore.

ET APRÈS?

Que réserve l'avenir à la foresterie suédoise? De toute évidence, cela dépendra largement du marché mondial des produits forestiers. La foresterie suédoise produit du bois de haute qualité à un prix généralement élevé. Elle a pratiquement pour unique client l'industrie forestière de pointe. La stratégie pour l'avenir consiste donc à utiliser du bois de qualité pour la fabrication de produits suffisamment chers pour supporter le prix élevé de la matière première.

Le succès dépendra de la capacité à identifier et fabriquer ces produits que manifestera l'industrie du bois en Suède, à condition évidemment qu'une efficacité technologique accrue permette de maintenir les coûts à un niveau raisonnable. Les aspects écologiques tiendront d'ailleurs une plus grande place à l'avenir.

Toutes les parties concernées par les forêts du pays doivent réaliser et promouvoir un équilibre raisonnable entre production et conservation, dans le respect mutuel des objectifs de chacun. Les interactions positives entre production et conservation sont déjà très fortes, et il convient de les renforcer encore.

Les revenus tirés de la foresterie industrielle suffisent à procurer les ressources nécessaires aux activités de conservation, et ce n'est qu'à travers la conservation que la durabilité de la production sera assurée. La foresterie peut aussi servir utilement à évacuer le bioxyde de carbone, l'azote et autres polluants.

La Suède est située dans le voisinage de sources industrielles de polluants atmosphériques extrêmement porteurs tels que les oxydes d'azote et de soufre. Ces polluants risquent de se trouver au cœur de tous les débats futurs sur la foresterie. Il est impératif que les émissions soient considérablement réduites: en attendant, il faudra probablement chauler les sols des forêts pour en réduire l'acidité.

CONCLUSIONS

Pour terminer, tirons quelques conclusions sur l'état actuel de la foresterie suédoise. Ces conclusions sont applicables à d'autres pays, mais le développement de la foresterie suédoise est spécifique: il repose sur des circonstances qui n'existent pas ailleurs.

Développement social. Il est évident, en Suède comme ailleurs, qu'il ne peut y avoir de foresterie durable si les besoins élémentaires des populations ne sont pas assurés. Tout programme de développement forestier à long terme doit donc inscrire la sécurité alimentaire parmi ses priorités de base.

La foresterie suédoise a évolué dans un environnement très marqué par le développement positif des conditions industrielles, économiques et sociales. La foresterie et l'industrie forestière ont largement contribué à ce développement, mais ont parallèlement bénéficié de l'activité des autres secteurs. C'est ainsi que la mécanisation des opérations forestières a été techniquement et économiquement stimulée par le développement similaire, mais préalable, de l'agriculture et du bâtiment. Sans ces deux synergies positives, il est difficile de dire ce qu'il serait advenu du secteur forestier. On peut, dès à présent, dégager certains des problèmes qui risquent de se poser à l'avenir. Le développement social et économique constant n'est plus aussi évident qu'il l'a longtemps été. Il existe un danger manifeste de surconcentration urbaine du fait de la réduction rapide des emplois dans les deux secteurs forestier et agricole. Si les infrastructures rurales - routes, écoles, services - en sont par trop disloquées, la foresterie suédoise aura à faire face à des difficultés accrues. L'importance croissante des valeurs écologiques - recyclage et autres - va lui poser de nouveaux défis, auxquels il ne sera peut-être pas facile de répondre pendant une période de transition. Mais, à la longue, la foresterie sortira gagnante de cette évolution.

Marchés. La foresterie suédoise repose presque entièrement sur l'utilisation industrielle du bois. Un marché libre et florissant, capable d'absorber un large éventail de produits et jouissant d'une certaine stabilité dans le temps, est nécessaire pour stimuler les investissements dans de nouvelles forets. De toute évidence, on peut accroître les ressources forestières tout en utilisant les forêts à des fins industrielles sur une large échelle. J'estime que l'industrie forestière suédoise constitue une expérience très positive dont on pourrait s'inspirer dans d'autres parties du monde.

Processus politique. Consensus et stabilité ont été les deux facteurs principaux du processus politique ayant trait aux forêts suédoises. A quelques exceptions près, la législation sur les forêts reflétait en fait des vues déjà partagées par les forestiers professionnels, parce qu'elle était l'expression d'une conception saine de la foresterie. J'estime cela nécessaire aussi longtemps que l'on se trouve dans une période d'accroissement des ressources forestières. En outre, des liens étroits entre propriétaires et aménagistes ont été maintenus et de tels liens sont positifs lorsqu'il s'agit de développer les forêts et la législation qui s'y rapporte, surtout dans le cas des lois nouvelles sur la protection de l'environnement. Ces lois, dont la majorité ne fait pas partie de la législation sur la foresterie, cherchent à réglementer le secteur dans le détail, d'une façon tout à fait nouvelle pour les forestiers et, à mon avis, malencontreuse à long terme. Sur ces questions également il convient de parvenir à un consensus si l'on veut obtenir de bons résultats.

Développement. Les forêts représentent une ressource véritablement renouvelable, qui fournit un grand nombre de produits et de services à partir d'un processus associant soleil, eau, bioxyde de carbone, et éléments nutritifs. Si l'on compare foresterie et industrie forestière à tous les autres moyens par lesquels l'homme se procure ce dont il a besoin, il est manifeste qu'il convient de leur donner la préférence, écologiquement parlant. Dans ces conditions, je crois qu'une des tâches capitales des années à venir, et peut-être l'une des stratégies les plus efficaces du futur, consiste à assurer le développement durable de la foresterie dans le monde, et en Suède.

Gestion forestière durable et mise en valeur des forêts en France

J. Gadant

L'auteur est ancien directeur de la Direction des Forêts, 1, rue Auband, 92330 Sceaux, France.

L'auteur analyse l'expérience de la gestion durable des forêts en France. Tout d'abord, il établit la différence entre rendement soutenu et gestion durable. Cette dernière est une notion plus générale, car la gestion vise non seulement à rationaliser les coupes, mais aussi à valoriser toutes les composantes économiques, sociales et culturelles de la forêt. La foresterie française est présentée du point de vue de la continuité et de l'inaliénabilité des sols boisés, garanties par des instruments juridiques. La régionalisation des politiques forestières et l'application à l'échelle locale de la législation pour répondre aux exigences de la production et de la conservation sont décrites. L'association et le partenariat de tous les acteurs sont des conditions essentielles d'un aménagement et d'une conservation efficaces des forêts. L'auteur souligne aussi l'importance de la communication dans ce contexte.

INTRODUCTION

La gestion forestière durable est une des recommandations importantes du dixième Congrès forestier mondial. Elle est le vrai moyen d'assurer la sauvegarde de patrimoines forestiers surexploités ou défrichés.

Les forestiers français sont plus familiers avec le concept de «rendement soutenu» qu'ils appliquent depuis longtemps dans les aménagements des forêts domaniales ou communales soumises au régime forestier, afin de planifier les coupes à la fois dans le temps et dans l'espace. L'objectif est de réguler les volumes de bois extraits de la forêt tout en assurant la conservation du patrimoine.

Dans le contexte actuel de régression du patrimoine forestier mondial, le mot «durable» évoque l'objectif de pérennité de la forêt, et la gestion est le moyen d'atteindre cet objectif. Ainsi, cette approche élimine-t-elle la conception négative de conservation intégrale de la forêt par abandon de toute intervention; par contre, elle engage à des interventions actives en forêt, non seulement pour rationaliser les coupes, mais aussi pour en valoriser toutes les composantes économiques, écologiques, sociales, paysagères et culturelles. Ainsi cette gestion durable est un concept plus large que le simple rendement soutenu des forestiers français.

POLITIQUE FORESTIÈRE

Quelles sont donc les mesures qui ont été prises en France pour assurer une gestion durable? Celle-ci nécessite des personnels bien formés et compétents, un appareil de recherche qui fasse progresser la connaissance dans la conduite des écosystèmes forestiers, des financements adaptés au long terme de la forêt et à sa faible rentabilité. S'agissant de gestion durable, nous nous limiterons à évoquer l'indispensable continuité de cette politique et la nécessité qu'elle impose d'une affectation pérenne des sols boisés.

La continuité

Les actions forestières s'exercent dans le long terme. Il est donc essentiel que la politique forestière nationale qui les orchestre soit assurée de la continuité.

Le régime forestier des forêts publiques. Issu du Code forestier de 1927, le régime forestier a traversé toutes les péripéties politiques. C'est un ensemble cohérent de réglementations qui imposent aux forêts publiques (domaniales et communales) certaines obligations. Celles-ci garantissent la conservation du patrimoine (inaliénabilité, imprescribilité, etc.), imposent un gestionnaire compétent (l'Office national des forêts) et assujettissent chaque forêt à un plan d'aménagement (pour régler rigoureusement les coupes et les travaux).

Les forêts privées: obligations et incitations. En France, la propriété forestière privée est importante: elle représente les deux tiers des forêts françaises. Ces patrimoines privés jouent un rôle d'intérêt général à concilier avec les intérêts légitimes des propriétaires.

Les limitations du droit de propriété. La politique forestière garantit le respect des droits du propriétaire. Si l'intérêt général exige des limitations de ce droit, elles sont clairement définies dans la loi et peuvent faire l'objet de compensations. Ces limitations sont notamment: l'assujettissement des forêts de plus de 25 ha d'un seul tenant à un plan de gestion que le propriétaire soumet à l'approbation du Centre régional de la propriété forestière (établissement public géré par la profession et contrôlé par l'administration); l'obligation de reboiser après une coupe à blanc d'un peuplement résineux; l'interdiction d'appauvrir un peuplement de feuillus au-delà d'un certain seuil; etc.

Les incitations de l'Etat à la forêt privée. Ainsi, la loi limite les droits du propriétaire. Par ailleurs, la forêt fournit à la collectivité des services d'ordre biologique, écologique, social, paysager etc., qui ont des valeurs non chiffrées, mais réelles. Enfin, sa rentabilité est modeste. Tous ces apports gratuits justifient que la forêt privée fasse l'objet de compensations, dont:

· Exonérations fiscales. Le propriétaire qui reboise est exonéré de la contribution foncière pendant 30 ans. Concernant la taxation du capital, il y a exonération des trois quarts de sa valeur pour une mutation, ainsi que pour le calcul de l'imposition annuelle sur la fortune.

Mais ces avantages ont une contrepartie au niveau de la gestion; l'exonération des trois quarts est assortie d'un engagement trentenaire de soumettre la forêt à un bon régime d'exploitation contrôlé par l'administration. Ainsi, le service rendu justifie la compensation fiscale.

· Aides financières. Alimenté par une taxe sur le bois, le Ponds forestier national finance une politique active de reboisement depuis 40 ans. Le budget de l'Etat subventionne aussi des investissements en forêt privée. La Loi de 1985 stipule que ces aides financières sont accordées en priorité aux propriétaires qui présentent des garanties de bonne gestion et qui souscrivent à l'engagement de ne pas démembrer leur propriété.

L'affectation pérenne des sols

La gestion forestière ne contribue à la conservation de la forêt que dans la mesure où des dispositions juridiques claires peuvent garantir la stabilité de l'affectation des sols à la forêt. Bien entendu, cette indispensable rigueur ne doit pas exclure certains changements nécessaires; mais ils sont exceptionnels, fondés sur un motif d'intérêt public, et parfois conditionnés par un boisement compensateur.

Le régime forestier très protecteur garantit l'intégrité des forêts domaniales et communales. Pour les forêts privées, la loi a progressivement inséré dans le Code forestier diverses législations conservatoires.

La maîtrise du défrichement. Tout projet de défrichement est préalablement déclaré à l'administration par le propriétaire. Ce projet peut faire l'objet d'une opposition des pouvoirs publics en vertu d'une disposition d'intérêt général précisée dans la loi. Par ailleurs, le défrichement est assujetti à une taxe.

La place des forêts dans l'aménagement rural. Dans de nombreux pays tropicaux, les forêts sont encore considérées comme des réserves de terres agricoles face à l'explosion démographique. Un schéma d'aménagement du territoire devrait localiser les zones de conservation intégrale, celles où la forêt peut être plus rationnellement aménagée et exploitée, les terres disponibles à boiser, les terrains peuplés où l'agriculture peut être conciliée avec la forêt au moyen de techniques agroforestières.

Cette question a été traitée au dixième Congrès forestier mondial (voir Gadant, 1991). Le Congrès a constaté qu'il n'y a pas de solution purement forestière aux problèmes forestiers. Il a donc recommandé aux forestiers du monde de sortir de leur isolement traditionnel afin de concevoir et d'assurer la protection et la valorisation de la forêt dans le cadre d'un aménagement rural décentralisé, intégré et concerté avec les populations locales et leurs représentants élus. Nous donnerons ici deux exemples de problèmes concrets auxquels la politique forestière a été confrontée et qui trouvent leur solution dans l'aménagement rural.

Dans les zones d'exode rural, il est arrivé que la progression de la forêt soit excessive et il a fallu imaginer une réglementation limitant le droit de planter. Par contre, dans l'environnement des villes, l'urbanisation et les grands équipements dévoraient la forêt et il a fallu imaginer diverses réglementations protectrices.

Mais l'application ponctuelle et administrative de ces réglementations contraignantes s'est révélée inefficace. La vraie solution consistait à affecter l'espace aux mises en valeur les plus appropriées dans le cadre de plans d'aménagement concertés.

· en matière de reboisement: celui-ci est précédé d'un zonage agricole et forestier, assorti d'une réglementation;

· en matière de protection de la forêt: la détermination d'un «espace boisé classé» dans un plan d'occupation des sols rend irrecevable toute demande de défrichement;

· en matière de gestion: le classement en «forêt de protection» impose des contraintes sylvicoles au gestionnaire.

L'aménagement foncier forestier. Mais cette affectation durable des sols forestiers qui est la clé de leur valorisation et de leur conservation pose d'énormes problèmes fonciers, notamment en nos pays de vieille civilisation où les successions, de génération en génération, ont morcelé la propriété.

C'est pourquoi les lois foncières et forestières de 1985 ont mis à la disposition de l'aménageur rural et du forestier une panoplie bien pourvue d'outils pour promouvoir une réorganisation foncière globale: échanges de droits de propriété et d'exploitation, qu'ils soient agricoles ou forestiers; mise en valeur des terres incultes par l'agriculture ou la forêt; remembrement agricole et forestier; aménagement foncier agricole et forestier.

Aujourd'hui, des excédents de production agricoles vouent des terres à l'abandon. Cette inéluctable déprise offre une séduisante possibilité d'extension de la forêt dans une Europe très déficitaire en bois. Encore faut-il promouvoir des reboisements regroupés, suffisamment étendus et bien desservis afin de faciliter leur gestion et leur exploitation.

POLITIQUES FORESTIÈRES RÉGIONALISÉES

Depuis une vingtaine d'années, les pouvoirs excessifs d'un Etat trop centralisé ont été:

· soit déconcentrés sur les autorités administratives locales, notamment les préfets;

· soit décentralisés sur les collectivités territoriales (communes, départements, régions) investies notamment de l'aménagement du territoire.

Néanmoins, la politique forestière n'a pas été décentralisée et continue de relever de l'Etat qui incarne le contrôle suprême et la continuité si indispensable à la gestion de la forêt. Mais la Loi forestière de 1985 a institué des procédures qui adaptent et modulent localement son application. En effet, nos patrimoines forestiers n'ont aucune unité; la forêt française est constituée de peuplements de types variés auxquels on demande d'assumer des fonctions diverses et parfois contradictoires.

Suivant les régions et les besoins exprimés, des orientations particulières s'imposent aux aménagements: ici, une politique de reboisement à développer, là, des mesures de protection à renforcer, des aménagements récréatifs à promouvoir, etc. Par ailleurs, à l'intérieur d'une même région, les politiques doivent être différenciées. S'il n'est pas toujours possible au niveau d'une même forêt de concilier production et conservation, par contre on peut concevoir des unités distinctes d'aménagement répondant à des objectifs prioritaires; ainsi, la création d'îlots de forêts artificielles hautement productives peut être un moyen de diminuer la pression sur les forêts naturelles voisines.

C'est pourquoi la loi a prescrit l'établissement concerté, pour chaque région, de documents d'orientation: directives locales d'aménagement, orientations régionales de production qui s'imposent aux aménagements des forêts publiques et aux plans de gestion des forêts privées.

LA GESTION FORESTIÈRE

Dans le débat qui oppose producteurs et conservateurs, le dixième Congrès forestier mondial a tranché: «protéger la forêt, c'est d'abord la gérer et lui donner une valeur économique». Il est évident, en effet, que la forêt sera d'autant mieux protégée qu'elle procurera des bénéfices et qu'elle motivera, au plan économique, les propriétaires et les populations.

Mais la forêt se gère dans le long terme, en fonction d'un objectif lointain; il faut beaucoup de temps et de continuité pour convertir un taillis en futaie ou créer une forêt de résineux sur une terre inculte. Les interventions sylvicoles sont échelonnées dans le temps à longue périodicité; on régénère une sapinière tous les 100 ans, on éclaircit selon des périodes de l'ordre de 10 ans. Il est donc essentiel que le propriétaire, tant pour lui-même que pour ses successeurs, tende un fil accroché à l'objectif lointain qu'il s'est fixé afin de guider les gestionnaires successifs: c'est le plan d'aménagement applicable depuis longtemps aux forêts publiques.

Dans les années 60, la nécessité était apparue de limiter les exploitations abusives en forêts privées; cela donna lieu à un vaste débat: gestion étatique? Catalogue d'interdictions? Autorisation administrative? Avec sagesse, le législateur a opté pour une solution libérale en responsabilisant les propriétaires. La Loi de 1963 leur fait obligation de gérer «afin d'assurer l'équilibre biologique du pays et la satisfaction des besoins en bois». La Loi de 1985 stipule que «la mise en valeur et la protection des forêts sont d'intérêt général». Pour garantir ces obligations, la loi assujettit les forêts de plus de 25 ha à un plan de gestion approuvé par le Centre régional de la propriété forestière.

Ainsi, deux disciplines président à la gestion de la forêt: l'aménagement qui arrête, à moyen terme, une politique de coupes et de travaux et la sylviculture qui les met en œuvre et façonne les peuplements.

L'aménagement de la forêt

Nos sociétés se montrent de plus en plus exigeantes vis-à-vis de la forêt, qui est appelée à satisfaire des besoins de plus en plus nombreux. Il est donc indispensable d'arrêter des priorités, de hiérarchiser ces fonctions et de les concilier.

L'aménagement d'une unité de gestion forestière a pour objet de faire un choix des objectifs à atteindre (production de bois, accueil du public, chasse, réserve, série artistique, etc.) et de programmer les interventions nécessaires (sylvicoles et autres) pour réaliser ces objectifs. Il recherche un bon équilibre entre un excès de productivisme et un immobilisme conservateur. Il maximise les revenus de la forêt, minimise les pertes écologiques, assure la pérennité du capital.

Cet aménagement prend en compte l'écosystème dans sa diversité écologique et l'intégralité de ses fonctions: production de bois, mais aussi les autres utilités écologiques et sociales de la forêt, les peuplements, ainsi que la faune, la flore, le paysage que la forêt façonne.

Selon l'expression de Bourgenot (1965), l'aménagement se propose «compte tenu de ce que l'on peut faire, de définir ce que l'on veut faire et d'en déduire ce que l'on doit faire».

Ce que l'on peut faire: ANALYSE. Avec son histoire qui l'a marquée profondément, sa topographie, son sol et son microclimat, chaque forêt a son originalité et sa personnalité. Par ailleurs, elle est appelée à jouer un rôle particulier compte tenu de son environnement économique et social.

L'état des lieux, le bilan critique de la gestion précédente sont les premières démarches de l'aménagiste. Celui-ci analyse l'existant, procède à un inventaire quantitatif et qualitatif des peuplements, mais doit aussi recueillir des avis et identifier les besoins locaux que la forêt peut satisfaire.

Ce que l'on veut faire: STRATEGIE. Le plus souvent, une même forêt est appelée à remplir plusieurs fonctions: produire du bois, accueillir des promeneurs et protéger les sols. Ces utilisations multiples sont en général possibles au sein d'une même forêt; encore faut-il les hiérarchiser et les harmoniser.

Mais il arrive que certaines fonctions soient contradictoires ou difficilement conciliables: création d'une zone de promenade exclusive où la chasse est interdite; d'une réserve intégrale; de terrains de chasse, etc. En ce cas, il faut diviser la forêt en unités d'aménagement distinctes que les forestiers appellent des séries.

D'une façon plus générale, l'art subtil de l'aménagiste est de gérer des équilibres: équilibre entre protection et conservation, équilibre entre les fonctions assignées à la forêt, équilibre des classes d'âge des peuplements, équilibre entre les arbres et le gibier, équilibre entre croissance et exploitation, équilibre biologique.

Ce que l'on doit faire: PROGRAMME. Il reste enfin à déterminer les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs qui ont été fixés.

L'aménagiste fait d'abord le choix d'un mode de traitement (futaie, taillis, etc.) et d'une méthode d'aménagement. Il fixe un âge d'exploitabilité et il en déduit les surfaces annuelles à régénérer. Il détermine une possibilité, c'est-à-dire la surface (taillis, éclaircie) ou le volume (futaie, coupe d'extraction) à récolter chaque année. L'objectif est de réaliser l'équilibre des classes d'âge et d'obtenir un rendement régulier des coupes afin d'assurer un revenu constant, un approvisionnement stable des industries du bois et le maintien en l'état de la forêt. L'idéal est d'exploiter chaque année le volume de la croissance annuelle.

Pour réaliser les objectifs fixés, l'aménagiste dispose de trois types de moyens:

· Coupes, qui génèrent des recettes. L'aménagement dessine un parcellaire et donne un calendrier; il programme les coupes à la fois dans le temps (année par année) et dans l'espace (parcelle par parcelle). Le gestionnaire ne décide pas l'emplacement et la quotité des coupes, il obéit au parcellaire.

· Travaux. Les travaux sont de nature sylvicole (conversion, repeuplement) ou d'équipement de la forêt (voirie, aménagement récréatif, etc.). Ils sont également cartographiés et leur réalisation est étalée dans le temps.

· Réglementation. La mise en œuvre de réglementations peut imposer des contraintes d'intérêt général au gestionnaire: création d'une réserve biologique, d'une forêt de protection, etc.

La sylviculture

Le choix des essences est primordial. Dans le passé, l'accent était mis sur leur bonne adaptation au milieu et sur leur capacité de production de bois. Aujourd'hui, on se préoccupe davantage de:

· leur rôle dans l'entretien de la fertilité des sols (introduction de feuillus améliorants dans un peuplement de résineux);

· la biodiversité (conservation d'essences autochtones, mélange).

La sélection génétique, qui a peut-être trop privilégié la performance économique, mettra davantage l'accent sur les caractères d'adaptation au milieu, de résistance aux maladies et aux stress climatiques.

Le forestier doit aussi veiller au bon équilibre avec les populations de gibier dont l'excès peut être extrêmement dommageable au peuplement.

Mais la bonne coupe reste le principal auxiliaire du sylviculteur. Pour contribuer à sa vitalité et à sa pérennité, la forêt doit être parcourue par des coupes qui régénèrent le peuplement, des éclaircies qui l'améliorent. Des récoltes de bois annuelles ou périodiques réalisant des prélèvements soigneusement calculés et localisés, en fonction des accroissements et des classes d'âge, assurent la bonne santé de la forêt et une dynamique conservation.

L'ASSOCIATION ET LE PARTENARIAT

Dans un passé encore tout proche, les forestiers étaient méconnus du grand public et la forêt n'intéressait personne. Ils sont aujourd'hui sur le devant de la scène et la politique forestière s'ouvre davantage sur les politiques d'environnement (aspect qualitatif) et d'aménagement du territoire (aspect spatial). Ainsi la Direction des forêts française est-elle devenue Direction de l'espace rural et de la forêt.

Longtemps repliés dans leur organisation administrative et jaloux de leur technicité et de leurs prérogatives, les forestiers s'ouvrent davantage sur une société de plus en plus préoccupée par la forêt.

L'association des populations locales à la mise en œuvre des actions forestières est une recommandation universelle du dixième Congrès forestier mondial. En France, deux voies permettent cette nécessaire association: une responsabilisation accrue des acteurs et usagers concernés et un effort de communication des forestiers vis-à-vis du grand public.

Responsabilisation

La véritable sauvegarde de la forêt ne sera pas assurée par des interdictions à l'initiative d'une administration centralisée et policière, mais par l'association et la responsabilisation de tous. Cette recommandation vise essentiellement les pays où la forêt n'est pas appropriée et où la gestion est administrative et étatique.

Mais sur ce point, la France a le privilège de disposer d'une population importante de propriétaires forestiers privés qui représentent une force d'intervention forestière considérable: une famille sur cinq possède un espace boisé. Les propriétaires constituent pour les pouvoirs forestiers un appui et un relais irremplaçables. Il suffit de les aider à s'organiser, à se regrouper, à investir, de susciter leur initiative et d'assurer une formation.

Par ailleurs, dans cette catégorie de forêt privée, il y a la forêt dite «paysanne»: un hectare sur trois est inséré dans une exploitation agricole. Moyennant des aides spécifiques et un effort de vulgarisation, la mobilisation de ces propriétaires est un atout à la fois pour la valorisation de leurs parcelles boisées et pour les interventions de surveillance, de gestion et de travaux dans les forets voisines de leur exploitation.

Enfin, la France a aussi le privilège de disposer d'un patrimoine forestier communal important: une commune sur trois est propriétaire d'une forêt. Sans doute ces forêts sont-elles gérées par l'Office national des forêts qui garantit leur intégrité et leur bonne gestion. Mais les municipalités propriétaires conservent des prérogatives importantes et peuvent avoir une influence déterminante sur la promotion et la protection de l'ensemble du patrimoine boisé de leur commune, toutes propriétés confondues. Elles constituent aussi un indispensable relais avec la population. Enfin, la décentralisation a transféré aux collectivités territoriales des pouvoirs importants en matière d'aménagement.

Ces propriétaires privés, ces paysans, ces municipalités rurales sont des acteurs essentiels de la politique forestière française. Au-delà d'une simple association, ces formes de responsabilisation commencent à inspirer les politiques forestières de pays où la forêt est en régression: la forêt paysanne (c'est l'agroforesterie qui se développe), la forêt communale (c'est l'idée de forêt villageoise). Il reste encore à imaginer des formes d'appropriation collective et individuelle de patrimoines trop exclusivement étatiques à gestion lointaine et dépersonnalisée.

Communication

Dans une société de plus en plus urbanisée et industrialisée, la forêt devient un remède aux inconvénients de la ville en proie à la pollution et aux nuisances. Le citadin revient à la nature à laquelle des racines terriennes l'accrochent. Une revendication de plus en plus affirmée de sauvegarde de la forêt, dernier refuge d'une nature encore naturelle, suscite des débats passionnés.

Les associations de protection de la nature pourraient être des auxiliaires précieux pour les gestionnaires de la forêt face aux défricheurs et aux pollueurs. Dans le même combat à mener pour la sauvegarde de la forêt, écologistes et forestiers devraient être complices. Cependant, il n'en est rien; la gestion forestière est souvent critiquée, voire accusée. Pourquoi? Certainement faute de dialogue.

En effet, dans le passé, les forestiers ont bien géré puisqu'ils ont su maintenir en l'état de prestigieuses futaies, tout en sachant les exploiter et en tirer profit.

Mais aujourd'hui, les fonctions de la forêt se diversifient, les exigences de nos concitoyens se multiplient et la gestion forestière se complique. Les forestiers sont dans l'obligation d'être davantage à l'écoute des aspirations et des critiques, et surtout d'expliquer pourquoi telle plantation de résineux, telle coupe à blanc, etc. De plus en plus, ils le font à travers les médias, dans des actions de formation près des jeunes, en organisant des visites et en publiant des ouvrages de vulgarisation.

CONCLUSION

La France a connu dans son histoire des périodes d'intenses défrichements. L'accroissement de la production agricole, en libérant des terres, la substitution du charbon et du fuel à des prélèvements excessifs de bois de feu ont sauvé nos forêts. Des campagnes de reboisement ont porté à 14 millions d'hectares une forêt française qui, au début du siècle dernier, était réduite à 8 millions d'hectares. Aujourd'hui, les excédents agricoles libèrent des terres et ouvrent à la forêt de nouvelles perspectives.

Les forestiers du monde sont confrontés à trois défis: la régression de la forêt, sa nécessaire extension et la conservation de ce qui a été sauvé.

Nous avons essayé de montrer que la non-exploitation ou la seule réglementation étaient impuissantes à sauvegarder ce patrimoine vivant. Sa vraie conservation durable et soutenue passe par la gestion.

BIBLIOGRAPHIE

Bourgenot, L. 1965. Manuel pratique d'aménagement. Paris, Direction générale des eaux et des forêts, Ministère de l'agriculture.

Gadant, J. 1991. Intégration des actions forestières dans l'aménagement des espaces ruraux. In Actes du dixième Congrès forestier mondial, Nancy, France, ENGREF.

Nouvelles perspectives pour l'aménagement du système forestier national des Etats-Unis

H. Salwasser, D.W. MacCleery et T.A. Snellgrove

Les auteurs sont, respectivement, directeur des Nouvelles Perspectives, directeur adjoint de la section de gestion du bois et chef de division, recherche sur les produits forestiers et leur collecte, Département de l'agriculture des Etats-Unis, Service des forêts, Washington. C'est la version révisée d'une communication présentée à la 16e session de la Commission des forêts pour l'Amérique du Nord, Cancún (Mexique), février 1992.

Cet article décrit brièvement la situation forestière aux Etats-Unis: relations existant entre populations, forêts, produits forestiers et qualité de l'environnement; directions prises dans le passé qui ont conduit les forêts à leur état actuel; et potentialités des forêts et prairies nationales. Un exemple illustre la façon dont le Service des forêts du Département de l'agriculture des Etats-Unis traite ces différentes questions et opère ses choix politiques à partir d'un projet intitulé Nouvelles perspectives pour l'aménagement du système forestier national. Les projets lancés dans le cadre de ces Nouvelles perspectives ont quatre objectifs principaux: apprendre à mieux conserver les écosystèmes forestiers, quelle que soit leur situation géographique, pour les utiliser plus avantageusement et de façon plus durable et plus variée; associer de façon plus efficace le public aux décisions concernant la ressource; renforcer le travail d'équipe entre chercheurs et gestionnaires afin de parvenir à un aménagement plus souple de la terre et de la forêt; et intégrer tous les aspects de l'aménagement de la terre et de la forêt.

INTRODUCTION

Les Américains se préoccupent de l'avenir de leurs forêts: ils s'intéressent à leur santé, à la diversité de leur faune, à leur résistance aux contraintes et au changement climatique, à leur rendement, qu'il s'agisse du bois ou des autres produits forestiers, à leur aménagement en vue de leur usage, à leur rôle dans la protection de l'environnement, et enfin à leur beauté. Il s'agit donc d'adapter les pratiques forestières à ces préoccupations nouvelles. L'enseignement forestier et la recherche forestière sont également en train d'évoluer (Conseil national de la recherche, 1990). L'un et l'autre s'élargissent pour prendre en compte les connaissances nouvelles sur la dynamique des forêts en tant que systèmes écologiques et sur les rapports existant entre technologies de la production forestière, aménagement, cadre économique et transformation des valeurs et des besoins de notre société.

Les principes fondamentaux de l'aménagement des forêts et des ressources naturelles aux Etats-Unis n'ont pas changé. Une administration de la terre reposant sur des méthodes scientifiques valables, une production efficace visant à conserver les ressources naturelles et une gestion socialement responsable qui permette aux propriétaires d'atteindre leurs objectifs constituent aujourd'hui, et ne cesseront de constituer, les bases de la foresterie aux Etats-Unis.

Les changements entrepris actuellement vont dans le bon sens. Toutefois, certains problèmes importants méritent une attention particulière: conflits relatifs à la chouette tachetée, aux forets anciennes, aux ressources ligneuses (Johnson et al., 1991; Caulfield, 1990); durabilité de la forêt (Botkin, 1990; Fri, 1991; Sample, 1991a; Gale et Cordray, 1991; Greber et Johnson, 1991); coupes rases, espèces menacées, économie de la foresterie (O'Toole, 1988; Baden, 1991); fourniture durable de produits forestiers, et perte d'emplois dans le secteur forestier.

Malheureusement, aux Etats-Unis, les controverses relatives aux problèmes forestiers semblent souvent placées sous le signe d'une catastrophe écologique inéluctable (Knudsen, 1991), à moins qu'elles n'annoncent l'imminente disparition des dernières grandes forêts du pays (Caulfield, 1990). Eventualités chimériques, certes, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas de solides raisons d'inquiétude quant à l'état général des forets américaines, et à la façon dont notre société en assure la gestion à travers ses institutions.

L'état des forêts aux Etats-Unis a de multiples ramifications, économiques, sociales, écologiques et esthétiques. Mais, pour être judicieux, les choix politiques ne doivent pas dépendre de réactions passionnelles inspirées par des informations biaisées. Ils doivent être fondés sur des informations valables concernant l'état des forêts, leurs potentialités, et les implications écologiques et économiques des diverses options possibles d'aménagement.

Cet article a donc pour but d'exposer la situation forestière des Etats-Unis et de montrer comment le Service des forêts du Département de l'agriculture entend répondre aux questions qui se posent dans le cadre d'une nouvelle orientation de l'aménagement forestier et plus particulièrement d'un projet appelé Nouvelles perspectives pour la gestion du système forestier national.

LES FORÊTS, LES FORESTIERS ET LEUR ENVIRONNEMENT

Forêts et bien-être national

L'une des raisons du profond intérêt que l'on porte aux forêts est qu'elles représentent une des grandes sources de richesse et de bien-être pour la nation tout entière (Marsh, 1864; Clawson, 1979; Williams, 1989; Perlin, 1991); elles sont une part importante du patrimoine biologique et de la diversité culturelle de chaque génération, une part également de l'héritage que chacune d'entre elles laissera à ses successeurs; une fabrique à l'échelle nationale de ressources naturelles renouvelables (Frederick et Sedjo, 1991); un organe vital de la santé de la planète (Silver et DeFries, 1990); un lieu de récréation et de loisirs; et, finalement, une composante essentielle du niveau de vie des citoyens des Etats-Unis.

Tendances du domaine forestier utile (production, loisirs et fonctions de protection de l'environnement)

Forêts denses et forêts claires couvrent actuellement environ 31 pour cent des terres émergées de la planète (4,1 milliards d'hectares selon l'Institut mondial pour les ressources, 1990), soit à peu près 66 pour cent de la couverture forestière mondiale d'avant la révolution industrielle (figure 1). Entre-temps, la population du globe s'est multipliée par 11: elle est passée de 500 millions à 5,5 milliards d'habitants environ.

FIGURE 1. Superficies boisées avec 10 pour cent ou plus de couvert forestier (estimation)

Sources: Clawson (1979), WRI (1990).

En 1750, chaque habitant du globe disposait donc approximativement de 12 ha de ressources forestières en moyenne. En 1990, cette superficie est tombée à 0,75 ha (figure 2).

FIGURE 2. Evolution des superficies boisées par habitant du début du XVIIIe à la fin du XIXe siècle

Aux Etats-Unis, les forêts couvrent environ 32 pour cent du territoire national, soit 296 millions d'hectares (Haynes, 1990), ou encore environ 66 pour cent de la couverture forestière avant la colonisation européenne (Clawson, 1979). A peu près 150 millions d'hectares de forêt originelle ont été convertis en terres agricoles pour la plupart, certains espaces initialement défrichés ayant été reconquis par la forêt au cours du XXe siècle (figure 3).

FIGURE 3. Superficies cultivées et superficies boisées aux Etats-Unis de 1850 à 1980

Source: Waddell, Oswald et Powell (1989).

Depuis le XVIIe siècle, la population du territoire actuel des Etats-Unis a été multipliée par 25: elle est passée de 10 millions à 250 millions d'habitants à la fin de notre siècle. En d'autres termes, la couverture forestière, qui était de 45 ha par habitant en 1700, est tombée à 1,2 ha en 1990 (figure 2).

Ce déclin spectaculaire de la superficie de forets par habitant au cours des quatre derniers siècles diminue d'autant le potentiel des ressources forestières par habitant actuel et à venir, en lieux de résidence, produits forestiers divers et protection de l'environnement.

Cette tendance générale affecte toutes les ressources de la biosphère (figure 4). C'est pourtant précisément la population en expansion qui, grâce à ses facultés intellectuelles et créatives, a su améliorer à la fois la qualité de l'environnement et le niveau de vie de la plupart des hommes.

FIGURE 4. Evolution proportionnelle de la superficie de la biosphère par rapport à la population humaine estimée sur les 300 dernières années.

Modes d'utilisation de la forêt: différences existantes

Dans les zones rurales et dans les pays en développement, les populations utilisent les forêts pour assurer leur subsistance (Marsh, 1864; Thomas Jr., 1956; Toynbee, 1976; Perlin, 1991), tout comme le faisaient les habitants des Etats-Unis jusqu'à une époque encore récente (Clawson, 1979). Dans certains cas, ce rapport des hommes à la forêt s'est maintenu pendant des siècles, voire des millénaires. Dans d'autres cas, les hommes ont tiré de la forêt nourriture, abri, médicaments et combustibles jusqu'à sa disparition, ou jusqu'à une évolution des économies leur permettant de trouver ailleurs leurs ressources de base et de conserver leurs forêts pour d'autres usages.

Dans certains pays en développement 70 pour cent environ du cubage de bois extrait de la forêt est utilisé comme combustible domestique. Si la densité de la population augmente au-delà de certaines limites, c'est la survie même de la forêt qui sera mise en question.

Aux Etats-Unis, les usages du bois ont changé au cours des âges. En 1850, 95 pour cent de l'énergie domestique et industrielle du pays (mesurée en unités thermiques britanniques, ou BTU) étaient fournis par le bois (Fedkiw, 1989). Aujourd'hui, la part du bois dans la consommation énergétique est bien moindre: aux Etats-Unis, l'énergie provient en majeure partie des combustibles fossiles.

Entre 1980 et 1988, 44 pour cent de la production globale de bois aux Etats-Unis étaient utilisés dans la construction (sciages, contreplaqués, placages); 27 pour cent environ servaient à la fabrication de la pâte et du papier, et 22 pour cent à la consommation sous forme de bois de feu (Ulrich, 1990).

Influence sur la forêt de la consommation et des flux d'approvisionnement de bois

Depuis longtemps, la consommation de bois influe fortement sur les rapports entre l'homme et la forêt (Clawson, 1979; Perlin, 1991). Aux Etats-Unis, la production de bois et les usages qu'on en fait ne cessent d'augmenter (figures 5 et 6; Haynes, 1990; Sedjo, 1990; Ulrich, 1990; Haynes et Brooks, 1991). Les Etats-Unis produisent environ 25 pour cent du total mondial de bois d'œuvre et d'industrie, et en consomment environ 33 pour cent. Ils consomment par ailleurs 50 pour cent de la production mondiale de papier (Haynes et Brooks, 1991). Les Etats-Unis sont donc le plus gros consommateur mondial de bois, à la fois globalement et par habitant (Postel et Ryan, 1991).

FIGURE 5. Tendances de la production mondiale de bois rond et de bois rond industriel de 1950 à 1990

Source: FAO (1991) présenté par Haynes et Brooks (1991).

FIGURE 6. Tendances de la production de produits ligneux aux Etats-Unis de 1800 à 1988

Sources: Sedjo (1990) pour la période 1800-1949; Ulrich (1989) pour 1950-1959; Ulrich (1990) pour 1960-1988.

Aux Etats-Unis, la consommation, par habitant, de bois autre que le bois de feu est d'environ une fois et demie plus importante que dans les autres pays industrialisés, et au moins 100 fois plus importante que dans certains des pays non industrialisés (Postel et Ryan, 1991). Entre 1970 et 1980, la production et la consommation de bois ont augmenté de 28 pour cent, par suite du développement de l'utilisation du bois pour la construction, le chauffage domestique et les industries de transformation de produits forestiers (bois d'énergie) (tableau 1; figure 6; Ulrich, 1990).

Entre 1980 et 1988, les importations nettes totales de produits ligneux couvraient 9 pour cent de la consommation globale de bois des Etats-Unis, le volume net des importations représentant en moyenne 448 000 m3 par an. Pendant la même période, la part de ces importations réservée à la pâte à papier était de 12 pour cent, et celle réservée aux sciages et contreplaqués de 16 pour cent (Ulrich, 1990). Vers la fin des années 80, 27 pour cent environ des sciages importés aux Etats-Unis provenaient du Canada.

TABLEAU 1. Consommation totale de produits du bois, bois de feu compris, aux Etats-Unis de 1950 à 1988

Annés

Consommation totale des Etats-Unis
(équivalent bois rond)

Consommation par habitant

(millions de m3)

(m3)

1950-1954

340

2,2

1955-1959

337

2,0

1960-1964

332

1,8

1965-1969

362

1,8

1970-1974

372

1,8

1974-1979

411

1,9

1980-1984

466

2,0

1985-1988

542

2,2

Sources: Ulrich (1989) tableau 4; Ulrich (1990) tableau 4; et Département de l'agriculture et du commerce des Etats-unis.

Récemment encore, les Etats-Unis produisaient environ 23 pour cent des sciages de résineux utilisés à partir de grumes abattues dans les forêts nationales. Ce pourcentage est en baisse, par suite du changement intervenu dans les politiques forestières en vue, notamment, de développer d'autres usages des forêts: protection des bassins versants, de la faune ou de la valeur esthétique.

Les Etats-Unis vont-ils donc limiter leur consommation de bois à mesure que la production des forêts publiques déclinera, ou bien les instances nationales décideront-elles d'aller chercher le bois ailleurs, chez les propriétaires privés des pays entre autres ou dans des forêts étrangères?

Matériaux pouvant servir de substituts au bois

Qu'adviendrait-il si les Etats-Unis décidaient de substituer des produits non ligneux au bois? Il existe de tels substituts, utilisables pour la construction notamment. Mais ces substituts sont nocifs pour l'environnement et l'économie (tableau 2; Koch, 1991; Alexander et Greber, 1991; Bowyer, 1991a; 1991b; 1991e).

Comparé à tous ses substituts, le bois est un des matériaux de construction le plus écologiquement inoffensifs. C'est pratiquement la seule ressource renouvelable qui soit économiquement adaptée à la charpente et aux revêtements (Koch, 1991).

Les substituts du bois - acier, aluminium et autres métaux, béton ou plastique - utilisables en menuiserie ne sont pas renouvelables, quoique recyclables, mais non sans un certain coût énergétique. Ils consomment beaucoup plus d'énergie que le bois par unité de production. Koch (1991), par exemple, considère qu'il faut environ neuf fois plus d'énergie pour produire et transporter sur le site des lattis en acier que des lattis en bois.

TABLEAU 2. Evaluation de l'énergie nécessaire à la fabrication de murs et parois dans l'industrie du bâtiment

Type de mur

Energie nécessaire pour construire un mur de 100 m2

Equivalent énergie

(en millions d'équivalent pétrole BTU)

Paroi en contreplaqué, sans revêtement, châssis 2 x 4

21

1,0

Paroi MDF, revêtement en contreplaqué, châssis 2 x 4

27

1,3

Paroi en aluminium, contreplaqué, panneau isolant, châssis 2 x 4

53

2,5

Paroi MDF revêtement en contreplaqué, clous en acier

55

2,6

Bloc en béton, sans isolant

184

8,8

Placages en briques sur revêtement

193

9,2

Note: Est prise en compte la consommation d'énergie nécessaire à la coupe (ou au débardage), à la fabrication, au transport sur le chantier et à la construction proprement dite.

Sources: CORRIM (1976), cité par Bowyer (1991e) après conversion en unités métriques.

La quantité de bois utilisée aux Etats-Unis est à peu près égale en poids à la quantité combinée de tous les métaux, plastiques, et ciments utilisés par an (Bowyer, 1991a). L'utilisation massive de substituts manufacturés du bois pour la construction entraînerait donc une hausse importante à la fois de la consommation énergétique nationale et des émissions de bioxyde de carbone (Koch, 1991).

RAPPEL HISTORIQUE SUR LES FORÊTS AUX ETATS-UNIS

Nous ne sommes pas les premiers à nous préoccuper de l'état de nos forêts. Il suffit, pour en avoir la preuve, de faire un bref rappel historique des faits (Fedkiw, 1989).

La population américaine s'est rapidement multipliée au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Le peuplement de l'Ouest était considéré comme un objectif national louable. Conséquence malheureuse, ces établissements humains ont été faits au détriment d'une grande partie de la couverture forestière et de la faune sylvestre, le défrichement des forêts étant nécessaire pour ouvrir des terres à l'agriculture et produire le bois indispensable à la construction des villes en rapide expansion. Les taux de croissance forestière du pays ne pouvaient pas suivre les niveaux d'abattage.

La faune sylvestre a également été victime d'agressions (Trefethen, 1975; Dunlap, 1989). Il n'existait pratiquement aucune restriction aux droits de chasse commerciale de toutes les espèces de gibier pour la chair, les fourrures et les plumes, et les habitats étaient bouleversés par le défrichement à des fins agricoles, par les coupes et par les incendies.

Dès 1900, les populations de nombreuses espèces animales avaient fortement diminué. Citons, parmi elles, des gibiers aussi communs actuellement que le cariacou; le dindon sauvage; la chèvre américaine; la plupart des animaux à fourrure, tel le castor; des oiseaux aquatiques, notamment le cygne et le harle huppé; ainsi que d'autres espèces de canards sauvages; l'oie sauvage du Canada; et toutes sortes d'échassiers tels les hérons, les aigrettes et les ibis. Cette liste n'est d'ailleurs pas exhaustive.

Il est facile aujourd'hui de critiquer les responsables de cet appauvrissement des ressources forestières au siècle passé. Les gens, en général, se préoccupent avant tout de se nourrir, eux et leurs familles, et de construire leur cadre communautaire de vie et leur pays. Aux Etats-Unis, cette période qui couvre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle est en fait le prolongement logique de la longue histoire du peuplement du territoire américain. L'impact de cette colonisation a été renforcé à partir de 1870 par l'expansion rapide de la population et les progrès de la technologie.

Toutefois, dès cette période, quelques individus ont été suffisamment clairvoyants pour comprendre qu'il fallait envisager une nouvelle manière d'aborder les choses et pratiquer d'autres méthodes (Trefethen, 1975).

C'est cette prise de conscience qui a permis, au plan national, l'émergence du premier mouvement pour la protection de l'environnement. Les grandes lignes du nouveau cadre politique prévoyaient la protection de la foret contre la faune sauvage et celle de la faune contre la chasse excessive, et l'aménagement sur des bases scientifiques à la fois de la forêt et de la faune. Il s'agissait spécifiquement de:

i) acquérir des connaissances scientifiques sur les forêts et leur faune, et d'en confier l'application à des professionnels du secteur public comme du secteur privé;

ii) promouvoir et encourager la protection de la foret, sans distinction de propriété, contre la faune, les insectes, les maladies;

iii) encourager la gestion productive des forêts appartenant à des propriétaires forestiers par des incitations fiscales et par la mise en place de services d'appui technique et financier;

iv) promulguer et faire respecter une législation sévère sur la conservation de la faune sylvestre, tant au niveau de la Fédération que des Etats;

v) acquérir et aménager des terres du domaine public en vue de leur valorisation économique et touristique. L'une des chevilles principales de cette action devait être la concertation et la coopération entre les différents acteurs, à l'échelle de la Fédération, des Etats, et des particuliers.

L'application de cette politique a eu pour résultat un redressement spectaculaire de la situation des forêts et de la faune sauvage des Etats-Unis (MacCleery, 1991).

Situation forestière et utilisation du bois aujourd'hui

Aujourd'hui, les forêts des Etats-Unis et leur faune se sont largement reconstituées. Dans l'ensemble, on constate une hausse de la productivité forestière tout au long des dernières décennies (figure 7).

FIGURE 7. Tendances de la croissance nette de bois d'oeuvre aux Etats-Unis, par grands propriétaires forestiers, de 1952 à 1987

Source: USDA, Service des forêts (1982) et Haynes (1990).

Environ 20 pour cent des 196 millions d'hectares de couverture forestière sont à même de produire 1,4 m3 par ha et par an de bois d'œuvre et d'industrie, et se trouvent hors des quotas réservés à des usages excluant la récolte du bois (figure 8; Haynes, 1990). Sur l'ensemble du territoire national, le repeuplement sur ces terres, qui en 1900 ne parvenait qu'en partie à couvrir l'extraction, est, depuis les années 40, en situation d'équilibre. Au cours des dernières décennies, le taux d'accroissement a sans cesse excédé le volume d'abattage (figure 9; Haynes, 1990).

FIGURE 8. Pourcentage de forêts privées par rapport aux superficies boisées totales aux Etats-Unis en 1987

Source: Haynes (1990).

FIGURE 9. Croissance des peuplements et coupes de 1920 à 1986

Source: Département de l'agriculture des Etats-Unis, Service des forêts (1973 et 1982); Haynes (1990).

Le volume sur pied présent dans les forêts des Etats-Unis est de 25 pour cent plus important qu'en 1952. Les forets en expansion sont d'actifs «pièges» à carbone. Les forêts américaines servent à évacuer l'équivalent d'environ 9 pour cent du total des émissions de bioxyde de carbone, toutes sources confondues (M. Fosberg, communication personnelle).

La plantation d'arbres a atteint un niveau record tout au long des années 80. Plus de 10,5 millions d'hectares ont été plantés en arbres pendant cette période, ce qui représente une superficie égale à l'Etat de Virginie.

Les superficies incendiées ont été en baisse constante entre 1930 et 1987 (figure 10). Le rôle des feux de forêt dans la préservation de la diversité et de la résistance aux contraintes des écosystèmes forestiers doit être reconsidéré. Mais les investissements réalisés pour le reboisement, l'aménagement forestier et la lutte contre les incendies de forêt ont eu pour conséquence un accroissement de la couverture boisée de l'ordre de trois fois et demie depuis 1920 (Fedkiw, 1989). Cela n'est pas sans importance, car la première étape de toute stratégie de conservation de la forêt est de maintenir la superficie des espaces boisés.

FIGURE 10. Tendances des incendies de forêts aux Etats-Unis de 1930 à 1987

Source: Statistiques des incendies, Département de l'agriculture des Etats-Unis, Service des forêts.

Grâce à cette abondance de la couverture forestière, et à sa productivité, le pays peut sauvegarder, et sauvegarde effectivement, davantage de ses forêts, naturelles ou restaurées, pour des usages de protection de l'environnement, d'esthétique et de loisirs. Depuis la fin des années 80, environ 14 millions d'hectares de forêts biologiquement productrices de bois ont été ainsi valorisés de façons diverses, hors de la filière d'exploitation du bois (Haynes, 1990), soit presque le double des superficies réservées à ces fins en 1970 (MacCleery, 1991).

Les techniques de récolte et de transformation du bois sont elles aussi devenues considérablement plus efficaces depuis le début du siècle. Malgré le manque de rigueur des informations statistiques, on considère que les déchets de coupe ont diminué de 10 pour cent pour les conifères et de 40 pour cent pour les feuillus depuis les années 50. L'utilisation des arbres victimes des incendies, des ravageurs et des maladies a aussi augmenté spectaculairement. Qui plus est, la proportion d'arbres récoltés effectivement transformés en placages ou sciages a augmenté de près de 20 pour cent pour les scieries et d'environ 22 pour cent pour les usines de contreplaqués (Haynes, 1990). L'utilisation de technologies avancées, telles que lames de scie ultra fines, systèmes de mesures électroniques et sciage assisté par ordinateur a contribué à diminuer les déchets de fibre.

Les nouvelles technologies intervenant dans l'utilisation, la conservation et le recyclage ont réduit par centaines de milliers d'hectares les surfaces qu'il aurait fallu sans cela exploiter pour obtenir les quantités de bois nécessaires à la consommation des Etats-Unis.

Il serait possible d'améliorer encore l'utilisation du bois et de développer le recyclage (Ince et Alig, 1991). Postel et Ryan (1991) considèrent que la mise en œuvre de nouvelles technologies de conservation pourrait réduire la demande en bois brut de 50 pour cent. Ces technologies permettraient ainsi de réduire la demande par habitant de bois brut et d'atténuer d'autant la pression qui s'exerce sur la forêt jusqu'à ce que l'expansion démographique accroisse de nouveau la demande globale.

La faune sylvestre aujourd'hui

Les transformations de l'environnement forestier et l'exploitation de la forêt par l'homme ont conduit plusieurs espèces animales d'Amérique à l'extinction complète depuis le début du siècle. C'est le cas du pigeon voyageur et du perroquet de Caroline. D'autres espèces, toutefois, qu'on pouvait croire condamnées en 1900, ont fait des retours spectaculaires grâce à des interventions déclenchées pendant les premières décennies de ce siècle (Thomas, 1989).

On constate depuis 1930 une augmentation importante de la faune sylvestre adaptée à une assez importante variété d'habitats. La plupart des espèces sylvestres américaines sont heureusement dans ce cas et font preuve d'une forte tolérance au milieu. Ce «généralisme» en matière d'habitats provient peut-être de la dynamique naturelle des forêts d'Amérique du Nord et de la fréquence des changements du régime naturel.

Les problèmes n'ont pas disparu pour autant. Certaines espèces, dont les exigences en matière d'habitat sont plus fortes, constituent aujourd'hui des sujets de préoccupation grandissante. En voici quelques-unes:

· le pic à tête rouge et la tortue fouisseuse, tous deux originaires des forêts claires et savanes de conifères du sud, créées par les incendies;

· la fauvette de Kirtland, originaire des jeunes forêts de pins du Michigan;

· la chouette tachetée, dont les vieilles formations boisées de l'ouest constituent l'habitat.

De nombreuses espèces sauvage exigent des habitats vastes et contigus. C'est le cas de l'ours grizzly, des loups, des élans et des oiseaux du sous-bois. Pour certaines espèces, l'habitat requis est la forêt surannée et écologiquement diversifiée. Mais les besoins de ces «spécialistes» peuvent être satisfaits grâce à un aménagement compétent et dynamique (notamment par des brûlages dirigés propres à la création de savanes arbustives ou de steppes boisées telles que les aime le pic à tête rouge) qui recrée ou conserve les conditions et les processus souhaités, les habitats encore peu évolués faisant parfois exception.

Les vieilles forets de pins de Douglas, elles-mêmes, que préfère la chouette tachetée, sont des types forestiers subclimatiques qui peuvent éventuellement évoluer vers des conditions forestières différentes sans l'intervention accidentelle d'incendies.

PROBLÈMES ET CHOIX DE POLITIQUES

La première des exigences, en matière de politique forestière, est d'essayer de mieux comprendre les rapports existant entre l'homme, les ressources naturelles, le rôle écologique et le niveau de vie. La seconde tâche prioritaire consiste à articuler et définir ces rapports et leurs implications de façon que les choix faits par les gens le soient à bon escient.

Six milliards d'hommes vont bientôt peupler la planète, au lieu des 500 millions qui s'y trouvaient il y a peu, et que d'aucuns considéraient comme sa capacité de charge normale. Aux Etats-Unis, on compte 250 millions d'habitants - 300 millions dans un avenir proche - alors que la population ne dépassait pas autrefois 10 millions de personnes.

Les Américains peuvent et doivent redoubler d'efforts pour conserver et recycler leurs ressources naturelles. Toutefois, même s'ils parviennent à réaliser quelques gains, la ponction sur les ressources sera vraisemblablement plus forte dans l'avenir qu'aujourd'hui. Ces ressources, il faudra bien les produire. Et la pollution croissante, issue de la consommation croissante, devra elle aussi être prise en compte de quelque façon.

Cependant, les Etats-Unis ont actuellement une population presque quatre fois plus forte qu'il y a 100 ans, population dont le niveau de vie est sensiblement plus élevé. Or, nos forêts et notre faune sylvestre sont en bien meilleur état qu'elles ne l'étaient en 1890, ce qui augmente considérablement la marge de conservation potentielle. Cette amélioration des conditions est le résultat de la relative prospérité générale et de la technologie performante des Américains, auxquelles s'ajoute la pertinence des choix politiques opérés par le passé.

Malgré tout, les défis posés par l'aménagement des ressources naturelles pendant cette décennie, parmi lesquels la réduction de la consommation énergétique et l'amélioration de la conservation des ressources disponibles, sont graves. Le public n'est pas au courant des gains obtenus dans le passé et de l'efficacité relative des choix politiques qui ont été mis en œuvre. De même, il est fâcheux qu'il soit si mal informé de la nature réelle des problèmes d'environnement. Cette désinformation ne lui permet pas de saisir la vraie dimension des choix politiques possibles, ni même ce qu'ils sont.

C'est ce qu'illustre la question de la protection des peuplements subsistant dans les vieilles forêts de l'ouest du pays.

Forêts primaires: quelle politique forestière?

La protection des forêts primaires a débuté avec le classement de certaines zones forestières ou sauvages comme parcs nationaux et réserves il y a plusieurs décennies. Or certains médias, certains groupements, ont affirmé aux Américains que les derniers peuplements anciens des forêts nationales vont être mis en exploitation et sont appelés à disparaître dans une ou deux décennies.

Il existe de 12 à 14 millions d'hectares de peuplements anciens dans les forêts nationales. Plus de la moitié de ces peuplements sont protégés dans des parcs ou réserves où toute forme d'exploitation du bois est interdite.

Dans les Etats du Nord-Ouest, sur la côte Pacifique (Oregon, Washington et Californie du Nord), environ 2,6 millions d'hectares de forêts primaires subsistent dans les forêts nationales, soit environ de 10 à 15 pour cent de la couverture forestière primitive ancienne de la région. Plus de la moitié de ces superficies sont classées et interdites à l'exploitation.

Si l'on considère le taux de coupe projeté, il devrait exister encore, dans 10 ans, 2,3 millions d'hectares de peuplements anciens sur la côte Nord Ouest, voire davantage après révision du plan actuel de protection de la chouette tachetée et des autres ressources forestières (Johnson et al., 1991).

Les choix politiques ne vont pas de soi. Les Etats-Unis peuvent accélérer le passage des forêts arrivées à maturité dans la catégorie des forêts anciennes. Il faut toutefois prendre en considération les effets, sur les économies locales et sur l'environnement, de ces choix concernant la protection et l'aménagement des peuplements anciens dans les Etats de l'ouest. Il faut envisager les incidences possibles d'une telle politique sur les disponibilités de bois à l'échelle du pays et de la planète, sur l'augmentation de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effets de serre, consécutive à l'emploi de substituts du bois, sur une éventuelle réduction de la biodiversité dans les autres régions ou pays où les quantités de bois exploitées devront être accrues. Peut-être nos décisions n'en seront-elles pas changées; du moins serons-nous conscients de leurs répercussions.

Complexité et portée des choix politiques

Les choix de politiques forestières sont complexes et intègrent de nombreux paramètres sociaux - valeurs et besoins - en même temps que des connaissances d'ordre biologique. Il est peu probable, voire impossible, qu'une politique durable puisse se réduire à des choix unidimensionnels du genre protection des forêts publiques ou augmentation de la production de bois du secteur privé, ou encore sauvegarde de telle ou telle essence d'arbres. Comme l'a fort bien écrit l'écologiste Garrett Hardin (1985), dans un écosystème où les interactions sont la règle, il n'est pas possible de se limiter à une seule intervention.

S'agissant de politiques forestières à définir, on doit également considérer la portée de l'intervention envisagée, dans l'espace et dans le temps. Ce que font les gens pour protéger les forêts, ou pour produire des ressources forestières, dans leur vie privée, n'est pas sans incidence sur leur bien-être économique, sur la qualité de l'environnement et sur la diversité biologique. La raison en est que marchés et environnements sont mondialisés.

Les implications de la consommation de combustibles fossiles aux Etats-Unis, de l'utilisation à l'échelle mondiale des chlorofluorocarbones, de la révolution verte des années 60, du classement des réserves et parcs naturels, de la sylviculture à haut rendement, sont universelles. Que cet impact soit positif ou négatif sur les forêts, la diversité biologique et la qualité de la vie dépendent de la façon plus ou moins ouverte et durable dont nous concevons nos objectifs pour la conservation des systèmes écologiques.

Nous ne devons pas d'ailleurs nous limiter à la forêt proprement dite si nous voulons saisir les implications profondes des écosystèmes élargis dans lesquels s'inscrit l'univers des forets: contextes sociaux, régionaux, nationaux et mondiaux (Clark et Stankey, 1991), économies (Binkley, 1991), et environnement (Silver et DeFries, 1990) sur lesquels influe la forêt.

Une perspective nationale et mondiale peut déboucher sur des conclusions opposées à celles que produirait une perspective focalisée sur une région. Si, par exemple, on décide de substituer au bois des matériaux en acier, en béton ou en aluminium pour des raisons de protection de l'environnement forestier des Etats-Unis, combien cette décision provoquera-t-elle d'émissions supplémentaires de bioxyde de carbone dans l'atmosphère?

A long terme, il est nécessaire de considérer les problèmes sous l'angle national et même mondial, car il est inutile d'essayer de préserver la biodiversité des écosystèmes locaux et régionaux si, pour satisfaire aux besoins de consommation humaine, on épuise ces mêmes écosystèmes ailleurs. Pour être responsable à l'échelle mondiale, il faut que les actions que l'on mène à l'échelon local soient également positives à l'échelon national et mondial.

Associer populations, forêts, bois, faune sauvage et conservation

Au vu des ressources mondiales de bois, de la forte capacité de produire davantage dans des peuplements bien gérés et du potentiel de conservation existant, les gens sont en droit de s'interroger sur la nécessité de procéder à des coupes massives de forêts naturelles primaires. Pourtant, est-il immoral de planter et de couper des arbres de telle façon que la santé des sols, du réseau hydrographique et des écosystèmes soit garantie?

Est-il écologiquement défendable ou mondialement justifiable qu'un pays importe de grosses quantités d'une ressource naturelle, qu'il pourrait produire lui-même avec un minimum de conséquences indésirables, en exportant vers d'autres Etats ou régions les effets écologiquement néfastes de ces choix, ou en causant une dégradation supplémentaire de l'environnement par l'utilisation de matériaux plus polluants (Bowyer, 1991a)?

Ces questions donnent la mesure des problèmes de conservation forestière, encore appelée «foresterie durable». Le défi véritable consiste à conserver les écosystèmes forestiers dans des conditions présentes et futures acceptables, inscrites dans un contexte mondial qui permette de répondre de façon équitable aux besoins sociaux à l'échelon local et régional.

CAPACITÉS DU SYSTÈME FORESTIER NATIONAL

Les forêts et prairies des Etats-Unis couvrent 77 millions d'hectares, soit environ 8,5 pour cent des terres du pays. Leur aménagement répond à des objectifs multiples: production de bois, de minéraux, pâturage, pêche, loisirs et récréation, chasse, étude de la nature et espaces naturels. Elles servent également à la protection des bassins versants.

Les forêts publiques jouent un rôle économique important et représentent une source non négligeable d'agréments et de loisirs de plein air. C'est ainsi qu'elles comptent:

· plus de 70 pour cent du réseau fluvial sauvage et protégé, et 84 pour cent des sites naturels protégés dans les 48 Etats continentaux;

· des bassins versants qui détiennent la moitié des ressources en eau de l'ouest, 5 pour cent des ressources en eau de l'Est, et la moitié des sites de pêche en eau froide du pays;

· plus de 40 pour cent des sites de loisirs en plein air;

· près de 70 pour cent des vertébrés des Etats-Unis, dont plus de 200 espèces animales ou végétales menacées, dont elles constituent l'habitat;

· un cinquième environ de la consommation nationale de bois de résineux;

· des minéraux et une grande partie des réserves potentielles de pétrole, de gaz et de minéraux des Etats-Unis.

Tendances récentes de l'exploitation du bois dans les forêts publiques

Environ 70 pour cent du Système forestier national est formé de forêts; 30 pour cent à peu près de ces terres boisées sont classées aptes à la production de bois, c'est-à-dire que la coupe constitue l'une des multiples fonctions de la forêt, avec la faune sauvage, les loisirs, le pâturage, la protection des bassins versants, etc. (figure 11). Quelque 2,9 millions d'hectares de ce couvert forestier destiné à la production de bois ont de très hauts rendements.

Le taux annuel de croissance des forêts exploitées pour la production de bois dépasse constamment celui de l'abattage. En 1986, le taux de croissance des peuplements a surpassé celui des coupes d'environ 55 pour cent.

Depuis 1952, la croissance annuelle nette des réserves de bois (c'est-à-dire la croissance annuelle du volume de bois, moins les chablis et le bois de rebut) dans le Système forestier national a augmenté d'environ 67 pour cent (Haynes, 1990).

Entre 1984 et 1991, les coupes pour la production de produits forestiers et pour la régénération de forêts nouvelles (coupes rases, coupes de nettoiement ou coupes d'éclaircie) ont été pratiquées sur 138 000 ha par an en moyenne, soit à peu près 0,6 pour cent de la superficie totale disponible pour la production de bois dans le Système forestier national. Le reboisement par plantation et méthodes naturelles a été pratiqué sur environ 183 000 ha par an au cours de la même période. Des coupes intermédiaires d'amélioration ou de sauvetage d'arbres malades ou mourants ont été faites sur 130 000 ha par an en moyenne. Cela représente un peu moins de 0,6 pour cent de la superficie totale exploitable pour la production de bois. Enfin certaines coupes ont été opérées à des fins spécifiques telles que le dégagement d'une vue ou la sécurité d'un lieu de camping, la préparation de jeunes plants ou d'essences ombrophiles; elles ont concerné en moyenne 9 000 ha par an.

FIGURE 11. Différents types de classement zonal selon les plans intégrés d'aménagement des terres et des ressources pour le Système forestier national en 1990. Certains classements se chevauchent, par exemple, parcs nationaux et pâturage, ou exploitation du bois et pâturage

Le Système forestier national comprend 31 millions d'hectares de forêts non exploitables, soit 58 pour cent de la superficie boisée totale. Ces forêts évoluent d'année en année, qu'il s'agisse du cycle végétatif normal dont la conséquence est la maturation de la forêt, ou d'accidents comme les incendies de forêt, ou encore de catastrophes naturelles, telles les tempêtes ou les sécheresses, ou enfin d'épiphyties, qui font régresser la forêt vers des stades moins évolués.

Questions de politique forestière

L'urbanisation rapide des dernières années, la prospérité et la mobilité croissantes des Américains ont radicalement transformé les exigences vis-à-vis de la forêt, spécialement de la forêt nationale. Certaines tendances expriment un conflit direct entre ces nouvelles exigences et les valeurs traditionnelles d'usage de la forêt.

Il est possible de tirer de la forêt davantage de produits ligneux pour satisfaire les besoins à l'intérieur ou au-delà des frontières, davantage de loisirs, etc., mais non de façon illimitée ou sans compensation. Il faut choisir les fonctions et les valeurs que l'on veut privilégier, et équilibrer l'aménagement de façon à obtenir la meilleure combinaison possible à partir d'une ressource de base limitée (Niemi, Mendelsohn et Whitelaw, 1991).

Compte tenu de la part, très importante, des ressources mondiales que consomment les Etats-Unis, et des incidences sur l'environnement qui en découlent, les choix qu'ils font par rapport à leurs forêts et leurs prairies doivent être appréciés dans leur dimension internationale, avec leurs répercussions probables sur les autres pays.

La question essentielle est la suivante: étant donné l'éventail large des potentialités offertes par les forêts et les prairies nationales comparées aux autres surfaces boisées existantes, et vu ce que les Américains attendent de ces terres, tant au plan de l'intérêt économique que des avantages écologiques, quels doivent être, actuellement et dans le futur, les rôles, les fonctions, le type de valorisation à donner à nos forêts et prairies nationales?

Selon ce que nous répondrons, il nous faudra poser d'autres questions, notamment: comment ces conditions, ces fonctions, ces valeurs peuvent-elles être restaurées, créées ou conservées? Quel mode de paiement doit-on prévoir pour ceux qui profitent le plus directement de tous ces avantages, et comment peuvent-ils dédommager ceux qui n'en profitent pas?

NOUVELLES PERSPECTIVES POUR L'AMÉNAGEMENT DU SYSTÈME FORESTIER NATIONAL

Nouvelles directions

L'orientation stratégique donnée à la gestion du Système forestier national est fixée pour des périodes de cinq ans, selon la Loi de planification des ressources (Resources Planning Act [RPA]) de 1974. La version actuelle, le Programme RPA de 1990, retient quatre thèmes et 19 questions d'actualité. L'équilibre entre les investissements d'aménagement répartis entre les diverses fonctions a été amélioré: on porte une attention plus grande aux loisirs, à la vie de plein air et à la pêche. Des programmes de production sont en cours d'examen et adaptés, si besoin est, aux normes de protection de l'environnement. Recherche, gestion de la ressource, assistance technique, programmes internationaux sont appliqués à des questions relatives aux ressources mondiales. Les principales questions traitées vont du dumping sur le marché du bois aux coupes rases, à la diversité biologique et à la responsabilité à l'échelon mondial.

Chaque forêt nationale a son plan d'aménagement intégré du sol et de la ressource, qui traite de ces différents problèmes et de diverses autres questions, selon les cas et les circonstances. Les plans sont élaborés et tenus à jour grâce à un processus de participation du public et à un débat ouvert avec, fréquemment, des acteurs de la conservation.

Comment protéger les écosystèmes en vue d'obtenir des avantages plus variés

Des projets de terrain ont été élaborés dans le cadre du programme Nouvelles perspectives.

Ils ont quatre objectifs principaux: i) apprendre à mieux conserver les écosystèmes forestiers, quel que soit leur lieu géographique, pour les utiliser de façon plus profitable, plus durable et plus variée; ii) associer de façon plus efficace le public aux décisions concernant la ressource; iii) renforcer le travail d'équipe entre chercheurs et gestionnaires afin de parvenir à un aménagement plus souple de la terre et de la forêt; iv) intégrer tous les aspects de l'aménagement de la terre et de la forêt. Ces projets visent essentiellement à améliorer l'application pratique d'une gestion de la terre et de la forêt mieux équilibrée, multidirectionnelle et polyvalente.

Les projets Nouvelles perspectives correspondent à une approche élargie de l'aménagement forestier dont on constate l'apparition aux Etats-Unis (Franklin et al., 1989) et ailleurs (Plochmann, 1989; Maini, 1990). Les Suédois l'appellent «Rikare Skog», une forêt plus riche (Skogsstyrelsen, 1990). Elle suppose qu'on prenne en compte la dimension paysage car les sites n'offrent pas tous les mêmes capacités d'utilisation, ni les mêmes qualités. Le fondement de cette variété est le rôle que joue la diversité biologique pour maintenir la santé et la productivité de la terre (Society of American Foresters, 1991; Keystone Center, 1991; Hansen et al., 1991; Reid et al., 1992).

La conservation de sites biologiquement divers et productifs est un des objectifs primordiaux des projets Nouvelles perspectives (Salwasser, 1991). Il en va de même de l'application des concepts d'écosystèmes à l'aménagement des forêts et prairies nationales, quelle qu'en soit l'échelle. On trouvera présentées à la figure 12 les échelles géographiques multiples des écosystèmes.

FIGURE 12. La conservation des écosystèmes exige l'intégration des activités d'aménagement à toutes les échelles géographiques, sites (et microsites), bassins versants, paysages, régions et continents

Source: Society of American Foresters, 1991. Task force report on biodiversity in forest ecosystems.

Principes et directives à l'usage des gestionnaires d'écosystèmes

Pour conserver les écosystèmes, quels que soient les buts et objectifs spécifiques poursuivis, la gestion doit être écologiquement fondée, économiquement viable et socialement acceptable (figure 13). Si une seule de ces composantes est absente ou insuffisamment représentée, les conditions recherchées ne seront pas durables.

FIGURE 13. A toutes les échelles géographiques, la conservation des systèmes écologiques exige un aménagement écologiquement fondé, économiquement viable et socialement acceptable. A défaut d'un dosage équilibré de ces trois facteurs, les objectifs d'aménagement de l'écosystème considéré ne seront pas atteints sur une base durable: l'élan s'épuise

Ce qui compte, c'est qu'il n'existe pas de raison naturelle unique, ni d'ensemble de conditions biologiques pour lesquels des écosystèmes particuliers doivent être conservés. D'ailleurs, quel que soit l'écosystème considéré, c'est sa complexité biologique et physique qui déterminera ses capacités, sa résistance et sa durabilité à long terme. Il n'est donc pas possible d'appliquer, pour la conservation d'un écosystème, des critères uniquement économiques ou sociaux.

La conservation d'un écosystème doit toujours être posée, puis affinée, en fonction de trois facteurs: l'écologie, l'économie et la société, trois facteurs qui évoluent constamment. C'est pourquoi une gestion souple, fondée sur des principes scientifiques, et socialement acceptable est impérative (Walters, 1986).

Quatre principes doivent servir de guide aux gestionnaires de la terre pour les aider à réussir dans leur entreprise:

Principe 1. Prendre soin de la terre, en assurant la protection et la restauration des sols, de l'air, des eaux, de la diversité biologique et des processus écologiques.

Principe 2. Servir les populations, c'est-à-dire aider les individus, les familles, les communautés qui tirent de la terre nourriture, énergie, abri, mode de subsistance et récréation, à satisfaire leurs besoins primordiaux sans nuire à la durabilité des ressources.

Principe 3. Renforcer ou conserver la prospérité économique et là sécurité des communautés, des régions, et des nations, en produisant, utilisant et conservant judicieusement les ressources naturelles et humaines.

Principe 4. Lutter pour maintenir des relations d'équilibre, d'équité et d'harmonie entre la terre et les hommes, en satisfaisant les besoins des générations actuelles, sans obérer ceux des générations futures.

La Commission mondiale pour l'environnement et le développement (1987) a intitulé «développement durable» sa version de ces principes.

L'essence de la conservation des systèmes écologiques, à l'échelle du paysage comme à une échelle plus vaste, est un aménagement qui tient compte de la diversité, qu'il s'agisse de systèmes biologiques, économiques ou sociaux. Dans un environnement en constante et imprévisible évolution, toutes ces formes de diversité sont nécessaires.

Mise en œuvre des Nouvelles perspectives - un aménagement du point de vue du paysage

Mettre en œuvre un aménagement du paysage permettant de conserver les valeurs écologiques signifie conserver l'intégrité, la diversité, la productivité et la résistance des systèmes écologiques de façon à consentir à la terre de continuer à fournir les produits, usages, avantages et services que l'humanité attend d'elle.

Les forestiers ont traditionnellement géré les systèmes écologiques en vue de réaliser des objectifs précis: par exemple, en vue d'obtenir à rythme constant des rendements de produits choisis, tels que le bois ou la fibre de bois. Une gestion ainsi orientée implique généralement une simplification du système: on procède à des coupes rases, suivies de plantations de certaines essences d'arbres, en éliminant la végétation concurrente.

Une approche intégrant le paysage à la gestion de l'écosystème et de la ressource cherche à adapter les pratiques d'aménagement à l'échelle géographique de façon à faire coïncider au mieux les caractéristiques de la terre et les objectifs spécifiques d'aménagement des différentes superficies considérées. Cela peut aller de la culture intensive ou du développement d'essences à haut rendement sur certains sites, à des formes très strictes de protection de l'environnement ou de restauration des valeurs écologiques sur d'autres. Dans la plupart des cas, s'agissant des forêts nationales, ce type d'aménagement prévoit une forme moins intensive de production ou de protection de la ressource, c'est-à-dire une gestion polyvalente.

Aménager la forêt pour la diversité à l'échelon du site ou de la région signifie que, pour certains sites, le rendement dominant sera moins concentre sur un seul produit, ou sur un petit nombre de produits choisis. C'est ainsi, qu'à court terme du moins, le volume de bois ou de gibier exploité risquera d'être réduit. Par ailleurs, un tel aménagement peut aussi signifier une exploitation moins intensive sur une plus vaste superficie. La capacité de la terre à conserver une vaste gamme de valeurs, à se prêter à de multiples usages, et à répondre aux pressions et aux changements du climat peut, à long terme, compenser les pertes de rendement à court terme. C'est précisément la logique écologique qui sous-tend les Nouvelles perspectives.

Un aménagement du paysage visant à conserver profits plus grands et options futures ne signifie pas que tous les sites doivent recevoir le même traitement ou servir des fins identiques (Forman et Godron, 1986; Hunter Jr, 1990). Chaque site pouvant présenter toute une gamme d'intérêts divers, le défi consiste à déterminer l'équilibre des fonctions et la mosaïque des sites - bassins versants et paysages - susceptible d'assurer la conservation des écosystèmes.

En matière de conservation des écosystèmes, toutes les utilisations potentielles de la terre et toutes les méthodes ont de l'importance. La plupart des sites écologiques peuvent être polyvalents et offrir des avantages divers. Pour atteindre effectivement la plupart des objectifs de protection de l'environnement et de la ressource, il faut les considérer à l'échelle géographique la plus vaste, celle des paysages ou de la région. A cette échelle, les populations font partie des écosystèmes et doivent trouver quelque part des ressources pour satisfaire leurs besoins, et certaines portions de ces écosystèmes-paysages doivent conserver leurs irremplaçables valeurs écologiques. Par conséquent, toutes les portions du paysage et toutes les pratiques susceptibles de conserver les écosystèmes ou de satisfaire les besoins et les aspirations des gens sont potentiellement importantes (figure 14).

FIGURE 14. La conservation des écosystèmes pour leurs valeurs, usages, produits et services implique une application concernée des mesures de protection, restauration, aménagement et amélioration de la ressource aux bassins versants, paysages ou ensembles géographiques plus vastes

Pour parvenir à l'équilibre souhaité, il faut donc accroître la collaboration effective des gestionnaires et des chercheurs avec les populations qui dépendent de l'écosystème-paysage. Intégrer objectifs et interventions, coordonner plans et projets à toutes les échelles, temporelles et spatiales, obtenir la collaboration de toutes les parties intéressées, constituent les prémisses d'un aménagement plus fécond des paysages et de leurs écosystèmes.

Equilibrer les types d'utilisation de la terre et l'orientation de l'aménagement

Les plans forestiers ont sélectionné de vastes zones du Système forestier national pour les consacrer à la restauration et à la protection des écosystèmes indigènes et des composantes rares de la biodiversité. Dans ces aires classées, les processus naturels sont préconisés, encore que l'homme soit parfois appelé à intervenir pour maintenir certaines conditions écologiques: par exemple, par des brûlages dirigés.

D'autres zones sont choisies pour en tirer une gamme diversifiée d'avantages, comportant des types d'exploitation adaptés à la ressource et, parfois, la poursuite d'objectifs spécifiques - aires de loisirs, habitats pour les oiseaux migrateurs néotropicaux, coupes sélectives, et gîtes d'hiver des ongulés - nécessitant des interventions considérables. La plus grande partie de la terre dans ces zones à vocation diversifiée sera riche de «legs biologiques» tels que de grands arbres vivants, des chablis, des feuillus indigènes, etc. (Franklin et al., 1989; Skogsstyrelsen, 1990; Hansen et al., 1991; Swanson et Berg, 1991). Ces «legs» contribuent à la diversité, à la productivité et à la résistance des écosystèmes à long terme.

Les services forestiers nationaux désignent également des zones importantes de production rentable de bois, d'énergie, de minerais, d'eau, de loisirs et de fibres pour aider à subvenir aux besoins nationaux. La gestion de certaines de ces zones est calquée sur des programmes réussis du secteur privé, réalisés dans des sites appropriés (Bingham, 1991). Toutefois, ces espaces naturels, gérés d'une manière intensive, fourniront eux aussi des services écologiques et économiques considérables: eau propre, piégeage du carbone, habitat pour les futures générations de la faune sauvage et loisirs de plein air.

Du fait de la diversité, de la productivité et de la résistance très grandes du Système forestier national, la position, le nombre et les choix d'aménagement en matière d'utilisation de la terre dans ces diverses zones classées sont susceptibles de modifications.

Choisir les conditions souhaitées pour le présent et pour l'avenir

Les choix concernant les forêts et les prairies nationales des Etats-Unis doivent être effectués en fonction des conditions présentes et futures de trois composantes: l'environnement, l'économie et la situation des familles et des communautés humaines aux échelons, local, régional, national et mondial.

Conserver un écosystème forestier dans toutes ses subdivisions signifie assurer la protection de l'environnement tout en satisfaisant les besoins des hommes en produits et services à court et à long termes. Cette difficile entreprise ne peut être menée à bien que par le rapprochement de l'homme et de la nature. C'est là une chose que l'on sait depuis longtemps (Prabhavananda et Isherwood, 1944; Gia-Fu Feng et English, 1972; Easwaran, 1985; Weatherford, 1988; Sahtouris, 1989; Wall et Arden, 1990).

Le bien-être économique et la diversité culturelle de l'humanité sont aussi essentiels à notre avenir que la diversité biologique (Reid et al., 1992). Il est impossible de dissocier l'un de l'autre.

EN CONCLUSION: LA CONSERVATION CONSTITUE TOUJOURS LE MEILLEUR MODÈLE POSSIBLE

Pour lutter contre l'appauvrissement de la forêt à la fin du siècle dernier, la conservation était présentée comme le modèle de bonne conduite. L'accent était mis sur la protection des ressources de base, sur une gestion scientifique et sur une judicieuse utilisation des ressources nécessaires à la satisfaction des besoins humains. Au fil des ans, d'autres notions ont émergé au grand jour: valorisation diversifiée, rendement durable, protection de la faune, préservation des espèces menacées, aménagement et planification intégrés de la terre.

Tous les problèmes n'ont pas été résolus, et d'autres sont apparus ces dernières années. Mais, tout compte fait, la valorisation diversifiée et la conservation se sont révélées efficaces. Au cours de ce siècle, aux Etats-Unis, l'état des forêts, de leur faune, des parcours, des terres agricoles et des ressources qui en découlent s'est spectaculairement amélioré. Cette tendance se poursuit. La situation actuelle de la ressource aux Etats-Unis se présente donc mieux que si ces politiques n'avaient pas été mises en œuvre.

Une nouvelle dimension: l'écosystème

La conservation de l'écosystème dans une perspective de diversification des avantages est un modèle d'aménagement de la terre et de la ressource qui a vu le jour dans les années 90. C'est une notion plus large que celle de rendement durable et d'exploitation polyvalente, mais qui repose directement sur les bases établies par les politiques, concepts et réalisations préalables.

Grâce aux résultats obtenus par les générations précédentes de dirigeants politiques, de chercheurs et de gestionnaires, nous pouvons envisager un aménagement de la terre qui ne se limite pas à la production d'un produit sélectionné, à la monospécificité et à une vision mécaniste et réductrice de la nature.

Cela ne veut pas dire que le débat sur l'utilisation des forêts aux Etats-Unis est près de s'achever. Les Américains sont encore très partagés sur l'usage qu'il convient de réserver à leurs forêts, et ils commencent même à se préoccuper des forêts du secteur privé. Cet état de choses se prolongera jusqu'à ce que les personnes se mettent d'accord sur l'impératif de la diversité et sur les fonctions et juxtapositions relatives de tous les sites composant le paysage.

Mettre l'accent sur l'aménagement des forêts et prairies nationales en vue d'en tirer plus de richesses dans l'avenir ne signifie pas que les défis disparaissent à la limite des propriétés privées. Il s'agit de problèmes à l'échelon régional et national, qui exigent une coopération efficace entre propriétaires privés et gestionnaires.

Nous devons être également toujours prêts au changement. Une chose est sûre: la biosphère est appelée à changer, que l'humanité le veuille ou non. Dans un monde en constante évolution, il ne sera pas possible de conserver les écosystèmes et la santé de l'environnement sans un minimum de bien-être des populations et vice versa. Education, développement économique, distribution équitable des ressources, adaptabilité et conservation des ressources naturelles doivent donc être les compléments indispensables d'un bon aménagement de la terre et les composantes nécessaires et suffisantes d'une gestion morale à l'échelle du monde (Reid et al., 1992).

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